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Rapport n° 238 (2006-2007) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 14 février 2007

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N° 238

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 février 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur :

- la proposition de résolution présentée par M. Robert del PICCHIA au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du Règlement,

- et la proposition de résolution présentée par M. Robert BRET, Mmes Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Josiane MATHON-POINAT, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Yves COQUELLE , Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mme Hélène LUC, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA, Jean-François VOGUET, François AUTAIN et Pierre BIARNÈS, en application de l'article 73 bis du Règlement,

sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (E 2948),

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir les numéros :

Sénat : 246, 460 (2005-2006)

Union européenne.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 14 février 2007, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. François-Noël Buffet, les propositions de résolution n° 246 (2005-2006) et n° 460 (2005-2006) présentées respectivement, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Robert Del Picchia au nom de la délégation pour l'Union européenne et par M. Robert Bret et les membres du Communiste Républicain et Citoyen sur la proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (E 2948) .

Après avoir présenté la proposition de directive, le rapporteur a souligné l'appréciation très critique des deux propositions de résolution, la proposition du groupe CRC allant jusqu'à en demander le retrait.

Il a indiqué que les principaux reproches portaient sur le non respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, la prise en considération insuffisante des nécessités liées à la sauvegarde de l'ordre public et la faiblesse des garanties offertes aux étrangers. Il a également souligné que deux dispositions de la directive auraient pour conséquence l'allongement de la durée de rétention et la création d'une interdiction du territoire européen, ce qui poserait des difficultés importantes au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le rapporteur a indiqué que la présidence finlandaise de l'Union européenne au cours du deuxième semestre 2006 avait proposé un compromis sur l'ensemble de la proposition de directive. Tout en remarquant que certaines objections à ce texte n'étaient plus aussi justifiées, il a déclaré que de nombreux problèmes perduraient, notamment en matière de durée de la rétention. Il a en effet précisé que le compromis finlandais prévoyait désormais un plancher pour la durée maximale de rétention qui ne pourrait être inférieure à quatre mois alors qu'en France, elle est actuellement de 32 jours.

Dans un souci de consensus, le rapporteur a ensuite présenté un texte inspiré des deux propositions de résolution. Il a tenu à marquer particulièrement l'opposition à une harmonisation de la durée de rétention fixant une durée au moins égal à quatre mois. En revanche, il a jugé que la création d'une interdiction du territoire européen constituerait un message fort de solidarité européenne et qu'il convenait de ne pas écarter complètement cette idée.

La commission a ensuite examiné deux amendements présentés par M. Richard Yung et satisfaits pour l'essentiel par la proposition du rapporteur. Le rapporteur a proposé d'intégrer dans la résolution le considérant demandant à la Commission européenne de concentrer d'abord ses efforts sur l'harmonisation des conditions d'entrée et de séjour dans l'Union européenne.

La commission a adopté la proposition de résolution ainsi rédigée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a été saisi, le 15 septembre 2005, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de directive relative aux normes et procédures applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier 1 ( * ) .

Cette proposition de la Commission européenne fait notamment suite au programme de La Haye du 5 novembre 2004 dans lequel le Conseil européen recommande la mise en place d'une « politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes » et juge essentiel que « le Conseil des ministres entame au début de 2005 des discussions sur les normes minimales applicables aux procédures de retour ».

Transmise au Conseil des ministres et au Parlement européen, cette proposition de directive n'a pas encore été examinée par ces institutions et est toujours discutée par les groupes de travail du Conseil.

La délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté le 9 mars 2006 une proposition de résolution présentée par notre collègue M. Robert Del Picchia. Une seconde proposition de résolution portant sur le même texte a été présentée par notre collègue Robert Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen le 11 juillet 2006. Ces deux propositions de résolution 2 ( * ) ont été renvoyées à votre commission des lois et font l'objet du présent rapport.

Balançant entre des critiques appuyées et le rejet complet de la proposition de directive, les deux résolutions attirent l'attention du gouvernement sur la surabondance, les insuffisances et les incertitudes juridiques de plusieurs dispositions.

La présidence finlandaise de l'Union européenne a présenté en octobre et novembre 2006 une proposition de compromis répondant partiellement à certaines de ces critiques. Toutefois, de nombreuses difficultés demeurent.

I. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE : VERS UNE HARMONISATION APPROFONDIE DES RÈGLES DU RETOUR

A. L'ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS : UN CHAMP D'ACTION RÉCENT POUR L'UNION EUROPÉENNE

1. Des initiatives antérieures diverses

La communication de la Commission européenne concernant une politique commune en matière d'immigration clandestine du 15 novembre 2001 soulignait la nécessité d'élaborer une politique communautaire en matière de retour.

Faisant suite à cette communication ainsi qu'aux conclusions du Conseil européen de Laeken (15 et 15 décembre 2001), le Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) avait adopté, le 28 février 2002, un plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains dans l'Union européenne. La politique de réadmission et de rapatriement faisait partie intégrante de ce plan global.

Afin de préciser ce volet du plan, la Commission présenta un livre vert relatif à une politique communautaire en matière de retour des personnes en séjour irrégulier le 10 avril 2002.

Cette volonté politique fut solennellement réaffirmée par le programme de La Haye du 5 novembre 2004 dans lequel le Conseil européen a fixé les objectifs à atteindre pour la période 2005-2010 en matière de liberté, de sécurité et de justice.

Le bilan de cette politique n'est pas négligeable.

Sur le plan normatif, plusieurs textes ont été adoptés :

- la directive 2001/40/CE du Conseil du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement des ressortissants de pays tiers 3 ( * ) ;

- la décision du Conseil du 23 février 2004 définissant les critères et modalités pratiques de la compensation des déséquilibres financiers résultant de l'application de la directive 2001/40/CE du 28 mai 2001 précitée ;

- la directive 2003/110/CE du 25 novembre 2003 concernant l'assistance au transit dans le cadre de mesures d'éloignement par voie aérienne ;

- la décision 2004/573/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative à l'organisation de vols communs pour l'éloignement, à partir du territoire de deux États membres ou plus, de ressortissants de pays tiers faisant l'objet de mesures d'éloignement.

Sur un plan plus opérationnel, afin d'améliorer le taux de délivrance des laissez-passer consulaires 4 ( * ) , la Commission européenne négocie pour le compte des Etats membres des accords de réadmission. Un accord de réadmission permet de faciliter l'expulsion des étrangers en situation irrégulière vers leur pays d'origine ou vers le pays par lequel ils ont transité. Chaque pays signataire s'engage, en effet, à réadmettre sur son territoire et sans formalité toute personne possédant sa nationalité ou qui a franchi ses frontières pour se rendre illégalement dans l'Union européenne.

À ce jour, sur vingt mandats de négociation confiés à la Commission, seuls quatre accords de réadmission sont entrés en vigueur (avec Hong Kong, Macao, le Sri Lanka et l'Albanie). Deux accords (avec l'Ukraine et la Russie) ont été signés.

Sur un plan financier, la Commission a proposé de créer un Fonds européen pour le retour doté pour la période 2008-2013 d'un budget de 759 millions d'euros. Le Conseil des ministres n'a toutefois pas encore donné son accord. Ce fonds financerait des actions de coopération entre les Etats membres dans le cadre d'une gestion intégrée des retours.

Enfin, d'autres actions ou projets bien que ne relevant pas exclusivement de la politique communautaire de retour contribuent ou contribueront à renforcer son efficacité :

- le système d'information Schengen (SIS) dont les performances seront multipliées avec le SIS II en cours d'élaboration 5 ( * ) ;

- le projet de système d'information sur les visas (VIS).

2. La proposition de directive

Tel est le contexte dans lequel la proposition de directive relative aux normes et procédures applicables en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier vient compléter le plan d'action élaboré par la Commission européenne pour mettre en oeuvre le programme de La Haye de novembre 2004. La proposition répond à une commande politique très claire du Conseil européen.

Il faut rappeler que, depuis le 1 er janvier 2005, les questions d'immigration illégale relèvent de la majorité qualifiée et de la codécision. Cette précision est importante puisque certaines dispositions de ce texte, si elles étaient adoptées en l'état, contraindraient la France à modifier profondément sa législation en matière d'éloignement.

L'objectif de cette proposition de directive est, selon son propre exposé des motifs, « de définir des règles communes claires, transparentes et équitables en matière de retour, d'éloignement, de recours à des mesures coercitives, de garde temporaire et de réadmission, qui prennent pleinement en compte le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Particulièrement détaillé, ce texte s'attache à définir une procédure complète en matière de retour depuis la prise de la décision d'éloignement jusqu'au placement en rétention et l'éloignement effectif. Il s'applique à tout ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier, quel que soit le motif de l'illégalité de son séjour.

La proposition tend également à reprendre les dispositions de la directive 2001/40/CE du Conseil du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement des ressortissants de pays tiers et l'abroge par voie de conséquence.

B. RAPPROCHER LES PROCÉDURES D'ÉLOIGNEMENT

1. Le principe du retour volontaire

La proposition prévoit une procédure en deux étapes . Tout d'abord, une décision dite de retour 6 ( * ) est prise à l'égard de tout ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier (article 6).

Cette décision accorde à l'étranger un délai approprié de départ volontaire de quatre semaines au maximum , sauf si un risque de fuite existe.

Dans le cas où l'étranger n'est pas retourné dans son pays de son plein gré à l'issue du délai prévu, les Etats membres exécutent l'obligation de retour au moyen d'une seconde décision dite d'éloignement 7 ( * ) .

La proposition de directive autorise toutefois les Etats membres à prendre les décisions de retour et d'éloignement sous la forme d'un seul et même acte, notamment lorsqu'il existe un risque de fuite et qu'aucun délai de retour volontaire n'est accordé.

2. La garde temporaire

Les articles 14 et 15 de la proposition sont relatifs à la « garde temporaire » des étrangers, c'est-à-dire à la rétention administrative.

La garde temporaire ne pourrait être décidée que si elle est nécessaire pour prévenir un risque de fuite et si l'application de mesures moins coercitives ne suffit pas (dépôt d'une garantie financière, obligation de se présenter régulièrement aux autorités, assignation à résidence).

Les décisions de placement en garde temporaire ne pourraient être prises que par les autorités judiciaires , sauf en cas d'urgence. Dans ce cas, les autorités administratives pourraient prendre cette décision sous réserve qu'elle soit confirmée par les autorités judiciaires dans un délai de 72 heures.

Concernant la durée de la rétention, le texte de la Commission fixe une durée maximum de six mois . Toutefois, les autorités judiciaires seraient tenues de réexaminer au moins une fois par mois le maintien de la rétention.

En revanche, sur les conditions de la garde temporaire, la proposition de directive n'est pas aussi précise. Elle prévoit que « les Etats membres veillent à ce que les ressortissants de pays tiers placés en garde temporaire soient traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux et conformément aux dispositions du droit national et international ». Elle précise toutefois que la garde temporaire se fait normalement dans des locaux spécialisés distincts des établissements pénitentiaires. En cas d'impossibilité, elle autorise le placement dans une prison sous réserve que les étrangers retenus soient en permanence séparés physiquement des prisonniers de droit commun.

Enfin, concernant les mineurs, le texte autorise leur placement en centre de rétention, y compris des mineurs non accompagnés à la condition qu'ils soient séparés des adultes.

3. Les garanties offertes aux étrangers

La proposition de directive comporte quelques garanties afin de protéger les droits des étrangers en instance d'éloignement.

Sur le plan procédural, les articles 11 et 12 posent quelques règles : droit à un recours effectif contre les décisions d'éloignement et de recours, caractère suspensif de ce recours ou possibilité d'en demander le sursis à exécution, assistance d'un avocat et d'un interprète.

L'accès des organisations internationales et non gouvernementales aux lieux de rétention est également consacré.

Le texte de la Commission aligne les conditions de séjour minimales exigées pendant la rétention sur les normes déjà prévues pour l'accueil des demandeurs d'asile (directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003). Concernant le recours à des mesures coercitives au moment de l'éloignement, il le subordonne au strict respect du principe de proportionnalité et renvoie aux orientations communes sur les mesures de sécurité à prendre pour les orientations communes d'éloignement par voie aérienne, annexées à la décision 2004/573.CE précitée.

Enfin, concernant les personnes vulnérables, la proposition de directive n'est pas très précise, voire muette. Comme il a été vu précédemment, elle permet sous certaines conditions l'éloignement et le placement en rétention des mineurs, y compris non accompagnés.

Pour les autres catégories, elle prévoit notamment que l'exécution d'une décision d'éloignement doit être reportée si l'étranger est dans l'incapacité de voyager ou d'être transféré vers le pays de retour en raison de son état physique ou mental.

C. LA CRÉATION D'UNE INTERDICTION DU TERRITOIRE EUROPÉEN

Si la proposition de directive a pour principal objet d'harmoniser des procédures d'éloignement préexistantes dans chaque Etat membre, elle tend en outre à créer un dispositif réellement innovant : l'« interdiction de réadmission ».

Il s'agit d'une décision de nature administrative ou judiciaire empêchant la réadmission sur le territoire de l'ensemble des Etats membres pendant une durée déterminée et qui accompagnerait quasi-systématiquement les décisions d'éloignement. Pour reprendre l'exposé des motifs de la proposition, « cette européanisation des conséquences des mesures nationales de retour devrait avoir un effet préventif et renforcer la crédibilité d'une politique de retour véritablement européenne ». L'expression « interdiction de réadmission » n'est pas très claire. En réalité, il faut comprendre plus simplement une interdiction du territoire de l'Union européenne.

L'article 9 du texte de la Commission prévoit en effet que :

- les décisions d'éloignement comportent obligatoirement une interdiction de réadmission 8 ( * ) ;

- la durée de l'interdiction est fixée en tenant compte des circonstances propres à chaque cas particulier (réitération, menace à l'ordre public...) ;

- la durée ne peut excéder cinq ans, sauf si l'étranger constitue une menace grave à l'ordre public ou à la sécurité nationale.

Le principe est donc celui du caractère systématique de l'interdiction de territoire européen en cas d'éloignement d'un étranger. Elle pourrait être annulée, ce qui suppose une décision expresse, notamment si l'étranger fait l'objet d'une décision d'éloignement pour la première fois ou s'il a remboursé la totalité des frais engendrés par la précédente procédure de retour.

Bien que la proposition ne le prévoît pas explicitement, les personnes faisant l'objet d'une interdiction de réadmission devraient être signalés dans le SIS II aux fins de non admission sur le territoire des Etats membres. Le SIS intègre en effet le signalement des étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement, de renvoi ou d'expulsion assortie d'une interdiction d'entrée.

Désormais, la quasi-totalité de ces décisions serait assortie d'une telle interdiction.

II. LES DEUX PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION : ENTRE CRITIQUES ET REJET COMPLET

Les deux propositions de résolution, celle de la délégation pour l'Union européenne du Sénat et celle du groupe Communiste Républicain et Citoyen, sont particulièrement critiques. Si la seconde conclut en demandant le retrait pur et simple du texte, la première émet des réserves importantes qui remettent en cause, à tout le moins, l'économie globale de la proposition de directive.

A. UN TEXTE À FAIBLE VALEUR AJOUTÉE VOIRE CONTRE PRODUCTIF

1. Le non respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité

Le premier reproche, essentiellement relayé par la délégation pour l'Union européenne, est que cette proposition de directive serait inutile et contraire aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

La délégation s'interroge sur la « valeur ajoutée » de cet instrument et l'intérêt de définir des règles uniformes au niveau européen en matière d'éloignement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Selon la Commission européenne, de telles mesures permettraient d'éviter que les clandestins utilisent les différences existantes en la matière entre les législations nationales pour choisir de se rendre dans l'Etat membre dont la législation offre les garanties les plus grandes pour les étrangers en situation irrégulière.

La délégation juge cette affirmation contestable, le choix de se rendre dans tel ou tel Etat membre semblant davantage motivé par les liens que peut avoir la personne concernée avec le pays en question, la possibilité d'y être régularisé et d'y exercer un emploi clandestin ou encore de bénéficier de certains avantages sociaux.

Votre rapporteur, qui fut également le rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine 9 ( * ) , partage cette appréciation. Si les filières d'immigration clandestine jouent incontestablement sur les différences de législation en matière d'asile, de travail ou de règles de séjour, il ne semble pas en revanche que les différences procédurales en matière d'éloignement facilitent l'immigration illégale ou soient à l'origine de mouvements secondaires entre Etats membres de personnes en situation illégale.

Ainsi, dans le cas de la France, le fait que notre pays ait la durée maximale de rétention la plus courte (trente deux jours) n'est pas un élément permettant d'expliquer que certains étrangers en situation illégale choisissent de s'installer dans notre pays plutôt que dans un autre.

Enfin, la résolution de la délégation reproche à la directive d'être excessivement détaillé. A titre d'exemple, elle cite la disposition prévoyant que le placement en rétention ne peut être décidé que par l'autorité judiciaire, sauf urgence. Cette disposition méconnaît la répartition des compétences entre autorités administrative et judiciaire dans plusieurs Etats membres. Ainsi, en France, au Royaume-Uni, en Belgique, au Danemark, en Italie ou en Espagne, c'est l'autorité administrative qui décide du placement en rétention pour une durée n'excédant pas généralement 48 ou 72 heures 10 ( * ) . A l'issue de ce délai, le juge intervient pour autoriser la prolongation de la rétention.

Si la directive était adoptée en l'état, cette répartition des compétences ne serait plus possible alors même qu'elle ne pose pas de difficultés particulières.

2. Une prise en compte insuffisante des nécessités de l'ordre public et d'une lutte efficace contre l'immigration illégale

Selon la résolution de la délégation, cette directive non seulement serait inutile mais également inefficace voire contre productive.

En premier lieu, elle méconnaîtrait les nécessités liées à la préservation de l'ordre public.

Ainsi, la priorité accordée au retour volontaire conduit à accorder à l'étranger un délai pour organiser son départ volontaire, sauf s'il y a un risque de fuite.

Or, cette idée n'est adaptée qu'au cas où l'étranger fait une demande de titre de séjour et essuie un refus de première délivrance ou de renouvellement. La législation française n'a d'ailleurs pas attendu la proposition de la Commission pour ménager une place au retour volontaire. Avant le 1 er janvier 2007, le refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour était systématiquement accompagné d'une invitation à quitter le territoire français dans un délai d'un mois. A l'issue de ce délai, si l'étranger n'avait pas quitté le territoire français, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière était pris. La création de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui a fusionné en une seule décision le refus de séjour, l'invitation à quitter le territoire français et l'arrêté de reconduite à la frontière, par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration 11 ( * ) continue de ménager un délai d'un mois pour un retour volontaire. La loi précise que l'étranger peut bénéficier des aides au retour.

La priorité accordée au retour volontaire n'est toutefois pas adaptée :

- en cas de menace à l'ordre public (l'étranger fait l'objet d'une mesure d'expulsion) ;

- en cas de clandestinité pure, c'est-à-dire lorsque l'étranger n'a fait aucune demande de titre de séjour et est interpellé à l'occasion d'un contrôle.

En second lieu, l'idée de la Commission selon laquelle l'interdiction de réadmission pourrait être annulée dans le cas où l'étranger éloigné rembourse les frais engendrés par son retour forcé est de nature à faire le jeu des filières d'immigration clandestine et de traite des êtres humains qui paieront la levée de l'interdiction du territoire.

B. DES OBSTACLES JURIDIQUES À LA TRANSPOSITION

Deux dispositions, la création d'une interdiction de réadmission et l'allongement de la durée de rétention, sont susceptibles d'être contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

C'est la raison pour laquelle la proposition de résolution du groupe Communiste Républicain et Citoyen (CRC) demande au Gouvernement de saisir le Conseil d'Etat pour avis.

1. Le caractère automatique de l'interdiction de réadmission

La résolution déposée par le groupe CRC considère que l'interdiction de réadmission sur le territoire de l'Union européenne serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel en raison de son caractère quasi-automatique.

En effet, dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution, et plus particulièrement à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 12 ( * ) , la disposition prévoyant que « tout arrêté de reconduite à la frontière entraîne automatiquement une sanction d'interdiction du territoire pour une durée d'un an sans égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté, sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée ».

De manière moins affirmative, la proposition de résolution déposée par M. Thierry Mariani au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale s'interroge également sur d'éventuelles difficultés d'ordre constitutionnel.

2. Vers un allongement excessif de la durée de la rétention administrative ?

Une autre difficulté juridique résiderait dans l'éventuel allongement de la durée de rétention.

Pour être exact, la proposition de directive n'impose pas un allongement de la durée de rétention. Elle fixe uniquement un délai maximal de six mois sous réserve d'un contrôle mensuel par l'autorité judiciaire.

La législation française, qui prévoit un délai maximal de rétention de 32 jours depuis l'adoption de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, ne serait donc pas tenue de s'aligner sur ce maximum de six mois.

Toutefois, l'adoption d'un tel délai dans un texte européen tendrait à en faire naturellement la norme européenne en la matière.

En effet, de nombreux Etats membres ont des délais maximum théoriques de rétention supérieurs à six mois : dix-huit mois en Allemagne, illimités au Royaume-Uni, au Danemark et aux Pays-Bas. En Belgique, la durée maximale est de cinq mois, voire huit mois lorsque la sauvegarde de l'ordre public ou la sécurité nationale l'exige.

L'adoption de la directive aurait donc pour effet mécanique de regrouper une majorité de pays autour d'un maximum de six mois.

Seules l'Espagne et l'Italie auraient des durées maximales de rétention plus proches de la notre avec respectivement 40 et 60 jours.

Dans ces conditions, il est probable que le plafond de six mois agisse comme un aimant qui placerait notre pays dans une position délicate en Europe.

En effet, le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sur la loi du 26 novembre 2003 précitée que « l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Certes, le Conseil n'a jamais fixé de durée au-delà de laquelle l'étranger ne pourrait plus être légalement maintenu en rétention. Mais chaque fois que le législateur a souhaité allonger la durée maximale de rétention, il l'a fait avec prudence et en invoquant des motifs précis (obstruction de l'étranger à son éloignement, impossibilité matérielle d'organiser le retour).

Dans ce contexte, un allongement de la durée de rétention jusqu'à six mois risquerait fortement d'être déclaré non conforme à la Constitution.

C'est la raison pour laquelle, en plus de son opposition de principe à tout allongement de la durée de rétention, la proposition de résolution du groupe CRC fait allusion au risque d'inconstitutionnalité en germe dans la directive.

C. DES GARANTIES INSUFFISANTES EN FAVEUR DES ÉTRANGERS

Les deux propositions de résolution soulignent les faibles garanties offertes aux étrangers par ce projet de directive.

Le texte de la Commission se contente souvent de références assez vagues au nécessaire respect des droits fondamentaux des étrangers à l'occasion de son application et de sa transposition.

Plus encore, sous l'apparence d'offrir des garanties aux étrangers, la proposition de directive s'avère en réalité beaucoup moins protectrice que la législation française.

La question de la durée maximale de rétention en est l'illustration la plus nette. Sur le même sujet, la directive n'exclut pas complètement la possibilité de retenir un étranger dans un établissement pénitentiaire s'il n'est pas possible de lui trouver une place dans un centre de rétention. La loi française l'interdit sans souffrir aucune exception.

Concernant le placement en rétention des mineurs non accompagnés, la proposition de directive autorise là encore ce que notre législation exclut.

Enfin, la proposition de résolution du groupe CRC assimile l'interdiction de réadmission à une nouvelle double peine, l'interdiction du territoire européen venant s'ajouter à l'éloignement.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS

A. UN TEXTE QUI ÉVOLUE LENTEMENT

Depuis son adoption en septembre 2005 par la Commission européenne, la proposition de directive n'a officiellement pas évolué : ni le Conseil des ministres, ni le Parlement européen ne se sont encore prononcés sur ce texte. Le Parlement européen devrait l'examiner en avril. En revanche, la présidence allemande du Conseil n'a pas encore dévoilé ses intentions. Il n'est pas certain qu'elle fasse de ce texte une de ses priorités.

Les négociations sont restées au niveau des groupes de travail du Conseil. Bien que rien n'ait été réellement arrêté, la présidence finlandaise de l'Union européenne a présenté en octobre et novembre 2006 une proposition de compromis sur l'ensemble des articles de la directive. C'est ce compromis qui sert à ce jour de base de discussion au sein des groupes de travail du Conseil.

La position de votre commission des lois en tient compte.

1. Quelques objections formulées par les résolutions ont été entendues

Le compromis finlandais répond à plusieurs des difficultés détectées.

En premier lieu, il ne serait plus obligatoire de prévoir une phase de départ volontaire dans le cas où l'étranger constitue une menace pour l'ordre public. Son éloignement pourrait être immédiat.

En deuxième lieu, la première décision de placement en rétention pourrait être prise par les autorités administratives et non exclusivement par les autorités judiciaires.

En troisième lieu, concernant l'interdiction de réadmission, il ne serait plus possible pour l'étranger éloigné de demander la levée de l'interdiction de réadmission en remboursant les frais de son précédent éloignement.

2. Des difficultés encore nombreuses

Toutefois, le texte proposé par la présidence finlandaise laisse perdurer plusieurs problèmes, voire en aggrave certains.

Concernant la procédure de retour volontaire, il n'est pas encore certain qu'il serait possible d'éloigner sans phase préalable de retour volontaire un étranger qui aurait été interpellé en situation illégale sans avoir fait une demande de titre de séjour préalable.

Concernant l'interdiction de réadmission, le compromis finlandais introduit un peu de souplesse dans le dispositif en laissant aux Etats membres une possibilité plus large d'annuler les interdictions de réadmission. Le texte n'énumère plus aussi précisément dans quel cas l'annulation serait possible. Toutefois, il maintient le principe selon lequel les décisions d'éloignement comportent obligatoirement une interdiction de réadmission dès lors que l'étranger n'a pas profité du délai qui lui était accordé pour retourner volontairement dans son pays. Le caractère quasi-automatique de l'interdiction de réadmission n'est donc pas abandonné du moins dans son principe.

Une autre difficulté importante porte sur la rétention administrative.

Tout d'abord, la terminologie utilisée est symptomatique. Le compromis finlandais substitue à l'expression « garde temporaire » celle de « détention temporaire ». Ce vocabulaire est plus emprunté à la matière pénale qu'à celle du droit des étrangers.

Surtout, le texte prévoit désormais que la période maximale de détention temporaire ne pourrait être inférieure à quatre mois ni supérieure à huit mois, les Etats membres pouvant encore prolonger cette période lorsque l'opération d'éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération du pays tiers. La proposition de directive initiale prévoyait uniquement un plafond de six mois mais aucune durée plancher. La France serait donc contrainte de passer de trente deux jours à quatre mois .

Enfin, alors que la proposition initiale autorisait en cas de nécessité le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire mais à la condition stricte que les étrangers soient en permanence séparés des autres détenus, le compromis finlandais se contente de recommander la séparation des étrangers et des prisonniers ordinaires.

B. CONCILIER LES DEUX PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION

1. Un texte non prioritaire

Rejoignant la délégation pour l'Union européenne, votre commission estime que de nombreuses dispositions de la proposition de directive sont contraires aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Comme l'a relevé notre collègue Robert Del Picchia lors de son audition par votre rapporteur, la directive sous prétexte de simplification et d'harmonisation va en réalité compliquer considérablement la législation française qui est pourtant l'une des plus protectrices des droits des étrangers en Europe.

La majorité des Etats membres seront contraints de modifier leur procédure d'éloignement pour un gain final en terme d'efficacité de la lutte contre l'immigration illégale et de protection des droits des étrangers à peu près nul.

Cette proposition de directive s'adresse en réalité à certains nouveaux Etats membres qui n'ont pas la même expérience que notre pays en matière d'immigration illégale.

Ce texte apparaît d'autant moins prioritaire que des instruments existent déjà qui permettent d'obtenir de bons résultats :

- la Convention européenne des droits de l'homme offre déjà de nombreuses garanties en matière de droit au recours, de droit à une vie familiale normale ou de conditions de rétention ;

- la directive du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement des ressortissants de pays tiers permet l'exécution dans tous les pays membres des mesures d'éloignement prononcées dans un Etat. Cet instrument permet d'éviter notamment qu'un étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement ne trouve refuge dans un autre Etat membre et il facilite les « vols groupés européens ». La reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement est aussi efficace que l'harmonisation des procédures et permet de respecter le principe de subsidiarité ;

- le SIS permet à chaque Etat membre de faire respecter pour le compte des autres Etats membres les décisions de non admission prises par eux.

En définitive, la proposition de directive apparaît comme un texte non prioritaire et il semblerait plus judicieux d'aboutir rapidement sur d'autres projets, notamment le déploiement du SIS II ou du VIS 13 ( * ) . Ces deux grands projets à vocation directement opérationnelle ont en effet pris du retard.

2. Saisir le Conseil d'Etat en raison des risques d'inconstitutionnalité

Reprenant les termes de la proposition de résolution du groupe CRC, votre commission demande au Gouvernement de saisir le Conseil d'Etat pour avis sur la constitutionnalité de la proposition de directive.

Il faut rappeler qu'une circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003 « demande de veiller à ce que cette nouvelle possibilité (la saisine du Conseil d'Etat pour avis) soit utilisée chaque fois qu'un projet ou une proposition d'acte de l'Union européenne paraîtra poser des problèmes juridiques ou qu'apparaîtront, en cours de négociation, des difficultés de cette nature ».

Deux questions méritent en effet de recueillir l'avis du Conseil d'Etat.

L'allongement de la durée de la rétention jusqu'à quatre mois est susceptible incontestablement de poser des problèmes de constitutionnalité, en dépit du fait que le Conseil constitutionnel n'a jamais dit clairement qu'une durée de plusieurs mois serait nécessairement inconstitutionnelle.

La création de l'interdiction de réadmission présente également quelques incertitudes constitutionnelles. Certes, la proposition de directive laisse une certaine souplesse en permettant de moduler la durée de cette interdiction ainsi qu'en laissant aux Etats membres la faculté d'annuler cette mesure. Le caractère automatique et indifférencié de la mesure, proscrit par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, n'est donc pas clairement établi. Néanmoins, le doute invite à saisir le Conseil d'Etat pour avis.

3. Un allongement excessif de la durée de rétention

Votre commission s'oppose en tout état de cause à l'allongement de la durée de la rétention administrative à quatre mois comme le prévoit le compromis finlandais.

Outre les arguments juridiques déjà évoqués, il semble que les avantages d'un tel allongement sur l'efficacité des procédures d'éloignement seraient minimes en proportion de l'atteinte aux droits et garanties offertes aux étrangers.

Comme l'ont indiqué à votre rapporteur MM. Patrick Stefanini et Stéphane Fratacci, respectivement secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration et directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, l'allongement à 32 jours de la durée de rétention a permis d'améliorer considérablement l'efficacité des procédures d'éloignement. Toutefois, ils ont rappelé que la durée moyenne de la rétention était d'environ dix jours. Un allongement à quatre mois de la durée de la rétention permettrait sans doute d'améliorer encore le taux de reconduite mais dans des proportions assez réduites 14 ( * ) .

M. Stéphane Fratacci a estimé qu'il convenait plutôt de concentrer les efforts sur la qualité des procédures et de la rétention afin de mettre pleinement à profit les trente deux jours.

Une durée de quatre mois modifierait complètement notre conception de la rétention et poserait des difficultés pratiques et matérielles importantes.

Un argument de la Commission européenne en faveur d'une harmonisation à la hausse de la durée de la rétention est que les accords de réadmission négociés par elle prévoient parfois des délais de réponse de deux mois.

C'est notamment le cas de l'accord avec la Russie. Il prévoit un délai maximal de 60 jours pour la réponse à une demande de réadmission. Ce délai est incompatible avec ce que prévoit notre législation en matière de délai de rétention des étrangers en situation irrégulière.

Cet accord aurait donc été impraticable dans notre pays, puisque le délai de réponse des autorités russes excédait de près du double le délai maximal de rétention des étrangers.

Toutefois, la France a déjà obtenu la conclusion d'un protocole bilatéral avec la Russie sur ce sujet, de même que l'Espagne et le Portugal qui ont des durées de rétention inférieures ou égales soixante jours.

Le protocole bilatéral avec la France, qui a été signé le 1 er février 2007, prévoit que le délai de réponse des autorités russes à une demande de réadmission formulée par la France sera de vingt-cinq jours.

L'argument de la Commission européenne en faveur d'un allongement de la durée de rétention n'est donc pas recevable, a fortiori pour justifier une telle remise en cause de notre conception de la rétention.

4. Une idée qui mérite d'être explorée : l'interdiction de territoire européen

La création d'une interdiction de réadmission, valable sur l'ensemble du territoire européen, ne doit pas être écartée définitivement en dépit des difficultés juridiques éventuelles que poserait sa transposition dans notre droit.

Elle remettrait également en cause notre summa divisio entre, d'une part, les décisions d'expulsion et les interdictions judiciaires du territoire et, d'autre part, les mesures de reconduite à la frontière. Seules les premières continuent de produire des effets après leur exécution. Les personnes expulsées sur décision administrative ou interdites de territoire français par le juge ne peuvent demander à revenir en France. Elles font l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le SIS.

En revanche, les étrangers qui font l'objet d'un simple arrêté de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français peuvent revenir immédiatement en France. Une fois exécuté un arrêté de reconduite à la frontière épuise tous ses effets. Il ne vaut pas interdiction du territoire français 15 ( * ) .

La loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a introduit une seule exception à ce principe. Les étrangers reconduits pour menace à l'ordre public ou travail illégal pendant la durée de leur visa de court séjour peuvent se voir interdire l'entrée en France pendant une durée d'un an.

La proposition de directive bouleverserait donc cet équilibre en permettant d'assortir toutes les mesures d'éloignement d'une interdiction du territoire européen.

Votre commission estime que cette idée mérite d'être étudiée à condition de ne pas donner un caractère systématique aux interdictions de réadmission.

Elle considère que la création d'une interdiction du territoire européen dans l'ensemble des Etats membres constituerait un message fort de solidarité européenne en matière de lutte contre l'immigration illégale.

De nombreux pays pratiquent déjà les interdictions du territoire. Or, tous les Etats membres sont coresponsables du contrôle des entrées dans l'espace Schengen. Chaque Etat membre doit faire respecter les interdictions de territoire prises par un autre Etat membre.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a adopté une proposition de résolution, dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(texte adopté par la commission des Lois en application
de l'article 73 bis du règlement du Sénat)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (texte E 2948),

Considère que l'approfondissement de l'intégration européenne en matière d'immigration devrait d'abord concerner la poursuite de l'harmonisation des normes relatives à l'entrée et au séjour sur le territoire des Etats de l'Union européenne ;

Considère que cette proposition, à faible valeur ajoutée et au dispositif trop détaillé, ne respecte pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Estime que la priorité accordée au retour volontaire ne doit pas interdire d'éloigner rapidement un étranger en situation irrégulière pour des motifs d'ordre public ou s'il a été interpellé à la suite d'un contrôle d'identité ;

Demande au Gouvernement de saisir le Conseil d'Etat pour avis sur la constitutionnalité de la proposition de directive ;

S'oppose à une harmonisation de la durée de la rétention fixant une durée minimale, a fortiori égale à quatre mois ; observe de manière générale que les garanties offertes aux étrangers par la proposition de directive sont moins protectrices que celles prévues par la législation française ;

Estime que la création d'une interdiction du territoire européen constituerait un message fort de solidarité européenne en matière de lutte contre l'immigration illégale ; invite par conséquent le Gouvernement à parvenir à un accord sur cette question tout en veillant au strict respect des principes de valeur constitutionnelle.

* 1 Document COM (2005) 391 final adopté par la Commission européenne le 1 er septembre 2005.

* 2 La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a adopté le 12 avril 2006 une proposition de résolution présentée par M. Thierry Mariani. Elle devrait être très prochainement examinée par la commission des lois.

* 3 Cette directive a été transposée à l'article L. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 4 Le défaut de délivrance en temps utile des laissez-passer consulaires est une des principales causes d'échec des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. En 2005 et 2006, le taux de délivrance s'établissait à 45 % contre 35 % en 2004. Près de 40 accords bilatéraux de réadmission entre la France et des pays sources d'immigration clandestine ont été conclus. La conclusion de tels accords entre la communauté européenne et les pays sources peut présenter plusieurs avantages : ne pas froisser les susceptibilités nationales lorsqu'il existe des liens particuliers entre un Etat membre et un de ces pays, ne pas permettre aux filières d'immigration clandestine de jouer des différences entre les accords bilatéraux, avoir un poids plus important dans la négociation, notamment lorsqu'il faut en contrepartie accorder des facilités en matière de délivrance des visas.

* 5 Le SIS II pourra intégrer les empreintes digitales des personnes signalées, par exemple les étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement pour des raisons d'ordre public ou ayant été éloignés pour ces motifs.

* 6 C'est la décision déclarant illégal le séjour d'un ressortissant d'un pays tiers et imposant une obligation de retour.

* 7 C'est la décision ordonnant l'éloignement.

* 8 Pour les décisions de retour, il ne s'agirait que d'une faculté. En effet, si l'étranger a accepté de retourner volontairement dans son pays, l'automaticité de l'interdiction de réadmission est moins justifiée.

* 9 Rapport n° 300 (2005-2006).

* 10 Voir l'étude de législation comparée du Sénat n°162 (avril 2006) sur l'expulsion des étrangers en situation irrégulière.

* 11 Cette réforme n'est entrée en vigueur qu'au 1 er janvier 2007.

* 12 Article 8 : La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

* 13 Système d'information sur les visas.

* 14 Le défaut d'obtention dans les délais des laissez-passer consulaires (LPC) est la principale cause d'échec des reconduites. En 2006, 13.550 LPC ont été demandés en métropole. 5703 ont été obtenus dans les délais. 3850 demandes n'ont jamais obtenu de réponses. 3276 ont essuyé un refus et 245 ont été obtenus au delà des 32 jours.

* 15 Certains Etats membres peuvent déjà assortir leurs décisions d'éloignement, quelles qu'elles soient, d'une interdiction de leur territoire. En Allemagne, c'est toujours le cas.

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