Rapport n° 327 (2005-2006) de M. Roger ROMANI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 3 mai 2006

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N° 327

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 mai 2006

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation d' accords internationaux sur la responsabilité civile dans le domaine de l' énergie nucléaire,

Par M. Roger ROMANI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (12 ème législ.) : 2785 , 2874 et T.A. 567

Sénat : 293 (2005-2006)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'approuver deux protocoles faits à Paris le 12 février 2004 et visant à modifier les conventions de l'OCDE sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, à savoir la convention du 29 juillet 1960 dite « convention de Paris » et la convention du 31 janvier 1963 dite « convention complémentaire à la convention de Paris ».

Ces conventions, auxquelles sont parties une quinzaine de pays d'Europe occidentale, constituent l'un des fondements du régime international de responsabilité nucléaire, lequel repose également sur la convention de Vienne du 21 mai 1963, adoptée dan le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), inspirée des mêmes principes mais regroupant des Etats différents.

Les deux protocoles adoptés le 12 février 2004 consacrent un renforcement du régime de responsabilité civile en matière nucléaire de l'OCDE, tant en ce qui concerne l'étendue des dommages couverts que le montant des réparations en cas d'accident nucléaire. Des améliorations de même nature avaient été apportées à la convention de l'AIEA, les deux régimes internationaux évoluant ainsi de manière parallèle.

L'examen de ces protocoles prend un relief particulier au moment où -vingt ans après- l'attention se porte de nouveau sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, survenue le 26 avril 1986. Sans précédent dans l'histoire de l'énergie nucléaire, cet accident d'une gravité exceptionnelle, et dont le bilan humain, environnemental et économique reste difficile à établir, dépasse par son ampleur le cadre du régime international de responsabilité civile. De par sa dimension transfrontière, il a cependant illustré la nécessité de règles internationales renforcées, tant en termes de prévention que de réparation.

Votre rapporteur effectuera une brève présentation du régime international de responsabilité civile en matière nucléaire avant d'analyser les principales améliorations apportées par les deux protocoles du 12 février 2004.

I. LE RÉGIME INTERNATIONAL DE RESPONSABILITÉ CIVILE EN MATIÈRE NUCLÉAIRE

L'accident de Tchernobyl a montré que la question de la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires présentait une évidente dimension internationale, compte tenu des effets transfrontières d'éventuels rejets radioactifs. Des instruments internationaux ont été élaborés, à partir des années 1960, dans le cadre de l'OCDE tout d'abord, puis de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Ils ont fait depuis lors l'objet d'améliorations et d'une extension notable de leur couverture géographique et constituent aujourd'hui la base du régime international de la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires.

A. LES CONVENTIONS DE PARIS ET DE VIENNE SUR LA RESPONSABILITÉ CIVILE EN MATIÈRE DE DOMMAGES NUCLÉAIRES

A la fin des années 1950, plusieurs pays développant une industrie nucléaire, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suisse, se sont dotés d'une législation nationale spécifique relative à la responsabilité civile dans le domaine nucléaire. Il est toutefois apparu que ce sujet ne pouvait simplement être traité au plan interne. Les accidents nucléaires sont en effet susceptibles de provoquer des dommages au delà des frontières d'un seul Etat. Par ailleurs, la question de la responsabilité civile se pose en cas d'activités transnationales, par exemple lorsque des matières nucléaires sont transférées d'un pays à un autre.

Les implications de la responsabilité civile en cas de dommages nucléaires au plan international ont tout d'abord été débattues dans le cadre l'Agence de l'énergie nucléaire (AEN) de l' OCDE, jusqu'à la conclusion de la convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire , premier instrument international en la matière.

La convention de l'OCDE ayant plutôt une vocation régionale, l' Agence internationale de l'énergie nucléaire (AIEA) entreprit rapidement des négociations sur un instrument à vocation mondiale, qui ont abouti à la conclusion de la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires du 21 mai 1963 .

Le régime de la convention de Paris (OCDE) a été amélioré avec l'adoption, le 31 janvier 1963, d'une convention complémentaire, dite « convention de Bruxelles » prévoyant des montants de réparation supplémentaires. Ces instruments ont été amendés par un protocole additionnel en 1964 et modifiés en 1982. Enfin, le régime de la convention de Paris a été révisé par les deux protocoles adoptés le 12 février 2004 sur lesquels porte le présent projet de loi.

La convention de Vienne (AIEA) a pour sa part été révisée en 1997 par la voie d'un protocole. La même année a été adoptée une convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires qui, à l'image de la convention de Bruxelles de l'OCDE, prévoit des montants de réparation supplémentaires par rapport à la convention de base.

Aujourd'hui coexistent donc deux instruments internationaux distincts , le premier regroupant essentiellement des pays d'Europe occidentale et le second ayant un champ géographique plus large.

Ce dualisme a des origines historiques, mais il est atténué par le fait qu' en dépit de certaines différences , les conventions de Paris et de Vienne instaurent des régimes juridiques de responsabilité civile très voisins qui reposent sur les principes suivants :

- la responsabilité objective , c'est à dire indépendante de toute faute, de l'exploitant en cas de dommage nucléaire , afin d'éviter aux victimes d'avoir à établir la preuve d'une faute ;

- la responsabilité exclusive de l'exploitant , toute action ne pouvant être intentée qu'à son encontre afin d'éviter la multiplication des procédures impliquant le constructeur, les fournisseurs ou des sous-traitants ; l'exploitant n'est exonéré de sa responsabilité que dans des cas très limités, comme l'action intentionnelle d'un tiers ;

- la limitation de la responsabilité de l'exploitant en montant, par la définition d'un plafond d'indemnisation, et en durée, les actions en réparation devant être intentées dans un délai de 10 ans après l'accident ;

- l'obligation pour l'exploitant de couvrir sa responsabilité par une assurance ou toute autre garantie financière ;

- l' unité de juridiction , les seuls tribunaux compétents étant ceux situés sur le territoire où s'est produit l'accident, et la reconnaissance et l'exécution des jugements entre parties ;

- l' égalité de traitement entre toutes les victimes ;

- le libre transfert des indemnités .

Par ailleurs, afin d'éviter des conflits de règles entre les deux conventions, l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE et l'AIEA ont élaboré le 21 septembre 1988 un protocole commun relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris . Entré en vigueur en 1992, il vise à assurer que les victimes de dommages nucléaires subis dans un Etat partie à l'une des deux conventions bénéficient d'un droit à réparation lorsque l'accident est survenu dans un Etat partie à l'autre convention. Grâce à cette « passerelle » entre les deux conventions, le champ territorial de la responsabilité civile a été étendu et les régimes de réparation ont été coordonnés . Les principes de base des deux conventions s'appliquent ainsi à tous les Etats parties à l'une ou l'autre des conventions ainsi qu'au protocole commun.

B. UN CHAMP GÉOGRAPHIQUE QUI S'EST ÉLARGI

La convention de Paris de l'OCDE a été signée par 18 Etats et ratifiée par 15 d'entre eux 1 ( * ) . Elle concerne essentiellement l'Europe occidentale, c'est-à-dire l'ancienne Europe des 15 - exceptés l'Irlande, l'Autriche et le Luxembourg - ainsi que la Norvège, la Slovénie et la Turquie.

La convention de Vienne , qui a pour sa part une vocation mondiale, comporte 33 Etats-parties . Elle a connu un élargissement spectaculaire de son champ géographique à la suite des bouleversements politiques intervenus en Europe centrale et orientale. En effet, à la fin des années 1980, elle comptait à peine plus d'une dizaine d'Etats-parties. Les Etats du « bloc de l'Est », à l'exception de la Yougoslavie, restaient notamment en dehors de tout régime international. Ainsi, lors de l'accident de Tchernobyl, la question de la mise en jeu de la responsabilité civile au plan international n'a pu être posée.

La situation a notablement évolué depuis lors puisque ont successivement rejoint la convention de Vienne : la Hongrie, la Pologne, la Lituanie, la Roumanie, l'Arménie, la République tchèque, l'Estonie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Lettonie, l'Ukraine, le Belarus et la Moldavie. Enfin, la Russie, qui n'avait signé la convention qu'en 1996, a déposé son instrument de ratification l'an passé et est devenue Etat-partie le 13 août 2005.

Au total, on compte donc 48 Etats qui adhèrent à l'une ou l'autre des conventions formant le régime international de responsabilité civile en matière de dommages nucléaires .

Comme le montre le tableau ci-après, les pays adhérents constituent l'essentiel des pays producteurs d'énergie nucléaire. On relève toutefois que le premier pays producteur, les Etats-Unis, tout comme le Japon et le Canada, eux aussi producteurs majeurs, n'en font pas partie. Pour des raisons géographiques évidentes, l'intérêt de l'adhésion de ces trois Etats est limité. Ils ont toutefois instauré dans leur législation nationale un régime de responsabilité fondé sur des principes très semblables à ceux des conventions. Par ailleurs, le Canada et les Etats-Unis ont conclu des conventions de réciprocité.

PAYS PARTICIPANT À UN RÉGIME INTERNATIONAL

DE RESPONSABILITÉ CIVILE EN MATIÈRE NUCLÉAIRE

P : Etat partie S : Etat signataire

PAYS

Convention de Paris (OCDE)

Convention de Vienne (AIEA)

Protocole commun

Allemagne

P

P

Argentine

P

S

Arménie

P

Autriche

S

Bélarus

P

Belgique

P

S

Bolivie

P

Bosnie Herzégovine

P

Brésil

P

Bulgarie

P

P

Cameroun

P

P

Chili

P

P

Colombie

S

Croatie

P

P

Cuba

P

Danemark

P

P

Egypte

P

P

Espagne

P

S

S

Estonie

P

P

Finlande

P

P

France

P

S

Grèce

P

P

Hongrie

P

P

Israël

S

Italie

P

S

P

Lettonie

P

P

Liban

P

Lituanie

P

P

Luxembourg

S

Macédoine

P

Maroc

S

S

Mexique

P

Moldavie

P

Niger

P

Norvège

P

P

Pays-Bas

P

P

Pérou

P

Philippines

P

S

Pologne

P

P

Portugal

P

S

République tchèque

P

P

Roumanie

P

P

Royaume-Uni

P

S

S

Fédération de Russie

P

Saint Vincent

P

P

Serbie Monténégro

P

Slovaquie

P

P

Slovénie

P

P

Suède

P

P

Suisse

S

S

Trinité et Tobago

P

Turquie

P

S

Ukraine

P

P

Uruguay

P

II. LES PROTOCOLES DU 12 FÉVRIER 2004 : UN RENFORCEMENT DES MODALITÉS DE RÉPARATION DES DOMMAGES EN CAS D'ACCIDENT NUCLÉAIRE

L' accident de Tchernobyl , le 26 avril 1986, a provoqué une prise de conscience aiguë de la nécessité de renforcer le dispositif international relatif aux activités nucléaires, que ce soit en matière de sûreté et de sécurité ou en matière de réparation des dommages .

L'accident de Tchernobyl

L'accident survenu le 26 avril 1986 lors d'un essai de sûreté sur la tranche 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, alors république soviétique, s'est révélé d'une gravité exceptionnelle du fait de l'enchaînement de trois causes cumulatives : un défaut de sûreté dans la conception du réacteur de type RMBK, un incident lors d'opérations de maintenance et une mauvaise gestion des procédures de sécurité. L'explosion et l'incendie du réacteur ont provoqué la retombée de matériaux irradiés à proximité du site ainsi qu'un nuage radioactif qui s'est disséminé, durant une dizaine de jours, à travers la plupart des pays d'Europe. Certains radionucléides à courte période de radioactivité, comme l'iode 131, ont disparu à l'issue de quelques jours, mais aujourd'hui encore, on continue de déceler la radioactivité due au césium 137. Les zones les plus contaminées se situent en Biélorussie, en Ukraine et en Russie, mais du fait des vents, les pays scandinaves ainsi que l'Europe centrale et occidentale sont également touchés.

Une zone d'exclusion de 30 km autour de la centrale fut déclarée et toutes les personnes y résidant furent évacuées après avoir été extérieurement décontaminées. Au sein de cette zone d'exclusion, les activités agricoles et forestières demeurent limitées. Afin de confiner les matières radioactives dans le réacteur, un sarcophage a été construit en six mois, pour une durée de vie de trente ans, mais il se dégrade rapidement. Un programme d'actions visant à réduire les risques présentés par le sarcophage a été lancé en 1997 pour un coût de 700 millions d'euros financés par l'Ukraine et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl demeure aujourd'hui très controversé. Une étude réalisée sous l'égide des Nations Unies et de l'AIEA, publiée en septembre 2005, fait état d'un total d'environ 4 000 décès par cancer, dont 60 déjà constatés et 3 940 pouvant potentiellement survenir au cours des prochaines années. Cette étude porte principalement sur les personnes évacuées et les personnels des équipes d'intervention (les « liquidateurs »). Si l'on prend en compte les habitants des zones contaminées, le nombre de décès pourrait être bien supérieur : 9 000 en Ukraine, Biélorussie et Russie, selon une évaluation de l'Organisation mondiale de la santé publiée en avril dernier ; 16 000 dans toute l'Europe, dont les deux-tiers dans les trois pays précités, selon le Centre international de recherche sur le cancer, agence spécialisée rattachée à l'OMS ; plusieurs dizaines de milliers selon certaines organisations non-gouvernementales.

Quant à l'impact socio-économique de l'accident, il se chiffrerait, selon le rapport des Nations Unies précité, à plusieurs centaines de milliards de dollars. L'Ukraine et la Biélorussie consacrent actuellement 5 à 7 % de leur budget aux programmes de réhabilitation et aux avantages accordés aux populations considérées comme victimes de l'accident.

Par l'ampleur des dommages humains, économiques ou environnementaux qu'elle a provoqués, la catastrophe de Tchernobyl, sans équivalent dans l'histoire de l'énergie nucléaire civile, dépassait largement ce qu'un régime légal d'assurance ou de réparation peut prétendre couvrir. L'importance des questions de responsabilité civile en matière nucléaire au plan international a cependant été d'autant plus soulignée qu'à l'époque, l'Union soviétique avait décliné toute responsabilité pour les dommages survenus hors de son territoire au motif qu'elle n'était partie à aucune des conventions internationales existantes. Par ailleurs, il est clairement apparu que même en cas d'accidents de moindre ampleur, le régime international de responsabilité civile demeurait gravement insuffisant.

En 1990, le conseil des gouverneurs de l'AIEA a confié à un comité permanent sur la responsabilité pour les dommages nucléaires le soin d'évaluer les améliorations à apporter au régime international . Après plus de sept années de négociation, l'AIEA adoptait le 29 septembre 1997 un protocole d'amendement à la convention de Vienne ainsi qu'une convention complémentaire sur la réparation des dommages nucléaires . Ces deux textes ont notablement renforcé les garanties apportées par le régime de réparation de l'AIEA.

Comme ils s'y étaient engagés au moment des négociations sur la convention de Vienne, les Etats-parties à la convention de Paris de l'OCDE ont alors entrepris à leur tour une mise à jour de leur convention , en vue notamment de préserver l'harmonie entre les deux régimes internationaux. C'est le 12 février 2004 qu'ont été adoptés les protocoles modifiant la convention de Paris et la convention complémentaire de Bruxelles.

A. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LES PROTOCOLES

Le protocole portant modification de la convention de Paris et le protocole portant modification de la convention complémentaire à la convention de Paris ont été adoptés le 12 février 2004.

Les principales améliorations apportées par ces deux protocoles au régime de responsabilité civile mis en place par l'OCDE, et auquel adhèrent la France et les autres pays d'Europe occidentale, sont essentiellement de deux ordres.

Une première série d'améliorations concerne les mécanismes juridiques qui déterminent l'étendue du risque couvert .

Le champ des activités concernées par la convention est étendu de manière à couvrir toutes les installations en lien avec une activité nucléaire, comme celles dédiées à l'évacuation des déchets radioactifs ou celles en cours de déclassement. Mais surtout, c'est la notion de dommage qui fait l'objet d'une actualisation. Elle comprend désormais le coût des mesures de sauvegarde prise par les autorités, celui de la restauration de l'environnement , ainsi que les dommages économiques dits « immatériels » , c'est-à-dire par exemple le « manque à gagner » en relation directe avec la dégradation de cet environnement. Cet élargissement notable des possibilités de réparation est tempéré par le fait qu'en dehors des dommages directs aux biens ou aux personnes, la définition retenue dans la convention révisée laisse globalement au droit du tribunal compétent le soin de préciser l'étendue de la couverture. S'agissant des mesures de sauvegarde ou de restauration, celles-ci doivent, pour être prises en compte, avoir été approuvées par les autorités compétentes. Le tribunal compétent appréciera leur caractère « raisonnable » eu égard aux circonstances, c'est-à-dire à la nature et à l'ampleur du dommage subi ou potentiel, à l'efficacité présumée de ces mesures et aux connaissances scientifiques et techniques pertinentes.

La convention révisée voit également son champ géographique d'application étendu. Certains pays qui ne sont partie ni à la convention de Paris, ni à la convention de Vienne, pourront cependant demander réparation des dommages subis sur leur territoire ou dans la zone maritime, s'ils répondent à certaines conditions : soit être dotés d'une législation nationale de responsabilité civile qui offre des avantages équivalents à ceux des conventions internationales et qui offre la réciprocité, soit ne pas avoir eux-mêmes d'installations nucléaires. Il s'agit ici de faciliter l'acceptation des transports internationaux de matières nucléaires, spécialement maritimes, par les pays non nucléarisés, en leur offrant la garantie d'une couverture financière élevée en cas de dommage.

En matière de transport de substances nucléaires , le nouveau texte subordonne le transfert de responsabilité d'un exploitant à un autre à l'existence, pour ce dernier, d'un intérêt économique direct à l'égard des substances nucléaires qu'il transporte. Il s'agit ici d'éviter que des exploitants nucléaires acceptent la prise en charge de la responsabilité civile nucléaire d'un transport par lequel ils ne sont pas concernés, au seul motif que leur législation prévoit des montants de réparation, et donc des primes d'assurances, moins élevés. De telles pratiques, parfois utilisées pour réduire le coût des opérations, contrevenaient évidemment à l'esprit des conventions internationales qui visent à responsabiliser l'exploitant.

Par ailleurs, le protocole ne permet plus à un exploitant d'être exonéré de sa responsabilité pour les dommages nucléaires résultant d'un accident nucléaire directement dû à des cataclysmes naturels de caractère exceptionnel, tels que des séismes. Seule subsiste l'exonération de responsabilité en cas d'actes de conflit armé, d'hostilités, de guerre civile ou d'insurrection.

Enfin, le délai de prescription des actions en responsabilité reste de 10 ans dans le cas général, mais il est porté à 30 ans lorsque l'action concerne un décès ou un dommage aux personnes . Cet allongement est bien entendu destiné à couvrir le cas de maladies dont le lien avec un accident nucléaire serait avéré mais qui se déclareraient au-delà d'une période de 10 ans. Les législations peuvent toutefois prévoir un délai de prescription courant à partir du moment où la victime a eu connaissance du dommage nucléaire et de l'exploitant responsable. Ce délai dit « de découverte » ne pouvait jusqu'alors être inférieur à 2 ans. Il est porté à 3 ans par le protocole.

La seconde série d'améliorations porte sur le montant des indemnisations.

Il existe en effet trois niveaux de réparation. Une première tranche d'indemnisation est à la charge de l'exploitant. Au-delà, la plupart des Etats parties à la convention de Paris ont mis en place, sur la base d'une convention complémentaire facultative, deux autres niveaux de réparation, avec une contribution de l'Etat de l'installation puis, en dernier ressort, une contribution d'un fonds international alimenté par tous les Etats-parties.

La révision opérée en 2004 confirme ce système de réparation à trois étages tout en revalorisant très sensiblement chacune des trois tranches d'indemnisation.

Dans la convention actuelle, la responsabilité de l'exploitant est limitée à un montant très réduit : 15 millions de droits de tirages spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international, soit environ 18 millions d'euros. Cette tranche sera portée à 700 millions d'euros au minimum , les législations nationales pouvant fixer un niveau supérieur pour la responsabilité de l'exploitant. Cette augmentation considérable a été fixée en référence à la capacité du marché de l'assurance, les assureurs nucléaires ayant indiqué qu'une couverture maximale d'environ 700 millions d'euros était disponible à l'heure actuelle. Il est à noter que la convention prévoyait la possibilité de fixer des montants de responsabilité réduits pour les installations à faible risque et pour le transport, avec un montant minimum de 5 millions de DTS. Ce montant minimum est porté à 70 millions d'euros pour les installations à faible risque et à 80 millions d'euros pour le transport.

Les deux autres tranches d'indemnisation prévues par la convention complémentaire sont elles aussi revalorisées.

L' Etat de l'installation , dans le système actuel, couvrait la différence entre la première tranche et 175 millions de DTS, soit un peu plus de 200 millions d'euros. Cette deuxième tranche est désormais comprise entre les 700 millions d'euros à charge de l'exploitant et 1,2 milliard d'euros , soit un montant de 500 millions d'euros à charge de l'Etat de l'installation.

Enfin, le fonds international était actuellement sollicité au-delà de 175 millions de DTS jusqu'à 300 millions de DTS, ce qui représentait une garantie maximale de 152 millions d'euros. Il interviendra désormais entre 1,2 et 1,5 milliard d'euros , soit une garantie maximale de 300 millions d'euros.

B. LES PROTOCOLES ET LA LÉGISLATION FRANÇAISE

Le régime juridique de la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire applicable en France repose sur la loi n° 68-943 du 30 octobre 1968 , prise pour l'application de la Convention de Paris et de la Convention complémentaire de Bruxelles.

Il reprend pour l'essentiel les règles posées par ces deux conventions. Toutefois, le montant de responsabilité des exploitants d'installations nucléaires est fixé à 91 millions d'euros , alors que la convention de Paris, dans son état non modifié, n'obligeait qu'à un montant de 15 millions de DTS (18 millions d'euros). Par ailleurs, le bénéfice des garanties est étendu par la loi française à des dommages nucléaires dont la couverture est facultative pour les Etats-parties à la convention de Paris. Il s'agit des accidents nucléaires dans les installations militaires , ainsi que des accidents de transports nucléaires non soumis à la convention de Paris . Dans ces situations, la loi du 30 octobre 1968 accorde des montants d'indemnisation équivalant à, respectivement, la 3 ème et la 2 ème tranches de la convention de Bruxelles, soit, jusqu'à la révision de cette dernière, 300 millions de DTS (152 millions d'euros) et 175 millions de DTS ( 200 millions d'euros).

Les deux protocoles du 12 février 2004 imposent à la France de revoir sa législation sur la responsabilité civile en matière nucléaire, notamment pour tenir compte du relèvement des plafonds de responsabilité.

C'est pourquoi le Sénat a adopté le 8 mars dernier , sur l'initiative de notre commission des Affaires économiques, un amendement au projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire .

Le nouvel article 31A inséré par le Sénat , actuellement en instance devant l'Assemblée nationale, abroge les dispositions relatives au transfert de responsabilité de l'exploitant vers un transporteur, pour tenir compte des modifications apportées par le protocole, ces dispositions n'ayant d'ailleurs jamais été mises en pratiques dans notre pays. Cet article relève également les différents montants de réparation pour les aligner sur ceux prévus par les protocoles du 12 février 2004. Il modifie les délais de prescription , en revoyant aux nouveaux délais prévus par la convention de Paris révisée.

Ainsi, le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, actuellement en cours de navette, tire par anticipation toutes les conséquences des protocoles dont le Sénat est appelé à autoriser la ratification.

Votre rapporteur souhaiterait également souligner, d'une manière plus générale, que notre pays continue d'améliorer le cadre législatif, règlementaire et administratif, déjà très étoffé, qui régit les activités nucléaires. Le projet de loi sur la transparence et la sécurité, précédemment évoqué, en est une illustration, avec, par exemple, la création d'une Haute autorité de sûreté nucléaire, indépendante du Gouvernement, ou encore le renforcement des procédures de contrôle et d'inspection. De même, le Sénat examinera prochainement le projet de loi, déjà adopté par l'Assemblée nationale, sur la gestion des déchets radioactifs. Fruit de quinze années de recherche et d'évaluations menées en application de la loi du 30 décembre 1991, ce texte doit mettre en place des solutions sûres et de très long terme pour gérer tous les types de déchets radioactifs en protégeant la santé des personnes et l'environnement.

CONCLUSION

L'amélioration des législations nationales et le renforcement de l'encadrement international des activités nucléaires paraissent aujourd'hui indispensables, tant en matière de sécurité et de sûreté que de réparation des dommages.

Il s'agit bien entendu de mieux prévenir et, le cas échéant ; de mieux réparer les dommages causés par un accident nucléaire, à un moment où l'on constate, de par le monde, un regain d'intérêt pour cette forme d'énergie. Le renchérissement du coût des énergies fossiles, la lutte contre le réchauffement climatique, les craintes sur la sécurité des approvisionnements du fait de tensions politiques, sont autant d'éléments de nature à conforter les pays qui, comme la France, font du nucléaire un axe majeur de leur politique énergétique.

C'est pourquoi la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation des deux protocoles du 12 février 2004 modifiant la convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire et la convention complémentaire de Bruxelles du 31 janvier 1963.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 3 mai 2006.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Serge Vinçon, président, a constaté que la question de l'énergie revêtait aujourd'hui un caractère essentiel et qu'il était tout aussi important d'accorder à la sûreté et à la sécurité des installations, notamment nucléaires, toute l'attention qu'elles méritent. Il a évoqué l'émotion ressentie à l'occasion du vingtième anniversaire de l'accident de Tchernobyl et a estimé que les deux protocoles adoptés en février 2004 constituaient un pas positif pour améliorer le régime de responsabilité civile en cas d'accident.

M. André Trillard s'est félicité des progrès du cadre juridique encadrant les activités nucléaires, en particulier en ce qui concerne la responsabilité de l'exploitant, mais il a considéré qu'en dépit du relèvement des tranches d'indemnisation prévues par les protocoles, les montants restaient largement en-deçà du niveau des dommages susceptibles d'être provoqués par un accident nucléaire.

Mme Dominique Voynet a observé qu'à l'instar de celle sur les transports maritimes, la réglementation internationale relative à la prévention et à la réparation des accidents nucléaires n'avait pu évoluer que sous la pression d'une grave catastrophe, et après des années de négociations. Elle s'est néanmoins réjouie de l'aboutissement du travail de renforcement du régime international de responsabilité civile, même si les nouveaux montants d'indemnisation demeurent très insuffisants au regard des coûts effectivement engendrés par un accident comme celui de Tchernobyl. Elle a noté que les conséquences de la dislocation de l'URSS sur la gestion et le suivi de cette catastrophe étaient souvent évoquées, mais que la France n'avait pour sa part jamais mené de travail sérieux sur l'évaluation de la contamination du territoire national et sur le suivi épidémiologique des populations concernées. Se référant aux orientations actuelles de la politique nucléaire française, elle a contesté la réalité des avancées supposées résulter des projets de loi sur la sécurité et la transparence en matière nucléaire et sur la gestion des déchets radioactifs, estimant que ces textes n'atténuent en rien le poids déterminant des acteurs qui, depuis des décennies, fixent, sans réel contrôle démocratique, les choix dans le domaine nucléaire. Elle a également relativisé l'idée d'une relance du nucléaire au niveau mondial, observant qu'aucune décision n'était intervenue en ce sens depuis 6 ans aux Etats-Unis et que les projets chinois et indiens ne conduiraient qu'à réserver une place infime à l'énergie nucléaire dans l'approvisionnement des deux pays. Elle s'est prononcée en faveur de la définition, après un large débat public, d'une véritable politique européenne de l'énergie.

M. Roger Romani, rapporteur, a cité les déclarations de responsables politiques allemands, britanniques ou italiens montrant que chez nos voisins, le rôle de l'énergie nucléaire est considéré plus favorablement que par le passé.

M. Robert Bret s'est félicité des avancées permises par les deux protocoles du 12 février 2004, même si les montants de réparation peuvent toujours paraître trop limités. Il a souligné la nécessité d'un large débat sur les perspectives mondiales en matière d'énergie, au vu notamment de l'épuisement prévisible des sources d'énergie fossile. Il a souligné la contradiction de certains pays adoptant une position de principe hostile au nucléaire, mais prêts à se fournir en électricité d'origine nucléaire auprès de pays comme la France.

M. Roger Romani, rapporteur, a convenu que les montants de réparation prévus par le nouveau régime international demeuraient limités et, en tout état de cause, sans commune mesure avec les dommages se chiffrant probablement en centaines de milliards d'euros provoqués par une catastrophe de grande ampleur comme celle de Tchernobyl. Il a néanmoins souligné que la mise en jeu de la responsabilité civile pouvait intervenir dans des accidents de portée plus limités et que, dans de tels cas, les protocoles apportent une réelle amélioration.

M. André Trillard a évoqué la récente chute des cours des permis d'émission de gaz carbonique, estimant qu'elle traduisait une moindre consommation d'énergie fossile du fait, notamment, du recours à l'énergie nucléaire.

M. André Vantomme a estimé que les deux protocoles ne pouvaient recueillir qu'un large consensus et a appelé à une pleine cohérence entre cette démarche de progrès au plan international et l'approche des questions nucléaires au plan national. Il a ainsi observé que l'amélioration du régime international de réparation doit aller de pair avec une plus grande transparence des pouvoirs publics en cas d'accident, à l'inverse de l'attitude prise par les pouvoirs publics français lors de la catastrophe de Tchernobyl.

Mme Catherine Tasca, faisant allusion à la mise en oeuvre de procédures simplifiées pour l'examen en séance publique des conventions internationales, a noté que ces textes, et singulièrement ceux portant sur les accidents nucléaires, pouvaient appeler des débats plus larges que leur objet premier. Elle y a vu la nécessité d'obtenir davantage de temps pour débattre des questions internationales en séance publique.

Mme Dominique Voynet a contesté que la chute des cours des permis d'émission de gaz carbonique puisse être inscrite à l'actif de l'énergie nucléaire. Elle a rappelé qu'aucune centrale nucléaire nouvelle n'avait été mise en service en Europe depuis des années, la réduction des émissions de gaz carbonique étant à ses yeux liée au ralentissement de la croissance et aux efforts des industries en matière d'économies d'énergie.

M. Jean-Louis Carrère s'est déclaré sceptique sur les perspectives de réduction durable des émissions polluantes, citant notamment le manque de volontarisme pour développer les modes de transport les moins polluants. Il a reconnu les aspects positifs des protocoles soumis à l'examen du Sénat, tout en observant qu'ils s'inscrivaient dans une logique globale de développement de l'énergie nucléaire qui mériterait pour sa part un débat préalable plus global.

M. Roger Romani, rapporteur, a souligné l'ampleur des efforts accomplis en France pour renforcer la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Il a rendu un hommage particulier à EDF, qui a développé des procédures de contrôle interne extrêmement approfondies.

A la suite de ce débat, la commission a adopté le projet de loi autorisant l'approbation d'accords internationaux sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire.

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article premier

Est autorisée l'approbation du protocole portant modification de la convention du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, fait à Paris le 12 février 2004, et dont le texte est annexé à la présente loi 2 ( * ) .

Article 2

Est autorisée l'approbation du protocole portant modification de la convention du 31 janvier 1963 complémentaire à la convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, fait à Paris le 12 février 2004, et dont le texte est annexé à la présente loi 1 .

* 1 L'Autriche, le Luxembourg et la Suisse, signataires de la convention de Paris, ne l'ont pas ratifiée.

* 2 Voir le texte annexé au document Assemblée nationale n° 2785 (XIIe législature).

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