ANNEXE 1 - COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. GEORGES FENECH, DÉPUTÉ DU 12 OCTOBRE 2005

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Présidence de M. Jean-Jacques HYEST, Président

La commission a entendu M. Georges Fenech, député du Rhône, auteur d'un rapport au Premier ministre relatif au placement sous surveillance électronique mobile.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi relative à la prévention de la récidive, le Sénat avait souhaité attendre de connaître les conclusions du rapport qui avait été confié par le Gouvernement à M. Georges Fenech avant de se prononcer sur le dispositif du placement sous surveillance électronique mobile (PSEM).

M. Georges Fenech a d'abord remercié le Sénat pour avoir ainsi permis l'insertion dans la navette parlementaire de ce rapport remis en mai dernier au terme d'un grand nombre d'auditions et de trois déplacements à l'étranger pour évaluer les conditions de recours à la surveillance électronique mobile en Floride, au Royaume-Uni et en Espagne.

M. Georges Fenech a d'abord dressé un bilan positif du placement sous surveillance électronique statique, dont le principe avait été posé par la loi du 19 décembre 1997, mais qui n'avait été mis en oeuvre qu'à partir de 2000. Il a souligné que ce dispositif concernait actuellement 800 personnes, mais que ce nombre devrait s'élever à 3.000 à l'horizon 2008. Il a observé que le champ d'application du placement sous surveillance électronique statique avait été progressivement développé et qu'il n'était plus seulement une modalité d'aménagement de la peine, mais qu'il pouvait aussi, depuis la loi du 9 mars 2004, être prononcé ab initio par la juridiction de jugement. Il a rappelé également qu'il impliquait le consentement de l'intéressé.

Présentant ensuite aux commissaires le matériel utilisé, M. Georges Fenech a montré qu'il comportait deux éléments : d'une part, un bracelet scellé à la cheville et dont le retrait non autorisé déclenche une alarme et, d'autre part, relié à ce bracelet, un émetteur placé à la ceinture comportant une batterie qu'il convient de recharger au domicile (un récepteur émetteur installé au domicile permettant de prendre le relais pendant le temps où cette batterie se recharge). M. Georges Fenech a estimé que ces caractéristiques supposaient la participation et par conséquent le consentement de l'intéressé qui devait en effet être en mesure d'assumer les conditions de fonctionnement de cette surveillance. Le bracelet mobile, a-t-il poursuivi, avait pour objectif de modifier le comportement de l'intéressé. Il impliquait la définition de zones d'exclusion (le logiciel informatique pouvait à cet égard comporter une cinquantaine de zones d'exclusion) ainsi que de zones d'inclusion, c'est-à-dire l'obligation pour l'intéressé de se trouver à certaines heures prédéterminées aux endroits qui lui étaient assignés.

Au vu des expériences étrangères, M. Georges Fenech a souligné que le PSEM ne constituait en aucune manière une panacée, mais qu'il pouvait être un moyen technique utile et efficace à la disposition du juge, dont le succès demeurait subordonné à un accompagnement socio-judiciaire. Il a observé que le choix des personnes susceptibles de porter le bracelet électronique mobile faisait l'objet, aux Etats-Unis, d'une sélection très attentive et que ce dispositif y était en particulier exclu pour les personnes considérées comme très dangereuses. Il a rappelé à cet égard que les personnes chargées, dans ce pays, d'assurer le suivi du bracelet électronique mobile, bénéficiaient d'une formation très solide et devaient être capables d'intervenir de manière très réactive.

S'agissant de la fiabilité de la technique employée, M. Georges Fenech a indiqué que le dispositif fonctionnait grâce au recours au système GPS qui permettait de suivre la personne avec une approximation de 50 mètres en zone urbaine et de 500 mètres en zone rurale. Ce système américain devrait être remplacé d'ici 2010, en Europe, par le système de radio-navigation par satellite Galileo qui devrait permettre un suivi plus précis. Il a estimé la fiabilité du système actuel à 90 %, tout en indiquant que des phénomènes de type « cage de Faraday » pouvaient conduire à perdre complètement, à certains moments, le contrôle de la personne.

M. Georges Fenech a indiqué que le bracelet électronique mobile présenterait sans doute un coût supplémentaire par rapport au système statique (actuellement de l'ordre de 15 euros par jour) dans la mesure où il supposait la transmission des informations à un système central. Il a relevé que le coût pouvait varier en fonction du degré d'externalisation utilisée. Ainsi, le dispositif représentait un coût journalier de 60 livres au Royaume-Uni où le recours au secteur privé apparaissait très développé et de 10 dollars aux Etats-Unis, où l'administration conservait la responsabilité du suivi du système. M. Georges Fenech a estimé que la mise en oeuvre du bracelet électronique mobile devrait relever, en France, de la puissance publique.

Evoquant le cadre juridique dans lequel serait mise en oeuvre cette nouvelle technique, M. Georges Fenech a d'abord souligné que l'obligation de porter un bracelet électronique mobile constituait une véritable peine et qu'elle n'était pas applicable, à cet égard, à une personne qui aurait déjà exécuté sa peine. Il a suggéré que le recours au PSEM obéisse aux mêmes règles que celles retenues pour le bracelet statique qui peut être appliqué comme modalité d'exécution de la peine ainsi que dans un cadre pré-sentenciel. Il a relevé que la commission des lois de l'Assemblée nationale s'était montrée réservée sur une extension trop large du champ d'application du PSEM et avait préféré réserver son utilisation aux infractions les plus graves. Il a souligné qu'en tout état de cause, le PSEM devait être entouré de garanties juridiques rigoureuses. A cet égard, il s'est réjoui que la commission des lois de l'Assemblée nationale ait proposé d'inscrire ce dispositif dans le cadre du suivi socio-judiciaire.

Abordant la question de l'application immédiate du bracelet électronique mobile, M. Georges Fenech a noté qu'un amendement du Gouvernement tendant à permettre le recours au PSEM pendant la période correspondant à la durée des réductions de peine obtenues par le condamné devrait, s'il était adopté, être d'application immédiate, car il serait considéré, dans ces conditions, comme une simple mesure de sûreté. Il a ajouté que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait également prévu l'application du PSEM aux pyromanes.

M. Georges Fenech a conclu en soulignant qu'il ne fallait pas laisser accréditer auprès de l'opinion publique l'idée selon laquelle le bracelet électronique mobile représentait une garantie absolue contre la récidive, mais qu'il convenait de le considérer comme un outil technique qui, entouré des garanties juridiques nécessaires, permettrait de renforcer les moyens humains mis en oeuvre pour lutter contre ce phénomène.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que trois années avaient été nécessaires pour mettre en place le bracelet électronique statique, d'abord expérimenté dans un cadre juridique relativement limité, avant d'être progressivement étendu au vu du succès de cette mesure.

M. François Zocchetto s'est demandé si les moyens matériels et humains nécessaires à la mise en oeuvre du PSEM avaient fait l'objet d'évaluations chiffrées suffisamment précises. Il a souhaité connaître par ailleurs la position de M. Georges Fenech sur le débat concernant la rétroactivité d'une telle mesure. Enfin, il s'est interrogé sur les raisons de la limitation à deux ans maximum de la durée du PSEM proposée dans le rapport.

Sur ce dernier point, M. Georges Fenech a observé que l'expérience du bracelet statique témoignait qu'au-delà d'une période relativement courte (de l'ordre de trois à quatre mois), le nombre d'incidents tendait à augmenter compte tenu des difficultés de l'intéressé à supporter au quotidien le caractère contraignant de la mesure. Il a rappelé que l'Etat de Floride avait prévu que la durée de la surveillance électronique mobile pouvait atteindre deux ans, mais qu'elle était généralement, en pratique, beaucoup plus courte. Il a souligné ensuite que la récidive se produisait souvent juste après la fin de la détention. Il a indiqué que la question de la rétroactivité restait en débat selon que l'on considérait le PSEM comme une peine ou comme une mesure de sûreté. Il a observé qu'une mesure de sûreté pouvait dans certains cas présenter le caractère d'une sanction pénale et que, selon lui, le bracelet électronique mobile devait s'analyser comme une peine.

Mme Alima Boumediene-Thiery s'est interrogée sur l'efficacité de la surveillance électronique mobile en relevant que ce procédé permettrait plus d'assurer la « traçabilité » de l'intéressé que de prévenir l'acte de récidive. Elle a souhaité savoir s'il ne serait pas plus utile d'investir les moyens financiers nécessaires dans le suivi socio-judiciaire qui apparaissait un moyen de prévention plus efficace. Elle s'est demandé, enfin, si la définition de zones d'exclusion garantissait une protection effective de la victime, dans la mesure où celle-ci disposait, quant à elle, d'une totale liberté de circulation.

M. Georges Fenech a relevé que l'effet dissuasif du bracelet reposait sur le pari qu'une personne qui se sait contrôlée ne passe pas à l'acte. Il a observé à cet égard que le taux de récidive, en Floride, des personnes sous surveillance électronique mobile, était de moitié inférieur à celui des personnes placées sous un simple contrôle judiciaire. Il a noté qu'en tout état de cause le dispositif devrait contribuer à lutter contre la multi-récidive, dans la mesure où la personne soumise à un PSEM qui commettrait une première infraction pourrait être rapidement identifiée avant de commettre les suivantes. Il a estimé néanmoins que si le placement sous surveillance électronique mobile pouvait être un instrument utile d'enquête, son objectif demeurait principalement la prévention. Il a observé, sur la base des exemples étrangers, que le PSEM pouvait induire des changements de comportement, notamment chez les mineurs. Il a estimé que le constat, avéré, de l'insuffisance des effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ainsi que du manque de psychiatres, n'invalidait pas, par ailleurs, le recours possible à la surveillance électronique mobile, qui restait un instrument utile. Il a partagé l'observation de Mme Alima Boumediene-Thiery quant aux interrogations soulevées par la protection des victimes, en particulier dans les zones urbaines et rappelé, en outre, la difficulté, pour la personne placée sous surveillance mobile, d'intégrer l'ensemble des interdictions ou obligations qui lui étaient assignées.

M. Pierre-Yves Collombat s'est étonné du paradoxe qui conduisait l'Assemblée nationale à réserver le PSEM aux infractions les plus graves, alors même que le rapport de M. Georges Fenech préconisait d'appliquer ce dispositif aux personnes « structurées » à même de comprendre et d'accepter les différentes contraintes de ce dispositif. Il s'est interrogé sur l'extension de la surveillance mobile aux pyromanes en se demandant si ces derniers agissaient souvent en récidive. Enfin, il a observé que la définition de zones d'exclusion présentait, en particulier dans les grandes villes, un caractère assez théorique.

M. Georges Fenech a souhaité préciser les trois modes de fonctionnement possibles de la surveillance électronique mobile : le mode actif impliquant un contrôle en direct et en continu de l'intéressé, le mode passif se limitant à la communication rétrospective à un système central des informations concernant les déplacements de la personne, le mode semi-actif permettant quant à lui le déclenchement de l'alarme dès lors que l'intéressé manquait à l'une de ses obligations.

Il a estimé, s'agissant des pyromanes, que ces personnes agissaient généralement par répétition. Il a relevé en outre que les infractions les plus graves étaient parfois le fait non de personnes souffrant de troubles mentaux, mais au contraire, de délinquants parfaitement organisés et maîtres d'eux-mêmes.

M. Jean-René Lecerf a souligné que le rapport de M. Georges Fenech présentait des arguments très convaincants en particulier en faveur du mode semi-actif de surveillance et de la limitation de la durée du PSEM. Il a estimé que la définition de zones d'exclusion pouvait se révéler très utile, en particulier en matière de lutte contre les violences conjugales. Il a observé, par ailleurs, que le PSEM pouvait être efficace à l'égard de personnes animées par des pulsions, en citant le cas d'une personne qui, aux Etats-Unis, avait récidivé le lendemain même du jour où le bracelet lui avait été retiré. Il s'est inquiété de la charge que représenterait pour les services de probation la mise en oeuvre du PSEM. Il s'est également interrogé sur les modalités d'élaboration des fichiers informatiques dans l'hypothèse où le PSEM serait utilisé à des fins policières. Il s'est demandé, enfin, si avant toute généralisation du dispositif, il ne serait pas opportun d'expérimenter le PSEM dans le cadre du ressort d'une cour d'appel.

M. Georges Fenech a rappelé à cet égard que le bracelet électronique statique avait été expérimenté d'abord sur quatre sites pilotes. Il a souligné, s'agissant de la surveillance mobile, la nécessité de désigner un chef de projet responsable de la réalisation de ce système.

M. Robert Badinter a observé que les conclusions de M. Georges Fenech méritaient une large diffusion afin de dissiper beaucoup d'illusions sur l'efficacité du bracelet électronique mobile. Il a noté que ce dispositif présentait un fort caractère stigmatisant. Il a estimé, enfin, qu'à défaut du consentement de l'intéressé, le port de ce bracelet présentait le caractère d'une peine. Il a ajouté, qu'en tout état de cause, la durée de cette obligation devrait être brève. Tout en reconnaissant l'utilité, sous certaines conditions, du PSEM, il a estimé nécessaire de procéder à une expérimentation de ce système, en rappelant d'ailleurs que le mécanisme n'était utilisé, aux Etats-Unis, que dans le seul Etat de Floride.

M. Georges Fenech a confirmé que le bracelet électronique mobile présentait un fort caractère stigmatisant a forfiori dans les relations intimes. Il a jugé nécessaire l'adoption par le législateur d'un cadre juridique pour la mise en oeuvre de ce dispositif, fût-ce à titre d'expérimentation.

Sur le plan technique, M. Jean-Pierre Sueur a souhaité savoir si la batterie devait être nécessairement portée sur le corps. M. Georges Fenech a précisé que des techniques différentes pouvaient être utilisées et qu'ainsi aux Etats-Unis la batterie était contenue dans une valise que le condamné était tenu de porter dans ses déplacements, ce qui présentait à l'évidence un caractère très stigmatisant.

M. Jean-Pierre Sueur s'est demandé au regard des conclusions par ailleurs très réalistes du rapport de M. Georges Fenech s'il ne serait pas pertinent pour le législateur de définir clairement le PSEM comme une peine et de faire du consentement de l'intéressé une condition de la mise en place de ce dispositif.

M. Georges Fenech a observé qu'il s'était prononcé dans ce sens.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé l'importance qui s'attachait au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère en soulignant cependant que ces considérations apparaissaient parfois difficiles à faire comprendre à l'opinion publique. Il a attiré également l'attention sur la part importante de détenus présentant des troubles de comportement.

M. Georges Fenech a souligné, à cet égard, que la mission Santé-Justice, présidée par M. Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, avait formulé des propositions intéressantes en particulier au regard de l'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées.

M. Pierre Fauchon a estimé que, dès lors qu'il y avait acceptation de la mesure, le problème de la rétroactivité devait être considéré comme levé. Il a par ailleurs souhaité savoir si l'expérience canadienne qui avait inspiré la mise en place du bracelet statique en France, avait fait l'objet d'une évaluation récente. M. Georges Fenech a indiqué que le Canada n'avait pas mis en oeuvre la surveillance électronique mobile, mais que ce pays était particulièrement avancé dans le domaine de l'évaluation de la dangerosité.

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