B. DES DONNÉES À INTERPRÉTER AVEC PRÉCAUTION

Les chiffres qui viennent d'être cités, issus des statistiques trimestrielles de la CNAM, correspondent au nombre de malades indemnisés.

Les cas ainsi recensés ont d'abord fait l'objet d'une déclaration par la victime puis ont été reconnus comme étant d'origine professionnelle par une caisse de sécurité sociale. Un défaut de déclaration ou une absence de reconnaissance peut donc conduire à sous-estimer l'importance réelle des maladies professionnelles dans notre pays. A l'inverse, selon Gilles Evrard, directeur des risques professionnels à la CNAM, l'augmentation du nombre de maladies professionnelles recensées résulte probablement, pour partie, d'une meilleure déclaration.

Une commission, présidée par Noël Diricq, conseiller-maître à la Cour des comptes, a été chargée, en application de l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, d'évaluer l'ampleur des phénomènes de sous-déclaration et de sous-reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles. Son rapport, publié en juin 2005, doit, en principe, servir de base à la fixation du montant du versement effectué chaque année par la branche AT-MP à l'assurance maladie afin de compenser les charges indues qu'elle supporte du fait de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance. Les données recueillies par cette commission, même si elles demeurent incomplètes, suggèrent qu'un nombre significatif de maladies professionnelles ne seraient pas recensées. Les statistiques relatives aux accidents du travail seraient en revanche plus proches de la réalité.

1. Les causes de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles

La Cour des comptes, dans son rapport public particulier de septembre 2002, a résumé les principales causes de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ses observations d'alors demeurent entièrement valables aujourd'hui :

« Une grande partie de la sous-déclaration viendrait d'une méconnaissance de l'origine potentiellement professionnelle des affections, par les salariés mais aussi par le système médical , y compris beaucoup de médecins traitants. Certains chercheurs considèrent pour leur part que l'objectif « zéro accident », assorti de primes, que se sont fixé certaines entreprises aurait un effet pervers, en incitant les salariés à ne pas faire déclarer les accidents par l'employeur et en provoquant des pressions en ce sens de la part de leurs collègues de travail. Selon eux, ce phénomène serait un facteur explicatif décisif de la contradiction entre la baisse du taux de fréquence et la croissance du nombre de jours d'arrêt par accident, les salariés ne déclarant plus les accidents qu'au-delà d'une certaine gravité.

« D'autres ouvrages et articles mettent en avant de manière plus générale les pressions qui seraient exercées par beaucoup d'employeurs, notamment dans le but d'éviter l'imputation à leur charge des dépenses consécutives aux accidents. Selon certains, la règle selon laquelle c'est l'employeur qui doit effectuer la déclaration, peut être considérée comme lui donnant une forme de pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de déclarer ou non un accident de travail, même si tels ne sont ni la lettre ni l'esprit de la loi. Le salarié peut aussi craindre, s'il pousse à déclarer l'accident, de paraître mettre lui-même l'accent sur la gravité de celui-ci, sur les séquelles qu'il pourra en conserver, et de nuire ainsi à l'appréciation qui pourra être portée sur ses aptitudes s'il souhaite une promotion. Le fait que, lorsque l'accident n'est pas suffisamment grave pour entraîner l'attribution d'une rente, le salarié n'a souvent pas d'avantage à ce qu'il soit déclaré comme accident du travail, le fait que l'indemnisation par l'assurance AT-MP soit en certains cas moins favorable que l'indemnisation de droit commun (...) peuvent également jouer dans le sens de la sous-déclaration.

La Cour des comptes note par ailleurs que « deux autres phénomènes faussent la connaissance du nombre et de l'évolution des maladies professionnelles. Le premier est le retard dans l'adoption ou la modification des tableaux de maladies professionnelles , lié notamment aux difficultés de fonctionnement du conseil supérieur des risques professionnels. Le second tient aux pratiques des caisses dans la reconnaissance des maladies professionnelles qui peuvent conduire à une sous-reconnaissance ». On observe d'ailleurs des disparités significatives des taux de reconnaissance selon les caisses.

On peut compléter les conclusions de la Cour des comptes en soulignant la difficulté qu'il y a à déterminer avec certitude l'origine d'une pathologie lorsque celle-ci est multifactorielle , c'est-à-dire combine des causes professionnelles et extraprofessionnelles. Le rôle de l'exposition à l'amiante dans le développement des cancers broncho-pulmonaires a, par exemple, longtemps été minoré, dans la mesure où cette pathologie peut aussi résulter du tabagisme, pratique personnelle du salarié sans lien avec son activité professionnelle 1 ( * ) .

2. L'évaluation de l'ampleur du phénomène

La commission présidée par Noël Diricq a recherché les études épidémiologiques, réalisées en France ou à l'étranger, susceptibles de donner des indications sur la prévalence des maladies d'origine professionnelle au sein de la population, puis a comparé les évaluations réalisées sur cette base avec le nombre de cas effectivement recensés par la sécurité sociale. Cette démarche ne peut cependant être généralisée, car les données épidémiologiques nécessaires pour mener ce type d'étude n'existent que pour certaines pathologies.

Concernant les cancers, et en se limitant aux seuls agents cancérigènes retenus dans les tableaux de maladies professionnelles (qui ne sont pas exhaustifs), la commission arrive à la conclusion qu'au moins un cas de cancer professionnel sur deux, chez les hommes, n'est pas reconnu par le régime général 2 ( * ) .

Concernant les troubles musculo-squelettiques, la commission n'est parvenue à une évaluation que pour le syndrome du canal carpien, qui est une affection du poignet. Elle considère que 50 % des syndromes du canal carpien sont sous-déclarés.

Elle estime entre 500 et 5.000 le nombre de cas d'asthmes d'origine professionnelle non recensés chaque année en France (283 cas ont été reconnus en 2002).

La commission n'a pas été en mesure, en revanche, de produire une évaluation du nombre de cas non déclarés pour les dermatoses, les lombalgies et dorsalgies ou encore pour les troubles de l'audition, même s'il existe des indices laissant supposer que la sous-déclaration est importante pour certaines de ces maladies. La commission observe ainsi que 867 malades ont été indemnisés en 2003 au titre du tableau 42 (surdités professionnelles) alors que trois millions des salariés sont exposés à un niveau sonore élevé, supérieur à 85 décibels, pendant plus de vingt heures par semaine.

La commission regrette également de ne pas pouvoir proposer une évaluation du nombre de personnes malades à cause du stress ou d'autres troubles psychosociaux liés au travail, alors qu'il s'agit vraisemblablement de risques majeurs pour les salariés. Les maladies liées au stress au travail ne figurent pas dans les tableaux de maladies professionnelles et ne peuvent être reconnues que dans le cadre du système complémentaire.

Pour les accidents du travail, l'ampleur de la sous-déclaration apparaît relativement limitée, puisque la commission évalue le nombre d'accidents du travail non déclarés autour de 10 %. Cette évaluation s'appuie sur les données de l'enquête « Conditions de travail » de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de 1998, dont la fiabilité apparaît fragile et qui gagnerait à être actualisée.

* 1 L'employeur a néanmoins l'obligation de protéger ses salariés contre le tabagisme de leurs collègues (tabagisme passif), comme l'a récemment indiqué la Cour de cassation (Cass. soc., 29 juin 2005, SARL ACME protection c/Lefebvre).

* 2 L'enquête Sumer 2003 révèle que 13,5 % des salariés sont exposés à des substances cancérigènes dans leur activité professionnelle ; il s'agit dans 70 % des cas d'ouvriers et plus particulièrement d'ouvriers qualifiés. Huit produits cancérigènes sont à l'origine des deux tiers des expositions : les huiles entières minérales, trois solvants, les poussières de bois, l'amiante, les gaz d'échappement diesel et la silice cristalline.

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