10. Article 104 de la loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication (Octroi d'une chaîne supplémentaire)

I - Texte du projet de loi

La nouvelle rédaction prévue pour l'article 104 de la loi du 30 septembre 1986 tend à accorder aux éditeurs nationaux de services de télévision analogiques le droit à une chaîne supplémentaire à l'extinction complète de leur signal analogique.


• Une incitation déjà adoptée dans le cadre de la loi du 1er août 2000

Votre rapporteur tient à rappeler que lors de l'examen de la loi 104 ( * ) n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant la loi de 1986, plusieurs mesures destinées à inciter les éditeurs de services analogiques à diffuser leurs programmes en mode numérique avaient été adoptées. Parmi celles-ci figurait le droit reconnu à ces éditeurs à faire autoriser un de leurs services au cours de l'appel à candidatures lancé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel 105 ( * ) .

Lors de la délivrance des autorisations pour les services nationaux de la TNT le 10 juin 2003, TF1 avait ainsi bénéficié de ce droit pour LCI et M6 pour M6 Music (devenue depuis W9). Le bénéfice de ce droit pour i>télévision avait été refusé par le CSA à Canal+ dans la mesure où ce service n'était pas une filiale de Canal + mais de Canal+ Groupe 106 ( * ) .

La mise en oeuvre de cette disposition a nécessité la consultation à deux reprises du Conseil d'État pour en préciser les conditions et la portée dans le temps.

Un premier avis avait été sollicité par M. Lionel Jospin, Premier ministre auprès du Conseil d'État en 2002. Cet avis du 17 septembre 2002 107 ( * ) avait permis d'éclairer la portée du régime de la « chaîne bonus » au moment de l'attribution initiale des autorisations.

Le Conseil d'État avait ainsi considéré que l'attribution de cette chaîne supplémentaire était de droit sur demande des intéressés : le CSA devait simplement s'assurer qu'elle ne portait pas atteinte aux principes fondamentaux de la loi du 30 septembre 1986 expressément énumérés, mais n'était pas habilité à apprécier cette demande par comparaison avec d'autres.

L'article 30-1 de la loi définit ainsi un ordre chronologique en matière d'autorisations des services sur la TNT : le CSA autorise d'abord la reprise intégrale et simultanée des services analogiques (ou « simulcast »), puis la « chaîne bonus » des opérateurs historiques et enfin l'ensemble des autres demandes d'autorisation.

Dans un second avis du 8 février 2005 108 ( * ) , le Conseil d'État a eu l'occasion de préciser que ce droit à la « chaîne bonus » ne pouvait s'exercer qu'une seule fois et que toute modification substantielle de ce service devait être appréciée par le CSA de la même manière que celle de toute autre chaîne autorisée 109 ( * ) .


• Un dispositif destiné à inciter les éditeurs « historiques » à cesser dans les meilleurs délais leur diffusion analogique

La nouvelle rédaction de l'article 104 introduite par le présent article reprend la logique incitative issue de la loi du 1 er août 2000 afin de faciliter l'extinction de la diffusion analogique des trois services nationaux de télévision en proposant d'accorder à leurs éditeurs respectifs le droit à la diffusion d'une chaîne supplémentaire à l'extinction complète de leur signal analogique.

A l'aune des deux avis du Conseil d'Etat précités, les mêmes garanties sont reprises. L'exercice de ce droit ne devra pas porter atteinte :

- aux principes fondamentaux des articles 1 er , 3-1 et 26 de la loi du 30 septembre 1986 ;

- au respect du dispositif anti-concentration (articles 39 à 41-4) ;

- aux impératifs et critères qui ont présidé à la délivrance des autorisations numériques (deuxième et troisième alinéas du III de l'article 30-1 de la loi).

De la même manière enfin, le droit ne pourra être exercé qu'au profit d'un service contrôlé par l'éditeur de service analogique, selon la définition retenue par le 2° de l'article 41-3 la loi du 30 septembre 1986 de la notion de contrôle 110 ( * ) .


• Une nécessité juridique

Par-delà l'aspect incitatif de cette chaîne supplémentaire accordée aux services nationaux diffusés en analogique, votre commission souhaite également souligner son importance juridique.

Les chaînes hertziennes, en tant que bénéficiaires de droits d'occupation du domaine public hertzien 111 ( * ) se voient en effet appliquer les principes généraux de la domanialité publique :

- le principe de la subordination à autorisation des utilisations privatives

Celui-ci est posé à l'article L. 28 du code du domaine de l'Etat selon lequel : « Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public national ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. » S'agissant des bandes de fréquence du domaine public hertzien affectées à la radiodiffusion, c'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui est compétent pour la délivrance des autorisations, conformément à l'article 22 de la loi du 30 septembre 1986 ;

- le principe de l'assujettissement à une redevance

Dans le cas de l'audiovisuel, les fréquences sont utilisées à titre gratuit, en mode analogique comme en mode numérique. Cette situation diffère de celle qui prévaut dans les autres zones du spectre, notamment en matière de télécommunications. Elle a pour contrepartie l'existence d'obligations particulières à la charge des titulaires d'autorisation, en matière notamment de diffusion et de contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle ;

- les principes de précarité et de mutabilité des autorisations

Les autorisations d'occupation du domaine public présentent un caractère précaire et révocable 112 ( * ) . Les autorisations unilatérales peuvent être retirées avant terme pour des motifs d'intérêt général. Dans ce cas, le titulaire peut obtenir réparation à la condition d'établir qu'il subit un préjudice « direct, matériel et certain » et que l'abrogation n'ait pas été décidée dans l'intérêt de la conservation ou de l'utilisation normale de la dépendance domaniale occupée 113 ( * ) . La résiliation avant terme des autorisations fondées sur un contrat ouvre en principe droit à indemnité dès lors que le titulaire se prévaut d'un préjudice direct matériel et certain 114 ( * ) .

Les différentes dispositions du projet de loi ne laissent guère de doutes quant au préjudice matériel subi par les chaînes historiques. Celui-ci est double :

- un préjudice direct lié à la remise en cause d'un droit acquis . Il s'agit là de la remise en cause anticipée par le projet de loi d'autorisations d'occupation du domaine public de l'Etat à partir du 31 mars 2008 ;

- un préjudice indirect lié au bouleversement du paysage audiovisuel hertzien analogique en clair induit par l'arrêt définitif de la diffusion analogique au plus tard le 30 novembre 2011, le passage de 5 à 17 chaînes étant appelé à emporter des conséquences importantes pour l'équilibre économique des chaînes historiques tant en terme de résultats d'audience qu'en terme de résultats publicitaires.

Dans ces conditions, l'attribution d'une chaîne supplémentaire aux opérateurs historiques paraît être une mesure compensant le préjudice subi par les éditeurs concernés.


• Une chance pour la production française

L'obtention d'un canal supplémentaire pour les éditeurs nationaux cessant leur diffusion analogique peut être une chance non seulement pour l'extinction rapide de l'analogique mais également pour la création française et européenne.

En effet, il convient de rappeler que ces éditeurs prennent à leur charge des engagements fondamentaux pour le développement de la création et de la production d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques. C'est grâce, en partie, aux obligations d'investissement et de diffusion que la création française bénéficie aujourd'hui de financements en hausse et d'une visibilité que bien d'autres pays européens nous envient.


• Les obligations d'investissement des chaînes historiques

En matière cinématographique comme en matière audiovisuelle, les chaînes historiques privées respectent parfaitement leurs obligations réglementaires et injectent plus de 400 millions d'euros par an dans la création.

En matière cinématographique , il convient de rappeler qu'aux termes du décret n° 2001-609 du 9 juillet 2001, les chaînes hertziennes terrestres diffusées en mode analogique qui diffusent plus de 52 longs métrages par an doivent investir 3,2 % de leur chiffre d'affaires dans la production d'oeuvres cinématographiques, dont 2,5 % d'oeuvres d'expression originale française.

Le tableau ci-dessous permet de constater qu'en 2005, TF1 et M6 ont consacré à elles deux plus de 64 millions d'euros dans la production cinématographique.

INVESTISSEMENTS DES CHAÎNES HISTORIQUES
EN MATIÈRE DE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE

En millions d'euros

Source : CSA 2006

En matière de production audiovisuelle , le tableau ci-après montre que plus de 690 millions d'euros ont été consacrés en 2005 dans la production audiovisuelle par les 5 chaînes considérées dont 336,1 millions d'euros pour TF1 et M6 .

INVESTISSEMENTS DES CHAÎNES HISTORIQUES EN MATIÈRE DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE

En millions d'euros

Source : CSA 2006


• Les obligations d'investissement des nouvelles chaînes gratuites de la TNT

Pour le moment, les différentes contributions en matière de création des nouveaux entrants de la TNT appartenant à des groupes privés sont en revanche beaucoup plus modestes. Au total, sur l'année 2005, ces contributions s'élèvent à près de 13,3 millions d'euros.

Parmi les cinq nouvelles chaînes gratuites de la TNT programmant des longs métrages 115 ( * ) , seules quatre ont l'obligation de contribuer à la production cinématographique , à savoir Direct 8, NT1, TMC et W9. Deux d'entre elles bénéficient d'une période de montée en charge de leur obligation, (Direct 8 et W9).

En 2005, les montants investis dans ce type de création s'élèvent à 1,2 million d'euros .

INVESTISSEMENTS DES CHAÎNES GRATUITES DE LA TNT EN MATIÈRE DE PRODUCTION

En millions d'euros

Source : CSA 2006

En matière de production audiovisuelle , Direct 8, I-Télé, et BFM ne sont pas assujetties aux obligations de contribution à la production audiovisuelle, car elles ne diffusent pas au moins 20 % d'oeuvres audiovisuelles.

Au total, le tableau ci-après montre que la contribution des « nouveaux entrants » de la TNT se limite à 12 millions d'euros en matière de production audiovisuelle.

INVESTISSEMENTS DES CHAÎNES GRATUITES DE LA TNT EN MATIÈRE DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE

En millions d'euros

Source : CSA 2006

II - Position de votre commission

Tout en considérant que l'attribution aux éditeurs nationaux diffusés en analogique, à l'extinction complète de leur diffusion analogique, d'un droit d'usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d'un nouveau service de leur choix repose sur des bases juridiques et culturelles solides, votre commission vous propose d'adopter deux amendements au texte proposé pour l'article 104.

Le premier tend à encadrer l'attribution de cette chaîne supplémentaire par des obligations spécifiques en matière de diffusion et de production cinématographique et audiovisuelle d'expression originale française et européenne afin d'enrichir l'offre de programmes de la TNT.

Le second précise que ces nouvelles chaînes ne pourront être lancées par les opérateurs historiques qu' à compter du 30 novembre 2011.

Votre commission souhaite ainsi éviter que l'exercice de ce droit à une chaîne supplémentaire ne mette en péril l'équilibre économique précaire des « nouveaux entrants » de la télévision numérique terrestre. Dans l'intervalle, ceux-ci auront la garantie de ne pas voir croître le nombre de chaînes susceptibles de les concurrencer en termes d'audience, de recettes publicitaires et d'accès aux droits d'exploitation des programmes audiovisuels, cinématographiques et sportifs.

* 104 Projet de loi n° 1187 présenté au nom de M. Lionel Jospin par Mme Catherine Trautmann portant modification de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

* 105 Le troisième alinéa du III de l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose à cette fin que : « Sans préjudice des articles 1 er , 3-1, 26, 39 à 41-4 et des impératifs et critères visés aux deux alinéas suivants, le Conseil supérieur de l'audiovisuel accorde également à tout éditeur d'un service à vocation nationale autorisé au titre de l'alinéa précédent et qui en fait la demande un droit d'usage de la ressource radioélectrique pour la diffusion d'un autre service de télévision, à condition qu'il soit édité par une personne morale distincte, contrôlée par cet éditeur au sens du 2° de l'article 41-3. »

* 106 i>télévision a toutefois été autorisé par le CSA selon le régime « normal » d'autorisation.

* 107 Avis n° 368.265 du 17 septembre 2002.

* 108 Avis n° 371.283 du 8 février 2005.

* 109 Il a en particulier considéré que :

- en cas de modification substantielle apportée à la « chaîne bonus », le CSA est fondé à retirer l'autorisation sans mise en demeure préalable ;

- en cas de renonciation à sa « chaîne bonus », l'intéressé n'est pas fondé à faire valoir un droit à une nouvelle « chaîne bonus »: TF1 et M6 ont donc épuisé leur droit ;

- Canal+, qui n'a pas bénéficié de ce droit lors de la procédure initiale d'autorisation, ne peut plus y prétendre à l'occasion d'un appel complémentaire car l'attribution de cette chaîne supplémentaire devait intervenir en 2003, selon l'ordre chronologique de l'article 30-1 (« simulcast », « chaîne bonus » puis autres autorisations).

* 110 « Toute personne physique ou morale qui contrôle, au regard des critères figurant à l'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 précitée, une société titulaire d'autorisation ou a placé celle-ci sous son autorité ou sa dépendance est regardée comme titulaire d'une autorisation ; est également regardée comme titulaire d'une autorisation toute personne qui exploite ou contrôle un service de radio par voie hertzienne terrestre ou un service de télévision diffusé exclusivement sur les fréquences affectées à la radio et à la télévision par satellite, à partir de l'étranger ou sur des fréquences affectées à des États étrangers, et normalement reçus, en langue française, sur le territoire français. »

* 111 Autorisation pour les chaînes privées, droit d'usage pour les chaînes publiques

* 112 CE, 23 juin 1976, Commune de Plubennec, Rec. T. p. 917 ; 4 février 1983, Ville de Charleville-Mézières, Rec. p. 4 ; 14 octobre 1991, Hélie, Rec. T. p. 927.

* 113 CE, Ass., 29 mars 1968, Ville de Bordeaux c. Société Menneret et Cie, Rec. p. 217, AJDA 1968 p. 348 concl. Jacques Théry.

* 114 CE, Sect., 4 janvier 1954, Leroy et autres, Rec. p. 3.

* 115 Il s'agit de NRJ12, Direct 8, NT1, TMC, W9.

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