B. DES PERSONNELS CONFRONTÉS À DES IMPÉRATIFS NOUVEAUX

1. Un appel à des compétences plus diversifiées pour répondre à l'enrichissement des missions de la Cour

Le jugement des comptes publics, mission traditionnelle de la Cour qui demeure

La Cour des comptes assume une double mission juridictionnelle en tant que juridiction du premier degré à l'égard des comptables publics et en tant qu'instance d'appel des jugements des chambres régionales des comptes depuis 1982.

D'une part, la Cour des comptes «  juge les comptes des comptables publics » 27 ( * ) . Cette compétence d'ordre public 28 ( * ) est aussi applicable à toute personne intervenue irrégulièrement dans le maniement des fonds publics (situation de comptable de fait). La Cour ne vérifie pas toutefois tous les comptes 29 ( * ) .

Au terme d'une procédure inquisitoriale, écrite et non publique , la Cour des comptes donne décharge au comptable ou prononce une injonction à son encontre, puis éventuellement, le débet lorsqu'elle a relevé des irrégularités. Toutefois, la procédure est contradictoire : la formation délibérante prononce d'abord des arrêts provisoires qui enjoignent au comptable de s'expliquer. En cas de retard dans la production des comptes ou dans leur réponse à la Cour, les comptables peuvent être condamnés par cette dernière à une amende . Les décisions de la Cour des comptes peuvent être portées devant le Conseil d'Etat, qui est juge de cassation de ses arrêts.

D'autre part, l a Cour des comptes est l'instance d'appel des jugements définitifs des chambres régionales des comptes . En effet, depuis la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 30 ( * ) et la création des chambres régionales des comptes (26 aujourd'hui) , celles-ci sont compétentes en premier ressort pour le jugement des comptes des collectivités territoriales et ceux de leurs établissements publics 31 ( * ) .

L'activité juridictionnelle de la Cour des comptes est quantitativement en diminution comme le montre le tableau ci-après.

L'activité juridictionnelle de la Cour des Comptes
(2001-2005)

2001

2002

2003

2004

2005

Arrêts

425

378

377

373

321

Arrêts d'appel

76

52

39

40

33

Amendes

11

5

2

3

3

Gestion de fait

32

24

22

14

10

Arrêts de débet

85

34

20

34

38

Source : rapport public annuel pour 2005

Une mission de contrôle et de conseil plus complexe

La Cour a également été amenée à développer son activité de contrôle de la gestion des deniers publics au service de la transparence démocratique.

Elle doit ainsi veiller « au bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat et les autres personnes morales de droit public » 32 ( * ) et, ce faisant, évalue les politiques publiques.

La procédure de contrôle de la Cour des comptes

- Inscription de l'organisme ou du sujet de contrôle au programme annuel de vérification de la Cour ou réquisitoire introductif d'instance du parquet général ;

- Attribution du contrôle à un rapporteur ;

- Instruction par le rapporteur et rédaction du rapport ;

- Examen du rapport par un contre-rapporteur, chargé de vérifier le travail du rapporteur et d'éclairer la formation délibérante ;

- Auditions éventuelles ;

- Délibéré (unique) de la chambre (ou de la section ou de la formation interchambres) ;

- Envoi des « suites » juridictionnelles (arrêts) ou non juridictionnelles (référé, lettre du président...) ;

- La procédure est collégiale et contradictoire ;

- Examen des réponses par le rapporteur ;

- Le cas échéant, nouveau rapport, nouveau délibéré et nouvelles « suites ».

Source : Cour des comptes

Pour ces vérifications, les rapporteurs de la Cour disposent de pouvoirs étendus (droit à la communication de toutes les pièces du dossier ; audition de toute personne utile à l'enquête, commissaires aux comptes et agents des services financiers étant déliés du secret professionnel ; contrôle sur pièces et sur place).

Le champ de contrôle de la Cour des comptes n'a cessé de croître. La Cour a désormais compétence pour contrôler obligatoirement l'Etat, les établissements publics nationaux, les organismes de sécurité sociale (depuis 1950) 33 ( * ) et les entreprises publiques (depuis 1976) 34 ( * ) .

Elle peut en outre contrôler les organismes de droit privé dont la majorité des voix ou du capital est détenue par des organismes soumis obligatoirement au contrôle de la Cour ou dans lesquels ces organismes ont un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion, et les organismes de droit privé bénéficiaires de fonds publics telles les associations.

Il en va de même depuis 1991, pour les organismes d'intérêt général faisant appel à la générosité publique , depuis 1996, pour ceux qui bénéficient de concours financiers de l'Union européenne ainsi que, depuis 2000, pour ceux qui sont habilités à recevoir des taxes parafiscales , des impositions de toute nature et des cotisations légalement obligatoires 35 ( * ) .

Les organismes bénéficiaires de dons ouvrant droit pour les donateurs à un avantage fiscal dans le cadre du développement du mécénat sont également concernés depuis 2003 36 ( * ) .

La Cour fixe son programme de contrôle chaque année en toute indépendance 37 ( * ) . Mais elle répond aussi à des demandes croissantes du Parlement avec lequel les liens n'ont cessé de se renforcer .

Conformément à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, le Parlement assume lui aussi le contrôle de la gestion des deniers publics 38 ( * ) . Le législateur a confié à la Cour des comptes le soin d'assister et de conseiller le Parlement dans l'accomplissement de cette mission . Cette assistance, explicitement prévue aux articles 47 et 47-1 de la Constitution consacrés respectivement au contrôle de l'exécution de la loi de finances et à celui de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, se traduit par le dépôt de plusieurs rapports au Parlement destinés à éclairer ses décisions.

Il convient d'évoquer en particulier le rapport public annuel de la Cour des comptes, déposé et présenté au Parlement par le premier président, qui tire un bilan de l'activité de la Cour, apporte un éclairage sur quelques domaines soumis à son contrôle (en 2005 par exemple, la gestion administrative et financière de la préfecture de police de Paris) et mentionne désormais l'état du suivi des recommandations des précédents rapports.

Le rapport préliminaire destiné à éclairer le débat d'orientation budgétaire 39 ( * ) , le rapport joint à chaque projet de loi de finances comportant la ratification de mouvements de crédits pour l'exercice en cours 40 ( * ) et le rapport sur l'exécution des lois de finances, joint au projet de loi de règlement 41 ( * ) soulignent aussi l'apport essentiel de la Cour au contrôle parlementaire de la sincérité budgétaire.

Par ailleurs, les membres de la Cour des comptes peuvent être entendus au cours d' auditions par le Parlement et doivent répondre avec souplesse aux demandes d'enquête des commissions des finances sur la gestion des organismes qu'elle contrôle (le rapport doit alors être établi dans un délai de huit mois) 42 ( * ) . La variété des domaines investis par la Cour ressort de la liste des enquêtes communiquées, réalisées en application du 2° de l'article 58 de la LOLF et transmises aux commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale en 2006 43 ( * ) .

Depuis le début de l'année, la commission des finances du Sénat et la Cour des comptes ont procédé à des auditions conjointes relatives à l'association française d'action artistique (AFAA), le fonctionnement de l'agence nationale de valorisation de la recherche (OSEO-ANVAR), le recouvrement des créances de contrôle fiscal et le recouvrement contentieux des amendes et condamnations judiciaires, l'impact des aides à l'emploi sur la baisse du chômage ainsi que sur les commissions et instances consultatives placées directement auprès du premier ministre.

L'essor de la mission de conseil et de contrôle entraîne un accroissement des besoins de la Cour des comptes en personnels spécialisés et expérimentés. Comme l'indique l'avis du premier président sur les nominations au tour extérieur publié au Journal Officiel le 6 décembre 2005 44 ( * ) , la Cour recherche des compétences de plus en plus étendues (juristes, candidats possédant une bonne expérience du domaine social, ingénieurs de l'Etat ou encore spécialistes des nouvelles technologies de l'information).

2. Un régime de responsabilité effectif, indissociable de l'autonomie de la Cour des comptes

La Cour des comptes a connu récemment un autre changement important : l'acquisition de son autonomie budgétaire . Dans le cadre de la réflexion sur l'adaptation de la nomenclature budgétaire aux exigences de la LOLF, le premier président de la Cour des comptes, M. Philippe Séguin 45 ( * ) , a exprimé son souhait de mettre fin à la dépendance étroite de la Cour vis-à-vis du ministère chargé des finances.

En effet, appelée à certifier les comptes et à évaluer les performances de l'Etat, la Cour des comptes ne pouvait plus rester dépendante du ministère responsable de la tenue des comptes publics : « le certificateur ne doit pas voir ses moyens dépendre du certifié » 46 ( * ) .

Le 9 mai 2005, le Premier ministre a confirmé que les crédits budgétaires de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ne seraient plus rattachés au budget du ministère des finances. Depuis l'adoption de la loi de finances initiale pour 2006, ils figurent désormais dans une mission budgétaire autonome intitulée « Conseil et contrôle de l'Etat » 47 ( * ) . Les crédits regroupés sous cette mission présentent la particularité d'être exclus de toute mesure de régulation budgétaire.

Forte de son autonomie de gestion , la Cour des comptes doit maintenant, comme l'a souligné le secrétaire général de la Cour entendu par votre rapporteur, « faire vivre le principe d'autonomie » dans son organisation et son fonctionnement. Cet objectif doit se traduire d'abord par la mise en place d'un contrôle de gestion au sein de la Cour. Il implique ensuite l'adaptation de certaines procédures pour mettre fin à certaines interventions du ministre chargé des finances dans les choix de la Cour, mais surtout l'actualisation du régime de responsabilité des magistrats de la Cour . En effet, la responsabilisation accrue de ces derniers apparaît la contrepartie légitime de l'autonomie .

Elle passe tout d'abord par une réflexion sur l'adaptation des règles déontologiques des membres de la Cour . A titre d'exemple, à la différence des magistrats de l'ordre judiciaire et des magistrats administratifs, les magistrats de la Cour des comptes ne sont pas explicitement soumis à un devoir de réserve.

Par ailleurs, en théorie, les dispositions relatives à la responsabilité des fonctionnaires de l'Etat sont applicables aux magistrats de la Cour des comptes. En pratique, pour des raisons historiques, la Cour des comptes ne dispose pas d'une procédure disciplinaire effective, le décret du 19 mars 1852 relatif à la discipline de ses membres étant anachronique car inopérant.

Cette situation n'est pas satisfaisante au regard de l'indépendance des magistrats et de l'extension des prérogatives d'une Cour des comptes appelée à un contrôle de plus en plus étendu sur les pouvoirs publics de l'action de l'Etat.

Elle est d'autant moins compréhensible que les magistrats de l'ordre judiciaire, ceux des juridictions administratives et ceux des chambres régionales et territoriales des comptes sont soumis à des procédures disciplinaires rigoureuses.

La nécessité d'adapter les modes de recrutement, le déroulement des carrières et le régime de responsabilité des magistrats de la Cour des Comptes implique de modifier leur statut.

* 27 Articles L. 111-1 et L. 111-3 du code des juridictions financières.

* 28 Ainsi, la Cour peut se saisir d'un dossier ou être saisie par le procureur général.

* 29 Les comptes des petites communes font l'objet d'un apurement administratif.

* 30 Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

* 31 Les chambres régionales des comptes ont également une mission de contrôle des actes budgétaires des collectivités territoriales.

* 32 Les chambres régionales des comptes ont aussi compétence pour examiner la régularité et l'efficacité de la gestion des collectivités et organismes soumis à leur contrôle.

* 33 Article L. 111-5 du code des juridictions financières.

* 34 Articles L. 111-4 et L. 133-1 du même code.

* 35 Lois n° 96-314 du 12 avril 1996 et n° 2000-321 du 12 avril 2000, et article L. 111-7 du code précité.

* 36 Loi n° 2003-709 du 1 er août 2003 et article L. 111-8 du code précité.

* 37 « Considérant qu'en vertu du code des juridictions financières, la Cour des comptes est une juridiction administrative ; qu'ainsi (...), la Constitution garantit son indépendance par rapport au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif »- Décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, loi organique relative aux lois de finances.

* 38 « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».

* 39 3° de l'article 58 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

* 40 6° de l'article 58 de la LOLF.

* 41 5° de l'article 58 de la LOLF.

* 42 Article L.O. 132-2-1 du code de la sécurité sociale.

* 43 Enquêtes sur le fonctionnement du service public de l'équarrissage, la gestion immobilière du ministère de l'équipement, les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) - Programme majeur d'armement 2000-2004, la gestion de la prime pour l'emploi, les personnels de l'éducation nationale détachés ou mis à disposition de la MGEN, le fonctionnement et le financement de divers régimes spéciaux de retraite, la mise en oeuvre de la réforme du financement des établissements de santé publics et privés.

* 44 Journal Officiel - Lois et décrets - p. 70.

* 45 Allocution de la séance solennelle de rentrée de la Cour du 19 janvier 2005.

* 46 Rapport d'information n° 478 (session 2004-2005) de notre collègue Roland du Luart au nom de la commission des finances.

* 47 Qui regroupe également les crédits du Conseil d'Etat et des juridictions administratives, ainsi que ceux destinés au Conseil économique et social.

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