3. Article 98 de la loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication (Pouvoir de retrait du CSA en matière de ressources radioélectriques en mode analogique)

I. - Texte du projet de loi

La nouvelle rédaction proposée pour l'article 98 de la loi du 30 septembre 1986 tend à donner au CSA la possibilité de faire cesser ponctuellement la diffusion analogique d'un service de télévision en lui assignant, sans interruption du service, un droit d'usage de la ressource radioélectrique en mode numérique permettant une couverture au moins équivalente.

L'introduction de la télévision numérique terrestre en France se heurte en effet, dans certaines zones géographiques limitées, à la rareté de la ressource radioélectrique.

C'est d'abord le cas dans les régions frontalières. Comme le rappelait le rapport Rapone-Raude 87 ( * ) , « les frontières sont perméables aux ondes et ces ondes, en l'espèce, portent loin. » En outre, le droit international prévoit que des pays limitrophes doivent toujours avoir un accès équitable au spectre, indépendamment de leur population ou de l'usage qu'ils en font 88 ( * ) . La diffusion des services de télévision nationaux en mode analogique accaparant déjà une part importante de cette ressource, il est par conséquent impossible de trouver un nombre de fréquences disponibles suffisant pour y lancer la TNT.

Cette pénurie de fréquences est également observée à l'intérieur du territoire, dans certaines zones particulières couvertes par des émetteurs situés à des endroits de convergence de brouillages venus de plusieurs sites à très forte puissance.

S'inspirant d'une des recommandations du rapport Rapone-Raude, la présente disposition autorise par conséquent explicitement le Conseil supérieur de l'audiovisuel à procéder d'autorité à l'extinction anticipée de certains réémetteurs analogiques secondaires couvrant une population limitée afin de résoudre les difficultés énoncées ci-dessus.

Au plan juridique, il est bon de préciser que le rapport précité estimait qu'une telle disposition législative n'était pas nécessaire. Celui-ci soulignait ainsi que le cadre juridique actuel 89 ( * ) et la jurisprudence du Conseil d'Etat 90 ( * ) permettaient d'ores et déjà au Conseil supérieur de l'audiovisuel de demander aux éditeurs de services publics et privés la restitution d'une fréquence dans la mesure où cette demande pouvait être justifiée par « l'intérêt d'une utilisation rationnelle du domaine public » et à condition qu'il reçoive « une autre fréquence lui permettant d'assurer la pérennité du service ».

Saisi par le Premier ministre, en application de l'article L. 112-2 du code de justice administrative, d'une série de questions relatives à l'extinction de la diffusion analogique, le Conseil d'État a, dans son avis n° 373.035 du 23 mai 2006, conclu le contraire. Il a ainsi fait observer que :

- « Seul le législateur pouvait autoriser et organiser l'extinction anticipée des services de diffusion par voie analogique » ;

- « Alors que le mode de diffusion, analogique ou numérique, d'un service est un élément substantiel de ce service, si un opérateur autorisé à émettre en mode analogique ne bénéficie pas d'un droit acquis à continuer d'émettre sur les fréquences qui lui ont été attribuées initialement, c'est à la condition qu'il reçoive en contrepartie le droit d'utiliser d'autres fréquences permettant le maintien du service de communication audiovisuelle qui est garanti tant par les principes de valeur constitutionnelle qui s'attachent à la nature du service que par les dispositions protectrices qu'a entendu prendre le législateur en assurant aux éditeurs de services le mode de diffusion auquel s'applique l'autorisation créatrice de droits qui leur a été conférée. »

On observera que cette possibilité pourra être combinée avec l'application de l'article 30-4 de la loi dont le deuxième alinéa permet au CSA, dans ce même contexte d'extrême rareté de la ressource, de relancer des appels aux candidatures et de dresser un ordre prioritaire d'attribution des fréquences par catégories d'opérateurs 91 ( * ) .

Au plan technique, il convient de rappeler qu'un certain nombre de sites secondaires sont aujourd'hui utilisés pour la diffusion de réseaux analogiques soit en confort des sites principaux, soit pour la diffusion de services ne pouvant être émis sur les sites principaux faute de disponibilité de fréquence analogique 92 ( * ) .

La fréquence libérée par l'arrêt de la diffusion analogique sur le site secondaire pourrait néanmoins être utilisée pour une diffusion numérique sur les sites d'émission principaux. Car si l'utilisation de ces fréquences en analogique n'était pas possible pour des raisons de brouillage, elle pourrait être envisagée pour une diffusion numérique, les caractéristiques de brouillage et de protection entre les deux modes de diffusion différant très sensiblement.

Sous réserve des résultats d'études techniques en cours 93 ( * ) , ces réaménagements pourraient concerner 120 000 foyers environ, répartis dans des zones se situant pour l'essentiel dans le Nord et l'Est de la France.

II - Position de votre commission

Votre commission vous proposera d'adopter un amendement rédactionnel visant à supprimer au début de cet article, les mots : « Afin d'améliorer la couverture du territoire par la télévision hertzienne en mode numérique ».

Si cette rédaction se révèle extrêmement pédagogique, elle n'a toutefois aucune portée normative. Sa place n'est donc pas dans le corps du texte du projet de loi mais dans l'exposé des motifs prévu à cet effet.

Votre commission souhaite ainsi faire écho aux propos M. Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, qui, a l'occasion des ses voeux au Président de la République, le 3 janvier 2005 a lancé une sévère mise en garde contre les « dispositions non normatives » et « la loi comme instrument de communication ».

Votre commission fait ainsi sienne l'idée selon laquelle « la loi n'est pas faite pour affirmer des évidences, émettre des voeux ou dessiner l'état idéal du monde [...] La loi ne doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits . »

* 87 Accélération du déploiement de la télévision numérique terrestre et extension de la disponibilité des chaînes de la TNT sur le territoire - Rapport établi à la demande du Premier ministre par Denis Rapone, Directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel et Patrick Raude, Directeur du développement des médias, Services du Premier ministre - Novembre 2005.

* 88 C'est ainsi que, par exemple, à la verticale de Longwy, l'espace hertzien utilisable pour la diffusion de programmes de télévision se trouve partagé en quatre parties sensiblement égales, correspondant aux parts respectives de la Belgique, du Luxembourg, de l'Allemagne et de la France.

* 89 S'agissant du service public, l'article 26 de la loi du 30 septembre 1986 précise que : « Si les contraintes techniques l'exigent, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut cependant leur retirer tout ou partie de cette ressource à la condition de leur assigner, sans interruption du service, l'usage de la ressource radioélectrique attribuée à des usages de radiodiffusion permettant une réception de qualité équivalente. »

* 90 CE, 12 mai 2003, Société Télévision française 1 (TF1), n° s 247.353 et 248.337, Recueil : « qu'il résulte des dispositions des articles précités de la loi du 30 septembre 1986, ainsi que des principes relatifs aux occupations privatives du domaine public, qu'il appartient au Conseil supérieur de l'audiovisuel, agissant par des décisions unilatérales, distinctes des conventions prévues à l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, de délivrer des autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques, de les assortir des obligations appropriées et, le cas échéant, de les modifier ; que, par suite, TF1 n'est pas fondée à soutenir qu'il n'appartenait pas au conseil supérieur de l'audiovisuel de prendre les mesures attaquées par des décisions unilatérales. ».

Comme l'a explicité le Commissaire du gouvernement dans ses conclusions, « les autorisations relatives aux services audiovisuels, désignées par l'expression «autorisation d'usage de fréquences» dans la loi de 1986, présentent en réalité un caractère double. En les délivrant, le Conseil supérieur de l'audiovisuel autorise leurs bénéficiaires, d'une part, à diffuser un service et, d'autre part, à utiliser à cette fin des fréquences déterminées. Si la possibilité de diffuser le service ne peut normalement pas être remise en cause avant le terme de l'autorisation, l'opérateur ne possède pas un droit acquis à continuer d'émettre sur les fréquences qui lui ont été attribuées initialement. L'intérêt d'une utilisation rationnelle du domaine public peut justifier qu'il lui soit demandé de restituer une fréquence, à condition qu'il reçoive en contrepartie une autre fréquence lui permettant d'assurer la pérennité du service. «

* 91 Article 30-4 : « Afin de permettre une meilleure réception, dans leur zone géographique, des services autorisés en application des articles 29-1 et 30-1, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut autoriser l'usage de nouvelles fréquences et l'utilisation de nouveaux sites, hors appel à candidatures, sauf si ces autorisations portent atteinte aux dispositions des articles 1 er et 3-1 et à la condition que la ressource radioélectrique soit suffisante pour que l'ensemble des services autorisés dans la zone géographique considérée puisse bénéficier des dispositions du présent alinéa.

A défaut, le Conseil supérieur de l'audiovisuel relance un appel à candidatures dans les conditions prévues aux articles 29-1 et 30-1. Sans préjudice des dispositions de l'article 26, il autorise la reprise intégrale et simultanée des services de télévision autorisés en application de l'article 30, lorsque les candidats lui en ont fait la demande, puis les services ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers. »

* 92 M6 et France 5/ARTE à Strasbourg Port-du-Rhin et Haguenau par exemple.

* 93 A ce stade, 15 émetteurs couvrant entre 600 et 20 000 foyers ont été identifiés dans la perspective d'une extinction anticipée. Il s'agit des émetteurs de Groisy, Combloux, Morteaux, La Rochette, Allevard, Saint-Laurent du Pont, Lons-le-Saulnier, Nolay, Sarreguemines, Mont-Salève, Champagnole, Saint-Gindolph, Cluses, Wissembourg et Haguenau.

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