Rapport n° 194 (2006-2007) de M. Jean-Jacques HYEST , fait au nom de la commission des lois, déposé le 31 janvier 2007

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N° 194

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant modification du titre IX de la Constitution ,

Par M. Jean-Jacques HYEST,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1005 rect., 3537 et T.A. 651

Sénat : 162 (2006-2007)

Président de la République.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 31 janvier 2007 sous la présidence de M. Patrice Gélard, vice-président, la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. Jean-Jacques Hyest, président, le projet de loi constitutionnelle n° 162 (2006-2007), portant modification du titre IX de la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, rappelant que le statut pénal du Président de la République, défini aux articles 67 et 68 de la constitution, était largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946, a souligné que ces dispositions étaient demeurées inchangées depuis 1958, alors que la fonction présidentielle s'était affirmée, en raison notamment de l'élection au suffrage universel.

Il a indiqué que dans leurs décisions respectives du 22 janvier 1999 et du 10 octobre 2001, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation avaient exclu toute poursuite ou instruction à l'égard du Président de la République pendant la durée de son mandat, tout en parvenant à des conclusions divergentes quant à son privilège de juridiction.

Considérant que le projet de loi constitutionnelle visait à préciser et moderniser le statut pénal du chef de l'État, il a souligné que le texte proposé pour l'article 67 de la Constitution maintenait le principe d'irresponsabilité du Président pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions - sous réserve des dispositions relatives aux compétences de la Cour pénale internationale et à l'hypothèse de manquement manifestement incompatible avec ses fonctions - et lui accordait une protection complète, pendant la durée de son mandat, s'agissant des actes détachables de ce dernier. Il a estimé que cette protection, visant seulement la fonction présidentielle, était justifiée par le rôle institutionnel du Président de la République, élu de l'ensemble de la nation et garant de la continuité de l'État.

Il a expliqué que le projet de loi constitutionnelle créait à l'article 68 de la Constitution une procédure de destitution du chef de l'Etat en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions, le Parlement, constitué en Haute Cour, devant alors se prononcer non sur la qualification pénale de ce manquement, mais sur l'atteinte portée à la dignité de la fonction.

Le rapporteur a indiqué que l'Assemblée nationale avait conforté l'équilibre du dispositif en précisant que les délais de prescription étaient suspendus pendant la durée du mandat présidentiel (article 67), en supprimant l'empêchement du Président de la République après l'adoption par les deux assemblées d'une proposition de réunion de la Haute Cour, en réduisant à un mois le délai à l'issue duquel celle-ci doit statuer, et en prévoyant que la réunion de la Haute Cour et la destitution doivent être décidées à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée, et non à la majorité absolue (article 68).

En conséquence, suivant la proposition de son rapporteur, la commission des lois vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle sans modification .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'élection au suffrage universel direct confère au Président de la République une légitimité sans égale au sein de nos institutions. La Constitution lui confie en outre la charge d'assurer, « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État » (article 5).

Il est, selon les mots du général de Gaulle, « l'homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin » 1 ( * ) .

L'exercice de ce rôle éminent ne devant connaître aucune éclipse, le chef de l'État est placé dans une situation singulière au regard de la justice.

Élu par la nation, investi de sa confiance et chargé de la représenter, le Président de la République est supposé observer un comportement vertueux. Il doit cependant être protégé, aussi longtemps qu'il exerce ses fonctions, à l'égard des poursuites qui viseraient à paralyser ou amoindrir l'institution présidentielle.

Cette indispensable protection du Président de la République doit cependant être conciliée avec nos principes fondamentaux. Ainsi, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle punisse, soit qu'elle protège ».

Certes, dans la plupart des démocraties du monde, la fonction présidentielle s'accompagne d'une immunité plus ou moins étendue. Mais celle-ci ne saurait pour autant faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du chef de l'État dans l'hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction.

Il appartient d'ailleurs à la Constitution de définir les règles applicables aux poursuites pénales dirigées contre les plus hautes autorités de l'État. Ainsi, le titre IX de la Constitution du 4 octobre 1958, qui ne traite plus que du statut pénal du chef de l'Etat depuis que le régime de responsabilité des membres du Gouvernement a été inscrit au titre X 2 ( * ) , dispose que « le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison » (article 68, premier alinéa).

Dans leurs décisions respectives du 22 janvier 1999 et du 10 octobre 2001, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont exclu toute poursuite ou acte d'instruction à l'égard du chef de l'État pendant la durée de son mandat 3 ( * ) .

Ces deux juridictions font cependant des interprétations divergentes de l'article 68 de la Constitution, le Conseil constitutionnel estimant que la compétence de la Haute Cour de justice est générale, en vertu d'un privilège de juridiction, alors que pour la Cour de cassation, cette compétence est limitée au cas de haute trahison. La Cour de cassation a cependant conclu à l'inviolabilité temporaire du Président de la République, précisant qu'en contrepartie de l'interdiction des poursuites pendant la durée de son mandat, les délais de prescription étaient suspendus.

Si les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation établissent que le Président de la République n'est pas un justiciable comme les autres, elles mettent également en évidence les ambiguïtés d'un statut pénal largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946. Par ailleurs, le régime de responsabilité du chef de l'État est demeuré inchangé depuis 1958, alors que la fonction présidentielle s'est affirmée, notamment en raison de l'élection au suffrage universel 4 ( * ) .

Afin de préciser et de moderniser le statut pénal du chef de l'État, M. Jacques Chirac, Président de la République, a décidé en juillet 2002 la constitution d'une mission de réflexion, dont la présidence a été confiée à M. le professeur Pierre Avril. Cette commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'État a remis le 12 décembre 2002 un rapport préconisant une modification du titre IX de la Constitution.

Le projet de loi constitutionnelle déposé à l'Assemblée nationale le 3 juillet 2003 reprend les propositions de la commission de réflexion, en maintenant le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions et en le protégeant de tout acte d'instruction ou de poursuite pendant la durée de son mandat. Il définit par ailleurs une nouvelle procédure de destitution du chef de l'État par l'ensemble du Parlement, en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions.

L'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution le 16 janvier 2007, approuvant le nouveau régime de protection de l'institution présidentielle et la procédure de destitution, tout en précisant les conditions de mise en oeuvre de cette dernière.

Le présent rapport décrit tout d'abord la genèse du statut pénal du chef de l'État défini par le pouvoir constituant en 1958, avant d'en étudier les ambiguïtés et les insuffisances. Il analyse ensuite le dispositif du projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis, afin d'en apprécier la pertinence au regard de la nécessaire conciliation entre les principes de protection et de responsabilité.

Le statut pénal du Président de la République doit en effet nécessairement conjuguer une protection adaptée au rôle du chef de l'État dans nos institutions et le respect des exigences démocratiques, au premier rang desquelles figure la possibilité, pour le peuple, de mettre fin au mandat d'un président qui porterait lui-même atteinte à la dignité de sa fonction.

*

* *

I. LES INCERTITUDES ET INSUFFISANCES D'UN STATUT PÉNAL INADAPTÉ À LA PLACE DU CHEF DE L'ÉTAT DANS NOS INSTITUTIONS

A. L'INADÉQUATION ENTRE LE STATUT ACTUEL ET LE RÔLE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DANS NOS INSTITUTIONS

1. Un statut pénal hérité des Républiques précédentes

Les articles 67 et 68 de la Constitution reprennent, quasiment mot pour mot, les dispositions en vigueur sous les IIIème et IVème républiques. Remontant à une époque où la place institutionnelle du Président de la République était relativement effacée, le régime de responsabilité défini en 1958 ne paraît plus adapté au regard de l'évolution de la fonction présidentielle.

a) Le principe d'irresponsabilité pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions

Le second alinéa de l'article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics disposait que « le Président de la République n'est responsable qu'en cas de haute trahison ». L'article 42 de la Constitution du 27 octobre 1946 reprenait une formulation presque identique : « le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison ».

La possibilité de mettre en accusation le chef de l'Etat et de le juger pour haute trahison est définie à partir de la IIIème République comme unique exception au principe d'irresponsabilité présidentielle. Ainsi, l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports entre les pouvoirs publics organise une procédure inspirée de l' impeachment des ministres en Grande-Bretagne et du Président des Etats-Unis, prévoyant une mise en accusation par les députés et un jugement par les sénateurs constitués en Cour de justice.

L'article 42 de la Constitution de 1946 maintient la mise en accusation du Président de la République par les députés et prévoit qu'il est jugé par une Haute Cour de justice élue par l'Assemblée nationale 5 ( * ) . Le rétablissement d'un bicamérisme équilibré en 1958 aboutit à la réintroduction du Sénat dans la procédure de mise en accusation et de jugement du Président de la République.

Les dispositions constitutionnelles relatives au statut pénal
du Président de la République sous les IIIème et IVème Républiques

? Sous la IIIème République

- Loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics

« Article 6. - Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels.

« - Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. »

- Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics

« Article 12. - Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat.

« - Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat.

« - Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'Etat.

« - Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi.

« - Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement. »

? Sous la IVème République

Constitution du 27 octobre 1946

« Article 42. - Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.

« Il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice dans les conditions prévues à l'article 57 ci-dessous.

« Article 57. - Les ministres peuvent être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyés devant la Haute Cour de justice.

« L'Assemblée nationale statue au scrutin secret et à la majorité absolue des membres la composant, à l'exception de ceux qui seraient appelés à participer à la poursuite, à l'instruction et au jugement.

« Article 58. - La Haute Cour est élue par l'Assemblée nationale au début de chaque législature.

« Article 59. - L'organisation de la Haute Cour de justice et la procédure suivie sont déterminées par une loi spéciale. »

L'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 a précisé que cette responsabilité limitée au cas de haute trahison concernait « les actes accomplis dans l'exercice de ces fonctions », faisant ainsi de l'exercice des fonctions la condition de l'immunité.

Comme le rappelle la commission Avril, « depuis 1875, la responsabilité politique du chef de l'Etat ne peut être mise en cause devant les assemblées parlementaires à raison des actes qu'il accomplit en cette qualité : c'est le Gouvernement qui endosse la responsabilité politique à travers la règle traditionnelle du contreseing » 6 ( * ) .

Or, sous la Vème République, la règle du contreseing ministériel pour les actes du Président de la République ne présente plus un caractère systématique.

En effet, l'article 19 de la Constitution de 1958 en dispense la nomination du Premier ministre, la dissolution de l'Assemblée nationale, la décision d'organiser un référendum, la mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels de l'article 16, les messages au Parlement, les nominations au Conseil constitutionnel et la saisine de ce dernier.

L'article 16 prévoit d'ailleurs que le Parlement se réunit de plein droit, ce qui peut lui permettre de sanctionner le Président de la République en le renvoyant devant la Haute Cour de justice pour haute trahison.

b) Le régime de responsabilité pour les actes étrangers à la fonction

Sous la IIIème République, le privilège de juridiction du Président avait une portée générale, intégrant les actes étrangers à la fonction, qu'ils soient antérieurs au mandat ou sans rapport avec lui. L'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 disposait en effet que « le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat », sans préciser, à la différence du régime de responsabilité des ministres, que cette procédure s'appliquait pour crimes commis dans l'exercice des fonctions.

La Constitution de 1946 est revenue sur ce privilège de juridiction , la mise en accusation devant la Haute Cour de justice ne concernant que le cas de haute trahison (art. 42). Les actes du Président de la République étrangers à sa fonction relevaient donc des juridictions de droit commun.

Reprenant la rédaction de 1946, l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 a cependant repris, pour la seconde phrase, le principe restrictif adopté en 1875, autorisant deux interprétations opposées, déterminées par la lecture « à la suite » ou « séparée » des deux dispositions :

« Article 68.- Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice . »

Si l'on considère que les deux phrases de cet article forment un tout indissociable, alors, pour les actes accomplis hors l'exercice de ses fonctions, parce qu'ils sont antérieurs ou extérieurs, le Président de la République est soumis au droit commun.

Ainsi, la lecture « à la suite » des deux phrases de l'article 68, généralement retenue par la doctrine, conduit à considérer que la Haute Cour de justice n'était compétente qu'en cas de haute trahison. Cette interprétation correspond en outre à ce qui ressort des travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958.

En effet, la première version de cet article, issue de l'avant-projet rédigé par Michel Debré en juin 1958, montre un lien explicite entre le principe et la procédure : « Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. Dans ce cas, il est mis en accusation [...] et renvoyé devant la Haute Cour de justice » 7 ( * ) .

Certes, les mots « Dans ce cas » ont ensuite été supprimés pour éviter une répétition avec les termes « dans le cas de haute trahison » ; mais le lien entre la règle de fond et la règle de procédure pouvait également être observé dans les dispositions du second alinéa de l'article 68 de la Constitution relatives aux ministres, avant sa révision du 27 juillet 1993.

Pour autant, la thèse de la liaison entre les deux phrases de l'article 68 ne fait pas l'unanimité, M. Guy Carcassonne estimant en particulier que « chacune des deux phrases peut se suffire à elle-même, poser une règle distincte, la première qui exclut que le chef de l'Etat puisse être poursuivi, à propos des actes de sa fonction, pour autre chose qu'une haute trahison ; la suivante qui exclut, par ailleurs, qu'il puisse être mis en accusation par quiconque d'autre que les deux assemblées » 8 ( * ) .

Dès lors, si l'on fait des deux phrases une lecture disjointe, la responsabilité pénale du chef de l'Etat ne peut être mise en cause, y compris pour les actes étrangers à l'exercice de son mandat, que devant la Haute Cour de justice.

Cette ambiguïté, longtemps évoquée par la doctrine, est soulignée par les jurisprudences divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation en 1999 et en 2001 9 ( * ) .

2. L'évolution du rôle du Président de la République et la nécessaire définition d'un mécanisme de responsabilité politique

Le rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République relève que celui-ci se distingue, sous la Vème République, par son rôle éminent « en particulier en matière de politique étrangère et de défense ». Elle juge à cet égard significatif « qu'il soit le seul chef d'Etat à participer régulièrement aux sommets européens » précisant qu' « au demeurant, les chefs de gouvernement participant à ceux-ci sont généralement protégés par les immunités attachées au mandat parlementaire, qu'ils conservent le plus souvent ».

Ainsi, l'étendue des pouvoirs exercés par le Président sous la Vème République a rendu obsolète un statut pénal remontant pour l'essentiel au XIXème siècle. Le professeur Avril souligne d'ailleurs que ce statut « avait été conçu pour un Président de la République exerçant une magistrature protocolaire, une sorte de « grand notaire » de la vie publique, bref, un président qui « inaugure les chrysanthèmes »... Ce qui n'est pas précisément la mission du Président de la Vème République ! » 10 ( * ) .

L'effacement de la fonction présidentielle après la crise du 16 mai 1877 conduisait à négliger la question du statut pénal du Président de la République 11 ( * ) , qualifié de « manchot constitutionnel » par Raymond Poincaré 12 ( * ) .

Héritée de la monarchie, l'irresponsabilité paraît accompagner, sous la IIIème République, l'affaiblissement du rôle institutionnel du chef de l'Etat. Georges Vedel résumait ainsi cette dialectique : « irresponsabilité et effacement se prêtent un appui mutuel : on n'a d'autorité que dans la mesure où on en assume la responsabilité, on n'est responsable que dans la mesure où on détient une autorité » 13 ( * ) .

Or, la Constitution du 4 octobre 1958 donne une place éminente au Président de la République, qui est le premier cité dans l'énumération de nos institutions politiques (titre II, articles 5 à 19). Qui plus est, son autorité politique a été renforcée par son élection au suffrage universel direct, instaurée par la loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 novembre 1962 14 ( * ) (art. 6 et 7 de la Constitution).

L'évolution du rôle présidentiel a ensuite été confirmée par la réduction de la durée du mandat du Président de la République de 7 à 5 ans, adoptée par référendum le 24 septembre 2000 15 ( * ) . L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif au quinquennat indiquait d'ailleurs que le septennat n'apparaissait « plus correspondre aujourd'hui à l'importance prise par la fonction » 16 ( * ) .

Pourtant, l'affirmation du rôle et du poids politique du chef de l'Etat n'a pas entraîné de modification de son régime de responsabilité . En effet, la Constitution ne définit aujourd'hui aucune procédure permettant de contraindre le Président de la République à démissionner pour des motifs politiques.

Certes, on peut relever, comme le souligne M. Thierry Ablard, « l'existence de certains mécanismes -aléatoires et sans fondements juridiques au demeurant- de mise en oeuvre de la responsabilité politique du Président de la République » 17 ( * ) .

Le premier de ces mécanismes, utilisé par le général de Gaulle et abandonné par ses successeurs, consiste à utiliser le référendum en liant la poursuite de son mandat à l'issue de la consultation 18 ( * ) . Le second mode de mise en jeu « empirique » de la responsabilité politique du Président réside dans les élections nationales. La pratique de la cohabitation en 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002 a cependant maintenu ce mécanisme à l'état d'hypothèse.

Dès lors, le dispositif défini au titre IX de la Constitution apparaît désuet et inadapté au rôle institutionnel du Président de la République . Au-delà des incertitudes marquées par la jurisprudence, quant à la responsabilité pénale du chef de l'Etat, une modernisation s'impose afin d'organiser un recours dans l'éventualité où le comportement du Président paraîtrait indigne de sa fonction.

B. LES INSUFFISANCES DU TEXTE CONSTITUTIONNEL

1. L'ambiguïté et la connotation pénale de la haute trahison

L'article 68 de la Constitution ne prévoit qu'une exception à l'immunité du Président de la République pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions : le cas de haute trahison.

Il s'agit d'une notion ancienne et récurrente dans le droit constitutionnel français, puisqu'elle figure au sein de la Constitution de l'an III, des Chartes de 1814 et 1830, de la Constitution du 4 novembre 1848, de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 et de la Constitution de 1946. La référence à la haute trahison a cependant évolué au cours du temps, donnant à cette expression un caractère plus ou moins indéfini.

Ainsi, les articles 106 et 107 de la Constitution du 22 août 1795 disposent que « les administrateurs de départements » ou les citoyens qui retarderaient ou feraient obstacle à la réunion des assemblées primaires chargées de désigner les électeurs du corps législatif se rendraient coupables de « haute trahison et d'attentat contre la sûreté de la République ». La haute trahison correspond alors à une atteinte au fonctionnement régulier du pouvoir législatif, alors que les Chartes de 1815 et 1830 n'en apportent aucune définition.

L'article 68 de la Constitution du 4 novembre 1848 explicite davantage le contenu de la notion, en précisant que « toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison ».

En revanche, les IIIème et IVème républiques font de la haute trahison le seul cas dans lequel le Président de la République est responsable, sans pour autant la définir.

Léon Duguit, rappelant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée », estime que l'indétermination des éléments constitutifs du crime de haute trahison empêche tout jugement du chef de l'Etat : « on se demande si dans l'état actuel de notre législation, le Président de la République pourrait être mis en accusation par la chambre et condamné pour haute trahison par le Sénat, pouvant apprécier souverainement les faits constitutifs du crime de haute trahison. En vertu du principe formulé précédemment [...], je réponds sans hésiter que cette mise en accusation et cette condamnation sont absolument impossibles tant qu'il n'y aura pas une loi déterminant les éléments constitutifs du crime de haute trahison et fixant la peine 19 ( * ) ».

Cette imprécision demeure dans la Constitution du 4 octobre 1958, qui fait également échapper la haute trahison au principe de légalité des délits et des peines : « nullum crimen, nulla poena sine lege » .

En effet, dans sa version antérieure à la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 20 ( * ) , l'article 68, second alinéa, disposait que dans le cadre de la procédure relative à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, la Haute Cour de justice était « liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis. »

A l'inverse, le premier alinéa de l'article 68, relatif à la responsabilité du Président du République, n'apporte aucune indication quant à la qualification légale de la haute trahison. Cette imprécision est confirmée par l'article 18 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice, qui dispose que « la résolution des deux assemblées votée dans les conditions prévues à l'article 68 de la Constitution et portant mise en accusation du Président de la République devant la Haute Cour contient l'énoncé sommaire des faits qui lui sont reprochés ».

De même, l'article 25, premier alinéa, de l'ordonnance, dispose que « la commission d'instruction rend une décision de renvoi qui apprécie s'il y a preuve suffisante de l'existence des faits énoncés dans la résolution de mise en accusation, mais non la qualification de ces faits ».

Il revient par conséquent à la Haute Cour de justice d'apprécier souverainement les faits constitutifs d'une haute trahison . Aussi, la doctrine s'est-elle beaucoup interrogée sur la nature de la haute trahison. Dans son Précis de droit constitutionnel , Maurice Hauriou considère que « la haute trahison est un crime essentiellement politique ; en fait, ce qui est visé, c'est la tentative de coup d'Etat, c'est-à-dire la haute trahison vis-à-vis des institutions constitutionnelles, bien plutôt que la trahison au point de vue patriotique » 21 ( * ) .

Pour Maurice Duverger, il s'agit d'« un crime politique consistant à abuser de sa fonction pour une action contraire à la Constitution ou aux intérêts supérieurs du pays » 22 ( * ) . Georges Vedel estimait quant à lui que la haute trahison était « un manquement d'ordre politique aux obligations de la fonction : c'est une violation grave des devoirs de la charge. [...] La haute trahison est donc une notion d'ordre politique non légalement définie. Elle peut d'ailleurs (mais non pas toujours) se doubler d'infractions pénales légalement définies » 23 ( * ) .

Ne satisfaisant pas au principe de légalité des délits et des peines , la notion de haute trahison serait, de l'avis de nombreux constitutionnalistes, incompatible avec les exigences de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à un procès équitable 24 ( * ) . Ainsi, pour Dominique Chagnollaud, n'étant pas définie, la haute trahison « absorbe donc tous les crimes et délits prévus par le code pénal ».

En définitive, alors qu'il conviendrait de mieux définir la responsabilité politique du Président de la République, l'expression de « haute trahison » conserve une connotation pénale excessive . Pour la commission Avril, elle est « soit trop restrictive, soit trop large. Trop restrictive, en ce sens qu'évidemment, on ne peut limiter la mise en cause du Président de la République au cas de trahison au profit d'une puissance étrangère ; trop large, en revanche, si l'on y englobe tout agissement politique pouvant être regardé comme un cas de violation de la Constitution par omission ou par action. Il importe, en effet, de ne pas entamer, de quelque façon que ce soit, le principe d'irresponsabilité du chef de l'Etat pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions [...] afin de préserver son indépendance et sa liberté d'action. » 25 ( * )

Le cas de responsabilité du Président de la République à raison des actes liés à l'exercice de ses fonctions s'inscrivant dans une logique politique et non judiciaire, la connotation pénale de la haute trahison la rend inadaptée.

Si elle n'est pas réductible au crime de trahison défini par le code pénal 26 ( * ) , elle apparaît comme une sorte « d'arme atomique du droit constitutionnel », « trop radicale pour être utilisée, sans pour autant remplir une quelconque fonction de dissuasion aux yeux de l'hôte de l'Elysée » 27 ( * ) .

Lors des débats relatifs à la révision constitutionnelle sur la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, notre regretté collègue Etienne Dailly avait proposé une énumération des faits constitutifs de haute trahison, visant les cas où le Président de la République « trahit sciemment les intérêts de la France au profit d'une puissance étrangère ; lorsqu'il s'abstient sciemment d'accomplir les actes auxquels il est tenu en vertu de la Constitution, lorsqu'il s'arroge un pouvoir qu'il ne tient pas de la Constitution ou lorsqu'il fait un usage anticonstitutionnel des pouvoirs que la Constitution lui confère » 28 ( * ) .

Aussi semble-t-il nécessaire de substituer à la haute trahison un motif clairement et exclusivement politique, faisant référence aux actes ou comportements du chef de l'Etat qui porteraient atteinte à la dignité de sa fonction.

2. La Haute Cour de justice : une instance de jugement inadaptée

Le titre IX de la Constitution définit une procédure de jugement du chef de l'Etat. L'article 68 prévoit en effet d'une part que le Président de la République « ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité des membres les composant » et, d'autre part, qu'« il est jugé par la Haute Cour de justice ».

Ces dispositions soulèvent une double interrogation, quant aux peines que peut prononcer la Haute Cour de justice et quant au caractère juridictionnel de la procédure .

S'agissant des sanctions susceptibles d'être prononcées pour le cas de haute trahison, la question se posait déjà sous la IIIème République, la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 organisant une procédure de nature juridictionnelle (art. 12) 29 ( * ) . Barthélémy et Duez déduisaient de cette imprécision une entière liberté des juges pour déterminer la sanction 30 ( * ) .

Ayant à juger le ministre Malvy, le Sénat constitué en Cour de justice s'estima d'ailleurs compétent pour qualifier les faits reprochés et pour décider en conséquence de la peine qui leur était applicable 31 ( * ) . Ministre de l'intérieur, Malvy fut accusé d'avoir renseigné l'Allemagne sur certains projets militaires et provoqué des mutineries au sein de l'armée française. Le 28 novembre 1917, la Chambre des députés le renvoie devant le Sénat constitué en Cour de justice, pour crime de trahison tel que le définissait le code pénal. Cependant, la Cour de justice condamne, le 6 août 1918, Malvy à cinq ans de bannissement pour avoir, dans l'exercice de ses fonctions, « méconnu, violé et trahi les devoirs de sa charge, dans des conditions le constituant en état de forfaiture ».

Sous la Vème République, la rédaction de l'article 68 antérieure à la révision constitutionnelle de juillet 1993 montre que le constituant a souhaité affirmer la souveraineté de la Haute Cour de justice à cet égard.

La confusion issue du caractère juridictionnel d'une procédure visant en fait à mettre en jeu la responsabilité du chef de l'Etat pour des manquements aux devoirs de sa charge rend indispensable une clarification.

L'article 67 de la Constitution institue une Haute Cour de justice composée de membres élus « en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. La Haute Cour de justice élit son président parmi ses membres. »

La Constitution renvoie à une loi organique la composition, les règles de fonctionnement et la procédure applicable devant la Haute Cour de justice. Ainsi, l'ordonnance n°59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice prévoit que celle-ci se compose de 24 juges titulaires et de 12 juges suppléants, chaque assemblée élisant respectivement la moitié de cet effectif (art. 2). La commission d'instruction est composée de 5 membres titulaires et deux suppléants, désignés chaque année par le bureau de la Cour de cassation parmi les magistrats du siège de cette juridiction (art. 12) 32 ( * ) . Le ministère public est exercé par le procureur général près la Cour de cassation, assisté par le premier avocat général et deux avocats généraux qu'il désigne (art.13). La Haute Cour est par ailleurs dotée d'un greffe, assuré par le greffier en chef de la Cour de cassation (art. 14).

Tout contribue donc à donner à la Haute Cour de justice un caractère juridictionnel, en dépit du contenu essentiellement politique de la seule incrimination dont elle puisse connaître et de l'absence de définition des peines qu'elle pourrait prononcer.

Ainsi, Dominique Chagnollaud estime qu'« étant indéfinie, la haute trahison contrarie le principe de légalité des infractions, tout autant que celui de la légalité des peines, (sauf la destitution) tandis que les arrêts de la Haute Cour -haute trahison ou pas- ne sont pas susceptibles d'appel. Sur tous ces points, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, cette juridiction a déjà vécu » 33 ( * ) .

La commission Avril souligne d'ailleurs que le titre IX de la Constitution organise une « justice politique » et observe que « le rapprochement de ces deux termes évoque la figure de rhétorique qu'on appelle un oxymore ».

Par conséquent, la nécessité d'établir une procédure politique et non judiciaire de mise en cause de la responsabilité du Président de la République rend également indispensable la référence à un organe politique légitime. En effet, il ne s'agit pas de juger une personne, mais d'apprécier une situation politique. Il ne s'agit pas de prononcer une peine mais de mettre fin au mandat que la personne n'est plus en mesure d'exercer en raison des manquements à ses devoirs.

Les immunités politiques

L'immunité est une protection permettant à une personne, en raison d'une qualité officielle (chef d'État, parlementaire...) de ne pas être soumise à l'application du droit commun. L'irresponsabilité et l'inviolabilité constituent deux immunités distinctes .

L'irresponsabilité du chef de l'État est l'immunité de fond en vertu de laquelle celui-ci n'a pas à répondre des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, ni devant le Parlement ou le peuple, ni devant la justice (sauf en cas de haute trahison, et avec un privilège de juridiction, selon le dispositif initial de l'article 68 de la Constitution).

L'inviolabilité est une immunité de procédure, protégeant le titulaire d'une qualité officielle à l'égard des poursuites judiciaires et de toute mesure privative ou restrictive de liberté.

C. LES INCERTITUDES ISSUES DE LA JURISPRUDENCE

1. L'affirmation d'un privilège de juridiction par le Conseil constitutionnel

Saisi en décembre 1998 par le Président de la République et par le Premier ministre, en application de l'article 54 de la Constitution, du traité portant statut de la Cour pénale internationale 34 ( * ) , le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur le régime de responsabilité pénale du chef de l'Etat, dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999.

En effet, aux termes de son article 27 le statut de la Cour pénale, « s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement [...] n'exonère en aucun cas la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». Les immunités attachées aux qualités de chef d'Etat ou de Gouvernement et de parlementaire selon le droit interne n'empêchent donc pas la Cour d'exercer ses compétences.

Aussi, le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que l'article 27 du statut était contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution, respectivement relatifs aux membres du Parlement, au Président de la République et aux membres du Gouvernement.

S'agissant du régime particulier de responsabilité du Président de la République, le juge constitutionnel a estimé que l'article 68 de la Constitution lui donnait, « pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, une immunité ». Il a par ailleurs précisé que pendant la durée de ses fonctions, la responsabilité pénale du chef de l'Etat ne pouvait être « mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article » .

Le Conseil constitutionnel retient par conséquent une interprétation de l'article 68 établissant un privilège de juridiction et de procédure au bénéfice du chef de l'Etat. Cette interprétation procède d'une lecture « séparée » des deux phrases de cet article, distinguant la règle de fond (responsabilité en cas de haute trahison) et la règle de procédure (compétence de la Haute Cour de justice).

Le juge constitutionnel a souhaité affirmer la protection du Président de la République pendant son mandat, contre toute poursuite devant les juridictions pénales ordinaires, en combinant plusieurs principes d'égale valeur constitutionnelle : l'égalité devant la justice, le principe de séparation des pouvoirs, la continuité de l'Etat.

La décision du Conseil constitutionnel diffère de la conception classique du privilège de juridiction du Président de la République, qu'une grande partie de la doctrine concevait, au moins jusqu'en 1999, comme une compétence particulière pour le crime particulier de haute trahison. Ainsi, Jean Foyer, qui fut le garde des sceaux du général de Gaulle et qui prit part à la rédaction de l'article 68, estimait qu'« il est admis unanimement de nos jours que le Président de la République répond pénalement des infractions détachables de sa fonction. Pour le jugement de telles infractions, il ne bénéficie d'aucun privilège de juridiction » 35 ( * ) .

Déjà sous la IIIème République, certains auteurs s'interrogeaient sur les conséquences d'un privilège de juridiction absolu au profit du chef de l'Etat. Barthélémy et Duez évoquaient à cet égard l'hypothèse d'un Président de la République qui tuerait un perdreau « quand seule la chasse à la bécasse est ouverte » : « que 616 députés et 314 sénateurs assemblent leurs efforts pour prononcer une amende de 16 francs avec sursis, c'est évidemment un curieux spectacle juridique. Que la Constitution l'ait voulu, nous avons quelque peine à nous résigner à le croire » 36 ( * ) .

Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles 37 ( * ) , les juges judiciaires se sont estimés incompétents, après la décision du 22 janvier 1999, pour connaître de faits reprochés au Président de la République et même, en raison des sanctions attachées au refus de témoigner, pour le convoquer en qualité de témoin.

La cour d'appel de Paris a ainsi confirmé 38 ( * ) une ordonnance des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris par laquelle ces derniers s'étaient déclarés incompétents pour entendre, en qualité de témoin, le Président de la République, au motif que la responsabilité pénale de ce dernier, selon la décision du Conseil constitutionnel, ne peut être mise en cause, pendant la durée de ses fonctions, que devant la Haute Cour de justice.

Cependant, se prononçant d'abord sur l'étendue de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation fait en 2001 une interprétation divergente des dispositions de l'article 68.

2. La compétence des juridictions ordinaires assortie d'une suspension de la prescription pour la Cour de cassation

Dans une décision du 29 juin 2001, la cour d'appel de Paris a confirmé l'incompétence des juges d'instruction pour procéder à l'audition du chef de l'Etat. A l'occasion de l'examen du pourvoi formé par M. Breisacher contre cette décision, la Cour de cassation, dans son arrêt d'assemblée du 10 octobre 2001, retient une lecture de l'article 68 de la Constitution peu compatible avec celle du Conseil constitutionnel.

Au préalable, la Cour présente son interprétation de l'autorité des décisions du juge constitutionnel. En effet, l'article 62, deuxième alinéa, de la Constitution, dispose que les décisions de ce dernier « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

La Cour estime pour sa part que « ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil ». Aussi juge-t-elle que la décision du 22 janvier 1999 n'a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale, pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour, et qu'il « appartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer si le Président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant elles pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions ».

Après avoir ainsi affirmé sa compétence pour statuer sur la responsabilité du chef de l'Etat, la Cour délivre une interprétation de l'article 68 de la Constitution contredisant celle du Conseil constitutionnel.

En effet, elle juge que la Haute Cour de justice n'est compétente « que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions ». En conséquence, pour tous les autres actes, les juridictions pénales de droit commun sont compétentes. La Cour considère ainsi que les deux phrases de l'article 68 doivent être lues « à la suite ».

La Cour de cassation récuse donc l'idée d'un privilège de juridiction au profit du chef de l'Etat. Cependant, elle précise que les poursuites pour les actes commis en dehors de l'exercice des fonctions « ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ».

Ce régime dérogatoire au droit commun est fondé sur une analyse « rapprochée » de l'article 3 et du titre II de la Constitution. L'article 3 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants [...] », tandis que le titre II, consacré au Président de la République, précise notamment que ce dernier est « élu pour cinq ans au suffrage universel direct » (art. 6) et « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat » (art. 5).

Se référant à ces dispositions, qui donnent au Président de la République une place éminente dans nos institutions, la Cour de cassation juge qu'il ne peut « pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ». Elle précise en outre qu'il n'est pas soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin, définie à l'article 101 du code de procédure pénale, car cette obligation est assortie d'une mesure de contrainte par la force publique (art. 109 du même code) et peut faire l'objet de sanctions pénales.

Ayant ainsi conclu à l'inviolabilité du chef de l'Etat pendant la durée de son mandat pour les actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, il était logique et nécessaire que la Cour établisse en contrepartie la suspension des délais de prescription.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis, reprenant la solution définie par la Cour de cassation, cherche à concilier la protection de la fonction présidentielle et la possibilité pour la représentation nationale de mettre fin au mandat du Président s'il commet un manquement manifestement incompatible avec ce dernier.

II. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE : UN ÉQUILIBRE ENTRE PROTECTION DE LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE ET RESPONSABILITÉ POLITIQUE

A. LA NÉCESSAIRE PROTECTION DE LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE ET LE RESPECT DES EXIGENCES DÉMOCRATIQUES

1. Une protection établie dans l'ensemble des pays démocratiques

Le rapport Avril relève « qu'aucun État ne fait exception à un principe de protection fonctionnelle du chef de l'État à l'égard de la plupart sinon de toutes les procédures juridictionnelles pendant son mandat ».

A l'exception des monarchies où, conformément au principe selon lequel « le roi ne peut mal faire » (« The king can do no wrong »), le chef de l'État bénéficie d'une immunité absolue, la protection est généralement définie en fonction d'un lien matériel ou chronologique avec l'exercice du mandat.

Les actes liés à l'exercice des fonctions

Aussi le chef de l'État n'est-il responsable, dans les démocraties européennes, que de certains actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Il est d'ailleurs rare que les textes constitutionnels définissent précisément les actes dont celui-ci pourrait avoir à répondre. Comme le montre le tableau ci-après, le lien avec les fonctions entraîne le plus souvent une mise en jeu de la responsabilité politique, se traduisant par la destitution du chef de l'État.

Il revient à un organe dont la composition ou le mode de saisine a un caractère politique de statuer sur la responsabilité du chef de l'État. Par ailleurs, selon le rapport Avril, dans tous les Etats, l'initiative appartient aux représentants de la nation dans leur ensemble ou à l'une des chambres et elle est encadrée de façon à éviter que la procédure ne soit enclenchée à des fins partisanes.

Dans la plupart des pays démocratiques, la sanction politique peut s'accompagner de sanctions pénales ou civiles, prononcées soit par l'organe d'exception, soit par le juge de droit commun après la destitution, comme aux Etats-Unis.

L'irresponsabilité du chef de l'État s'étend généralement à la matière civile, dans le silence des textes constitutionnels. La Cour suprême des Etats-Unis a confirmé cette immunité à plusieurs reprises 39 ( * ) .

Immunités constitutionnelles et privilèges de juridiction
dans sept républiques de l'Union européenne

Immunités
de fond

Immunités
de procédure

Privilège de juridiction

Actes

Organe

Procédure

Sanctions

Allemagne

fautes non intentionnelles

vote parlementaire pour autoriser les poursuites

violations délibérées de
la Constitution
ou de la loi

Cour
constitutionnelle fédérale

initiative
et saisine parlementaires

destitution

Autriche

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

vote parlementaire pour autoriser les poursuites

violation de la Constitution ou de la loi pénale

Haute Cour constitutionnelle

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Finlande

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

Haute trahison
ou crime contre l'humanité

Haute Cour de Justice

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Grèce

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

suspension automatique
des poursuites jusqu'à la fin
du mandat

Haute trahison ou violation de la Constitution

Organe ad hoc

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Irlande

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

«mauvaise conduite spécifiée»

Organe ad hoc

initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

Italie

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

non traité par la Constitution

Haute trahison ou attentat contre la Constitution

Organe ad hoc

initiative et saisine parlementaires

destitution et sanctions de droit commun

Portugal

actes accomplis dans l'exercice des fonctions (1)

Suspension automatique des poursuites jusqu'à la fin
du mandat

« Crimes » définis par une loi spéciale

Tribunal suprême de justice

Initiative
et saisine parlementaires

destitution
et sanctions de droit commun

(1) Autres que les actes donnant lieu à mise en cause de la responsabilité dans le cadre du privilège de juridiction

Source : rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République.

Les actes détachables de l'exercice du mandat

Pour les actes non liés à l'exercice de ses fonctions, le chef de l'État est partout soumis à un régime dérogatoire. Dans certains pays, aucune procédure ne peut commencer en cours de mandat sans l'accord du législateur et, dans les autres, les infractions commises hors de l'exercice des fonctions présidentielles ne peuvent être jugées qu'après la fin du mandat 40 ( * ) .

Les Constitutions ne traitent pas de la responsabilité civile du chef de l'État pour des faits privés. Cependant, le rapport Avril souligne que lorsque la question est apparue aux Etats-Unis, l'affaire Paula Jones a « marqué la fragilité de la distinction entre le civil et le pénal lorsqu'est en cause le chef de l'État : il n'a pas été très difficile au procureur Starr, averti des démêlés du président Clinton avec Mlle Jones, et qui enquêtait sur l'affaire «Whitewater», d'obtenir une extension de son champ d'investigations et ainsi de transformer un litige civil en affaire politique nationale ».

En définitive, les immunités accordées aux chefs d'État sont conçues comme des garanties visant à assurer l'exercice de leurs compétences. Cette protection n'est pas personnelle, mais fonctionnelle, et sa portée dépend du rôle constitutionnel du chef de l'État.

La procédure de destitution aux Etats-Unis : l'impeachment

La section 4 de l'article II de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique dispose que « le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption et autres crimes et délits majeurs ». Pour la doctrine, la procédure d' impeachment met en cause la responsabilité « politico-judiciaire » 41 ( * ) du président.

Il appartient à la Chambre des représentants, sur la recommandation de sa commission judiciaire, de mettre en accusation le chef de l'exécutif, à la majorité simple. Le pouvoir de juger le président revient ensuite au Sénat, qui ne peut déclarer l'accusé coupable qu' aux deux tiers des membres présents (art. 1 er , section 3). Le Sénat est alors présidé par le Chief Justice de la Cour suprême, qui remplace le vice-président, afin d'éviter toute mise en cause de l'impartialité du jugement.

Deux présidents ont fait l'objet d'une procédure d'impeachment, Richard Nixon ayant démissionné avant sa mise en oeuvre.

Andrew Johnson, vice-président d'Abraham Lincoln, auquel il succéda en 1865, suscita l'ire du Congrès en révoquant son secrétaire à la défense sans avoir recueilli le consentement du Sénat comme il y était tenu. En février 1868, la Chambre des représentants retint onze chefs d'accusation, à son encontre, lui reprochant notamment d'avoir diffamé le Congrès. Le président fut cependant acquitté, à une voix près, par le Sénat.

Quant à Richard Nixon, il fit l'objet d'une instruction judiciaire et d'une enquête sénatoriale après la découverte de l'installation, par effraction, d'un matériel d'écoute au siège du comité du parti démocrate (le Watergate), pendant la campagne présidentielle de 1972. Face au refus du président de communiquer les documents qui lui étaient demandés, la Chambre des représentants, de majorité démocrate, engagea une procédure d'impeachment, en adoptant trois chefs d'accusation. Le président Nixon présenta cependant sa démission en 1974, avant d'être jugé par le Sénat.

En outre, Richard Nixon ayant tenté d'obtenir le remplacement d'un procureur qu'il considérait hostile à son égard, le Congrès adopta en 1978 une loi prévoyant la nomination d'un procureur indépendant par trois juges fédéraux. Ce procureur ne peut être révoqué qu'en cas de faute grave.

S'agissant de Bill Clinton, le procureur Starr a remis au Congrès en septembre 1998 un rapport concluant à plusieurs chefs d'accusation possibles, « liés à des développements judiciaires prenant leur source indirecte dans le comportement privé du président » 42 ( * ) . Après avoir décidé l'ouverture d'une enquête, la Chambre des représentants vota la mise en accusation du président en décembre 1998, pour parjure et entrave à la justice. Cette accusation était portée par des membres républicains de la commission judiciaire de la Chambre. Ouvert le 7 janvier 1999, le procès s'est achevé le 12 février, le Sénat abandonnant l'accusation devant l'impossibilité de réunir la majorité des deux tiers.

Le « Monicagate », illustrant une mise en cause disproportionnée du chef de l'exécutif fondée sur des aventures extra-conjugales, a conduit certains observateurs à redouter une banalisation de l' impeachment , qui aboutirait à une responsabilité politique du président devant le Congrès et pourrait déstabiliser le régime.

2. Une protection répondant à la logique de nos institutions

La protection du Président de la République se fonde avant tout dans sa qualité de représentant de la nation. Cette protection, attachée à la fonction, doit par conséquent prendre fin avec son mandat. Ce principe fut d'ailleurs établi dès la Constitution du 3 septembre 1791, dont l'article 8 disposait qu'« après l'abdication expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication ».

L'immunité des représentants de la nation a d'ailleurs été constamment réaffirmée par toutes les constitutions de notre pays, à l'exception du Second Empire. M. Guy Carcassonne rappelle ainsi que « la théorie de la représentation, qui est l'un des fondements mêmes de la démocratie, a toujours considéré que les représentants de la souveraineté, qu'elle soit nationale ou populaire peu importe, devaient pouvoir se mouvoir à l'abri des pressions, ne pouvaient pas, dès lors qu'ils avaient acquis leurs mandats légalement, en être privés par quiconque d'autre que d'autres représentants » 43 ( * ) .

Cette protection paraît d'autant plus indispensable sous la Vème République qui fait du chef de l'État, élu de l'ensemble de la nation, le garant de la continuité de l'État , de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, le chef des armées et le charge de promulguer les lois dans un délai limité (art. 5, 10 et 15 de la Constitution).

Dès lors, le Président de la République ne saurait faire l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire entravant ses déplacements ou d'une convocation par un juge d'instruction le jour d'une conférence internationale.

Or, dans un contexte de pénalisation de la vie publique, des plaintes pourraient viser à déstabiliser le chef de l'État. En faire un justiciable de droit commun serait ouvrir la voie à un harcèlement contentieux et à sa médiatisation, qui auraient pour effet de perturber la fonction présidentielle et, par conséquent, la vie institutionnelle du pays .

Alors que l'article 26 de la Constitution organise une protection particulière des parlementaires à l'égard des procédures de droit commun en matière criminelle et correctionnelle, on ne saurait accorder au Président de la République une protection inférieure.

En outre, l'indépendance nécessaire à l'exercice du mandat présidentiel et la séparation des pouvoirs exigent que le chef de l'État ne puisse être mis en cause par les tribunaux. La mise en cause du Président de la République devant une juridiction présenterait également une difficulté en raison de son rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et de président du Conseil supérieur de la magistrature (art. 64 et 65 de la constitution).

Enfin, la Constitution plaçant la continuité de l'État au coeur de son mandat, il peut sembler difficile de faire une distinction, parmi les actes du Président de la République, entre ceux qui relèvent de sa fonction et ceux qui n'en relèvent pas. Comme l'explique M. Guy Carcassonne, « la frontière entre les actes accomplis dans l'exercice des fonctions et les autres est à peu près impossible à tracer. On n'est pas Président de la République à éclipse, et le principe de continuité de l'État suppose l'égale continuité de son chef » 44 ( * ) .

Il est par conséquent dans la logique de nos institutions d'accorder au Président de la République une protection complète pendant la durée de son mandat.

B. UNE PROTECTION À LA MESURE DE LA PLACE DU CHEF DE L'ÉTAT SOUS LA VÈME RÉPUBLIQUE (ARTICLE 67)

Dans la rédaction retenue par le projet de loi constitutionnelle, l'article 67 définit la protection dont bénéficie le chef de l'Etat. Cette protection repose sur l'irresponsabilité et l'inviolabilité. Aux termes du dispositif proposé :

- s'agissant des actes accomplis en qualité de Président de la République , le chef de l'Etat bénéficie de l' irresponsabilité : il n'a à en répondre ni pendant, ni après son mandat sous deux réserves (premier alinéa) ;

- s'agissant des actes détachables du mandat -commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci- le Président bénéficie de l' inviolabilité : il ne peut être l'objet d'aucune action devant quelque juridiction ou administration que ce soit pendant la durée du mandat . En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le chef de l'Etat relève alors du droit commun (deuxième et troisième alinéas).

Le tableau présenté ci-dessous permet de mettre en évidence les spécificités du régime des immunités présidentielles proposé par le projet de loi constitutionnelle au regard du droit en vigueur mais aussi des immunités dont bénéficient les parlementaires et les membres du Gouvernement.

Le régime des immunités sous la Vème République

Type d'immunités

Parlementaires (art. 26)

Membres du Gouvernement

(art. 68-1et 68-2)

Président
de la République (art. 67 et 68 en l'état du droit)

Président
de la République
(art. 67 et 68 dans
la rédaction proposée
par le projet de loi constitutionnelle)

Irresponsabilité

Irresponsabilité pénale pour les opinions ou votes émis dans l'exercice des fonctions

Pas d'irresponsabilité

Irresponsabilité
pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions sauf en cas de haute trahison

Irresponsabilité
pour les actes accomplis en qualité de Président de la République sous réserve de la compétence de Cour pénale internationale (art. 53-2 de la Constitution) et du manquement aux devoirs de la fonction manifestement incompatible avec l'exercice des fonctions

Inviolabilité

(immunité de procédure : protection contre les actions en justice concernant des actes pour lesquels la personne est reconnue responsable)

Impossibilité d'arrêter, de placer en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire sauf autorisation du bureau de l'assemblée concernée. Cette immunité ne vaut pas en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive

Pas d'inviolabilité

Inviolabilité :

- pour le Conseil constitutionnel : pas d'inviolabilité mais un privilège de juridiction ;

- pour la Cour de cassation : pas de privilège de juridiction mais impossibilité de mettre en mouvement l'action publique pendant la durée du mandat.

Inviolabilité
pour tous les actes détachables de l'exercice du mandat : impossibilité d'engager quelque action que se soit contre le Président de la République pendant la durée du mandat.

Privilège de juridiction

Pas de privilège
de juridiction

Compétence de la Cour de justice de la République pour les crimes ou délits commis dans l'exercice de leur fonction

Pour le Conseil constitutionnel : compétence de la Haute cour de justice pour tous les actes pour lesquels le chef de l'Etat peut être reconnu responsable

Haute Cour
pour les manquements
aux devoirs de la fonction manifestement incompatibles avec l'exercice du mandat

Le régime des immunités proposé par la révision constitutionnelle est proportionné aux exigences du mandat. Il est donc logique que le Président de la République bénéficie d'une protection très complète, à la mesure de la place éminente qu'il occupe dans nos institutions.

1. L'irresponsabilité pour les actes accomplis en qualité de chef de l'Etat

Le premier alinéa du texte proposé pour l'article 67 définit un principe d'irresponsabilité pour les actes commis en qualité de Président de la République assorti d'une double exception visant, d'une part, la mise en cause du chef de l'Etat devant la Cour pénale internationale (art. 53-2 de la Constitution) et, d'autre part, la procédure de destitution en cas de manquement du chef de l'Etat à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat telle qu'elle est prévue par l'article 67.

L'irresponsabilité pour les actes accomplis par le Président de la République en cette qualité

L'irresponsabilité du chef de l'Etat pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions est un principe constamment réaffirmé par nos constitutions républicaines. Le texte proposé pour le premier alinéa de l'article 67 lève l'ambiguïté de la rédaction actuelle, qui prévoit l'irresponsabilité pour les actes accomplis « dans » l'exercice des fonctions. Le choix de cette formulation a pu laisser entendre que l'irresponsabilité couvrait tous les actes commis pendant l'exercice du mandat. Le projet de loi constitutionnelle précise que le principe d'irresponsabilité vaut pour les seuls actes commis en qualité de chef de l'Etat. Lorsqu'il agit en tant que personne privée, celui-ci n'est donc pas couvert par l'irresponsabilité.

Il n'existe pas, pour le Président de la République, de jurisprudence particulière permettant de faire le partage entre les actes du chef de l'Etat agissant au titre de ses fonctions ou comme personne privée. Cependant, la Cour de cassation 45 ( * ) , appelée à se prononcer sur la responsabilité des membres du Gouvernement -qui relèvent de la Cour de justice de la République pour les « actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions »- a défini ces actes comme « ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'Etat (à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux) ».

Selon le projet de loi constitutionnelle, pour les actes ainsi entendus et sous réserve des deux exceptions examinées plus loin, l'irresponsabilité présente un caractère absolu et permanent. Absolu car cette irresponsabilité vaut, comme l'a rappelé la Cour de cassation pour tous les contentieux civil, pénal et administratif ainsi que sur le plan politique. Permanent dans la mesure où aucune action ne peut être engagée au titre des actes accomplis par le chef de l'Etat en cette qualité, non seulement, cela va de soi, au cours du mandat mais aussi à l'expiration de celui-ci. En d'autres termes, l'autorité judiciaire devrait se déclarer incompétente pour connaître de faits non détachables de la fonction présidentielle et cette décision devrait interdire toute nouvelle saisine.

Le principe de l'irresponsabilité pour les actes accomplis au titre du mandat présidentiel connaîtrait néanmoins deux exceptions.

La responsabilité du Président de la République en cas de génocide ou de crime contre l'humanité (article 53-2)

La compétence de la Cour pénale internationale instituée par la convention de Rome du 18 juillet 1998 pour juger les « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » s'applique à tous de manière égale « sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». L'article 27 précise ainsi que la « qualité officielle de chef de l'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un Gouvernement ou d'un Parlement (...) n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut ». Cette disposition, jugée incompatible par le Conseil constitutionnel, par la décision du 22 janvier 1999, avec le régime des immunités, a conduit à réviser la Constitution afin de reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale (art. 53-2 de la Constitution inséré par la loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999).

Celle-ci serait donc compétente si le Président de la République se rendait coupable de génocide ou de crime contre l'humanité ainsi que, si la France lève sa réserve 46 ( * ) , de crimes de guerre et, enfin, lorsqu'il sera défini, de crime d'agression.

Cependant, aux termes de son statut, la Cour pénale internationale exerce une compétence complémentaire des juridictions nationales : elle prévaut lorsqu'il apparaît que l'Etat en cause n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener à bien l'enquête ou les poursuites 47 ( * ) . La compétence de la Cour pénale internationale s'appliquerait selon toute vraisemblance si le Président de la République accusé, dans l'exercice de ses fonctions, de crimes de génocide ou de crimes contre l'humanité, n'était pas destitué par la Haute Cour selon la procédure prévue par le projet de loi constitutionnelle à l'article 68.

La responsabilité du Président de la République pour un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » (article 68)

Telle est la seconde exception à l'irresponsabilité dont le chef de l'Etat bénéficie pour les actes accomplis au titre de son mandat. Ce manquement serait apprécié par le Parlement qui pourrait, constitué en Haute Cour, décider la destitution du chef de l'Etat dans certaines conditions (voir commentaire de l'article 68).

2. L'inviolabilité du chef de l'Etat pour les actes non rattachables

Les deuxième et dernier alinéas de cet article définissent le régime de l'inviolabilité du Président de la République. A ce jour, seule l'inviolabilité parlementaire est définie dans la Constitution : prévue par l'article 26, elle interdit d'arrêter les parlementaires ou de les placer en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, sauf en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive, sans l'autorisation du bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat. En revanche, depuis la révision constitutionnelle de 1995, les poursuites peuvent être engagées contre un parlementaire sans autorisation préalable. Il s'agit d'une immunité de procédure qui a pour effet d'encadrer les conditions dans lesquelles l'intéressé peut être mis en cause dans le cadre d'une procédure judiciaire pour des faits pour lesquels il est reconnu responsable.

S'agissant du président de la République, l'inviolabilité ne peut donc concerner que les actes détachables de la fonction, soit qu'ils aient été commis avant l'élection , soit qu'ils ne présentent pas de lien avec le mandat . La question de l'inviolabilité du chef de l'Etat n'a pas fait l'objet de dispositions explicites dans la Constitution de la Vème République et cette situation est, on le sait, à l'origine des positions divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Le système proposé par la révision constitutionnelle s'inspire des principes retenus par la Cour de cassation dans son arrêt d'assemblée du 10 octobre 2001 : les faits détachables de l'exercice du mandat relèvent des juridictions de droit commun mais l'action publique est suspendue pendant la durée du mandat présidentiel. Par ailleurs, comme l'a proposé la commission Avril, le champ de l'inviolabilité a été étendu au-delà du domaine pénal pour couvrir tous les contentieux, y compris les contentieux civils et administratifs. L'immunité présente une portée temporaire mais, en contrepartie, elle revêt un caractère absolu.

Une inviolabilité complète

L'immunité concerne en effet toutes les procédures susceptibles de mettre en cause le Président de la République devant les juridictions 48 ( * ) et les autorités administratives.

En premier lieu, le chef de l'Etat ne saurait être tenu de témoigner. Il pourrait cependant, s'il le souhaite, apporter spontanément son témoignage. Ensuite, il ne saurait faire l'objet d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. L' instruction vise à la fois la procédure pénale (phase au cours de laquelle le magistrat instructeur procède aux recherches tendant à identifier l'auteur de l'infraction) et la procédure civile (phase préparatoire du procès civil qui expire en principe lorsque l'affaire est en état d'être jugée). De même, les poursuites couvrent l'ensemble des voies de droit destinées à contraindre -au civil comme au pénal- une personne à exécuter ses obligations ou à se soumettre aux ordres de la loi ou de l'autorité publique. L'information n'a, quant à elle, de sens qu'en matière pénale où elle se confond avec l'instruction préparatoire 49 ( * ) .

L'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur, a adopté un amendement tendant à confirmer que le chef de l'Etat ne pourrait faire l'objet d'une quelconque « action » -c'est-à-dire toute voie de droit ouverte pour la protection judiciaire d'un droit- afin de ne laisser aucun doute sur l'extension de l'inviolabilité devant les juridictions civiles ou les autorités administratives.

Une immunité d'une durée limitée

A l'issue d'un délai d' un mois suivant la cessation des fonctions, les « instances et procédures » rendues impossibles pendant la durée du mandat pourraient être soit engagées si elles avaient été déclarées irrecevables, soit reprises si elles avaient été engagées avant l'élection puis suspendues pendant le mandat.

La notion de « procédures » paraît susceptible de recouvrer celle d'« instances ». L'« instance » désigne la suite des actes et des délais compris dans une procédure engagée devant une juridiction, de la demande en justice jusqu'au jugement -ou tout autre mode d'extinction de l'action. Elle présente une connotation plus civile que pénale, même si le code de procédure pénale ne l'ignore pas (elle est mentionnée par exemple à l'article 2-19 de ce code). Les « procédures », du moins en matière pénale, peuvent débuter avant toute demande -et même en l'absence de demande- notamment lors de l'ouverture d'une enquête de flagrance ou d'une enquête préliminaire par le parquet. Elles englobent les formalités préalables nécessaires pour soumettre une prétention au juge ainsi que les règles d'exécution des décisions.

Le délai d'un mois fixé comme point d'arrêt de l'inviolabilité répond, conformément à la proposition du rapport Avril, à des considérations liées, d'une part, à la dignité de la fonction présidentielle afin d'éviter toute précipitation inopportune, d'autre part, aux intérêts des tiers puisque les délais de prescription ou de forclusion sont également retardés d'un mois.

Pendant toute la durée du mandat, les droits des tiers sont préservés . L'impossibilité de mettre en cause le Président de la République pendant la durée de son mandat conduit en effet logiquement à suspendre les règles de prescription en matière civile comme en matière pénale 49 ( * ) sur le fondement du principe « contra non valentem agere non curit praescriptio » ( la prescription ne court pas contre celui qui ne peut valablement agir ). La jurisprudence de la Cour de cassation a ainsi reconnu comme cause de suspension de l'action publique la demande adressée à l'Assemblée dont il est membre -sous le régime antérieur à la révision constitutionnelle de 1993-tendant à exercer l'action publique à l'égard d'un membre du Parlement auteur d'un crime ou d'un délit non flagrant 50 ( * ) . L'arrêt d'assemblée de la haute juridiction du 10 octobre 2001 a également considéré que le président ne pouvant être mis en examen, cité ou renvoyé devant une juridiction pendant son mandat, la prescription était suspendue pendant cette durée.

Le principe ainsi posé vaut aussi en matière de forclusion : tous les délais légaux, conventionnels, judiciaires dans lesquels les parties lésées doivent accomplir les formalités requises, sont également suspendus.

Bien que ce principe se déduise de l'inviolabilité temporaire du chef de l'Etat, l'Assemblée nationale, a l'initiative de sa commission des lois, a souhaité l'expliciter dans la Constitution en indiquant que « tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ».

*

* *

Le principe d'une immunité en matière pénale ne soulève pas d'objection dans la mesure où, d'une part, des poursuites pénales apparaissent totalement incompatibles avec les missions dévolues au chef de l'Etat sous la V ème République et, d'autre part, les infractions les plus graves pourraient entraîner la destitution du Président au titre d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

En revanche, l'immunité du Président de la République sur le plan civil a suscité un large débat au sein de votre commission.

Plusieurs de ses membres ont douté que la mise en cause du chef de l'Etat dans des procédures civiles puisse compromettre en quelque manière sa capacité à assurer la continuité de l'Etat, dès lors en particulier que ces procédures n'impliquent ni obligation de comparaître, ni mesures restrictives ou privatives de liberté.

Ils ont fait valoir, à l'inverse, que cette immunité affecterait gravement les droits des tiers -une action ne pouvant être engagée qu'à la fin du mandat Présidentiel, soit après plusieurs années, notamment en cas de réélection.

Ces craintes appellent deux séries de réponses.

En premier lieu, comme l'avait d'ailleurs relevé la commission Avril, plusieurs dispositifs sont susceptibles de protéger les droits des tiers lésés indépendamment de la mise en cause du chef de l'Etat en matière civile.

Ainsi que le professeur Guy Carcassonne, membre de la commission Avril, l'a indiqué à votre rapporteur, le système des assurances privées dont la souscription est obligatoire pour tout particulier devrait permettre de couvrir le plus grand nombre de dommages civils susceptibles de survenir 51 ( * ) .

Il est toutefois des préjudices qui ne sont pas couverts par ces assurances.

Tel est le cas, par exemple, d'un licenciement abusif. Il serait très regrettable qu'un ancien salarié du chef de l'Etat ne puisse engager une action contre son employeur et, le cas échéant, obtenir une indemnisation. La commission Avril a proposé à cet égard un dispositif que soutient votre commission : une modification de la loi organique n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel afin de prévoir que « tous les candidats, en même temps qu'ils souscrivent une déclaration de patrimoine et prennent l'engagement d'en souscrire une nouvelle en cas d'élection, prennent aussi l'engagement, dans le même cas, de transférer sans délai à un tiers tous les contrats de travail qu'ils ont pu signer en qualité d'employeur ». Ce dispositif permettrait de traiter, pendant la durée du mandat, les contentieux prud'homaux sans, néanmoins, impliquer directement le chef de l'Etat.

Il resterait cependant certains litiges importants -divorce, succession, pensions...-qui ne pourraient trouver de réponse pendant la durée du mandat présidentiel.

Cette situation n'est pas, à l'évidence, sans inconvénients. Toutefois, ceux-ci sont limités dans le temps puisque les poursuites pourront de nouveau être engagées à la fin du mandat et que les délais de prescription ou de forclusion sont nécessairement suspendus pendant la durée du mandat.

En outre, ils doivent être considérés au regard des inconvénients plus grands encore que présenterait l'absence d'immunité, sur le plan civil, du chef de l'Etat. Le professeur Guy Carcassonne l'a relevé devant votre rapporteur, de nombreux faits susceptibles d'une qualification pénale peuvent en effet faire l'objet de demandes de dommages et intérêts devant le juge civil. Ainsi l'immunité pénale du chef de l'Etat que chacun s'accorde à estimer indispensable pourrait être aisément contournée. Quelle serait la position d'un Président qui, certes, bénéficierait de l'inviolabilité au regard de la justice pénale, mais pourrait subir un véritable harcèlement devant le juge civil, le juge commercial ou le juge administratif ?

Comme l'a souligné Maître Daniel Soulez-Larivière lors de ses échanges avec votre rapporteur, compte tenu du nombre de particuliers susceptibles de vouloir créer des difficultés au Président de la République, le risque de voir celui-ci soumis à des mises en cause de pure opportunité politique apparaît beaucoup plus grand que celui d'un chef d'Etat n'honorant pas ses engagements vis-à-vis des tiers.

Le Président de la République n'est pas un citoyen comme un autre. Sous la Vème République, un homme, seul, élu au suffrage universel direct, est chargé d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'Etat.

La logique des dispositions constitutionnelles et de la pratique institutionnelle conduit à conférer au chef de l'Etat un statut particulier, dérogatoire du droit commun.

Une fois encore, ce n'est pas l'homme qu'il s'agit de protéger mais la fonction. Et l'immunité est d'autant plus complète que les limites en sont marquées dans le temps.

C. UNE NOUVELLE PROCÉDURE DE DESTITUTION POUR PRÉSERVER L'INSTITUTION DES MANQUEMENTS DE CELUI QUI L'INCARNE (ARTICLE 68)

S'il convient de protéger la fonction, il paraît cependant indispensable qu'une procédure permette de sanctionner les atteintes que pourrait porter à l'institution le comportement même du Président de la République.

A cette fin, le rapport Avril a proposé qu'en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions, la représentation nationale puisse mettre fin au mandat du chef de l'Etat. Suivant ces recommandations, le projet de loi constitutionnelle définit, à l'article 68 de la Constitution, une nouvelle procédure de destitution du Président de la République.

L'atteinte à une institution issue du suffrage universel ne pouvant être appréciée que par le représentant du peuple souverain, il revient au Parlement de prendre une telle décision. Constitué en Haute Cour, le Parlement ne se prononce pas sur la nature ou la qualification pénale des manquements commis par le chef de l'État, mais sur la compatibilité de ces manquements avec la fonction. Le Président destitué redevient un citoyen ordinaire et peut alors, si ce manquement constituait par ailleurs une infraction, être poursuivi devant les juridictions de droit commun .

Aussi ne s'agit-il pas pour la Haute Cour de se substituer à la justice afin de juger le chef de l'État, mais de se prononcer sur sa capacité à poursuivre son mandat, compte tenu des manquements qui lui sont reprochés.

La destitution est donc conçue comme « une «soupape de sûreté» qui, dans des cas exceptionnels et graves, préserve la continuité de l'État en mettant fin, par des mécanismes présentant toutes garanties, à une situation devenue intenable » 52 ( * ) .

L'Assemblée nationale a apporté des modifications substantielles à ce dispositif, afin d'assurer qu'il ne puisse être utilisé que pour éviter les atteintes à la fonction présidentielle de la part de son titulaire.

1. Le dispositif initial : une procédure de destitution soumise à une majorité simple et assortie d'un empêchement

Dans sa version initiale, le projet de loi constitutionnelle proposait d'inscrire à l'article 68 de la Constitution une procédure de destitution mise en oeuvre par une majorité des membres des deux assemblées et assortie d'une période d'empêchement de deux mois.

a) Une sanction politique prononcée par la représentation nationale

Le premier alinéa de l'article 68 définit en effet une possibilité de destitution du Président de la République, qui ne pourrait intervenir que dans une seule hypothèse.

La dépénalisation de la procédure

S'agissant des faits susceptibles d'entraîner la destitution, le projet de loi constitutionnelle abandonne en effet la notion de haute trahison, que la commission Avril juge « trop incertaine, voire trompeuse puisqu'elle peut donner à penser qu'elle ne vise que le cas d'intelligence avec une puissance étrangère ».

Seul pourrait donc entraîner la destitution du Président de la République un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Ce manquement n'est pas défini par sa nature ou par sa gravité, mais par son caractère inconciliable avec la poursuite du mandat, c'est-à-dire avec la dignité de la fonction.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Didier Maus a souligné que la formulation retenue visait à marquer sans ambiguïté que la destitution n'avait pas pour objet de mettre en cause la responsabilité pénale du Président de la République.

De nature non juridictionnelle, la procédure de destitution n'est donc pas liée par le principe de légalité des délits et des peines. Elle ne relève pas non plus des règles du procès équitable définies à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En outre, le manquement peut renvoyer au comportement privé du Président de la République, comme à son comportement politique . La destitution permet en conséquence de dépasser, pour l'appréciation du motif de la sanction, la question de son caractère détachable ou non de l'exercice du mandat.

Aussi l'expression retenue peut-elle paraître imprécise. Comme l'explique M. Guy Carcassonne, « elle l'est effectivement, mais parce qu'elle use du seul critère pertinent - l'incompatibilité avec les devoirs de la charge - qui couvre une variété d'hypothèses telle qu'il serait vain de vouloir en dresser la liste a priori. Sa définition, de plus, ne saurait se réduire au champ du code pénal : un président peut très bien avoir, dans le passé, commis une infraction qui n'emporte pas automatiquement la nécessité de le destituer. En sens inverse, cette nécessité peut surgir alors qu'aucun juge pénal ne serait compétent » 53 ( * ) .

La destitution pourrait ainsi, par exemple, être déclenchée parce que le Président de la République a souhaité mettre en oeuvre l'article 16 de la Constitution alors que les conditions n'étaient pas réunies pour ce faire, ou parce qu'il a refusé de promulguer des lois adoptées par le Parlement, ce qui ne constitue pas une infraction pénale. Le chef de l'État pourrait également être destitué après avoir commis un délit ou un crime, que ce soit avant ou après le début de son mandat.

A titre d'illustration, M. Guy Carcassonne évoque l'hypothèse de la découverte que le Président « a été un ignoble tortionnaire en Algérie. Même s'il y a eu toutes les prescriptions que l'on veut, ou toutes les amnisties, il n'en demeure pas moins que cela pourrait provoquer un émoi tel que l'on pourrait considérer que le Président de la République, ne serait-ce que pour avoir caché un élément aussi important de son passé, a perdu le crédit nécessaire à l'exercice normal des devoirs de sa charge » 54 ( * ) .

Toutefois, l'adverbe « manifestement » vise à « souligner que la reconnaissance de cette incompatibilité doit transcender les clivages partisans habituels, s'imposer pratiquement à tous comme une évidence objective et non à quelques-uns comme une appréciation uniquement politique. Bref, il s'agit bien de ménager une issue à une situation exceptionnelle, et à cela seulement » 55 ( * ) . M. Pascal Clément, garde des sceaux, a également insisté devant votre commission sur la nécessité que le manquement à l'origine de la procédure de destitution ait un caractère scandaleux et flagrant 56 ( * ) .

La destitution s'impose logiquement comme la sanction institutionnelle ou politique d'un manquement portant atteinte à la fonction présidentielle. Le projet de loi constitutionnelle rompt par conséquent avec l'ambiguïté du régime initialement défini par la Constitution de 1958, qui laissait la Haute Cour de justice déterminer souverainement la sanction du Président de la République coupable de haute trahison.

Il établit ainsi une nette distinction entre les champs institutionnel et juridictionnel : après avoir sanctionné l'incompatibilité entre un acte ou un comportement et la poursuite du mandat, la destitution rend le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible des juridictions de droit commun .

La destitution serait par ailleurs un cas de vacance de la présidence de la République, entraînant l'organisation d'une élection dans les conditions définies à l'article 7, cinquième alinéa, de la Constitution. Comme l'indique la commission Avril, cette issue « diminue encore l'hypothèse d'une utilisation partisane de la destitution, car celui qui en serait alors injustement frappé pourrait être candidat à sa propre succession ce qui, en cas de réélection, infligerait à ses censeurs un désaveu qui ne resterait peut-être pas sans conséquence pour eux » 57 ( * ) .

Une sanction prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour

La destitution répondant à une logique politique, elle ne peut être prononcée que par un organe suffisamment légitime pour sanctionner le représentant de la nation. Il s'agit en effet de retirer son mandat à celui qui l'a reçu du peuple français.

Aussi le projet de loi constitutionnelle prévoit-il que « la destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ». Cette option apporte une indéniable cohérence au dispositif, en éliminant l'équivoque d'une Haute Cour de justice dont l'organisation et le fonctionnement s'inspiraient d'une juridiction. Siégeant en Haute Cour, les parlementaires ne seront pas des juges politiques, mais des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

La nouvelle dénomination de « Haute Cour » marque cette volonté de clarification et distingue cet organe du Congrès défini à l'article 89 de la Constitution comme la réunion des deux assemblées statuant en matière de révision.

La commission Avril indique « avoir envisagé, par une référence à la IIIe République et au système américain, que la Haute Cour soit le Sénat [...]. Il lui est apparu que la représentation nationale dans son ensemble devait être associée à une procédure qui la concerne tout entière. Comme, en outre, cet organe ne serait appelé qu'à émettre un seul vote, sur la destitution, un nombre élevé de membres ne présente aucun inconvénient. Ainsi s'est imposée la formule consistant à faire statuer le Parlement tout entier » 58 ( * ) .

b) De la proposition de réunion de la Haute Cour à l'empêchement du Président de la République

La procédure de destitution pourra être indifféremment déclenchée par l'Assemblée nationale et par le Sénat.

Le deuxième alinéa de l'article 68 prévoit en effet que « la proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours ».

Les conditions de dépôt et d'inscription à l'ordre du jour de la proposition de réunion de la Haute Cour sont renvoyées à une loi organique (dernier alinéa de l'article 68). Les conditions d'adoption de la proposition sont définies à l'avant-dernier alinéa de l'article 68, qui prévoit qu'elle devra recueillir l'assentiment de la majorité des membres composant l'assemblée concernée, seuls étant recensés les votes favorables.

A la différence du vote de la Haute Cour sur la destitution 59 ( * ) , le vote des assemblées sur la proposition de réunion de la Haute Cour devra faire l'objet, en l'absence d'indication contraire, d'un scrutin public. Il paraît en effet nécessaire que les parlementaires souhaitant provoquer la saisine de la Haute Cour assument publiquement leur responsabilité 60 ( * ) .

Chacune des deux assemblées est ainsi appelée à se prononcer sur la question de la réunion de la Haute Cour avant de statuer, le cas échéant, sur le principe de la destitution. Dès lors, une assemblée qui n'adopterait pas la proposition transmise par l'autre mettrait un terme à la procédure.

En outre, le délai de quinze jours paraît suffisant pour que la seconde assemblée saisie de la proposition de réunion de la Haute Cour apprécie le caractère manifeste du manquement allégué aux devoirs des Présidents de la République. Il est également assez bref pour que la procédure puisse avancer rapidement en cas d'urgence liée à la nature du manquement invoqué et à la situation qu'il a pu faire naître.

Selon le troisième alinéa de l'article 68 prévu par le texte initial, la décision de réunir la Haute Cour -soit l'adoption de la proposition successivement par les deux assemblées- entraînait l'empêchement du Président de la République.

Il reviendrait alors au Président du Sénat et, s'il était à son tour empêché, au Gouvernement, d'exercer provisoirement les fonctions du Président, conformément à l'article 7, quatrième alinéa, de la Constitution.

Aux termes de cet article, l'autorité chargée de l'intérim des fonctions ne peut cependant prendre l'initiative d'un référendum au titre de l'article 11, ni dissoudre l'Assemblée nationale (article 12).

La Constitution ne prévoit actuellement qu'un cas d'empêchement du Président de la République, qu'il appartient au Conseil constitutionnel de constater, voire de déclarer définitif (article 7, quatrième et cinquième alinéas).

L'empêchement résultant de la décision de réunir la Haute Cour devrait prendre fin au plus tard à l'expiration du délai de deux mois dont dispose cette dernière pour statuer. Pour la commission Avril, la décision de réunir la Haute Cour suffit à porter à l'autorité du Président de la République une atteinte telle que l'empêchement paraît nécessaire.

Ainsi, l'intérim se poursuit jusqu'à l'élection d'un nouveau Président de la République, si la destitution est prononcée, ou, si elle rejetée, le titulaire de la fonction recouvre ses pouvoirs.

c) Les règles d'adoption de la destitution : la majorité absolue des membres du Parlement

Le quatrième alinéa de l'article 68 proposé par le projet initial prévoit que le Président de l'Assemblée nationale assure la présidence de la Haute Cour. Cette solution s'impose compte tenu de l'ensemble du dispositif, qui confie au Président du Sénat l'intérim des fonctions présidentielles. Elle est en outre identique à ce que prévoit l'article 89 de la Constitution pour la présidence du Congrès.

La Haute Cour doit statuer sur la destitution dans les deux mois, à bulletins secrets , sa décision étant d'effet immédiat. Ce délai vise à permettre « à l'intéressé de se faire entendre et de se préparer à cela, tout en évitant que se prolonge l'incertitude sur les institutions » 61 ( * ) .

Le vote à bulletins secrets 62 ( * ) paraît en outre adapté à une décision engageant le fonctionnement des institutions et susceptible de mettre un terme au mandat de la seule autorité politique personnelle émanant du corps électoral national.

Le cinquième alinéa de l'article 68 précise que la décision de réunir la Haute Cour comme la décision de destituer le Président de la République sont prises à la majorité des membres composant l'organe concerné. Dans tous les cas, ne seraient recensés que les votes favorables.

Il s'agit d'éviter ainsi la situation où la majorité absolue ne serait pas atteinte, mais où le résultat du vote montrerait des partisans de la réunion de la Haute Cour ou de la destitution plus nombreux que leurs adversaires, en raison d'un nombre élevé d'abstentions. Comme l'indique le rapport de la commission Avril, « dans une telle situation, certes la procédure prendrait aussitôt fin et le chef de l'Etat ne serait pas destitué, mais son autorité serait à ce point entamée qu'il risquerait de ne plus pouvoir l'imposer normalement ».

A cet égard, le projet de loi constitutionnelle prévoit une condition identique à celle prévue à l'article 49, deuxième alinéa, pour l'adoption d'une motion de censure.

Le dernier alinéa de l'article 68 renvoie à une loi organique la définition des conditions d'application de la procédure de destitution. La commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République avance à cet égard plusieurs propositions. Il s'agirait notamment de prévoir dans la loi organique les modalités de dépôt et de discussion d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour et de déterminer la procédure d'examen, de débat et de vote de la proposition de destitution devant cette dernière.

En partie relative au Sénat, cette loi organique devrait par conséquent, conformément à l'article 46, avant-dernier alinéa, de la Constitution, être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale : une destitution sans empêchement préalable et une majorité qualifiée évitant les votes partisans

a) La suppression de la période d'empêchement du Président de la République

Sur la proposition de son rapporteur, M. Philippe Houillon, président de la commission des lois, l'Assemblée nationale a supprimé le troisième alinéa de l'article 68 proposé par le projet de loi constitutionnelle, relatif à l'empêchement du Président de la République dès l'adoption par les deux assemblées de la proposition de réunion de la Haute cour.

L'empêchement pouvait apparaître comme une sanction, préjugeant de la décision finale de la Haute Cour. Il n'en demeure pas moins que l'autorité du Président de la République se trouvera amoindrie dès l'adoption de la proposition de réunion de la Haute Cour par les deux assemblées. L'intérim visait donc à placer en retrait le chef de l'Etat, jusqu'à ce que la Haute Cour se soit prononcée.

Aussi l'amendement adopté par l'Assemblée nationale a-t-il également réduit à un mois le délai à l'issue duquel la Haute Cour doit avoir statué. Ce raccourcissement apparaît comme la contrepartie du maintien en fonction du Président faisant l'objet d'une procédure de destitution.

La procédure de destitution du Président de la République
(article 68 de la Constitution proposé par le projet de loi constitutionnelle)

Texte initial

Texte adopté par l'Assemblée nationale

Proposition de réunion de la Haute Cour adoptée à la majorité des membres
de l'Assemblée nationale ou du Sénat.



Transmise à l'autre assemblée, qui se prononce dans les quinze jours,
à la majorité de ses membres .



Empêchement du Président de la République, dont l'intérim est assuré
par le Président du Sénat.



La Haute Cour statue dans les deux mois à bulletins secrets, à la majorité
des membres
la composant.



Si la destitution est prononcée, le Président redevient un citoyen passible des juridictions ordinaires et une élection présidentielle est organisée, le Président du Sénat assurant l'intérim.
Si la destitution n'est pas adoptée,
le Président de la République empêché retrouve ses fonctions.

Proposition de réunion de la Haute Cour adoptée à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale ou du Sénat.



Transmise à l'autre assemblée, qui se prononce dans les quinze jours, à la majorité
des deux tiers
de ses membres.



Le Président de la République
reste en fonction
.



La Haute Cour statue dans un délai d'un mois à bulletins secrets, à la majorité des deux tiers des membres la composant,
sans délégation de vote.



Si la destitution est prononcée,
le Président redevient un citoyen passible
des juridictions ordinaires
et une élection présidentielle est organisée, le Président
du Sénat assurant l'intérim.
Si la destitution n'est pas adoptée, le Président de la République reste en fonction

b) L'exigence d'une majorité des deux tiers

L'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement et de la commission, un amendement présenté par M. André Vallini et les membres du groupe socialiste, tendant à prévoir que la réunion de la Haute Cour et la destitution doivent être décidées à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée, et non à la majorité absolue.

La commission des lois de l'Assemblée nationale, qui avait adopté un amendement visant à porter cette majorité aux trois cinquièmes des membres, l'a retiré au bénéfice de l'amendement de M. Vallini. La majorité des deux tiers, plus encore que celle des trois cinquièmes, a pour objet d'éviter tout usage partisan de la procédure de destitution.

La majorité absolue initialement prévue par le projet de loi constitutionnelle s'inspire de la procédure définie pour la motion de censure (art. 49, deuxième alinéa, de la Constitution) et de la majorité requise pour le jugement du Président de la République par la Haute Cour de justice (art. 68, premier alinéa, de la Constitution).

Cependant, comme le relève M. Philippe Houillon, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et rapporteur du projet de loi constitutionnelle, la procédure de destitution, qui correspond à « une véritable crise de fonctionnement institutionnel », se distingue de la motion de censure, qui s'inscrit « dans le cadre normal du régime parlementaire » 63 ( * ) . La destitution est en effet une mesure sanctionnant le comportement d'une personne, alors que la censure vise une autorité collégiale, le Gouvernement, et sanctionne sa politique.

En outre, considérant le risque qui pourrait résulter, dans le cadre d'une majorité qualifiée des deux tiers ou des trois cinquièmes, d'une proposition de réunion de la Haute Cour qui atteindrait la majorité absolue sans être adoptée, le rapporteur de l'Assemblée nationale a néanmoins estimé que « seule une majorité qualifiée peut assurer le dépassement des clivages partisans ».

Majorité absolue et majorité des deux tiers au sein de la Haute Cour

Effectif de l'Assemblée nationale 64 ( * )

Effectif du Sénat 2

Effectif de la Haute Cour

Majorité absolue

Majorité des deux tiers

577

En 2004

331

908

455

606

En 2008

341

918

460

612

En 2011

346

923

462

616

La majorité des deux tiers finalement retenue par les députés paraît offrir les garanties nécessaires à la mise en oeuvre d'une procédure dont l'objet ultime est de permettre à la représentation nationale de mettre fin au mandat de l'élu de la nation toute entière. Ce renforcement de la majorité nécessaire au déclenchement de la procédure évitera un détournement à des fins partisanes.

Notre collègue Robert Badinter relevait d'ailleurs dès 2003 que « la seule garantie contre toute utilisation partisane de la procédure de destitution du président serait que l'une et l'autre assemblée puis la Haute Cour elle-même se prononcent à la majorité des deux tiers de leurs membres. Dans ce cas, en effet, la possibilité d'un vote acquis par une majorité partisane disparaîtrait » 65 ( * ) .

Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité interdire toute délégation de vote pour l'ensemble des scrutins prévus par l'article 68.

Il apparaît en effet que la décision de réunir la Haute Cour, comme celle de destituer le chef de l'Etat, supposent, en raison de leur gravité, que ne prennent part au vote que les parlementaires présents.

Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale confortent l'équilibre d'une procédure de destitution conçue comme la contrepartie indispensable d'une protection fonctionnelle très étendue. En toute hypothèse, la destitution du Président de la République conduirait les citoyens à se prononcer. Le Président destitué pourrait alors, sauf obstacle pénal, se représenter, et il reviendrait au peuple d'apprécier l'usage fait par les assemblées de leur pouvoir de destitution.

*

* *

Votre commission vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle sans modification.

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Constitution du 4 octobre 1958

Art. 7 . --  Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier tour de scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un second tour. Seuls peuvent s'y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.

Le scrutin est ouvert sur convocation du Gouvernement.

L'élection du nouveau président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du président en exercice.

En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l'exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement.

En cas de vacance ou lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l'élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l'ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l'empêchement.

Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d'être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l'élection.

Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l'élection.

En cas de décès ou d'empêchement de l'un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels, le Conseil constitutionnel déclare qu'il doit être procédé de nouveau à l'ensemble des opérations électorales ; il en est de même en cas de décès ou d'empêchement de l'un des deux candidats restés en présence en vue du second tour.

Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel est saisi dans les conditions fixées au deuxième alinéa de l'article 61 ci-dessous ou dans celles déterminées pour la présentation d'un candidat par la loi organique prévue à l'article 6 ci-dessus.

Le Conseil constitutionnel peut proroger les délais prévus aux troisième et cinquième alinéas sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision du Conseil constitutionnel. Si l'application des dispositions du présent alinéa a eu pour effet de reporter l'élection à une date postérieure à l'expiration des pouvoirs du président en exercice, celui-ci demeure en fonction jusqu'à la proclamation de son successeur.

Il ne peut être fait application ni des articles 49 et 50 ni de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur.

Art. 53-2 . --  La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998.

ANNEXES

ANNEXE 1 - PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

M. Didier Maus , conseiller d'Etat, président de l'Association française des constitutionnalistes

Professeur Guy Carcassonne , professeur de droit public à l'université Paris-X Nanterre

Maître Daniel Soulez-Larivière , avocat

Pr. Pierre Avril , professeur émérite à l'université Paris-II

Professeur Pierre-Olivier Caille , maître de conférences à l'université de Paris I

Professeur Jacques-Henri Robert , professeur à l'université Paris II, directeur de l'Institut de criminologie

ANNEXE 2 - DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 22 JANVIER 1999

Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999

Traité portant statut de la Cour pénale internationale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 décembre 1998, par le Président de la République et le Premier Ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 doit être précédée d'une révision de la Constitution ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

Vu l'ordonnance No 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18, alinéa 2, 19 et 20 ;

Vu le décret du 2 décembre 1910 portant promulgation de la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, signée à La Haye le 18 octobre 1907 et le règlement annexé concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ;

Vu le décret du 22 août 1928 promulguant le Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925 ;

Vu le décret No 45-2267 du 6 octobre 1945 portant promulgation de l'accord entre le Gouvernement provisoire de la République française et les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, et de l'Union des républiques socialistes soviétiques concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l'axe, signé à Londres le 8 août 1945, ensemble le statut du tribunal militaire international ;

Vu le décret No 46-35 du 4 janvier 1946 portant promulgation de la Charte des Nations Unies contenant le statut de la cour internationale de justice, signée à San-Francisco, le 26 juin 1945 ;

Vu le décret No 50-1449 du 24 novembre 1950 portant publication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée par l'assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 ;

Vu le décret No 52-253 du 28 février 1952 portant publication de la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, de la Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, signées à Genève le 12 août 1949 ;

Vu la loi No 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité ;

Vu la loi No 83-1130 du 23 décembre 1983 autorisant l'adhésion de la République française au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II), adopté à Genève le 8 juin 1977, ensemble le décret No 84-727 du 17 juillet 1984 portant publication de ce protocole ;

Vu la loi No 87-1134 du 31 décembre 1987 autorisant la ratification d'une convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (ensemble les protocoles I et II), conclue à Genève le 10 octobre 1980, ensemble le décret No 88-1021 du 2 novembre 1988 portant publication de cette convention ;

Vu la loi No 90-548 du 2 juillet 1990 autorisant la ratification de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990, ensemble le décret No 90-917 du 8 octobre 1990 portant publication de cette convention ;

Vu la loi No 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ;

Vu la loi No 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant de citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

- SUR LE CONTENU DE L'ENGAGEMENT INTERNATIONAL SOUMIS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

Considérant que le traité, signé à Rome le 18 juillet 1998, porte création de la Cour pénale internationale et en définit le statut ; qu'il précise que cette Cour, de caractère permanent et dotée de la personnalité juridique internationale, peut exercer sa compétence à l'égard des crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale et qui, suivant les termes du préambule du traité, sont de nature à menacer "la paix, la sécurité et le bien-être du monde" ; que le traité indique que la Cour, qui peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs sur le territoire des Etats parties, "est complémentaire des juridictions criminelles nationales" ; qu'il stipule que la Cour "est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l'Assemblée des Etats parties au présent statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci" ; qu'il incombera à l'Assemblée des Etats parties d'adopter, à la majorité des deux tiers de ses membres, le règlement de procédure et de preuve la concernant ;

Considérant que la Cour, qui aura son siège à La Haye, aux Pays-Bas, "Etat hôte", est composée en particulier d'une section préliminaire, d'une section de première instance et d'une section des appels ; que les juges, au nombre de dix-huit au moins, sont élus par l'Assemblée des Etats parties, pour un mandat de neuf ans ; que la section des appels est composée du président et de quatre juges, la section de première instance et la section préliminaire étant, quant à elles, composées de six juges au moins ; que les fonctions judiciaires de la Cour sont exercées dans chaque section par des chambres ; que les juges exercent leurs fonctions en toute indépendance et ne sont pas rééligibles ; qu'ils adoptent, à la majorité absolue, le règlement nécessaire au fonctionnement quotidien de la Cour ;

Considérant que les autres organes de la Cour sont le bureau du procureur et le greffe ; que le bureau du procureur, composé du procureur, qui le dirige, et des procureurs adjoints, "agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour" ; que les procureurs sont élus par l'Assemblée des Etats parties et exercent leurs fonctions pendant neuf ans ; qu'ils ne sont pas rééligibles ; qu'enfin, le greffe, dirigé par un greffier, est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour ;

Considérant qu'un Etat partie ou le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies peut déférer au procureur une situation dans laquelle des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis ; qu'en outre, le procureur peut ouvrir une enquête au vu de renseignements concernant les mêmes crimes si la chambre préliminaire, après examen des éléments justificatifs qu'il a recueillis, lui en donne l'autorisation ;

Considérant que la chambre préliminaire, après ouverture d'une enquête, est seule compétente pour prendre, sur requête du procureur, des mesures restrictives ou privatives de liberté, telles que la délivrance d'un mandat d'arrêt ou d'une citation à comparaître ; que ladite chambre dispose d'un pouvoir général de suivi des enquêtes et poursuites diligentées par le procureur ; que ce pouvoir s'exerce notamment en matière de preuve, s'agissant de recueillir, d'examiner ou de vérifier certains éléments de preuve aux fins d'un procès à la demande du procureur ou à celle de la personne poursuivie ; que, dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour, il appartient à la chambre préliminaire de confirmer éventuellement les charges sur lesquelles le procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement ; qu'elle tient à cette fin une audience, en présence du procureur et de la personne concernée, au cours de laquelle elle s'assure qu'"il existe des preuves suffisantes donnant des raisons sérieuses de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés" ; qu'à défaut de telles preuves, elle peut soit ne pas confirmer lesdites charges, soit demander au procureur une modification des charges ou un supplément d'enquête ;

Considérant que le procès ne commence devant la chambre de première instance qu'après la confirmation des charges ; qu'en cas de verdict de culpabilité, la chambre de première instance fixe la peine à appliquer ; qu'il peut être fait appel de la décision ainsi rendue devant la chambre d'appel qui a les mêmes pouvoirs que la chambre de première instance ; que la chambre d'appel peut annuler ou modifier la décision ou la condamnation ou ordonner un nouveau procès devant une chambre de première instance différente ;

Considérant que les peines d'emprisonnement prononcées par la Cour sont exécutées dans un Etat désigné par celle-ci sur la liste des Etats ayant fait savoir qu'ils sont disposés à recevoir des condamnés ; que, si aucun Etat n'est désigné, la peine est exécutée "dans un établissement pénitentiaire fourni par l'Etat hôte" ; que la Cour contrôle l'exécution des peines d'emprisonnement ;

- SUR LES NORMES DE REFERENCE APPLICABLES :

Considérant que le peuple français a, par le préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement "son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946" ; qu'il ressort, par ailleurs, du préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe de valeur constitutionnelle ;

Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation" ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum" ;

Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se "conforme aux règles du droit public international" et, dans son quinzième alinéa, que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix" ;

Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de "traités ou accords relatifs à l'organisation internationale" ; qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de 1958 : "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie" ;

Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi, la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ;

Considérant, toutefois, qu'au cas où ces engagements contiennent une clause contraire à la Constitution, mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 ;

- SUR LE RESPECT DES DISPOSITIONS DE LA CONSTITUTION RELATIVES A LA RESPONSABILITE PENALE DES TITULAIRES DE CERTAINES QUALITES OFFICIELLES :

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 27 du statut : "Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement... n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine" ; qu'il est ajouté, au 2 de l'article 27, que "les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne" ;

Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article ; qu'en vertu de l'article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement ne peuvent être jugés pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République ; qu'enfin, les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution, bénéficient d'une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième alinéa du même article, ne peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont ils font partie ;

Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution ;

- SUR LE RESPECT DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS APPLICABLES AU DROIT PENAL ET A LA PROCEDURE PENALE :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 5, la Cour pénale internationale a compétence à l'égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et du crime d'agression ; qu'elle ne pourra toutefois exercer effectivement sa compétence à l'égard du crime d'agression que lorsque celui-ci aura été défini par un nouveau traité portant révision du statut, conformément aux articles 121 et 123 ;

Considérant que l'article 6 énumère les actes qui, "commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux", peuvent être retenus sous la qualification pénale de "crime de génocide" ; que l'article 7 précise, quant à lui, les actes qui, "commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque", peuvent être qualifiés pénalement de "crimes contre l'humanité" ; qu'enfin, l'article 8 indique que la Cour a compétence à l'égard des "crimes de guerre" et en dresse la liste ; que figurent en particulier dans celle-ci les crimes qui "s'inscrivent dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle" ;

Considérant qu'aux termes de l'article 29 du statut : "Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas" ; qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ;

Considérant que l'article 66 affirme la présomption d'innocence dont bénéficie toute personne jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie devant la Cour ; qu'il incombe au procureur de prouver la culpabilité de l'accusé ; qu'en application de l'article 67, celui-ci bénéficie de la garantie de "ne pas se voir imposer le renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation" ; que sont en conséquence respectées les exigences qui découlent de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'il résulte de l'article 22 du statut qu'une personne n'est pénalement responsable que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour ; que la définition d'un crime est d'interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie ; que l'article 25 définit les cas de responsabilité pénale individuelle susceptibles de donner lieu à condamnation ; qu'en application de l'article 30, nul n'est pénalement responsable à défaut d'intention et de connaissance accompagnant l'élément matériel du crime ; que, par ailleurs, les articles 31 à 33 énumèrent les motifs d'exonération de la responsabilité pénale pouvant être retenus ; qu'ainsi, le statut fixe précisément le champ d'application des incriminations comme des exonérations de responsabilité pénale et définit les crimes, tant dans leur élément matériel que dans leur élément moral, en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et éviter l'arbitraire ; que sont également de nature à éviter l'arbitraire la motivation, exigée par l'article 74 du statut, de la décision rendue par la chambre de première instance, ainsi que la motivation de l'arrêt de la chambre d'appel prévue par l'article 83 ; que ces stipulations respectent le principe de légalité des délits et des peines qui découle des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'il résulte du 1 de l'article 11 que la Cour n'est compétente qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du statut ; que l'article 24 pose le principe de "non-rétroactivité ratione personae" et celui de l'application immédiate du droit le plus favorable ; qu'il est ainsi satisfait au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 89 du statut, la Cour peut présenter à l'Etat sur le territoire duquel est susceptible de se trouver une personne, quelle que soit sa nationalité, une demande d'arrestation et de remise, et solliciter à cette fin la coopération de cet Etat ; que, lorsqu'elle présente une telle demande, la Cour se trouve dans l'exercice de ses compétences telles que définies par les articles 5 à 13 du statut, s'agissant de situations qui ont été déférées au procureur ou pour lesquelles le procureur a ouvert une enquête de sa propre initiative ; que la demande d'arrestation et de remise vise soit une personne qui a déjà été reconnue coupable par la Cour, soit une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt délivré par la chambre préliminaire et dont, aux termes de l'article 58, il y a de "bonnes raisons de croire" qu'elle "a commis un crime relevant de la compétence de la Cour", son arrestation étant justifiée par l'un des motifs énoncés au b) du 1 de l'article 58 ; qu'eu égard à la finalité de la remise et aux garanties de procédure mises en oeuvre par la Cour, il n'est porté atteinte à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 59, il est procédé, conformément à la législation de l'Etat qui reçoit la demande, à l'arrestation provisoire ou à l'arrestation et à la remise ; que la personne arrêtée est déférée sans délai à l'autorité judiciaire de l'Etat qui s'assure, conformément à sa législation, notamment de la régularité de l'arrestation et du respect des droits de l'intéressé ; que l'autorité judiciaire compétente peut décider la mise en liberté de la personne concernée ; qu'est assuré le respect des droits de la défense dès la procédure initiale devant la Cour et pendant le procès lui-même ; qu'en particulier, selon l'article 55, la personne interrogée soit par le procureur, soit par les autorités judiciaires nationales peut être assistée à tout moment par le défenseur de son choix ou un défenseur commis d'office ; que seule la chambre préliminaire de la Cour peut délivrer les mandats nécessaires, notamment les mandats d'arrêt ; que la personne remise à la Cour peut demander sa mise en liberté provisoire en attendant d'être jugée ; qu'il résulte des dispositions de l'article 60 que la chambre préliminaire réexamine périodiquement sa décision de mise en liberté ou de maintien en détention ; qu'elle s'assure que la détention avant le procès ne se prolonge pas de manière excessive à cause d'un retard injustifiable qui serait imputable au procureur ; que la chambre de première instance, en vertu de l'article 64, "veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et avec diligence, dans le plein respect des droits de l'accusé" ; que le procès est public, sous réserve de la faculté pour la chambre de première instance de prononcer le huis clos en raison de circonstances particulières ; que la sentence est prononcée en audience publique ; que les exigences constitutionnelles relatives au respect des droits de la défense et à l'existence d'une procédure juste et équitable, garantissant l'équilibre des droits des parties, sont ainsi satisfaites ;

Considérant que l'article 23 précise qu'une personne qui a été condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du statut ; que les peines pouvant être prononcées contre une personne déclarée coupable d'un crime sont fixées par l'article 77 ; qu'en cas de verdict de culpabilité, la peine est arrêtée en tenant compte, conformément aux dispositions des articles 76 et 78, des conclusions et éléments de preuve pertinents présentés au procès, de la gravité du crime et de la situation personnelle du condamné ; que ces règles n'encourent aucune critique d'inconstitutionnalité et sont en particulier conformes aux principes de nécessité et de légalité des peines ;

Considérant que les juges composant la Cour exercent leurs fonctions en toute indépendance, les articles 40 et 48 du statut prévoyant à cet effet les incompatibilités et les immunités nécessaires ; que, par ailleurs, les juges qui sont affectés à la section des appels ne peuvent siéger dans d'autres sections ; que les articles 41 et 42 du statut fixent la procédure selon laquelle peuvent intervenir la décharge et la récusation des juges ainsi que des procureurs ; qu'enfin, l'article 46 prévoit la procédure selon laquelle un membre de la Cour peut être privé de ses fonctions en cas de faute lourde ou de manquements graves à ses devoirs ; qu'est ainsi satisfaite l'exigence d'impartialité et d'indépendance de la Cour ;

Considérant que, suivant les dispositions des articles 81 à 83 du statut, il peut être fait appel de certaines décisions de la chambre préliminaire et des décisions rendues par la Cour dans la formation de chambre de première instance ; qu'une procédure de révision d'une décision sur la culpabilité ou la peine est par ailleurs instaurée par l'article 84 ; que l'article 85 institue en outre une procédure d'indemnisation des personnes victimes d'une arrestation ou d'une mise en détention illégales, ainsi que des personnes ayant subi une peine en raison d'une condamnation ultérieurement annulée ; qu'en cas d'erreur judiciaire grave et manifeste, une indemnité peut également être accordée ; que l'article 68 du statut oblige la Cour à prendre toutes les mesures de nature à assurer la sécurité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins, notamment en dérogeant au principe de la publicité des débats s'agissant de l'audition de personnes vulnérables ; que l'article 75 précise que la Cour établit des "principes applicables aux formes de réparation... à accorder aux victimes" ; que, sur cette base, elle pourra déterminer, dans ses décisions, l'ampleur des dommages et des préjudices subis par les victimes, et rendre, contre une personne condamnée, une ordonnance indiquant la réparation qu'il convient d'accorder ; que l'indemnité allouée pourra être versée par un fonds créé au profit des victimes par l'Assemblée des Etats parties ; que l'ensemble de ces règles est conforme à la Constitution ;

- SUR LE RESPECT DES CONDITIONS ESSENTIELLES D'EXERCICE DE LA SOUVERAINETE NATIONALE :

En ce qui concerne la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales :

Considérant que les dispositions du dixième alinéa du préambule et de l'article 1er du statut disposent que la Cour "est complémentaire des juridictions criminelles nationales" ; que cette complémentarité implique, ainsi qu'il résulte des dispositions des articles 17 et 20 du statut, qu'une affaire est jugée irrecevable par la Cour soit lorsqu'elle "fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce", soit, lorsqu'après enquête, "cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée", soit, enfin, lorsque cette dernière "a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte soumise à la Cour" ; qu'il résulte par ailleurs de l'article 18 que le procureur notifie à l'Etat concerné qu'une enquête est en voie d'être ouverte ou est ouverte et que, pour sa part, l'Etat peut informer la Cour qu'il ouvre ou a ouvert une enquête pour des actes en rapport avec les renseignements qui lui ont été notifiés ; qu'à sa demande, l'Etat se voit confier le soin de l'enquête, sauf si la chambre préliminaire autorise le procureur à la conduire ;

Considérant cependant que, nonobstant le principe de complémentarité, le 1 de l'article 17 permet à la Cour de connaître d'une affaire en cas de manque de volonté de l'Etat de mener véritablement à bien les poursuites ou lorsque le même manque de volonté de l'Etat conduit celui-ci à décider de ne pas poursuivre ; que le 2 de l'article 17 précise les critères s'imposant à la Cour pour déterminer s'il y a manque de volonté d'un Etat ; qu'un tel manque de volonté ne pourra être retenu que si la procédure a été engagée "dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale", ou si "la procédure a subi un retard injustifié" démentant "l'intention de traduire en justice la personne concernée", ou enfin lorsque "la procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d'une manière qui, dans les circonstances, dément l'intention de traduire en justice la personne concernée" ; que, de plus, aux termes de l'article 20 du statut, dans le cas où la personne concernée a déjà été jugée par une autre juridiction pour un comportement visé à l'article 5, la Cour pourra également juger cette personne si la procédure devant la juridiction nationale "avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale" ou " n'a pas été...menée de manière indépendante ou impartiale...mais d'une manière qui, dans les circonstances, démentait l'intention de traduire l'intéressé en justice" ;

Considérant, en outre, que la Cour pourra juger une affaire recevable lorsque l'Etat compétent est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites, ou lorsque la décision de ne pas poursuivre est l'effet de cette même incapacité ; que, selon le 3 de l'article 17, cette incapacité correspond à l'hypothèse où «l'Etat n'est pas en mesure, en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l'accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure" ;

Considérant, d'une part, que les stipulations du traité qui apportent des restrictions au principe de complémentarité de la Cour par rapport aux juridictions criminelles nationales, dans les cas où l'Etat partie se soustrairait délibérément aux obligations nées de la convention, découlent de la règle "Pacta sunt servanda", en application de laquelle tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; que ces dispositions fixent limitativement et objectivement les hypothèses dans lesquelles la Cour pénale internationale pourra se déclarer compétente ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

Considérant, d'autre part, que les stipulations qui permettent également à la Cour de se reconnaître compétente dans l'hypothèse de l'effondrement ou de l'indisponibilité de l'appareil judiciaire national ne sauraient davantage méconnaître les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte du statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription ; qu'en pareil cas, la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

En ce qui concerne la coopération internationale, l'assistance judiciaire et les pouvoirs du procureur :

Considérant que l'article 54 du statut définit les devoirs et pouvoirs du procureur en matière d'enquêtes ; qu'il doit, pour mener celles-ci, demander la coopération des Etats ; qu'il peut également enquêter sur le territoire d'un Etat ; que, dans une telle hypothèse, il doit se conformer soit aux stipulations du chapitre IX relatif à la coopération internationale et à l'assistance judiciaire, soit à celles du d) du 3 de l'article 57 ;

Considérant qu'il résulte du chapitre IX précité que la Cour est habilitée à adresser des demandes de coopération et d'assistance aux Etats parties ; que les Etats font droit à ces demandes conformément aux procédures prévues par leur législation nationale, notamment en ce qui concerne l'identification et l'interrogatoire des personnes, le rassemblement d'éléments de preuve, l'exécution des perquisitions et des saisies ; qu'ainsi qu'il ressort de l'article 93, si l'exécution d'une mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental d'application générale dans cet Etat, ce dernier n'est pas tenu d'apporter l'assistance demandée dans la forme sollicitée par la Cour, mais doit engager des consultations avec celle-ci ; qu'en application du même article, un Etat peut rejeter totalement ou partiellement une demande d'assistance de la Cour si elle a pour objet la divulgation d'éléments de preuve ou la production de documents touchant à la sécurité nationale, dont la protection est par ailleurs assurée par l'article 72 ; que les articles 94 et 95 du statut prévoient des procédures de sursis à exécution des demandes d'assistance formulées auprès des Etats ; que l'ensemble de ces stipulations garantissent le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale;

Considérant que le d) du 3 de l'article 57 ne permet au procureur, autorisé par la chambre préliminaire, de prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat, sans s'être assuré de la coopération de celui-ci, que dans le cas où aucune autorité ou composante compétente de l'appareil judiciaire national n'est disponible pour donner suite à une demande de coopération ; que, dès lors, ces stipulations ne sauraient porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale;

Considérant, en revanche, qu'en application du 4 de l'article 99 du statut, le procureur peut, en dehors même du cas où l'appareil judiciaire national est indisponible, procéder à certains actes d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier ; qu'il peut notamment recueillir des dépositions de témoins et "inspecter un site public ou un autre lieu public" ; qu'en l'absence de circonstances particulières, et alors même que ces mesures sont exclusives de toute contrainte, le pouvoir reconnu au procureur de réaliser ces actes hors la présence des autorités judiciaires françaises compétentes est de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

En ce qui concerne l'exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 103 du statut, l'Etat qui se déclare disposé à recevoir des personnes condamnées par la Cour pénale internationale peut assortir son acceptation de conditions qui doivent être agréées par la Cour ; que ces dernières peuvent être "de nature à modifier sensiblement les conditions ou la durée de la détention" ;

Considérant qu'il résulte de ces stipulations que la France, en se déclarant disposée à recevoir des condamnés, pourra subordonner son accord à des conditions portant notamment sur l'application de la législation nationale relative à l'exécution des peines privatives de liberté ; qu'elle pourra en outre faire état de la possibilité d'accorder aux personnes condamnées une dispense de l'exécution des peines, totale ou partielle, découlant de l'exercice du droit de grâce ; que, dès lors, les stipulations du chapitre X du statut, relatives à l'exécution des peines, ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, non plus qu'à l'article 17 de la Constitution;

Considérant qu'aucune des autres stipulations du traité soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est contraire à celle-ci ;

Considérant que, pour les motifs énoncés ci-dessus, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une révision de la Constitution ;

D E C I D E :

Article premier .- L'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une révision de la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, ainsi qu'au Premier ministre, et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 janvier 1999, où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Yves GUENA, Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL

ANNEXE 3 - DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION DU 10 OCTOBRE 2001

Cour de Cassation

Chambre criminelle

Audience publique du 10 octobre 2001

N° de pourvoi : 01-84922

Publié au bulletin

Premier président : M. Canivet

Rapporteur : M. Roman, assisté de M. Lichy, auditeur.

Premier avocat général : M. de Gouttes. Avocat : la SCP Lesourd.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ASSEMBLEE PLENIERE

LA COUR,

Vu l'article 575, alinéa 2.4°, du Code de procédure pénale et les articles L. 2132-5 et L. 2132-7 du Code général des collectivités territoriales ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, chambre de l'instruction, 29 juin 2001) qu'au vu d'un rapport de la Chambre régionale des comptes, une information a été ouverte contre personne non dénommée pour favoritisme, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, prise ou conservation illégale d'intérêt, complicité, recel, concernant des irrégularités dans les marchés publics passés par la société d'économie mixte parisienne de prestations, dissoute le 22 juillet 1996, dont la ville de Paris, le département de Paris et d'autres sociétés d'économie mixte étaient les actionnaires ;

Que, s'étant constitué partie civile en lieu et place de la ville de Paris en vertu d'une autorisation donnée le 7 juillet 2000 par le tribunal administratif, M. Michel Breisacher a saisi le 21 novembre 2000 les juges d'instruction d'une requête motivée en vue de l'audition, en qualité de témoin, de M. Jacques Chirac, à l'époque des faits maire de Paris et aujourd'hui Président de la République ;

Que, par ordonnance du 14 décembre 2000, les juges d'instruction se sont déclarés incompétents pour procéder à l'acte d'information sollicité, aux motifs que la demande d'audition est formulée en des termes tendant à la mise en cause pénale de M. Jacques Chirac, qu'aux termes de l'article 68 de la Constitution, le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, et que, selon l'interprétation que donne de ce texte la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel, " au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article " ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt retient que ce dernier membre de phrase est un des motifs qui fondent la décision du Conseil constitutionnel, dont, en vertu de l'article 62 de la Constitution, les décisions s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires, et que, dès lors, tant l'article 68 de la Constitution que la décision du 22 janvier 1999 du Conseil constitutionnel excluent la mise en mouvement, par l'autorité judiciaire de droit commun, de l'action publique à l'encontre d'un Président de la République dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale, pendant la durée du mandat présidentiel, les juges d'instruction restant néanmoins compétents pour instruire les faits à l'égard de toute autre personne, auteur ou complice ;

Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :

" 1° que, n'ayant statué que sur la constitutionnalité de l'article 27 du traité portant statut de la Cour pénale internationale, la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 ne dispose d'aucune autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal agissant en application des dispositions du Code de procédure pénale, qui n'ont fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel portant sur la question de l'immunité du chef de l'Etat ;

" 2° qu'en vertu du principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, l'immunité instituée au profit du Président de la République par l'article 68 de la Constitution ne s'applique qu'aux actes qu'il a accomplis dans l'exercice de ses fonctions et que, pour le surplus, il est placé dans la même situation que tous les citoyens et relève des juridictions pénales de droit commun " ;

Mais attendu que, si l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel s'attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu'en ce qui concerne le texte soumis à l'examen du Conseil ; qu'en l'espèce, la décision du 22 janvier 1999 n'a statué que sur la possibilité de déférer le Président de la République à la Cour pénale internationale pour y répondre des crimes de la compétence de cette Cour ; qu'il appartient, dès lors, aux juridictions de l'ordre judiciaire de déterminer si le Président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être poursuivi devant elles pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de l'exercice de ses fonctions ;

Attendu que, rapproché de l'article 3 et du titre II de la Constitution, l'article 68 doit être interprété en ce sens qu'étant élu directement par le peuple pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat, le Président de la République ne peut, pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin prévue par l'article 101 du Code de procédure pénale, dès lors que cette obligation est assortie par l'article 109 dudit Code d'une mesure de contrainte par la force publique et qu'elle est pénalement sanctionnée ;

Que, la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ;

Attendu que, si c'est à tort que la Chambre de l'instruction, au lieu de constater l'irrecevabilité de la requête de la partie civile, a déclaré les juges d'instruction incompétents pour procéder à l'audition de M. Jacques Chirac, l'arrêt, néanmoins, n'encourt pas la censure, dès lors que les magistrats instructeurs, compétents pour instruire à l'égard de toute autre personne, n'avaient pas le pouvoir de procéder à un tel acte d'information ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

* 1 Charles de Gaulle, conférence de presse du 31 janvier 1964.

* 2 Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

* 3 Voir le texte de ces décisions en annexe au présent rapport.

* 4 Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

* 5 Deux tiers des membres de la Haute Cour de justice étant élus parmi les députés, un tiers étant élus en dehors de l'Assemblée.

* 6 L'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 dispose ainsi que « chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre » et l'article 38 de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que « chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par le Président du Conseil des ministres et par un ministre ».

* 7 Cf. Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution, Paris, La Documentation française 1987-1991, vol. 1, p. 251-252.

* 8 Guy Carcassonne, le Président de la République française et le juge pénal, in Mélanges en l'honneur de Philippe Ardant, Paris, LGDJ, 1999, p. 277, article écrit en septembre 1998, avant que le Conseil constitutionnel ne se soit prononcé.

* 9 Cf I, B et C du présent rapport.

* 10 Pierre Avril, A propos du statut pénal du chef de l'Etat, Présentation du rapport de la Commission chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République instituée par le décret du 4 juillet 2002, Revue du droit public, n° 6, 2002, p. 1874.

* 11 Le 16 mai 1877, le maréchal de Mac-Mahon, Président de la République élu par une assemblée monarchiste, décide de se séparer du président du Conseil, le républicain Jules Simon, qui dispose pourtant de la majorité dans les deux chambres. Le duc de Broglie, choisi par Mac-Mahon pour former un nouveau ministère, fait l'objet d'un vote de défiance de la part des députés. Le Président de la République use alors de son droit de dissolution. Au cours de la crise ainsi engagée, Gambetta déclare, à l'adresse de Mac-Mahon, le 15 août 1877, que « quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre ». Lors des élections d'octobre, la gauche républicaine revient en force à la chambre et Mac-Mahon finit par « se soumettre », adressant aux assemblées un message où il reconnaît que « l'exercice du droit de dissolution n'est [...] qu'un mode de consultation suprême auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de gouvernement » et que « la Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres ».

* 12 Cf. Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 1995, p. 581.

* 13 Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 429.

* 14 La loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel a été adoptée par referendum le 28 octobre 1962, par 13.150.516 « oui » contre 7.974.538 « non », pour 28.185.478 électeurs inscrits et 21.694.563 votants.

* 15 La loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République a été adoptée par 7.407.697 « oui » contre 2.710.651 « non », pour 39.941.192 électeurs inscrits et 12.058.688 votants.

* 16 Projet de loi constitutionnelle déposé à l'Assemblée nationale, n° 2462, XIème législature.

* 17 Thierry Ablard, Le statut pénal du chef de l'Etat, Revue française de droit constitutionnel, n° 52, 2002, p. 643.

* 18 Ce que fit le général de Gaulle lors des referendums sur l'autodétermination de l'Algérie (8 janvier 1961), sur la ratification des accords d'Evian relatifs à l'indépendance de l'Algérie (8 avril 1962) sur l'élection du président de la République au suffrage universel (28 octobre 1962) et sur la réforme du Sénat et des régions (27 avril 1969).

* 19 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, tome 4, 1924, p. 499.

* 20 La loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 a supprimé le second alinéa de l'article 68, relatif à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, et inséré un nouveau titre X intitulé « De la responsabilité pénale des membres du Gouvernement », comprenant les articles 68-1 et 68-2.

* 21 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, p.415.

* 22 Maurice Duverger, Droit constitutionnel et institutions publiques, Paris, 1959, tome II, p. 661.

* 23 Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 431.

* 24 Cet article stipule que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

* 25 Rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, décembre 2002, p.26.

* 26 Aux termes des articles 411-1 à 411-11 du code pénal, constituent la trahison lorsqu'ils sont commis par un Français ou un militaire au service de la France, la livraison de tout ou partie du territoire national, de forces armées ou de matériel à une puissance étrangère, les faits d'intelligence avec une puissance étrangère, le sabotage, la fourniture de fausses informations de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et la provocation à ces crimes.

* 27 Dominique Turpin, Revue du droit public, n° 1, 2003, p.106.

* 28 Journal officiel, Débats Sénat, séance du 27 mai 1993, p. 461.

* 29 Le Président de la République et les ministres devaient être jugés par le Sénat.

* 30 J. Barthélémy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1933, p.620.

* 31 Cf. Thierry Ablard, Le statut pénal du chef de l'Etat, Revue française de droit constitutionnel, n° 51, 2002, p.660.

* 32 Le procureur général et le premier avocat général ne participent pas à cette élection.

* 33 Dominique Chagnollaud, La Cour de cassation et la responsabilité pénale du chef de l'Etat ou les dominos constitutionnels, Revue du droit public, n° 6, 2001, p. 1619.

* 34 Traité signé à Rome le 18 juillet 1998.

* 35 Jean Foyer, article « Haute Cour de justice », Répertoire Dalloz de droit pénal, 1968, n° 34.

* 36 J. Barthélémy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, p. 620.

* 37 Article 62, second alinéa, de la Constitution.

* 38 Décision du 29 juin 2001.

* 39 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'État, p. 16.

* 40 Cf. l'étude de législation comparée sur la responsabilité pénale des chefs d'Etat et de Gouvernement établie par le service des affaires européenne du sénat en septembre 2001 ( http://www.senat.fr/lc/lc92/lc92.html ).

* 41 Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Monchrestien, 16 ème édition, p. 275.

* 42 Pierre Pactet, Ferdinand Melin-Soucramanien, Droit constitutionnel, PUF, 25 ème édition, p. 220. Il convient de préciser que le président Clinton a par ailleurs été condamné le 29 juillet 1999 par un juge fédéral à une amende pour outrage à la justice dans l'affaire d'harcèlement sexuel qui l'opposait à Paula Jones, à l'époque où il était gouverneur de l'Arkansas, et qui avait fait l'objet d'un arrangement financier.

* 43 Guy Carcassonne, Le statut pénal du chef de l'État, Le point de vue du constitutionnaliste, Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 1, mars 2004, p. 141.

* 44 Guy Carcassonne, le Président de la République française et le juge pénal, Mélanges en l'honneur du président Ardant, Montchrestien, 1999, p. 282.

* 45 Arrêt Alain Carignon, chambre criminelle de la Cour de cassation, 26 juin 1995.

* 46 L'article 124 du statut de la Cour pénale internationale permet en effet aux Etats parties de déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut, ils n'acceptent pas la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre, lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants. La France a déclaré, lors de son instrument de ratification, qu'elle entendait se prévaloir des dispositions de l'article 124 afin de vérifier les garanties introduites dans le statut pour éviter des plaintes abusives ou fondées sur des motifs politiques. Un projet de loi présenté en Conseil des ministres le 26 juillet 2006 tend à modifier certaines dispositions du code pénal afin de permettre la poursuite de tous les crimes de guerre par les juridictions nationales. Le principe de complémentarité posé par la Convention de Rome au bénéfice des juridictions nationales pourrait ainsi jouer pour ces infractions.

* 47 Contrairement aux tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, régis par le principe de primauté sur les juridictions nationales, qui peuvent demander le dessaisissement de ces juridictions à tout stade de la procédure.

* 48 A ce titre, il faut remarquer que l'impunité concerne aussi la faute professionnelle commise dans les fonctions antérieures à l'élection. La notion de juridiction recouvre aussi les sections disciplinaires d'un ordre professionnel.

* 49 L'action en justice s'éteint, en règle générale :

- en matière civile, dans un délai de trente ans (art. 2262 du code civil) sauf en matière de responsabilité extracontractuelle où ce délai est ramené à dix ans (art. 2270-1 du code civil) ;

- en matière pénale, dans un délai de dix ans pour les crimes (art. 7 du code de procédure pénale), trois ans pour les délits (art. 8 du code de procédure pénale) et un an pour les contraventions (art. 9 du code de procédure pénale).

* 50 Chambre criminelle de la Cour de cassation, 24 juillet 1952.

* 51 Le rapport de la commission Avril mentionne à titre d'exemple des dégâts des eaux survenant dans l'appartement privé du chef de l'Etat.

* 52 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'État, p. 35.

* 53 Guy Carcassonne, Statut présidentiel : la nécessaire réforme, Le Monde, 17 janvier 2007, p. 20.

* 54 Guy Carcassonne, Le statut pénal du chef de l'État, le point de vue du constitutionnaliste, Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 1, mars 2004, p. 144.

* 55 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'Etat, p. 34.

* 56 Cf bulletin des commissions du Sénat, n° 13, 20 janvier 2007, p. 3515.

* 57 Rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, p. 34.

* 58 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, p. 34.

* 59 Article 68, quatrième alinéa, tel qu'il est prévu par le projet de loi constitutionnelle.

* 60 Par ailleurs, le scrutin public facilitera un décompte précis des votes, permettant de constater si la majorité requise, définie par rapport au nombre de membres de l'assemblée, est atteinte.

* 61 Rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du chef de l'Etat, p. 36.

* 62 La procédure de vote devra permettre à la fois le recensement des votes favorables et le respect du secret.

* 63 Rapport fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution par M. Philippe Houillon, n° 3537, douzième législature, p. 55.

* 64 Les effectifs indiqués ne prennent pas en compte la création des deux sièges de députés et des deux sièges de sénateurs prévue par le projet de loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles, pour les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, cf le rapport n° 187 (2006-2007) de MM. Christian Cointat, sénateur et Didier Quentin, député, fait au nom de la commission mixte paritaire, le 30 janvier 2007.

* 65 Robert Badinter, La destitution du président de la République, Le Monde, 12 juillet 2003.

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