MISSION « TRAVAIL ET EMPLOI » M. Serge Dassault, rapporteur spécial

Le projet de loi de règlement pour 2005 demeure régi par les dispositions de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Toutefois, votre rapporteur spécial a examiné les crédits dont il a la charge en mettant l'accent sur les perspectives nouvelles offertes par la LOLF, qu'il s'agisse de l'exécution budgétaire ou de la mesure de la performance, qui donneront tous leurs effets en 2007 à l'occasion de l'examen de la loi de règlement pour 2006.

*

Si la LOLF prévient la plupart des problèmes d'exécution budgétaire rencontrés en 2005, certaines hypothèques pèsent aujourd'hui sur la nouvelle démarche de performance concernant la mission « Travail et emploi ».

I . UNE EXÉCUTION ENCORE HEURTÉE EN 2005

A . UNE POLITIQUE DE RÉGULATION OPAQUE ET CONTRAIGNANTE

L'exécution 2005 s'est caractérisée par une importante régulation budgétaire. En début d'exercice, Bercy a procédé à un gel total des reports de crédit de l'exercice 2004 sur l'exercice 2005 et à un gel partiel portant l'intégralité des crédits accordés en loi de finance initiale. Même si le budget 2005 était incontestablement surévalué 81 ( * ) , cette politique restrictive s'est traduite par des retards importants dans les paiements .

Au total, 2,2 milliards d'euros de crédits ont été annulés au titre de l'exercice 2005, dont plus d'un milliard a concerné les exonérations de charges.

De fait, et loin s'en faut, le plan de cohésion sociale n'a pas été suivi en 2005 , première année de son déploiement.

Pour s'en tenir à une mesure emblématique, seules 18 maisons de l'emploi 82 ( * ) ont été mises en place à fin 2005, alors que l'objectif était d'atteindre 300 maisons en 2009. Sur 120 millions d'euros de dépenses programmées en 2005, seuls 19 millions d'euros ont été effectivement versés.

Le tableau suivant, qui établit le règlement définitif des recettes du budget du travail et de l'emploi de 2005, met en évidence l'importance des variations des prévisions de dépense concernant les crédits d'intervention :

Règlement définitif des recettes du budget du travail et de l'emploi de 2005

(en millions d'euros)

Crédits initiaux

Origine des ouvertures et annulations de crédits

Crédits disponibles

Dépenses

Modifications de crédit demandées par la présente loi de règlement

Reports sur la gestion 2006

Variation des prévisions de dépenses

Reports de la gestion 2004

Autres motifs 83 ( * )

Ouvertures

Annulations

Enchaînement

A

B

C

D

E=A+B+C+D

F

G

H

E-F+G+H

Titre III - Moyens des services

1.960

-61

83

-56

1 926

1 893

1

-21

13

Titre IV - Interventions publiques

30 149

-1 706

1 247

441

30 130

28 990

0

-704

436

Titre V - Investissements exécutés par l'Etat

14

-13

17

0

18

13

0

-4

0

Titre VI - Subventions d'investissement accordées par l'Etat

103

-65

42

-5

75

47

0

-28

0

Total

32 226

-1 845

1 388

380

32 149

30 943

1

-757

450

Source : A partir du bleu « Projet de loi portant règlement définitif du budget de 2005 »

B . VERS PLUS DE TRANSPARENCE ET DE MESURE AVEC LA LOLF

Il semble que la LOLF soit en passe d'apporter à la politique de régulation la visibilité et la prévisibilité qui lui faisaient défaut .

D'une part, depuis 2006, le montant cumulé des annulations de crédit ne peut excéder 1,5 % des crédits budgétaires 84 ( * ) . D'autre part, en application de l'article 9 85 ( * ) de la loi organique n° 2005-779 du 12 juillet 2005 modifiant la LOLF, le gouvernement doit présenter à l'appui du projet de loi de finances de l'année « les mesures envisagées pour maîtriser l'exécution du budget de l'Etat ».

Ce dispositif, dont les mesures figurent au sein de l'exposé général du projet de loi de finances pour 2006, entre donc en application pour cet exercice. En vertu de la LOLF ainsi modifiée, il est constitué une réserve de précaution qui résulte de l'application à chaque programme du budget général d'un taux de 0,1 % sur les crédits de paiement ouverts sur le titre des dépenses de personnel et de 5 % sur les crédits de paiement ouverts sur les autres titres. Cette règle conduit à un taux global de mise en réserve s'élevant à 4,13 % pour la mission « Travail et emploi » 86 ( * ) .

Il est encore à noter que la réforme du contrôle financier 87 ( * ) s'est traduite par un retrait complet du ministère des finances du contrôle a priori de la régularité des engagements pour les opérations de moindre envergure 88 ( * ) .

D'ores et déjà, la DGEFP 89 ( * ) , qui gère plus de 85 % des crédits d'intervention, a demandé une levée globale de la réserve compte tenu de l'importance des mesures nouvelles (« Plan de développement et de modernisation du secteur des hôtels, cafés et restaurants », plan « Senior » et abondement de l'Agence nationale des services à la personne notamment), mais aussi en raison de la sous budgétisation de certaines rubriques.

II . UNE SINCÉRITÉ BUDGÉTAIRE TOUJOURS RELATIVE

A . LE CONSENTEMENT PARLEMENTAIRE MIS EN CAUSE PAR LES REPORTS

Encore en 2005, l'importance des reports de crédits a relativisé la portée effective de l'autorisation budgétaire. Certes, les montants reportés ont fait l'objet, pour les exercices auxquels ils se rapportent, d'un vote en loi de finances. Mais le total des crédits effectivement reportés sur l'année traitée par la loi de finances initiale n'était pas encore connu au moment du vote. Dès lors, le Parlement s'est prononcé sur des crédits auxquels ont pu s'ajouter, à la discrétion 90 ( * ) du gouvernement, des crédits plus anciens non consommés.

Il convient de rappeler que la pratique excessive des reports dans le périmètre du budget du travail constitue un mal chronique : 1,39 milliard d'euros de reports obtenu en 2001, 1,58 milliard d'euros de reports en 2002, puis 1,68 milliard d'euros sur l'exercice 2003, soit 10,7 % du budget 2003.

Si le 1,13 milliard d'euros de reports comptabilisé sur l'exercice 2004 représentait « seulement » 3,5 % du budget pour 2004, ce qui a pu augurer favorablement du respect des limites posées par la LOLF, ils se sont élevés à 1,33 milliard d'euros sur l'exercice 2005...

B . UNE PRATIQUE DÉSORMAIS ENCADRÉE PAR LA LOLF

Si l'article 15 de la LOLF banalise les reports en supprimant l'énumération limitative 91 ( * ) , il n'en limite pas moins le volume, fixé à 3 % par programme. Cette contrainte est renforcée par le fait que le respect du plafond de 3 % doit être vérifié simultanément pour les dépenses du titre 2 (frais de personnel) et pour les autres dépenses dans leur globalité. Il est exact que la fongibilité des crédits ( infra ) facilite certains redéploiements, mais le taux fixé par la LOLF se trouve significativement inférieur aux taux constatés ces derniers exercices...

De fait, pour 2006 92 ( * ) , le respect du plafond des 3 % s'est traduit par des annulations de crédit massives et des demandes budgétaires nécessairement mieux calibrées, avec « seulement » 387 millions d'euros de reports . Le graphe suivant rend compte de cette rupture :

Evolution récente du poids des reports dans le périmètre budgétaire du travail

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances

*

Sur un autre plan, il demeure contestable que certaines opérations pluriannuelles, résultant en particulier de la programmation du plan de cohésion sociale 93 ( * ) , n'aient pas débouché en 2006 sur une budgétisation distinguant davantage les autorisations d'engagement et les crédits de paiement : on constate une équivalence trop systématique entre AE et CP.

I II. LA PORTÉE DE LA DÉMARCHE DE PERFORMANCE POUR LA MISSION « TRAVAIL ET EMPLOI »

Sans préjudice de l'effort d'analyse considérable qui a été fourni en 2005 pour élaborer la batterie des objectifs et des indicateurs de performance, démontrant une réelle appropriation de la démarche de résultat par le ministère et augurant favorablement de l'exécution en 2006, certaines observations méritent d'être formulées.

A . UN PRINCIPE DE FONGIBILITÉ PEU OPÉRANT AU NIVEAU LOCAL

La fongibilité des crédits au sein d'un programme constitue une nouveauté fondamentale introduite par la LOLF pour favoriser l'allocation optimale des ressources dans une optique de résultat.

Afin de mettre en oeuvre les projets annuels de performances (PAP) associés à chacun des programmes, des « budgets opérationnels de programme » (BOP) ont été mis en place. Un BOP regroupe les crédits d'un programme mis à la disposition d'un responsable identifié pour un certain périmètre (une partie des actions du programme par exemple) ou sur un certain territoire (une région ou un département le plus souvent). Le BOP constitue ainsi la « déclinaison opérationnelle » d'un programme 94 ( * ) .

Naturellement, s'agissant de la mission « Travail et emploi », c'est la fongibilité au niveau territorial -c'est-à-dire, au niveau régional- qui est a priori la plus porteuse dans la perspective d'une allocation stratégique des moyens au plus près des spécificités locales.

Or, 90 % 95 ( * ) des crédits se trouvent affectés in fine à des « opérateurs » au sens de la LOLF : l'ANPE, l'AFPA 96 ( * ) et surtout le CNASEA 97 ( * ) , organisme procédant notamment aux versements découlant des différents contrats aidés.

Comme les « opérateurs » se seraient moins bien prêtés, par nature, à un pilotage déconcentré, ce sont ainsi 90 % des crédits du budget du travail qui relèvent de « BOP centraux » -et donc seulement 10 % de ces crédits qui relèvent de « BOP déconcentrés ».

Dès lors, la fongibilité n'apporte pas, à elle seule, de bouleversements considérables car il est notable que les différents ministères ont toujours disposé, sous l'empire de l'ordonnance du 2 janvier 1959, des moyens règlementaires leur permettant de procéder au redéploiement qu'ils jugeaient utile.

B . UN RISQUE DE « STÉRILISATION » DE LA FONGIBILITÉ ASYMÉTRIQUE

La « fongibilité asymétrique » permet, au sein d'un même programme, de redéployer des dépenses de personnel vers d'autres titres budgétaires sans que l'inverse soit possible, afin de peser sur l'évolution des effectifs. La portée de l'« asymétrie » se trouve ici limitée par la présence d'un programme « support » 98 ( * ) , regroupant toutes les dépenses de fonctionnement.

Or, si l'expérimentation de globalisation des crédits menée par le ministère du Travail en région Centre sur la période 2002-2005 avait abouti à des résultats prometteurs 99 ( * ) , la fongibilité asymétrique y avait aussi une plus grande portée puisqu'elle s'étendait à certains crédits d'intervention.

Par ailleurs, il semble que la taille des BOP soit insuffisante pour que la fongibilité asymétrique déploie tous ses effets, même cantonnés aux dépenses de fonctionnement. Ainsi, dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour 2005, la Cour des comptes souligne-t-elle qu'« une disproportion existe entre le nombre de BOP des programmes de la mission Travail et emploi (près de 140 au total) et le montant des CP mis en place dans ces BOP territoriaux (moins de 10 % des crédits de la mission) ».

La Cour des comptes indique d'ailleurs que « les directions du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie estiment de façon empirique à environ 200 ETP la masse critique d'un BOP en matière de personnel, en deçà de laquelle il n'est pas possible de faire jouer de façon satisfaisante la fongibilité asymétrique ; il n'y aurait pas encore de notion de « masse critique » pour les crédits de paiement ».

C . UNE MESURE DE LA PERFORMANCE AMPUTÉE

Dans son rapport sur les crédits de la mission « Travail et emploi » pour 2006, votre rapporteur spécial livrait cette première observation : « le transfert des exonérations générales de charges sociales à la Sécurité sociale est problématique . Afin de faciliter la construction d'un budget général en « croissance zéro », le gouvernement préfère débudgétiser une mesure dont le coût doit évoluer spontanément de 17,1 milliards d'euros en 2005 à 18,9 milliards d'euros en 2006, alors que l'Etat aurait normalement dû s'efforcer de réaliser des économies à due concurrence (1,8 milliard d'euros).

« Les exonérations générales se trouveront ainsi écartées de la discussion budgétaire et de la mesure de la performance, alors que leur coût est élevé et leur efficacité contestable (...) ».

Ce constat est largement partagé par la Cour des comptes, qui indique, dans son rapport précité, que « cette débudgétisation vide de la quasi-totalité de ses crédits le programme Développement de l'emploi et prive la mission Travail et emploi des deux tiers de ses crédits », précisant que si « ces dépenses étaient intégrées en 2005 dans le dispositif de mesure de la performance, leur débudgétisation met fin à cette tentative de mesure des résultats alors même que leur efficacité est très contestée ».

Il convient par ailleurs, cependant, d'approuver que le tome II du rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques pour 2007 ait prévu d'adjoindre au projet annuel de performance un indicateur qui retrace la « part des bénéficiaires de la prime pour l'emploi (PPE) précédemment au chômage ou inactifs ». En effet, la prime pour l'emploi, très contestée en tant qu'instrument d'incitation au retour à l'emploi, constitue la plus importante des dépenses fiscales attachées à la mission « Travail et emploi », avec plus de 2,7 milliards d'euros de moins values fiscales prévues en 2006.

* 81 Sauf à décider du paiement des arriérés de 2,5 milliards d'euros accumulés au titre des compensations d'exonérations sociales de 2001 à 2004 suite à l'insuffisance des crédits ouverts sur la section emploi et travail, créance dont la Cour de comptes rappelle l'existence dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour l'exercice 2005.

* 82 Une accélération prometteuse a cependant eu lieu début 2006 puisque 60 maisons de l'emploi sont aujourd'hui opérationnelles.

* 83 Transferts, répartitions, fonds de concours, dons et legs.

* 84 En vertu de l'article 14 de la LOLF, dont les dispositions ont pour objet d'encadrer les modalités de la régulation budgétaire.

* 85 Article introduisant un alinéa 4 bis à l'article 51 de la LOLF.

* 86 La répartition fine des réserves n'a eu lieu qu'en avril dernier, en attente la fixation définitive du montant des reports.

* 87 Décret n° 2005-54 du 27 janvier 2005 relatif au contrôle financier au sein des administrations de l'Etat, applicable au 1 er janvier 2006.

* 88 Le seuil de contrôle des engagements a été fixé à 1 million d'euros pour les opérateurs au sens de la LOLF et à 300.000 euros pour les autres engagements (hors opérateur).

* 89 Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

* 90 La faculté de pratiquer des reports dits « libres d'emploi », c'est-à-dire ne correspondant pas à des dépenses engagées, constitue une invitation structurelle sinon à l'approximation de la prévision, du moins à des facilités de gestion que l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959 n'avait évidemment pas vocation à systématiser. Ainsi, pour préserver la portée de l'autorisation parlementaire, votre commission des finances a toujours préconisé l'annulation des crédits véritablement libres d'emploi en fin d'exercice.

* 91 Certes, les chapitres sur lesquels ces reports pouvaient s'effectuer librement étaient limitativement énumérés à l'état H de la loi de finances. Mais la section « travail » en était un important pourvoyeur : pour 2005, sur les 32,2 milliards d'euros du budget du travail, 27,4 milliards d'euros étaient portés par des chapitres figurant à l'état H, représentant plus de 85 % du total.

* 92 Les crédits correspondant aux compensations générales d'exonérations de cotisations sociales (estimés à 18,9 milliards d'euros pour 2006) sortent à nouveau du budget de l'Etat où ils avaient été réintroduits en 2004 après la suppression du FOREC, cette débudgétisation expliquant aussi la baisse spectaculaire du montant des reports.

* 93 Les maisons de l'emploi, en particulier, ont donné lieu à des conventions pluriannuelles avec des associations ou des GIP (groupement d'intérêt public).

* 94 Le BOP comprend la déclinaison des objectifs et des indicateurs de performances du programme et un budget prévisionnel.

* 95 Les dépenses d'intervention sont de façon croissante gérées par des organismes tiers. Ainsi, le CNASEA (infra) gère désormais les crédits liés à l'apprentissage.

* 96 Association pour la formation professionnelle des adultes.

* 97 Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.

* 98 Programme 155 « Conception, gestion et évaluation et évaluation des politiques de l'emploi et de travail ».

* 99 A son propos, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (rapport n° 2004 030 de mai 2004) reconnaît l'existence de « résultats tangibles » avec une analyse comparée des ratios locaux et nationaux ayant favorisé une maîtrise accrue des dépenses de personnel et de fonctionnement ainsi que la « requalification » de crédits. D'une façon générale, il constate « des effets d'apprentissage très positifs ».

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