N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d' armes chimiques en Fédération de Russie ,

Par M. André VANTOMME,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir le numéro :

Sénat : 87 (2006-2007)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet a pour objet d'autoriser l'approbation d'un accord signé à Moscou, le 14 février 2006, entre la France et la Russie et relatif à une coopération en matière de destruction des stocks d'armes chimiques en Fédération de Russie.

Cet accord s'inscrit dans une double perspective : d'une part, l'obligation dans laquelle se trouve la Russie, Etat partie à la Convention d'interdiction des armes chimiques du 13 janvier 1993, de détruire son stock d'armes chimiques, le plus important au monde ; d'autre part, la coopération internationale mise en place notamment dans le cadre du G8, pour contribuer à la politique de désarmement et de lutte contre la prolifération en Russie dans les domaines nucléaire, radiologique, biologique et chimique.

La France est partie prenante à ce « partenariat mondial du G8 contre la prolifération des armes de destruction massive ». A ce titre, elle a identifié plusieurs projets de coopération avec la Russie, l'accord signé le 14 février 2006 portant pour sa part exclusivement sur les actions liées à la destruction des armes chimiques russes.

Votre rapporteur évoquera rapidement la problématique du désarmement chimique en Russie, avant de présenter le dispositif de l'accord du 14 février 2006 et les autres actions menées par la France avec la Russie dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

I. LA RUSSIE ET LE DÉSARMEMENT CHIMIQUE

Premier détenteur au monde d'armes chimiques, la Russie est désormais engagée, avec l'aide de la communauté internationale, dans le processus de destruction de son stock pour se conformer aux obligations de la convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques.

A. LES ARMES CHIMIQUES ET LA CONVENTION D'INTERDICTION DE 1993

1. L'emploi des armes chimiques dans les conflits et leur typologie

L'usage de substances chimiques dans les conflits est un fait ancien bien avéré. Dès l'Antiquité gréco-romaine, des engins incendiaires et des gaz sulfureux (poussés par le vent) sont utilisés pour attaquer des cités assiégées. Parmi ces substances, on peut noter le célèbre « feu grégeois » (substance incendiaire et toxique) qui a été, pendant cinq siècles, l'arme secrète de Byzance contre les Turcs.

De premières tentatives pour établir un encadrement international de l'emploi des armes chimiques sont effectuées à la fin du XIX ème siècle, lors de la conférence de La Haye de 1899, au cours de laquelle les nations européennes s'engagent à limiter « l'emploi de projectiles ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ». La deuxième conférence, tenue en 1907, élargit le champ de ces limitations à l'emploi de poisons ou d'armes empoisonnées.

Mais c'est surtout après la première guerre mondiale que progresse l'idée d'interdire l'usage d'armes chimiques dans les conflits. En effet, la fin de la guerre a marqué une escalade dangereuse dans l'usage de produits chimiques toxiques répandus par voie terrestre (munitions diverses et obus d'artillerie) et par voie aérienne (bombes et épandage de substances chimiques). Certains spécialistes estiment ainsi que, si le conflit s'était prolongé, il se serait transformé en véritable guerre chimique.

C'est en réaction à cette situation et à ces dangers qu'a été signé, le 17 juin 1925, à Genève, le protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques . Cependant, la plupart des Etats signataires se réservent le droit de recourir à ces moyens en cas de légitime défense.

L'entre-deux-guerres a été marqué par la recherche et le développement de nouveaux agents toxiques, notamment le sarin, le soman et le tabun. On a constaté aussi des cas d'utilisation de gaz de combat lors de la campagne italienne en Ethiopie et pendant la guerre du Japon contre la Chine. Heureusement, pendant la deuxième guerre mondiale, les armes chimiques n'ont pas été utilisées par les grandes puissances belligérantes, ce qui aurait causé une vraie catastrophe humaine et écologique, étant donné la puissance meurtrière des nouveaux gaz et les quantités disponibles.

Pendant la guerre froide, de nouvelles substances, notamment les gaz innervants de type VX, et les armes binaires font leur apparition. On a constaté, dans les conflits de cette période, en Asie (Corée et Vietnam), en Afrique (Angola et Afrique du Sud) et au Moyen-Orient (Iran-Irak), l'usage fréquent de substances chimiques toxiques. On peut souligner parmi celles-ci l'agent orange (défoliant industriel) utilisé au Vietnam, et le gaz moutarde utilisé par les Irakiens contre les Iraniens.

Plus récemment, un nouveau danger se fait jour : l'usage d'armes et de substances chimiques toxiques par des groupes terroristes. Ce fut le cas au Japon le 20 mars 1995, où une attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo a fait onze morts et plus de 5 500 blessés.

La typologie des armes chimiques distingue plusieurs types de gaz de combat :

- les vésicants . Ils se présentent sous la forme de liquides épais qui peuvent agir non seulement par inhalation lorsqu'ils sont vaporisés, mais aussi sur la peau, dont ils détruisent les cellules. S'ils atteignent l'appareil respiratoire ils causent la mort par asphyxie. La substance vésicante la plus célèbre est l'ypérite ou gaz moutarde, du nom de l'attaque allemande d'Ypres en 1915 ;

- les suffocants , qui sont des liquides plus volatiles que les vésicants (chlore, phosgène...). Agissant exclusivement par inhalation, ils provoquent un oedème du poumon et l'asphyxie ;

- les hémotoxiques (chlorure de cyanogène, acide cyanhydrique), qui détruisent les globules et ont pour effet secondaire un empoisonnement par l'arsenic. Cet agent était utilisé par les nazis dans les chambres à gaz.

- les neurotoxiques (agents G, parmi lesquels le sarin, le tabun et le soman ; agents V, parmi lesquels le VX) provoquent la paralysie des muscles, notamment respiratoires. Ils sont dérivés d'ingrédients entrant dans la fabrication des insecticides, des engrais et de certains colorants.

Il convient également de préciser que la frontière est ténue entre armes chimiques et armes biologiques en ce qui concerne les toxines. A la différence des armes chimiques traditionnelles, fabriquées artificiellement, les toxines sont sécrétées par reproduction naturelle d'agents vivants et peuvent être ensuite dispersées par vecteur chimique. Dispersées sous forme d'aérosol, comme le gaz de combat, les toxines de guerre ont des effets létaux considérables. Les armes chimiques à toxines sont principalement constituées par le charbon, les toxines botuliniques et les entérotoxines du staphylocoque B. L'anthrax, ou bacille de charbon, cause la mort par septicémie. L'infection peut être d'origine pulmonaire, digestive ou cutanée. L'épidémie locale de charbon observée en 1979, à proximité de l'usine chimique soviétique de Sverdlovsk paraît attester la collusion entre armes chimiques et armes biologiques.

La prolifération des armes chimiques a été facilitée par deux facteurs.

D'une part, les gaz de combat les moins élaborés (chlore ou gaz moutarde) se trouvent à la portée d'industries chimiques élémentaires. D'autre part, en raison de la dualité civilo-militaire des composants de ces substances toxiques, les armes chimiques peuvent être fabriquées par des usines de pesticides, de colorants, de produits pharmaceutiques ou d'engrais : la dualité des composants de ces substances a donc pu encourager, sous couvert d'échanges commerciaux, la prolifération chimique.

Ainsi, les mêmes produits peuvent-ils servir à la fabrication de gaz de combat et à celle de la bière. De même figure parmi les composants du tristement célèbre gaz moutarde une substance entrant dans la composition de l'encre des stylos billes.

La dualité de substances entrant dans la composition des gaz de combat contribue à expliquer, sans toutefois le justifier, le rôle du commerce international dans la prolifération chimique, du moins jusqu'à l'entrée en vigueur d'instruments internationaux contraignants à travers la convention sur les armes chimiques du 13 janvier 1993.

2. La convention sur l'interdiction des armes chimiques de 1993

La convention d'interdiction des armes chimiques est entrée en vigueur le 29 avril 1997, quatre ans après son ouverture à signature, six mois après l'intervention de la 60 ème ratification, conformément aux conditions d'entrée en vigueur.

Cette convention interdit aux États parties la fabrication, l'acquisition, la détention, le transfert et l'emploi des armes chimiques. Elle leur impose une obligation de destruction des stocks existants dans un délai de dix ans suivant son entrée en vigueur . Elle instaure des mécanismes de vérification fondés sur des déclarations nationales et des procédures d'inspection.

Elle est aujourd'hui ratifiée par 180 États . On ne compte que 9 États non signataires, dont l'Égypte, l'Irak, le Liban, la Syrie et la Corée du Nord. On compte également 6 États qui ont signé mais pas ratifié la convention, notamment Israël.

Cette convention est un texte unique dans le domaine du désarmement : elle est en effet la seule convention internationale organisant à la fois l'éradication totale d'une catégorie entière d'armes de destruction massive, les armes chimiques, et un système contraignant de vérification cherchant à renforcer la non-prolifération.

La convention a créé un organisme pour contrôler sa mise en oeuvre, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), dont le siège est situé à La Haye, aux Pays-Bas. L'OIAC est chargée non seulement de la vérification du respect des dispositions de la convention, mais aussi d'assurer une assistance en cas d'agression ou d'accident dans un État partie avec des armes chimiques.

L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques « exécute les activités de vérification » prévues par la convention. Cette vérification s'effectue essentiellement par un système de déclarations et un régime d'inspections assez complet.

Dans les 30 jours qui suivent l'entrée en vigueur de la convention à son égard, l'État partie doit déclarer à l'OIAC les armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur, leur emplacement, la quantité globale et l'inventaire détaillé, ainsi que toute arme chimique présente sur son territoire, dont un autre État est le propriétaire.

Ces déclarations s'étendent aux transferts directs ou indirects d'armes chimiques, aux armes anciennes et abandonnées et aux installations (y compris celles dont il a été le propriétaire par le passé, à partir du 1 er janvier 1946). Les États présentent aussi un plan général (national) de destruction des armes chimiques et, en ce qui concerne les installations, de destruction, fermeture et conversion.

Les inspections ont lieu sur place pour vérifier la conformité des déclarations et pour garantir que les activités exercées au sein des États parties qui relèvent du domaine des substances chimiques respectent les dispositions de la convention. En cas de doute, soulevé par des États parties ou relevé par l'OIAC, des inspections par mise en demeure peuvent avoir lieu. Les inspections sont complétées par une surveillance au moyen d'instruments installés sur place. L'OIAC procède aussi à des investigations dans les cas où une utilisation éventuelle d'armes chimiques a été signalée.

Les installations de production de substances chimiques à des fins non interdites par la convention sont aussi soumises à des inspections mais dans un cadre plus souple, selon le tableau dans lequel se trouvent les substances chimiques produites.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page