B. UNE IMMIGRATION RÉGULIÈRE « AU FIL DE L'EAU »

1. Des flux élevés

Depuis 1974, l'immigration dite de travail a pratiquement cessé dans notre pays. Toutefois, cette décision confortée par chaque gouvernement depuis trente ans n'est pas synonyme « d'immigration zéro ».

Depuis 1991, à l'exception des années 1994 à 1997, le nombre annuel d'entrées pour long séjour a toujours été supérieur à 80.000 4 ( * ) .

Selon la direction de la population et des migrations du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, les entrées à caractère permanent en France ont concerné entre 2001 et 2004 respectivement 107.550, 124.800, 136.400 et 140.100 étrangers.

Ces chiffres ne prennent pas en compte les entrées à caractère temporaire comme les étudiants, les saisonniers ou les demandeurs d'asile 5 ( * ) , soit plus de 120.000 personnes en 2004.

Quelles que soient les incertitudes sur leur degré de précision 6 ( * ) , ces chiffres élevés et en hausse contredisent l'image d'une France aux frontières fermées. Ce hiatus entre la réalité et un discours affirmant que l'immigration est arrêtée depuis trente ans explique en partie l'image négative dont souffrent de nombreux étrangers en situation régulière assimilés abusivement à des clandestins. Ce décalage est également préjudiciable à l'Etat qui perd sa crédibilité et son autorité.

2. Une immigration surtout familiale

Ces flux importants se répartissent de la façon suivante selon la direction de la population et des migrations :

Entrée de ressortissants de pays tiers (1)
(flux de 1999 à 2004)

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Entrées à caractère temporaire

Bénéficiaires d'une autorisation provisoire de travail

5.791

7.502

9.628

9.822

10.138

9.550

Travailleurs saisonniers

7.612

7.929

10.794

13.543

14.566

15.743

Stagiaires

709

875

915

993

1.008

535

Artistes

75

86

64

56

75

55

Etudiants

25.066

36.140

39.983

55.498

52.062

55.008

Demande d'asile

déposée à l'OFPRA

30.907

38.747

47.291

51.087

52.204

50.547 (2)

déposée au ministère de l'intérieur

n.d.

n.d.

28.953

28.372

27.751

-

Entrées à caractère permanent

Ensemble

83.550

93.000

107.550

124.800

136.400

140.100

Migrations de travail

6.300

6.400

9.250

8.000

6.900

7.050

Migrations familiales

53.850

64.250

73.250

89.550

100.150

102.650

Visiteurs

8.550

8.450

8.950

10.000

7.600

5.700

Réfugiés

4.950

5.550

7.650

9.150

11.200

11.400

Autres

9.900

8.350

8.450

8.100

10.550

13.300

Sources : ANAEM, OFPRA, ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, ministère de l'intérieur et ministère de la justice.
Champ : France entière (France métropolitaine et DOM).
(1) Pays extérieurs à l'Espace économique européen.
(2) En 2004, l'OFPRA devient le guichet unique de la demande d'asile.

Les étrangers admis au séjour au titre des migrations familiales sont toujours les plus nombreux. En 2004, ce motif a concerné 102.619 personnes, soit 75% des étrangers admis au séjour en France pour une durée d'au moins un an, après 100.150 en 2003 et 53.850 en 1999. On observe toutefois un ralentissement, confirmé en 2005, de l'augmentation des entrées pour ce motif.

Entrées au titre des migrations familiales

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Regroupement familial

21.762

21.404

23.081

27.267

26.768

25.420

Membres de famille de Français

27.396

36.012

42.567

52.995

61.489

61.625

Membres de famille de réfugiés et apatrides

943

1.120

1.422

1.475

1.249

1.628

Liens personnels et familiaux

3.314

5.093

5.564

7.123

10.643

13.989

Ensemble des migrations familiales

53.415

63.629

72.634

88.860

100.149

102.662

Source : ANAEM

A l'opposé, l'immigration de travail à caractère permanent (titre de séjour d'une durée d'au moins un an) est très marginale. Elle va d'ailleurs en s'amenuisant pour atteindre en 2004 un point bas de 5 % représentant 7.050 personnes. L'immigration de travail à caractère temporaire a même fini par la dépasser. Depuis quatre ans, les autorisations provisoires de travail plafonnent autour de 10.000 personnes. Pour être complet, il faut ajouter à ces deux catégories environ 16.000 travailleurs saisonniers par an.

Ce déséquilibre dans la composition de l'immigration en France appelle deux remarques.

En premier lieu, l'immigration pour des motifs familiaux n'est pas exclusive d'une immigration de travail, puisque la quasi-totalité des titres délivrés pour de tels motifs (carte de résident, carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ») ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

En second lieu, l'immigration familiale est une immigration de droit consacrée et protégée par des conventions internationales ainsi que par la Constitution de 1958.

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui . »

Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil constitutionnel considère qu'il résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale. Enfin, le Conseil protège également le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, qui s'oppose notamment à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé.

La gestion de cette immigration se fait « au fil de l'eau ». Il faut entendre par là que ces immigrés ne sont pas choisis individuellement en fonction de leurs qualités, de leurs compétences, de leurs mérites ou d'un besoin particulier pour la France. Ils sont admis à séjourner en France parce qu'ils appartiennent à des catégories objectives définies par la loi , qu'il s'agisse de conjoints de Français ou de membres de famille d'un étranger autorisé à demander le regroupement familial.

Il en va de même pour les étrangers recevant le statut de réfugié. Au final, près de 85 % des entrées à caractère permanent en France chaque année sont de droit.

* 4 Ces chiffres de l'ANAEM sont à nationalités constantes (hors Union européenne). Les étudiants ne sont pas pris en compte ainsi que les membres de familles de ressortissants communautaires.

* 5 Les demandeurs d'asile qui obtiennent le statut de réfugié relèvent de la catégorie des entrées à caractère permanent.

* 6 Le rapport annuel au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration donne des chiffres supérieurs, notamment parce qu'il ne classe pas les étrangers selon le caractère temporaire ou permanent de leur séjour. Les ordres de grandeur et les tendances de fond restent les mêmes.

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