Rapport n° 72 (2007-2008) de M. Dominique LECLERC , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 7 novembre 2007

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N° 72

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 novembre 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Dominique LECLERC,

Sénateur.

Tome IV :

Assurance vieillesse

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mme Claire-Lise Campion, MM. Bernard Seillier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Annie David, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Alain Vasselle, François Vendasi.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 e législ . ) : 284 , 295, 303 et T.A. 48

Sénat : 67 et 73 (2007-2008)


Les propositions de la commission des affaires sociales
pour la branche vieillesse en 2008

La commission, par la voix de son rapporteur Dominique Leclerc, poursuit cette année cinq objectifs principaux :

Outre les préretraites d'entreprise, pénaliser financièrement le recours à d'autres dispositifs de cessation précoce d'activité :

- les préretraites Cats et FNE ;

- l'ensemble des préretraites « maison ».

Assurer le suivi statistique de l'emploi des seniors :

- augmenter la pénalité applicable en cas de non-respect par un employeur de l'obligation de déclarer chaque année le nombre des salariés partis en préretraite ou placés en cessation précoce d'activité ;

- introduire, pour les entreprises d'au moins deux cent cinquante salariés, une obligation d'informer les services de l'Etat des licenciements des salariés âgés de soixante ans et plus remplissant les conditions d'un départ en retraite à taux plein ;

- prévoir une information du comité d'entreprise sur la politique de l'employeur à l'égard des seniors. Etablir à cet effet un rapport annuel sur le modèle du rapport sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Promouvoir le dispositif de retraite progressive :

- ouvrir son bénéfice aux assurés pouvant partir en retraite anticipée avant soixante ans ;

- prévoir une information systématique sur la retraite progressive à l'occasion de l'estimation indicative globale qui sera adressée à tous les assurés dans le cadre du droit à l'information.

Garantir la transparence et la neutralité financière des prochains adossements de régimes spéciaux de retraite au régime général :

- accorder à la Cnav une clause de révision figurant dans chaque convention d'adossement, similaire à celle obtenue par les régimes complémentaires Agirc et Arrco lors de l'adossement du régime des industries électriques et gazières de 2005 ;

- rendre obligatoire la consultation du conseil d'administration de la Cnav sur les modalités de chaque adossement pour qu'il s'assure du respect du principe de neutralité financière à l'égard de ses assurés sociaux.

Faire de la prospective une priorité de l'assurance vieillesse :

- publier chaque année, à partir de 2008, dans les rapports annuels des caisses de retraite de plus de 20 000 cotisants, une estimation sur trente ans de l'évolution de leurs équilibres financiers.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La réforme des retraites de 2003 a eu le mérite de mettre fin à près d'une décennie d'immobilisme, pendant laquelle les gouvernements successifs ont, volontairement ou non, renoncé devant l'ampleur de la tâche. Les perspectives démographiques, bien établies depuis la parution du Livre blanc de 1991, rendaient pourtant inévitables de nouvelles mesures d'ajustement. En brisant ce statu quo pernicieux, la loi du 21 août 2003 a constitué la plus importante modification de l'assurance vieillesse depuis 1945. Parmi les nombreuses dispositions adoptées à cette occasion, celle introduisant un mécanisme de pilotage fondé sur des rendez-vous réguliers présente un intérêt particulier car la réforme des retraites suppose un processus permanent d'adaptation aux grandes évolutions démographiques, économiques et sociales. Comme d'autres pays occidentaux, confrontés eux aussi au défi du vieillissement de la population, le législateur français a désormais posé les bases d'une meilleure gouvernance de l'assurance vieillesse.

Le prochain rendez-vous aura lieu au cours du premier semestre 2008. L'échéance risque de n'être guère aisée, d'autant que le déficit des principaux régimes s'est creusé davantage et plus rapidement que l'on ne le prévoyait il y a quatre ans. Il conviendra donc de commencer par analyser les raisons de cette évolution défavorable et d'en tirer les leçons qui s'imposent. En tout état de cause, un nouvel ajustement s'imposera en 2008, ne serait-ce que pour préserver le pacte entre les générations.

Depuis quatre à cinq ans, toutefois, les mentalités ont évolué au sujet de l'avenir des retraites. Sans aller jusqu'à rêver d'un possible consensus national sur cette question, comme ce fut pourtant le cas en Suède, en Allemagne ou en Espagne, du moins peut-on espérer un débat constructif et raisonnable.

Tout au long de la précédente législature, notre commission s'est efforcée d'agir pour préserver l'esprit de la réforme de 2003. Cela l'a conduite en particulier à veiller à préserver ses équilibres financiers, à plaider pour la suppression des cessations précoces d'activité et à introduire dans le code de la sécurité sociale les principes de neutralité et de transparence des opérations d'adossement des régimes spéciaux sur les caisses de retraite du secteur privé. Enfin, elle a souligné à maintes reprises la grande fragilité de la situation dans laquelle se trouve, tant sur le plan financier qu'institutionnel, la Cnav, c'est-à-dire le régime général.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale présente des mesures courageuses pour améliorer l'emploi des seniors. Mais il ne s'agit que d'un prélude. A l'approche du rendez-vous de 2008, votre commission entend continuer à représenter une force de propositions, en apportant sa contribution au débat public sur les retraites, fondée sur son expérience et les travaux de sa mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

En conséquence, elle souhaite :

- confirmer l'orientation générale de la réforme de 2003, tout en allongeant son horizon jusqu'en 2040 et en adaptant ses équilibres généraux en fonction de circonstances nouvelles ;

- défendre la nécessité de mettre en oeuvre en 2008 un ensemble de mesures d'économies afin de restaurer l'équilibre financier de la branche vieillesse ;

- créer les conditions d'une réforme structurelle à l'horizon 2012 fondée sur l'exemple des comptes notionnels suédois ;

- rééquilibrer la répartition des efforts à accomplir entre les assurés sociaux pour éviter qu'ils ne soient systématiquement mis à la charge des générations futures.

Enfin, votre rapporteur est convaincu que, pour conjurer la crise de confiance grandissante des jeunes actifs à l'égard du système de retraite, il faudrait créer un véritable électrochoc. Ceci suppose qu'on ne se limite pas à des ajustements en 2008, mais que l'on crée également les conditions d'une réforme systémique réalisable en 2012.

I. LE DÉFICIT PARADOXAL DE LA BRANCHE VIEILLESSE

A. MALGRÉ UNE RÉFORME COURAGEUSE EN 2003

1. Le poids des retraites dans le financement du système social

L'avenir des régimes de retraite dépend des perspectives de financement de l'ensemble du système de protection sociale : face à des besoins croissants en raison du vieillissement de la population, les recettes suffiront-elles ?

Notre pays est en effet caractérisé par des coûts salariaux élevés et un niveau de prélèvements obligatoires nettement supérieur à celui des pays concurrents. Le poids des prestations sociales dans le Pib s'est d'ailleurs encore accru de presque trois points au cours des quinze dernières années, en passant de 26,5 % en 1990 à 29,4 % en 2006.

Poids des prestations sociales dans le Pib

En points de Pib

1990

2006

Santé

9,1 %

10,3 %

Vieillesse - Survie

11,2 %

13,1 %

Maternité - Famille

2,9 %

2,7 %

Emploi

2,3 %

2,0 %

Logement

0,8 %

0,8 %

Pauvreté - Exclusion sociale

0,2 %

0,5 %

Prestations totales

26,5 %

29,4 %

Source : Drees, comptes de la protection sociale

Appréciée sur longue période, la tendance à l'augmentation de la part des prestations vieillesse est spectaculaire et il n'est financièrement pas soutenable de poursuivre dans cette voie.

1959

1970

1975

1980

1990

2000

Prestations du risque vieillesse-survie en % du Pib

5,4

7,3

9,1

10,3

11,2

12,6

Source : Cor

Selon les estimations du troisième rapport du conseil d'orientation des retraites (Cor), les dépenses de retraite devraient en effet s'accroître fortement, passant de 12,8 % du Pib aujourd'hui à près de 14 % en 2020 et 16 % en 2050.

L'OCDE, qui a mené des travaux comparables, chiffre l'impact du vieillissement de la population, à l'échéance 2050, à une augmentation comprise entre 1,9 % et 3,7 % du Pib pour les dépenses de santé et entre 1,3 % et 2,2 % pour les dépenses liées à la dépendance. Le conseil d'orientation des finances publiques souligne dans un rapport récent 1 ( * ) que, « dans le pire des scénarios, c'est même un surcoût supplémentaire de plus de sept points [de Pib] qui pourrait être constaté. »

Le véritable enjeu porte donc sur la « soutenabilité » du rythme d'évolution des dépenses au regard du principe d'équité entre les générations, d'une part, de la compétitivité de notre économie, d'autre part. Dans ces conditions, il est indispensable d'ouvrir un débat sur les possibilités d'infléchir prioritairement la croissance spontanée des dépenses.

2. Garantir la pérennité à moyen terme des régimes de retraite par répartition

Le vieillissement de la population française tend à saper progressivement les bases du système de retraite par répartition, ne serait-ce qu'en raison de la dégradation du rapport entre les cotisants et les retraités. La réforme des retraites de 2003 était donc inévitable, comme d'ailleurs celle de 1993 et celles intervenues en 1994 et 1996 dans les régimes complémentaires.

L'allongement de l'espérance de vie a en effet pour conséquence d'accroître chaque année la part relative des personnes âgées au sein de la population totale. Selon certains démographes, sur sa tendance actuelle, l'espérance de vie des Français pourrait atteindre quatre-vingt-onze ans en 2100 et celle des Françaises quatre-vingt-quinze ans.

Evolution de l'espérance de vie des hommes et des femmes

1950

1970

1990

2010

2030

2050

A la naissance

66,4

72,1

76,9

81,5

85,3

88,4

A 65 ans

13,6

15,2

18,0

20,6

23,1

25,2

Source : Insee

Au-delà des facteurs démographiques, il faut rappeler que les systèmes de retraite par répartition évoluent suivant un processus cyclique particulièrement lent . Ils n'atteignent leur maturité qu'au bout de soixante à quatre-vingts années , lorsque les premiers cotisants du régime (entrés entre l'âge de vingt et de quarante ans) arrivent au terme de leur retraite (entre quatre-vingts et cent ans). Schématiquement, le développement d'un régime par répartition traverse trois phases successives :

- une première période très favorable, la « jeunesse du régime », affichant de très forts excédents et provoquant généralement une illusion de richesse. Elle dure vingt à vingt-cinq ans. C'est d'ailleurs probablement encore la situation actuelle de certains régimes spécifiques de professions libérales ;

- une deuxième période, l'« adolescence du régime », marquée par les premiers déficits qui s'accélèrent rapidement. Cette phase, plus difficile, dure vingt à vingt-cinq ans. On peut penser que le régime général se situe aujourd'hui à la fin de cette phase de son développement ;

- une troisième période dite « de maturité », synonyme de réalisme contraint et caractérisée par l'impératif absolu de stabilisation durable des déficits. C'est aujourd'hui la situation des régimes spéciaux.

Le schéma suivant illustre ce processus cyclique à travers l'exemple d'un régime par répartition provisionné dont les réserves permettent d'amortir l'impact des évolutions. Dans le cas d'un régime par simple répartition, sans aucune réserve, le choc serait plus brutal encore.

La situation comptable du régime lors de sa création détermine ensuite très largement les conditions ultérieures de sa pérennité. Idéalement, il aurait fallu que les systèmes de retraite créés après la Seconde Guerre mondiale soient construits, dès l'origine, de façon à accumuler de forts excédents pendant les vingt-cinq premières années de leur existence. Il aurait ainsi été possible de préparer l'avenir, en anticipant la dégradation ultérieure des équilibres en phase de maturité. Plus un système de retraite a accumulé d'excédents en phase 1, moins le déficit en phase 3 sera élevé. Mais rares ont été les régimes de retraite qui ont accepté cette discipline salutaire.

Tel est donc le contexte dans lequel s'inscrivent toutes les réformes des retraites depuis la fin des années quatre-vingt. L'objectif de la réforme de 2003 était donc simple : garantir la pérennité à moyen et long terme du système de retraite par répartition.

3. L'esprit de la réforme de 2003 et les conditions de sa réussite

L'esprit de la réforme consistait à maintenir un haut niveau de pension à l'horizon 2020, tout en limitant la croissance des dépenses par le biais de la prolongation de la durée d'activité des assurés sociaux. Il s'agissait aussi de limiter au maximum les hausses de cotisation.

La réforme de 2003, comme celle de 1993 qu'elle prolonge, demandait donc avant tout aux Français d'accepter de reporter l'âge de liquidation de leur pension et d'accroître leur durée de cotisation, compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie. Une personne née en 1970 et prenant sa retraite à soixante-cinq ans devrait en effet disposer d'une espérance de vie supérieure à celle d'une personne née en 1930 et liquidant sa pension à soixante ans.

Durée de vie active et durée de retraite

Source : Ined et Dares, calculs Agirc-Arrco

Le succès de cette démarche dépendait étroitement de l'évolution du marché du travail. Le plan de financement de la « loi Fillon » prévoyait en effet que les futurs excédents de l'Unedic, résultant de la baisse du chômage consécutive au retournement démographique, pourraient neutraliser ou limiter le relèvement des cotisations vieillesse.

L'esprit de la loi était également fondé sur la coopération avec les partenaires sociaux, ainsi que sur celle des assurés sociaux.

« En 2003, le législateur a cherché à limiter le déséquilibre financier du régime général d'assurance vieillesse sans faire porter une charge excessive à ses assurés. En prenant l'option d'inciter au recul de l'âge de départ en retraite plutôt que de l'obliger par le relèvement de l'âge minimum, il a conditionné le succès de la réforme des retraites au succès des mesures en faveur de l'emploi, notamment celui des seniors. Le renforcement du lien entre emploi et retraite et les incertitudes sur l'évolution du marché du travail laissent donc largement ouverte la question sur l'efficacité des choix effectués. » 2 ( * )

Dans ces conditions, la réforme de 2003 apparaît aussi comme un pari sur l'esprit de responsabilité de chacun. L'enjeu principal consistait alors à faire avancer à tout prix le processus de sauvetage de l'assurance vieillesse, en engageant un dispositif permanent d'adaptation et de pilotage à long terme de ce régime.

4. L'équilibre prévisionnel du régime général et des pensions des trois fonctions publiques à l'horizon 2020-2050

Le schéma initial de financement de la réforme de 2003 a été établi sur une combinaison de mesures d'économies à moyen et long terme, mais il incluait aussi de nombreuses dépenses nouvelles, essentiellement à court et à moyen terme, celles-ci correspondant aux contreparties sociales de celles-là.

Trois mesures devaient produire la quasi-totalité de la réduction espérée du déficit de l'assurance vieillesse : l'allongement de la durée d'activité des assurés sociaux, la suppression de la proratisation dans le mode de calcul des pensions du régime général et l'alignement du mode d'indexation des pensions du secteur public sur celui du secteur privé. Elles étaient supposées couvrir environ un tiers du déficit prévisionnel de l'assurance vieillesse à l'horizon 2020 pour le secteur privé et près de la moitié pour les régimes du secteur public. Le solde serait financé par les excédents futurs de l'assurance chômage, d'une part, par le budget de l'Etat pour les pensions civiles et militaires, d'autre part.

Le Cor a présenté en mars 2006 une actualisation des projections à long terme à l'horizon 2020. A défaut de pouvoir décomposer les effets mesure par mesure, seul l'effet global de la réforme a été chiffré. Ces nouvelles projections confirment globalement les estimations initiales de la loi du 21 août 2003 sur la situation financière des principaux régimes de base.

Scénario de base du Cor établi en 2006 :
dépenses de retraite et besoins de financement

2003

2010

2020

2030

2040

2050

Avant réforme « Fillon »

Dépenses de retraite
(en % du Pib)

12,8

13,3

14,5

15,9

16,7

17,1

Besoin de financement
(en points de Pib)

-

- 0,5

- 1,7

- 3,1

- 3,9

- 4,3

Après réforme « Fillon »

Dépenses de retraite
(en % du Pib)

12,8

13,0

13,6

14,8

15,6

15,9

Besoin de financement
(en points de Pib)

-

- 0,2

- 0,8

- 2,0

- 2,8

- 3,1

Source : Cor

Plus récemment, un nouveau rapport du Cor a considéré que « les nouvelles projections démographiques [...] ne remettent pas en cause l'estimation du besoin du financement du système de retraite à l'horizon 2020, tel qu'il a été présenté au conseil en mars 2006 3 ( * ) . »

B. UNE DÉGRADATION IRRÉSISTIBLE DES COMPTES

1. Le creusement du déficit de la branche vieillesse

Entre 2003 et 2007, la croissance des dépenses (25,7 %) de la Cnav aura été nettement supérieure à celle de ses recettes (17,6 %). Malgré l'entrée en vigueur des premiers effets de la réforme, la dégradation des équilibres financiers du régime général est particulièrement nette : son déficit devrait ainsi atteindre, au minimum, 4,58 milliards d'euros en 2007, ce qui correspond à plus de 5 % des prestations versées.

Comptes de la Cnav

(en millions d'euros)

Cnav

2004

%

2005

%

2006

%

2007

%

2008

%

Charges nettes

74 979

4,9

80 796

7,8

84 947

5,1

90 084

6,0

94 429

4,8

Produits nets

75 235

3,9

78 919

4,9

83 092

5,3

85 499

2,9

88 762

3,8

Résultat

255

- 1 876

- 1 855

- 4 584

-5 667

Source : CCSS septembre 2007

A législation inchangée, le prolongement des tendances récentes déboucherait sur un déficit annuel de l'ordre de 9 à 10 milliards d'euros à la fin de l'actuelle législature. Une nouvelle réforme est donc indispensable en 2008.

Solde de la Cnav

(en milliards d'euros courants)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Scénario économique bas

- 4,6

- 5,1

- 6,3

- 7,4

- 8,9

- 10,3

Scénario économique haut

- 4,6

- 5,1

- 6,0

- 6,7

- 7,8

- 8,7

Source : Annexe B - PLFSS pour 2008

Cette évolution défavorable résulte mécaniquement du vieillissement de la population. La fraction de celle-ci atteignant soixante ans et ayant au moins un trimestre validé au régime général est ainsi passée de 670 000 à 850 000 personnes entre 2005 et 2006, soit une progression de 27 %.

Source : Cnav

Mais les facteurs démographiques n'expliquent pas tout.

Ainsi que le soulignait la Mecss 4 ( * ) : « Le poids des facteurs démographiques, avec le départ en retraite des premières classes d'âge du baby-boom d'après guerre, ne manque naturellement pas de faire sentir ses effets. Mais, à ce niveau de déficit, il s'agit clairement d'un déséquilibre de nature structurelle, qui de surcroît tend à augmenter rapidement : poursuivre sur cette tendance n'est pas soutenable. (...) Par ailleurs, les contreparties sociales ont représenté des charges certaines et importantes à court terme. Avec le temps, la générosité de la réforme s'est en quelque sorte retournée contre elle : les dépenses se sont avérées nettement plus fortes que prévu, notamment en raison du succès de la mesure des carrières longues, tandis que les économies ont été moins élevées qu'attendu. Le calendrier, très étalé dans le temps, d'entrée en vigueur de certaines mesures d'économies, est apparu à l'usage trop lent dans un contexte de dégradation des comptes. »

2. La fragilité structurelle du fonds de solidarité vieillesse

Le fonds de solidarité vieillesse (FSV) a pour mission de « concourir au financement des régimes de base » d'assurance vieillesse en leur remboursant les dépenses ne relevant pas de l'effort contributif des assurés.

Les dépenses du FSV se répartissent en trois blocs :

- 18 % au titre des prestations du minimum vieillesse ;

- 25 % pour le remboursement des majorations de pension pour conjoint et pour enfant à charge ;

- 56 % au titre du remboursement aux régimes du manque à gagner résultant de la validation des périodes non travaillées pour les chômeurs préretraités, les volontaires du service national et les anciens combattants.

Longtemps prospère en raison d'une évolution de ses recettes plus favorable que celle de ses dépenses, le FSV ne s'est toujours pas relevé des mesures prises entre 2000 et 2002. Plusieurs recettes lui ont alors été distraites, afin notamment d'assurer le financement direct ou indirect du Forec 5 ( * ) (droits sur les alcools ; 0,15 point de CSG) ou de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) (0,1 point de CSG). Parallèlement, de nouvelles dépenses lui ont été affectées, dont le remboursement de la dette de l'Etat à l'égard des régimes Agirc-Arrco, les allocations de cessation anticipée d'activité (Cats) et les allocations de fin de formation (AFF) mises en place dans le cadre du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare).

L'analyse rétrospective de la situation financière du fonds depuis sa création, en 1993, fait apparaître une première période caractérisée par d'importants excédents jusqu'en 2000, suivie par sept années consécutives de forts déficits. La dette du fonds devrait ainsi culminer à 5,25 milliards d'euros en 2007.

Les comptes du FSV

(en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007*

2008

Recettes

12 474

13 363

12 664

13 961

14 024

14 740

dont CSG

9 297

9 562

9 922

10 572

10 948

11 411

dont prélèvement social 2 %

350

382

388

477

464

477

dont droits sur les boissons

-

-

-

dont C3S

921

1 300

200

240

250

400

dont versements Cnaf

1 875

1 965

2 087

2 185

2 284

2 373

dont autres produits financiers

9

154

67

77

78

79

Dépenses

13 408

14 002

14 668

14 811

14 316

14 254

Solde

- 934

- 639

- 2 005

- 1 259

- 292

485

Solde cumulé

- 1 057

- 1 696

- 3 701

- 4 960

- 5 252

- 4 766

Source : CCSS septembre 2007

Les prévisions quadriennales du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoient désormais son retour à l'équilibre en 2008, suivi par des excédents croissants, ce qui permettrait un apurement total de sa dette d'ici 2012. Mais un tel scénario de retour spontané à l'équilibre n'est envisageable que si le marché de l'emploi continue à s'améliorer à un rythme rapide. Ainsi, prédomine l'idée d'une forte instabilité des recettes du fonds, qui perdurera jusqu'à ce que soit menée une réforme structurelle de la nature des ressources qui lui sont affectées.

Prospectives financières du FSV

(en milliards d'euros)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Recettes

14,0

14,8

14,9

15,5

16,2

16,8

Dépenses

14,2

14,2

14,2

14,5

14,7

15,0

Solde

- 0,3

0,6

0,6

1,1

1,4

1,8

Source : Annexe B - PLFSS 2008 Scénario économique bas

3. La pénalisation du régime général par la dernière réforme des mécanismes de compensation démographique

Afin de compenser les différences de structures démographiques entre les régimes sociaux, le législateur a créé deux mécanismes de transferts financiers : la compensation généralisée entre tous les régimes de base de retraite en 1974, puis, en 1985, la surcompensation , conçue entre les seuls régimes spéciaux.

Le total des flux financiers au sein de la branche vieillesse a atteint 9,7 milliards d'euros en 2007 . Le régime général est, de loin, le principal contributeur.

Bilan prévisionnel de la compensation et de la surcompensation
pour l'ensemble des régimes en 2008

Cette caractéristique a été accentuée par la réforme du mode de calcul intervenue en 2002, qui a consisté en « un « hold-up » sur les ressources de la caisse nationale d'assurance vieillesse. » 6 ( * )

Dans la loi de finances pour 2003, le Gouvernement a décidé la comptabilisation , dans les effectifs de cotisants et la masse salariale des régimes de retraite du régime général et des régimes alignés, des chômeurs et préretraités dont les cotisations étaient prises en charge par le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Parallèlement, avait été supprimée la prise en compte, dans l'établissement de la prestation de référence, des majorations pour enfant servies par le même FSV.

Le bilan, pour les cinq dernières années de la situation des différents régimes de retraite au regard des mécanismes de compensation et de surcompensation, fait ressortir à quel point la Cnav demeure pénalisée par cette opération de « tuyauterie » extrabudgétaire. Le régime général apparaît en effet comme le grand perdant de la période 2002-2007 dans la mesure où sa contribution s'est accrue de 900 millions d'euros par an.

C. DES IMPRÉVUS MALHEUREUX CONSIDÉRABLES

1. Une conjonction de facteurs défavorables à court terme

Au-delà, plusieurs facteurs défavorables se sont conjugués pour accroître les déséquilibres financiers des grands régimes de retraite, à commencer par celui de la Cnav.

Des dispositions nouvelles, divers problèmes d'application, comme l'épisode fâcheux des décrets sur la réversion, ont progressivement entamé l'apport de la loi du 21 août 2003. Des avantages supplémentaires ont été accordés à certaines catégories d'assurés sociaux (pompiers, personnes handicapées, agriculteurs, enseignants du secteur privé...) par des textes votés au cours des quatre dernières années. Ce flux continu de mesures catégorielles répond certes à des demandes sociales souvent légitimes. Mais il finit par peser sur les comptes sociaux et remettre en cause la cohérence initiale de la réforme.

Le scénario du prolongement de la durée d'activité et d'un report progressif de l'âge moyen de départ en retraite des assurés sociaux n'a trouvé aucun début de réalisation. Or, les comptes du régime général y sont d'une extrême sensibilité. Les services de la Cnav estiment qu'une anticipation de seulement un mois de l'âge moyen auquel les assurés sociaux demandent la liquidation de leur pension occasionne une dépense annuelle supplémentaire de 300 millions d'euros.

Les salariés du régime général ont mis à profit les dispositions de la réforme des retraites leur ouvrant une plus grande liberté de choix, non pas pour continuer à travailler mais, à l'inverse, pour liquider leur pension le plus tôt possible. Une proportion non négligeable d'entre eux, que les enquêtes d'opinion évaluent à une personne sur quatre, souhaiterait pourtant poursuivre son activité professionnelle mais cède à ce sentiment d'inquiétude largement répandu en ce qui concerne l'avenir des retraites.

Ces facteurs psychologiques sont certainement réversibles, à condition que la prochaine réforme des retraites soit ambitieuse. En ouverture du débat national de l'année prochaine, les mesures sur les préretraites figurant dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 constituent un heureux présage.

Au total, force est de constater que jusqu'ici, la réforme des retraites de 2003 a pour ainsi dire joué de malchance.

2. L'emballement du dispositif des carrières longues

Le succès de la mesure des carrières longues est aussi large qu'ambigu. Il est parfaitement légitime de prendre en compte la situation des personnes ayant commencé à travailler dès l'âge de quatorze, quinze ou seize ans. Mais les dépenses que ce dispositif occasionne ne sont malheureusement plus compatibles avec les comptes très dégradés de l'assurance vieillesse.

Pour la Cnav, les charges correspondantes se sont élevées successivement à 1,4 milliard d'euros en 2005, à 1,8 milliard en 2006 et devraient atteindre 2,15 milliards en 2007, puis 2,3 milliards en 2008. Le nombre des départs ne faiblit pas et dépasse 100 000 personnes par an. Pour les générations 1948 et 1950, le poids relatif des bénéficiaires devrait atteindre 17 % à 18 % des hommes et 4 % à 5 % des femmes, ce qui est considérable.

en pourcentage

Génération

Hommes

Femmes

1945

9,2

1,9

1946

11,9

3,0

1947

14,1

4,1

1948

16,9

4,6

1949

17,6

4,3

1950

17,7

4,2

Source : Cnav

Depuis 2004, la population éligible est manifestement sous-estimée en raison d'un manque d'information sur les durées validées que les assurés sont susceptibles de faire valoir.

Les prévisions initiales établies en 2003 escomptaient une décrue progressive du nombre des nouveaux bénéficiaires à partir de la fin de l'actuelle décennie, et surtout du début des années 2010. Ce scénario reposait essentiellement sur l'allongement de l'obligation scolaire, passée de quatorze à seize ans à partir de la génération 1953. Mais il ne tenait pas compte des nombreuses possibilités de validations de trimestres aujourd'hui en vigueur, dont le volume devrait finalement s'avérer trois fois supérieur aux prévisions.


Profil des bénéficiaires du dispositif carrière longue

Les assurés bénéficiant d'un départ anticipé entre 56 et 59 ans sont dans une proportion écrasante (79 %) des hommes, la part des femmes demeurant très minoritaires pour la troisième année consécutive. Or, d'une façon générale, les femmes liquident leur pension (à 61 ans et cinq mois en 2006 à la Cnav) en moyenne près d'un an après les hommes (60 ans et six mois). Force est ainsi de constater que la mesure des carrières longues aboutit non pas à corriger, mais à l'inverse à accentuer, l'une des principales inégalités caractérisant notre système de retraite.

Répartition par sexe des bénéficiaires (en 2006)

Femmes

Hommes

Total

22 541

82 730

105 271

21,4 %

78,6 %

100 %

Source : Cnav 2007

Les différences entre les sexes apparaissent moins sensibles en ce qui concerne l'âge des départs avec néanmoins là encore un avantage pour les hommes.

Répartition des âges de liquidation

56 ans

57 ans

58 ans

59 ans

Femmes

27,9 %

18,7 %

20,1 %

33,3 %

Hommes

38,8 %

22,5 %

16,6 %

22,1 %

La plupart des bénéficiaires de la mesure de retraite anticipée ont terminé leur carrière professionnelle en qualité d'ouvrier qualifié ou non qualifié, d'employés ou de chauffeurs. Les cadres constituent 9 % de l'effectif total soit deux fois moins que leur poids relatif dans la population active. Souvent évoqué dans la presse, le secteur de la construction n'apparaît pas particulièrement surreprésenté dans les départs en carrières longues. C'est le cas, en revanche, en ce qui concerne les femmes, pour les ouvrières de l'industrie et de la manutention, les techniciennes et, dans une faible mesure, les cadres administratifs et commerciaux ou les professions de la santé. Chez les hommes, on retrouve la même tendance pour les ouvriers qualifiés de l'industrie et les employés du commerce.

Source : Données fournies par la Cnav

3. Les conséquences de la jurisprudence européenne sur l'égalité entre les femmes et les hommes

La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) sur l'égalité entre les hommes et les femmes a imposé des changements importants dans les règles des systèmes de retraite. Le problème n'avait manifestement pas été perçu dans toute son ampleur en 2003 car le code des pensions civiles et militaires ne fut alors que partiellement modifié. Et aujourd'hui encore, cette jurisprudence, sur laquelle le Conseil d'Etat s'est aligné, n'a toujours pas fini d'affecter les bases de l'assurance vieillesse puisque, dans les régimes spéciaux, les adaptations nécessaires restent à faire.

Notre droit social comportait en effet, depuis longtemps, de nombreuses dispositions réservées aux femmes. Cette caractéristique constituait en quelque sorte un prolongement de la conception française de la politique familiale. Il s'agissait de compenser les charges spécifiques liées au fait d'avoir élevé des enfants.


Les conséquences en matière de retraite de la jurisprudence de la CJCE
sur l'égalité entre les hommes et les femmes

La CJCE a joué un rôle majeur dans la mise en oeuvre du principe d'égalité entre les hommes et les femmes à la faveur des nombreux litiges dont elle a été saisie en matière de pension. Outre la question de savoir si les retraites pouvaient être considérées comme des rémunérations, se posait celle de savoir si les régimes concernés étaient des régimes légaux ou des régimes professionnels, ce qui entraîne aux yeux du juge européen des conséquences différentes.

Deux arrêts récents 7 ( * ) ont porté sur le régime français des pensions civiles et militaires de retraite, considéré comme un régime légal au niveau communautaire. Dans les deux cas, la cour a conclu au caractère de rémunération des pensions versées et à l'incompatibilité des dispositions en cause avec le principe d'égalité des rémunérations posé à l'article 119 du traité de Rome.

Dans l'affaire Griesmar, le requérant demandait le bénéfice de la bonification pour enfant, avantage à l'époque exclusivement réservé aux agents féminins dans la législation française. La Cour a tout d'abord relevé que l'article L.12 b) du code des pensions, ainsi contesté ne comportait «aucun élément établissant un lien entre la bonification prévue et d'éventuels désavantages de carrière découlant du congé maternité. Il n'exige même pas que les enfants ouvrant droit à la bonification soient nés à un moment où leur mère avait la qualité de fonctionnaire». Puis, le gouvernement français justifiant la finalité de cette mesure par la période consacrée à l'éducation des enfants, elle a considéré que la situation des agents masculins était comparable à celle des agents féminins. Le Conseil d'Etat a par la suite suivi cette jurisprudence à l'occasion des litiges dont il a été saisi.

La CJCE procède à un raisonnement en deux étapes : s'il s'agit d'un régime professionnel, elle estime que le principe d'égalité de rémunération s'applique directement ; dans le cas d'un régime légal, elle vérifie si celui-ci est fondé sur la solidarité nationale ou sur ce qu'elle qualifie un « lien d'emploi ». Depuis l'arrêt Beune, la Cour considère qu'un régime légal verse des « prestations de rémunération », c'est-à-dire fondées sur un lien d'emploi, et non des prestations de sécurité sociale, lorsqu'il remplit les critères suivants :

- la pension n'intéresse qu'une catégorie particulière de travailleurs ;

- elle est directement fonction du temps de service accompli ;

- elle est calculée sur la base du dernier traitement.

Si ces critères sont remplis, le régime légal de retraite concerné doit respecter les mêmes principes relatifs à l'égalité entre les hommes et les femmes que les régimes professionnels.

En revanche, la Cour accepte que les régimes légaux fondés sur le principe de solidarité demeurent dans une situation dérogatoire au regard du principe d'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. La Cnav, dont la réglementation comporte toujours des mesures plus favorables aux femmes, semble pour l'instant à l'abri d'une contestation.

La jurisprudence de la CJCE 8 ( * ) rendait inévitable une modification du Code des pensions civiles et militaires. L'article 44 de la loi du 21 août 2003 a de ce fait étendu aux hommes la possibilité de bénéficier de bonifications pour enfants, mais en prévoyant que le parent concerné doit avoir arrêté son activité professionnelle pour élever son enfant. La compatibilité du droit français avec les principes posés par le juge communautaire n'était encore que partielle.

Il a fallu attendre l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004, résultant d'un amendement déposé par votre rapporteur, ainsi que le décret d'application n° 2005-449 du 10 mai 2005 pour préciser les conditions dans lesquelles les parents de trois enfants bénéficient d'un départ anticipé à la retraite. Comme les femmes, les hommes doivent avoir interrompu leur activité pendant au moins deux mois pour élever chacun de leurs enfants. Les contentieux, il est vrai, s'étaient multipliés, plus de 4 800 fonctionnaires introduisant des recours devant le juge administratif contre des décisions individuelles de refus de retraite. Il fallait donc agir. En ce qui concerne les trois fonctions publiques, la question est donc désormais réglée.

En revanche, dans la plupart des régimes spéciaux, la jurisprudence Griesmar ne s'est pas encore traduite par les modifications des règles. Le problème est d'autant plus aigu qu'il concerne aussi bien la réversion que les bonifications pour enfant ou les départs anticipés des mères de trois enfants.

Le statu quo actuel est intenable. Pour les industries électriques et gazières, on a compté pas moins de 400 instances contentieuses, dont plus de 150 sont toujours en cours. A la Banque de France, une centaine de recours de ce type ont été déposés. Deux contentieux sont encore en cours à la RATP. De même, une dizaine de recours ont été engagés contre les dispositions du règlement de retraites de la SNCF réservant aux femmes agents, mères d'au moins trois enfants, la possibilité de demander une pension de retraite anticipée.

Cette situation est porteuse de conséquences sur l'avenir de ces régimes, tous largement financés par le contribuable, les transferts des autres régimes sociaux et l'usager. Il s'agit pour ainsi dire d'une grenade dégoupillée dans la mesure où le personnel des grandes entreprises nationales concernées est principalement masculin, et même à 83,4 % à la SNCF. L'extension pure et simple aux hommes des avantages réservés aux femmes en matière de retraite représenterait donc un coût exorbitant pour les finances publiques, comme pour les finances sociales.

4. L'impact des nouvelles normes comptables internationales pour les retraites des grandes entreprises nationales

A l'origine, le règlement CE 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002, publié au Journal officiel des communautés européennes le 11 septembre 2002, avait prévu dans son article 4 que « les sociétés régies par le droit national d'un Etat membre sont tenues de préparer leurs comptes consolidés conformément aux normes comptables internationales » . Cette nouvelle norme comptable internationale, dite IAS 19, oblige à comptabiliser en provisions au bilan l'intégralité des engagements de retraites. L'objectif est de présenter tous les avantages servis au personnel, c'est-à-dire toutes les formes de contreparties versées par une entreprise en échange des services rendus par ses employés : mutuelle, retraite complémentaire, avantages divers.

Cette présentation comptable a retenu l'option suivant laquelle le coût des avantages versés au personnel doit être comptabilisé au cours de l'exercice pendant lequel l'employé acquiert l'avantage plutôt que lorsqu'il est payé ou en cours de paiement, par exemple, lors de la retraite du salarié.

Ce changement a été lourd de conséquences pour les grandes entreprises publiques à régime de retraite spécial comme EDF et GDF dans la mesure où elles n'avaient jamais eu à provisionner, jusqu'alors, leurs engagements de retraite et où elles ne disposaient pas des fonds propres nécessaires pour y faire face.

Pour régler ce problème, les pouvoirs publics ont conçu la technique dite de l'adossement permettant d'élargir le mode de financement et de garantir le paiement des retraites des régimes spéciaux. La loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières a donc sorti les engagements de retraite du bilan des entreprises publiques concernées ; la Cnav, l'Agirc et l'Arrco assurant alors le service des prestations de base et complémentaires, en contrepartie de cotisations employeur et salarié de droit commun.

Le régime spécial proprement dit (« régime chapeau ») a été maintenu grâce à la création d'une contribution tarifaire sur les activités régulées à la charge des usagers et, pour le solde, au financement des entreprises. Toutefois, dans la mesure où il ne s'agit que d'une opération comptable et financière et que le niveau des prestations des assurés sociaux demeure inchangé, y compris pour les nouveaux entrants, le coût du régime spécial demeure, quoi qu'il en soit très élevé.

D. LE TORPILLAGE DE LA POLITIQUE D'EMPLOI DES SENIORS

1. Une politique vidée de son contenu par des accords conventionnels

Le sommet européen de Stockholm de mars 2001 avait fixé un objectif de 50 % au taux d'emploi moyen des hommes et des femmes âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans à l'horizon 2010. Honorer cet engagement supposait que les pouvoirs publics français changent de politique en matière d'emploi des seniors.

La loi du 21 août 2003 a, pour la première fois, engagé une inflexion sensible de la politique publique en matière de cessation précoce d'activité :

- une partie des préretraites d'entreprise a été assujettie à une contribution spécifique afin de dissuader les employeurs d'avoir recours à cette mesure d'âge ;

- les cessations anticipées d'activité des travailleurs salariés (Cats) ont été recentrées vers les seuls salariés ayant réalisé des travaux pénibles ;

- le dispositif de la préretraite progressive a été supprimé ;

- le principe du report à soixante-cinq ans de l'âge de mise à la retraite d'office a été posé.

Mais, lors des débats parlementaires, un amendement avait été adopté, en dépit des réserves exprimées par le Gouvernement, pour créer une dérogation et permettre que la mise à la retraite d'office ait lieu, à titre dérogatoire, dès l'âge de soixante ans . Cette faculté demeurait ouverte si une convention ou un accord collectif étendu fixait des « contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle », sans autre précision.

Entre la promulgation de cette mesure et l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui y a mis fin à compter de 2010, pas moins de cent deux branches professionnelles, dont les plus importantes, ont conclu des accords sur cette base. Ces branches couvrent des secteurs (métallurgie, bâtiment, banque...) employant près de sept millions de salariés.

Par ses proportions, la dérogation a vidé de sa substance les dispositions générales et l'exception est devenue la règle. Huit branches professionnelles au minimum ont même conclu des accords dérogatoires en dessous de l'âge de soixante ans, ce dont votre rapporteur persiste à douter de la légalité.

2. Des dispositifs de cessation précoce d'activité fonctionnant encore à plein régime

Aujourd'hui, plus de 60 % des personnes appartenant aux classes d'âge proches de la retraite relèvent des principaux mécanismes collectifs de cessation d'activité :

- les préretraites publiques ;

- les préretraités au titre de l'indemnisation des victimes de l'amiante ;

- les préretraites d'entreprise ;

- les chômeurs dispensés de recherche d'emploi ;

- les invalides de plus de cinquante-cinq ans.

Ces départs interviennent aussi sur la base des instruments juridiques individuels de mise en cessation précoce d'activité que sont les mises à la retraite d'office (MRO) et les départs volontaires en retraite des salariés âgés visés au premier alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail.

L'observation des vingt dernières années montre que les mécanismes de cessation d'activité se sont succédé au fil du temps. Les tentatives des pouvoirs publics visant à les restreindre aboutissent à des résultats le plus souvent partiels et ambigus. Les entreprises françaises continuent d'avoir recours aux mesures d'âge - et en premier chef aux préretraites.

Le taux d'emploi des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans en France est néanmoins passé de 29,3 % en 2000 à 37,9 % en 2005. Mais cette augmentation, somme toute modeste, s'explique pour partie par l'effet mécanique de l'arrivée des premières générations du baby-boom dans la tranche d'âge cinquante-cinq à cinquante-neuf ans. Il ne s'agit donc pas d'un retournement de tendance. Une fois neutralisé l'effet de la modification de la structure par âge de la population active, le taux d'emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n'aurait augmenté que de cinq points.

Evolution comparée du taux d'activité en France et en Europe

1998

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Evolution 2003-2006

Taux d'emploi des hommes et des femmes âgés de 15 à 64 ans

- France

59,9 %

61,7 %

62,7 %

62,9 %

63,2 %

63,1 %

63,1 %

63,0 %

- 0,2 %

- moyenne UE 15*

60,8 %

63,1 %

63,9 %

64,2 %

64,4 %

64,7 %

65,2 %

- écart

- 0,9

- 1,4

- 1,2

- 1,3

- 1,2

- 1,6

- 2,1

Taux d'emploi des hommes âgés de 15 à 64 ans

- France

67,2 %

68,8 %

nd

69,6 %

69,4 %

69,0 %

68,8 %

68,5 %

- 0,9 %

- moyenne UE 15

70,5 %

72,4 %

nd

72,9 %

72,7 %

72,7 %

72,9 %

- écart

- 3,3

- 3,6

nd

- 3,3

- 3,3

- 3,7

- 4,1

Taux d'emploi des femmes âgées de 15 à 64 ans

- France

52,9 %

54,8 %

55,7 %

56,4 %

57,2 %

57,4 %

57,6 %

57,7 %

0,5 %

- moyenne UE 15

51,1 %

53,8 %

54,8 %

55,5 %

56,1 %

56,8 %

57,4 %

- écart

1,8

1,0

0,9

0,9

1,1

0,6

0,2

Taux d'emploi des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans

- France

nd

29,3 %

30,7 %

33,8 %

36,8 %

37,3 %

37,9 %

37,6 %

0,8 %

- moyenne UE 15

nd

37,5 %

38,2 %

39,8 %

41,7 %

42,5 %

44,1 %

- écart

nd

- 8,2

- 7,5

- 6,0

- 4,9

- 5,2

- 6,2

Taux d'emploi des hommes âgés de 55 à 64 ans

- France

nd

32,8 %

nd

38,1 %

40,9 %

41,0 %

40,7 %

40,1 %

- 0,8 %

- moyenne UE 15

nd

47,6 %

nd

49,8 %

51,6 %

52,2 %

53,1 %

- écart

nd

- 14,8

nd

- 11,7

- 10,7

- 11,2

- 12,4

Taux d'emploi des femmes âgées de 55 à 64 ans

- France

nd

26,0 %

26,7 %

29,6 %

32,9 %

33,8 %

35,2 %

35,2 %

2,3 %

- moyenne UE 15

nd

27,7 %

28,6 %

30,2 %

32,2 %

33,2 %

35,4 %

- écart

nd

- 1,7

- 1,9

- 0,6

0,7

0,6

- 0,2

* Belgique, Danemark, Allemagne, Irlande, Grèce, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Portugal, Suède, Finlande et Royaume-Uni.

Source : Données issues des enquêtes européennes sur les forces de travail pour les années 1998 à 2006 (Eurostat).

Par ailleurs, aux nombreux dispositifs de cessation d'activité s'ajoutent les effets de la mesure des longues carrières si bien que jamais sans doute l'âge de cessation d'activité des salariés français du secteur privé n'a été aussi bas qu'en 2007.

3. La rupture proposée par le projet de loi de financement pour 2008

Les mises à la retraite d'office et les préretraites d'entreprise constituent le talon d'Achille de la réforme de 2003. Indépendamment des préretraites financées par l'Etat et le régime d'assurance chômage, il est en effet possible pour un employeur de mettre en oeuvre des dispositifs, couramment appelés « préretraites maison » ou « congés de fin de carrière ». Ils sont institués surtout dans les grandes entreprises et s'adressent aux salariés remplissant des conditions d'âge et d'ancienneté. Mais certains de leurs bénéficiaires ont aujourd'hui encore à peine cinquante ans... Ces préretraites d'entreprise entraînent une cessation totale d'activité jusqu'à l'âge de la retraite, l'employeur s'engageant à verser une rémunération en général supérieure à 65 % du salaire brut antérieur.

Un autre dispositif juridique est porteur de difficultés. Il résulte d'un amendement déposé, l'an dernier, par le précédent gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire constituée pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Son adoption a permis d'instituer un nouveau cas de rupture du contrat de travail pour les salariés âgés reposant « sur l'accord de l'employeur ». Le régime fiscal et social de l'indemnité de départ versée au salarié avait été aligné sur celui, très avantageux, de l'indemnité de licenciement.

Ce régime d'exonération totale de charges sociales, à l'exception de la CSG et de la CRDS, doit s'appliquer à partir du 1 er janvier 2010 et jusqu'au 1 er janvier 2014. Son coût annuel pour les finances sociales serait compris entre 600 millions et un milliard d'euros. Il s'adresse uniquement à la centaine de branches professionnelles ayant conclu une convention ou un accord collectif étendu dérogeant au principe du report à soixante-cinq ans de l'âge auquel un employeur peut mettre un salarié à la retraite d'office. Il crée un mécanisme de substitution à la mise en extinction, d'ici au 31 décembre 2009, de ces dérogations.

Votre commission s'était alors montrée très hostile à ce type de préoccupation 9 ( * ) , le Sénat votant même à l'unanimité la suppression d'une disposition d'inspiration analogue. La note de la mission conjointe sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office établie par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales confirmait cette analyse 10 ( * ) . « Sur un plan général, il est en effet certain que cette possibilité mise à la disposition des employeurs favorise et encourage la culture du départ précoce, et cela d'autant plus qu'elle bénéficie d'un statut fiscal et social favorable particulièrement attrayant, et cela aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. »

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 propose de réparer cette erreur et de pénaliser le recours aux préretraites. Il s'agit de porter de 24,15 % à 50 % le taux de la contribution créée par la loi du 21 août 2003 sur les avantages de préretraite d'entreprise et de créer une contribution similaire pour les mises à la retraite à l'initiative de l'employeur. Il convient enfin de noter qu'en première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un amendement pour supprimer le mécanisme de départ négocié en commun prévu pour la période 2010-2014 voté l'an dernier.

II. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DANS LA PERSPECTIVE DU RENDEZ-VOUS DE 2008 SUR LES RETRAITES

A. PRIVILÉGIER LES MESURES D'ÉCONOMIES

1. Etablir un constat lucide et réaliste de la situation de l'assurance vieillesse

L'évolution à moyen et long terme des grands équilibres de l'assurance vieillesse est étroitement tributaire des comportements individuels des assurés sociaux. Or, la loi du 21 août 2003 a précisément accru leur liberté de choix, notamment de l'âge de départ en retraite. Dans ces conditions, l'établissement de prospectives constitue incontestablement un exercice difficile. Votre rapporteur constate que les principales hypothèses sur lesquelles repose l'actualisation du scénario de base du Cor publiée en octobre 2007 sont toutes favorables 11 ( * ) :

- l'estimation du décalage de l'âge moyen de départ à la retraite conduirait à terme à quelque 400 000 actifs supplémentaires ;

- le taux de chômage diminuerait et se stabiliserait à 4,5 % à partir de 2015 ;

- la croissance de la population se poursuivrait à un rythme assez élevé, sur la base d'un taux de fécondité de 1,9 enfant par femme et d'un solde migratoire positif de 100 000 par an ;

- les gains escomptés en matière d'espérance de vie seraient plus faibles que prévu en 2005, ce qui aboutirait mécaniquement à réduire le niveau des dépenses.

Votre rapporteur considère en revanche que les hypothèses de productivité restent au niveau, excessivement optimiste à son sens, de mars 2006 12 ( * ) . Ceci permet de réduire nettement les besoins prévisionnels de financement des caisses de retraite, mais n'est guère cohérent avec la moyenne récente obtenue par l'économie française (1,1 % par an).

D'une façon générale, la qualité des données prospectives souffre de l'archaïsme de l'organisation de nombreuses caisses de retraite dont l'activité consiste à encaisser des cotisations et payer des prestations.

Au-delà de ces problèmes techniques, gérer les régimes de retraite suppose de combattre certaines illusions : le refus de la réalité, la surestimation des marges de manoeuvre financière et la grande inertie des mécanismes de l'assurance vieillesse.

Le temps de réaction à la modification des paramètres d'équilibre des régimes de retraite est généralement long, jusqu'à vingt ans parfois pour enregistrer les premiers effets visibles de certaines mesures. Il faut donc agir le plus en amont possible.

Par ailleurs, la masse des réserves accumulées, lorsqu'elles existent, peut paraître élevée, mais se révèle en réalité limitée au regard de l'ampleur des déséquilibres qui attendent les régimes de retraite encore jeunes. Il en résulte parfois un sentiment trompeur de sérénité pour les gestionnaires des caisses de retraite : « En France depuis la guerre, nous vivons dans l'illusion créée par le baby-boom ; après guerre, le poids des retraites était amoindri par la pyramide des âges de l'époque. En outre, la durée de la retraite après une vie active plus longue qu'aujourd'hui (la retraite était à soixante-cinq ans) était nettement moindre car l'espérance de vie après soixante-cinq ans était plus faible. Aujourd'hui notre inconscient collectif sous-estime la modification de la pyramide des âges. Le coeur du problème des retraites tient, du fait de l'essence même du système de répartition, à la difficulté pour la société de réaliser le transfert intergénérationnel nécessaire. » 13 ( * )

2. Allonger l'horizon de la réforme jusqu'en 2040

L'horizon de la réforme dépend étroitement de la stratégie définie par les pouvoirs publics. Un régime n'est viable que s'il a une distance de sécurité que certains actuaires évaluent à environ vingt-cinq ans avant la date probable de survenance d'une crise de solvabilité. Si tel n'est pas le cas, une réforme s'impose à brève échéance.

En théorie, deux stratégies sont envisageables :


La recherche d'un équilibre absolu constitue assurément la démarche la plus ambitieuse. Elle suppose que dès la création d'un système de retraite donné, les conditions de son équilibre à long terme soient assurées. Cette technique repose sur l'idée qu'un niveau de réserve constant (en euros constants ou en années de prestations) entraînera des produits financiers eux-mêmes constants.


Le « maintien d'une distance de sécurité » est l'autre branche de l'alternative lorsque la première méthode est manifestement hors de portée . Elle consiste à repousser, au-delà d'un horizon prédéterminé, par des mesures progressives la date à laquelle une crise de solvabilité est susceptible de se produire. Cela suppose des réformes régulières qui garantissent une réduction à terme du niveau de déficit stabilisé (en phase de maturité), voire le maintien d'un excédent technique le temps que des réserves soient constituées et permettent d'atteindre, grâce aux produits financiers, un niveau d'équilibre pérenne.

Toutefois, lorsqu'un certain stade est dépassé, la « distance de sécurité » est franchie et le choc, c'est-à-dire la crise de solvabilité, constitue alors une certitude à plus ou moins long terme. La décennie perdue en raison de l'ajournement des réformes entre 1993 et 2003 et de l'entrée en vigueur progressive de certaines dispositions de la loi du 21 août 2003 devrait conduire à se fixer désormais pour objectif 2040 plutôt que 2020.

3. Ne pas surestimer les futurs excédents de l'assurance chômage

Après quatre années de déficits importants entre 2002 et 2005, le solde annuel de l'assurance chômage s'est nettement redressé en 2006 avec un excédent de 344 millions d'euros. Ce retour à l'équilibre a permis de commencer à rembourser une dette qui a culminé à plus de 13 milliards d'euros fin 2006.

en millions d'euros

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

solde de l'Unedic

1 332

247

-3 720

-4 282

-4 420

-3 192

344

situation financière au 31/12

2 947

2 105

-1 615

-5 836

-10 260

-13 452

-13 108

Source : ministère du budget

A court terme, l'Unedic prévoit un excédent de 2,99 milliards d'euros pour 2007 et de 4,71 milliards en 2008. La dette de l'assurance chômage pourrait ainsi être apurée à l'horizon 2011-2012. Cette amélioration spectaculaire conduit naturellement à envisager les conditions dans lesquelles pourrait être réalisé le transfert des futurs excédents de l'assurance chômage au profit de l'assurance vieillesse.

Le principe de cette opération avait été envisagé dès les débats parlementaires de la réforme des retraites de 2003. Elle permettrait effectivement de réduire les besoins de financement du système de retraite dans les limites suivantes :

- l'Unedic ne devrait pas être en mesure de venir en aide à la branche vieillesse avant au mieux quatre ou cinq ans ;

- l'Etat doit recueillir l'accord des partenaires sociaux qui gèrent aujourd'hui paritairement l'assurance chômage et seront donc en situation de demander des contreparties ;

- les gestionnaires de l'Unedic ont déjà décidé qu'une partie des excédents futurs sera attribuée à un fonds de régulation ;

- l'histoire enseigne que l'amélioration de la conjoncture économique suscite des revendications en faveur d'une amélioration de l'indemnisation des chômeurs. Les excédents futurs risquent donc d'être plus faibles que prévu.

Certains observateurs doutent même que l'augmentation du nombre des départs en retraite liés aux premières classes d'âge du baby-boom se traduise forcément par une baisse du taux de chômage 14 ( * ) :

« Tout d'abord, les hypothèses sur le chômage revêtent désormais une importance étonnante et déterminent largement la viabilité du financement de la réforme. En résumé, l'incertitude sur l'évolution de l'équilibre financier des régimes de retraite est accrue sauf à avoir des idées extrêmement claires sur l'évolution à venir du taux de chômage. Or, c'est loin d'être le cas et ce, d'autant qu'un grand mythe est entretenu, à savoir la baisse mécanique du taux de chômage avec la baisse de la population active consécutive à l'arrivée des baby-boomers à l'âge de la retraite. Ce recul massif et rapide du taux de chômage, qui signifierait purement et simplement la stabilité des besoins en emplois de l'économie, est en réalité plus que discutable. »

En définitive, la prudence devrait conduire à envisager le redressement de l'assurance vieillesse comme le résultat d'une priorité absolue accordée aux économies sur les dépenses. Une évolution plus dynamique des recettes serait naturellement bienvenue, mais ne pourrait y contribuer qu'à titre complémentaire, voire résiduel.

B. PRÉSERVER LE PACTE ENTRE LES GÉNÉRATIONS

1. L'équité entre les générations, un principe menacé ?

La notion d'équilibre entre les générations est au coeur du fonctionnement de la retraite par répartition qui repose sur un contrat social : chaque génération a droit au fait que ses enfants lui assurent une retraite correspondant à celle qu'elle a assurée elle-même à ses parents. Ce contrat est passé entre les générations 1 (les parents) et 2 (les enfants) et engage la génération 3, celle des petits-enfants. Mais ses termes sont flous dans la mesure où ils ne portent ni sur le taux de remplacement, ni sur le taux de cotisations.

De plus en plus d'intervenants dans le débat public craignent que l'insuffisance des réformes réalisées jusqu'ici n'entraîne, compte tenu du vieillissement de la population, un transfert de revenu inéquitable entre les différentes générations. Les actifs d'aujourd'hui, au lieu d'épargner, tireraient ainsi une traite sur les actifs de demain et il n'est pas certain que ceux-ci accepteront de reconnaître cette créance. Il y a donc un véritable risque de répudiation.

Les jeunes valorisés d'hier sont devenus les seniors favorisés d'aujourd'hui : les premières classes d'âge du baby-boom semblent relativement épargnées.

« De cette façon, le salaire relatif (relativement à la moyenne nationale) des différentes classes d'âge met en évidence un retournement profond dans les conditions respectives des classes d'âge : les vingt-six/trente ans voient décliner leur salaire relatif à partir du début des années soixante-dix ; cinq ans plus tard, c'est au tour des trentenaires de voir fléchir leur niveau relatif, puis au début des années quatre-vingt-dix au tour des quadragénaires de l'époque. Les générations nées dans les années quarante apparaissent ainsi comme situées systématiquement au sommet d'une vague qui s'écroule pour les puînés. » (...) « En termes absolus, les nouvelles générations, celles arrivées dans le monde du travail après 1975, ont connu une stagnation de leur revenu, alors que les premiers nés du baby-boom ont bénéficié d'une croissance de l'ordre de 2 % par an par rapport à leurs prédécesseurs. » 15 ( * )

Cette thèse développée par certains universitaires est validée par la précarité des parcours professionnels des jeunes générations 16 ( * ) qui ne peut manquer d'avoir des conséquences en matière de retraite. Ainsi, un homme né en 1970 a validé en moyenne onze trimestres de moins à l'âge de trente ans que ses collègues de la génération 1950.

Age moyen d'entrée dans la vie active et « densité » des carrières

Nombre moyen de trimestres validés à 31 ans

Générations

1942

1946

1950

1954

1958

1962

1966

1970

Hommes

45

46

46

42,8

40,2

39

37

35,9

Femmes

34,8

37,5

40,1

39,5

38,5

38

36,9

35,7

2. L'émergence d'une crise de confiance chez les jeunes actifs

Une coupure générationnelle se situant autour de l'âge de quarante-cinq ans semble traverser la population française. La perception diffuse des problèmes de financement des retraites par l'opinion publique tend à remettre en cause sa vision de l'avenir des retraites.

Un sondage, réalisé en 2006 par l'Ifop pour le compte du cercle des épargnants, montrait ainsi que 61 % des Français se déclarent inquiets pour l'avenir de leur retraite.

Le conseil d'orientation des finances publiques dresse lui aussi un constat prospectif inquiétant en soulignant que les jeunes générations héritent d'une dette très supérieure à celle de leurs aînés et devront en outre financer des dépenses supplémentaires liées au vieillissement de la population : 17 ( * )

« En prenant pour base de départ la situation budgétaire de 2007 et en faisant l'hypothèse que les nouvelles dépenses liées au vieillissement s'accompagnent à due concurrence d'une augmentation du déficit, et donc de la dette, les générations à venir hériteront d'une dette insoutenable. En effet, la génération née dans les années soixante-dix a hérité d'une dette de trente-cinq points de Pib lors de son entrée dans la vie active ; la génération née en 1990 héritera d'une dette de plus de 60 %, la génération suivante d'une dette de cent points de Pib, et celle encore d'après d'une dette de 200 points de Pib, soit six fois supérieure à celle de ses arrière grands-parents ! »

Dans ces conditions, il semble indispensable de renforcer la crédibilité du système de retraite pour les jeunes actifs, non pas en augmentant les cotisations ou en cherchant à garantir un niveau moyen de taux de remplacement, ce qui est techniquement impossible à faire, mais en restaurant la pérennité financière de l'assurance vieillesse. Cela suppose de renforcer le principe de contributivité des régimes de retraite . Il semble légitime que le niveau de la retraite dépende étroitement de l'effort contributif de chacun, ce qui aujourd'hui est souvent loin d'être le cas dans notre pays.

3. La question de la progressivité du calendrier de la réforme de 2003 et de la juste contribution des « baby-boomers »

La modification de la durée de cotisation ne touche pas les membres d'une même génération de la même façon. En particulier, les personnes qui disposaient, avant la loi du 21 août 2003, du nombre de trimestres de cotisation requis, ne sont de facto pas concernées.

Comme pour la réforme de 1993, on observe une montée en charge progressive, classe d'âge après classe d'âge, de celle de 2003 18 ( * ) . On remarque en particulier que les générations les plus récentes sont de loin les plus concernées. Les simulations réalisées soulignent en effet que pour les classes d'âge 1940 à 1944, quasiment aucun individu ne sera obligé de décaler son âge de départ à la retraite et que pour les rares personnes se trouvant dans cette situation l'impact sera minime (0,1 an). En revanche, près de 25 % des assurés sociaux des générations 1955 à 1964 se trouveront dans l'obligation de cesser leur activité en moyenne 1,5 année plus tard qu'ils ne l'auraient fait avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 août 2003.

La réforme de 2003 est marquée par une grande progressivité : en témoigne la décote dans la fonction publique qui ne sera pleinement effective qu'en 2015 pour le taux et en 2020 pour l'âge à partir duquel elle ne s'applique plus. Les ajustements nécessaires reposeront donc beaucoup sur les jeunes générations.

Ce constat conduit à poser le problème de la juste contribution passée et à venir des « baby-boomers » au processus de sauvegarde de l'assurance vieillesse. La pire des solutions serait d'augmenter le taux de cotisations. « En effet, elle fait supporter aux jeunes actifs un alourdissement sensible des prélèvements obligatoires finançant le régime de retraite sur l'ensemble de leur vie active. Pour les actifs proches de la retraite, l'alourdissement est limité et ne porte que sur un nombre restreint d'années. En d'autres termes, le choix du « tout fiscalo-social » est très inéquitable car il fait peser l'ajustement sur les enfants des baby-boomers qui doivent payer beaucoup plus cher aujourd'hui pour recevoir demain une pension inchangée. Les argumentaires appelant à la solidarité intergénérationnelle dans ce contexte se trompent de discours car ils militent en fait pour une solidarité à sens unique rendue possible surtout par le fait que l'électeur médian est aujourd'hui un baby-boomer (d'environ quarante-cinq ans). » (...)

« En l'absence de modification de l'âge effectif de départ en retraite, les effets de redistribution intergénérationnelle des réformes des retraites sont donc importants et se traduisent pour une bonne part par une guerre intergénérationnelle opposant les baby-boomers à leurs propres enfants. » 19 ( * )

4. La nécessité de rééquilibrer les efforts entre les différentes catégories d'assurés sociaux

Les inégalités entre les assurés sociaux se mesurent entre les générations et entre les ressortissants des grands régimes sociaux - et se cumulent parfois.

Malgré la difficulté de l'exercice consistant à comparer les différents systèmes de retraite, on constate néanmoins que la fonction publique, et plus encore les régimes spéciaux :

- font un effort de cotisation moindre que dans le secteur privé ;

- perçoivent des cotisations fictives et des subventions ;

- bénéficient de prestations et de conditions de départ en retraite plus avantageuses que dans les régimes de droit commun (Cnav, Agirc, Arrco).

La réforme des retraites de 2003 n'a pas modifié les termes de ce constat. Elle a toutefois procédé à un rapprochement partiel et graduel des trois fonctions publiques avec le secteur privé.

Au cours des prochaines décennies, les ressortissants du régime général subiront probablement une nouvelle diminution relative du niveau de leurs retraites, qui s'ajoutera aux effets cumulés des mesures prises depuis la fin des années quatre-vingt (indexation sur les prix depuis 1987, réforme Balladur de 1993, réformes des régimes complémentaires Agirc-Arrco de 1994, 1996 et 2001, loi du 21 août 2003). Quels que soient les scénarios envisagés, les salariés du secteur privé bénéficieront sans doute de prestations moins avantageuses tout en cotisant plus longtemps que leurs prédécesseurs.

Evolution prévisionnelle du taux de remplacement d'une employée
payée au salaire moyen toute sa carrière

Génération

1943

1948

1952

1956

1961

1966

Age de liquidation

62 ans

62,5 ans

63 ans

64 ans

64 ans

64 ans

Année

2005

2010

2015

2020

2025

2030

Retraite totale nette

13 059

14 351

15 737

16 294

16 306

16 028

(euros 2005)

100

109,9

120,5

124,8

124,9

122,7

Taux de remplacement net

Cnav

56,7 %

55,4 %

56,4 %

56,8 %

56,5 %

56,6 %

Arrco

19,1 %

19,0 %

19,5 %

19,8 %

19,4 %

19,1 %

Total

75,8 %

74,4 %

75,9 %

76,6 %

75,9 %

75,7 %

Espérance de retraite

26,9 ans

26,9 ans

26,8 ans

26,1 ans

26,3 ans

26,3 ans

(droit direct)

Délai de récupération

10,6 ans

11,5 ans

12,7 ans

13,5 ans

14,0 ans

14,4 ans

Taux de récupération

2,5

2,3

2,1

1,9

1,8

1,8

Source : Agirc-Arrco

Evolution prévisionnelle du taux de remplacement d'un homme- cadre
payé au salaire moyen toute sa carrière

Génération

1942

1947

1951

1955

1960

1965

Age de liquidation

63 ans

63,5 ans

64 ans

65 ans

65 ans

65 ans

Année

2005

2010

2015

2020

2025

2030

Retraite totale nette

37 128

35 320

35 702

37 176

35 061

34 487

(euros 2005)

100

95,1

96,1

100,1

94,4

92,9

Taux de remplacement net

Cnav

22,0 %

22,9 %

23,6 %

23,6 %

25,9 %

27,5 %

Arrco

7,6 %

8,2 %

8,5 %

8,6 %

9,3 %

9,5 %

Agirc

34,3 %

30,5 %

28,9 %

28,0 %

23,7 %

20,7 %

Total

63,9 %

61,6 %

61,0 %

60,2 %

58,9 %

57,7 %

Espérance de retraite

21,7 ans

21,8 ans

21,9 ans

21,6 ans

22,2 ans

22,7 ans

(droit direct)

Délai de récupération

12,1 ans

13,2 ans

14,8 ans

16,0 ans

16,9 ans

17,6 ans

Taux de récupération

1,8

1,7

1,5

1,3

1,3

1,3

Source : Agirc-Arrco

En revanche, le niveau de la pension des fonctionnaires sera in fine maintenu s'ils travaillent plus longtemps. La préservation des retraites futures de la fonction publique et du régime général ne se présente donc pas dans les mêmes conditions. Il conviendrait là encore de rééquilibrer « pour l'avenir les efforts demandés aux différentes catégories d'assurés sociaux. Depuis la fin des années quatre-vingt, le poids effectif de la sauvegarde de l'assurance vieillesse a essentiellement porté sur les jeunes générations ainsi que sur les actifs du secteur privé. Il semble donc difficile de les solliciter à nouveau de façon prioritaire à l'occasion de la prochaine réforme.

« Inversement, les ressortissants des trois fonctions publiques n'ont été inclus dans le champ de ce processus de réformes successives que depuis 2003 et bon nombre des nouvelles dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite n'entrent en application que très progressivement. Fort logiquement, les fonctionnaires civils et militaires pourraient représenter à l'horizon 2020 entre 60 % et 70 % des besoins de financement de l'ensemble de la branche vieillesse. C'est donc bien là qu'il faut faire porter l'effort, ainsi que sur la réforme des régimes spéciaux. » 20 ( * )

C. AMÉLIORER LA MÉTHODOLOGIE DE LA RÉFORME

1. Privilégier un texte législatif court et agir sur un nombre limité d'enjeux prioritaires

La lecture des deux mois de débats parlementaires qui ont abouti au vote de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites constitue un exercice décevant, et même fastidieux. Le lecteur n'y trouvera que rarement des précisions sur les dispositions les plus complexes. Après s'être concentrées sur les premiers articles, pourtant dépourvus de portée normative car se bornant à réaffirmer les grands principes de la retraite par répartition, les discussions se sont le plus souvent enlisées dans des considérations de détail.

Sans doute le volume du texte - 116 articles - a-t-il découragé l'opinion publique de saisir les principaux enjeux de la loi. Son titre III, consacré à la fonction publique, a autant permis l'actualisation des dispositions obsolètes du code des pensions civiles et militaires que la refonte des retraites des trois fonctions publiques. Un constat identique peut être formulé pour les artisans, les commerçants, les avocats et les professions libérales.

Votre rapporteur, qui fut également celui de la loi du 21 août 2003, formule donc le voeu que la prochaine réforme des retraites prenne la forme d'un texte législatif court et centré sur des dispositions normatives, donc susceptible d'éclairer l'opinion publique sur les grands enjeux de l'avenir de l'assurance vieillesse.

On le sait, il n'existe que trois leviers d'action possibles, combinables entre eux : le taux de cotisation, le niveau des pensions et l'âge de départ en retraite 21 ( * ) . Les débats de l'année prochaine devront s'organiser en ces termes.

2. Les limites prévisibles du dialogue social

Bien que la situation actuelle de l'assurance vieillesse ne soit encore véritablement perçue que par un petit nombre de spécialistes des retraites, de responsables politiques, d'actuaires et d'universitaires, rien ne viendra réduire la pénibilité des choix politiques à effectuer. Après l'expérience de 2003, où le soutien de la CFDT au protocole d'accord du 15 mai 2003 lui a valu la perte de plusieurs milliers de militants et un recul sensible de son influence dans les entreprises, il est peu probable que la concertation avec les organisations syndicales débouche sur un accord.

Si les négociations avec les syndicats de salariés constituent un préalable à l'annonce des grandes lignes de la prochaine réforme, ce dialogue risque d'apporter des contreparties coûteuses, donc difficiles à satisfaire.

Le climat social pourrait d'ailleurs d'être d'autant plus tendu que les régimes spéciaux seront alors en cours d'harmonisation avec ceux de la fonction publique. On peut toutefois espérer le soutien d'une bonne partie de l'opinion publique : les mentalités ont évolué, semble-t-il, depuis les grèves de l'hiver 1995 et sont moins convaincues du bien-fondé des avantages acquis par certains régimes.

3. Quelle place pour le Parlement dans le processus de décision ?

Les modifications les plus importantes de l'assurance vieillesse supposent l'intervention du législateur 22 ( * ) .

Or, celui-ci ne dispose pas des moyens d'expertise technique et des outils prospectifs des administrations centrales. En outre, il ne peut que prendre acte du résultat des processus de concertation ou de négociation menés avec les partenaires sociaux : ce fut le cas en 2003 avec le relevé de conclusions de la réunion du 15 mai 2003 ; ce le sera à nouveau pour la réforme des régimes spéciaux.

Pour ces raisons, votre commission prépare depuis plusieurs mois le rendez-vous de 2008 pour apporter sa contribution active, fondée notamment sur les travaux menés par la Mecss cette année et relatifs aux pensions de réversion, aux mécanismes de compensation démographiques et à l'analyse de la réforme des retraites réalisée en Suède.

D. AVOIR UNE VISION JUSTE DES PERSPECTIVES DÉMOGRAPHIQUES

1. La poursuite de la croissance de la population

L'Insee a publié, en 2006, de nouvelles projections de population pour la France métropolitaine à l'horizon 2050 23 ( * ) . Le scénario central révise les calculs qui avaient été réalisés en 2001 : la population de la France métropolitaine compterait ainsi 70 millions d'habitants au 1 er janvier 2050 24 ( * ) , contre 61 millions d'habitants au 1 er janvier 2007.

Evolution de la population de la France métropolitaine de 2005 à 2050

(scénario central de projection)

Années

Population
(en millions)

Proportion (%) des

moins de 20 ans

20-59 ans

plus de 60 ans

2005

60,7

24,9

54,3

20,8

2010

62,3

24,3

53,0

22,7

2020

65,0

23,7

50,1

26,2

2030

67,2

22,6

48,1

29,3

2040

69,0

22,1

46,9

31,0

2050

70,0

21,9

46,2

31,9

Source : Insee

Le scénario central de l'Insee retient l'hypothèse d'un indice de fécondité de 1,9 enfant en moyenne par femme ainsi qu'un solde migratoire positif de 100 000 personnes par an. Par ailleurs, le niveau de la mortalité poursuivrait sa baisse tendancielle, au même rythme qu'au cours des dernières années.

2. La perspective d'une diminution de la population active repoussée dans le temps

L'Insee a également publié de nouvelles projections de l'évolution de la population active au cours des prochaines décennies 25 ( * ) , actualisant des travaux antérieurs qui tablaient sur une diminution lente, mais régulière, de la population active dès la fin de l'actuelle décennie. On estime désormais que le nombre d'actifs devrait continuer à augmenter, mais à un rythme de plus en plus faible jusqu'à 2015, pour se maintenir ensuite entre 28,2 et 28,5 millions.

Projection de population active en moyenne annuelle selon le scénario tendanciel

Source : projections de population active 2006-2050, Insee

Ces nouvelles projections reposent en particulier sur une nette amélioration du taux d'emploi des seniors à l'horizon 2050 : vingt-cinq points pour les hommes âgés de soixante à soixante-quatre ans et vingt points pour les femmes. En l'état actuel des choses, il s'agit d'hypothèses volontaristes.

3. Un impact insuffisant pour enrayer le vieillissement de la population française

A l'inverse de la plupart des autres pays européens, dont certains subissent déjà une diminution de leur population, la France ne devrait pas connaître de déclin démographique absolu. Mais la quasi-totalité de la croissance attendue de la population d'ici à 2050 sera le fait des personnes âgées.

Décomposition de la croissance attendue de la population entre 2005 et 2050

En milliers

2005

2005-2030

2005-2050

Moins de 20 ans

15 115

+ 73

+ 207

20 à 64 ans

35 632

+ 792

+ 678

65 ans et plus

9 955

+ 5 636

+ 8 375

Total

60 702

+ 6 502

+ 9 259

Source : Insee 2006

Le processus de vieillissement démographique va donc se poursuivre et même s'accroître au fil du temps, ce dont témoigne l'illustration ci-dessous qui superpose la pyramide des âges de 2005 avec les projections pour l'horizon 2050.

Un Français sur trois aurait plus de soixante ans en 2050 contre un sur cinq aujourd'hui. D'ici là, les personnes en âge de travailler ne devraient plus représenter que 46,2 % de la population totale contre 54,3 % en 2005. Quelles que soient les hypothèses de fécondité, de mortalité et de solde migratoire, le vieillissement de la population française est inéluctable.

Le rapport entre le nombre des actifs et des inactifs continuera à décroître, pour s'établir à seulement 121 cotisants pour 100 retraités en 2050, provoquant ainsi des difficultés croissantes de financement pour l'assurance vieillesse. L'amélioration récente de la situation démographique de la France ne permet pas d'éviter ou même simplement de différer une réforme de grande ampleur de l'assurance vieillesse.

III. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

A. ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE EN DEUX ÉTAPES

Le système des annuités, en vigueur dans le régime général et les régimes qui s'en inspirent, ne permet déjà probablement plus de réaliser la réforme des retraites que requiert le vieillissement de la population. Dans ce contexte, le principe d'un rendez-vous tous les quatre ans, en 2008, puis en 2012, 2016 et 2020, pour assurer l'équilibre des régimes, ne doit pas conduire à exclure la perspective d'une réforme structurelle :

« La réforme de 2003 a innové sur trois points clés. (...). Elle a enfin fixé une méthode et un calendrier : une évaluation quinquennale du chemin parcouru, des perspectives à moyen et long terme et un rendez-vous pour discuter des dispositions nouvelles à envisager. Cette méthode est un pari sur notre capacité à traiter ce sujet de manière adulte et sereine et non sur le mode paroxystique de la crise ou de la réforme qui va définitivement régler tous les problèmes. (...) Elle présente toutefois un risque : celui de limiter l'horizon des discussions à cinq ans, de faire l'impasse sur le long terme, impasse qui équivaut à une impasse générationnelle » 26 ( * ) .

Afin d'éviter cet écueil, votre commission préconise d'adopter une démarche en deux temps : conduire une réforme paramétrique en 2008 tout en préparant une réforme structurelle, à mettre en oeuvre en 2012, s'inspirant en particulier de la réussite de la Suède.

1. Parer d'abord à l'urgence : une dernière réforme paramétrique en 2008

a) Introduire des mesures législatives et réglementaires à effet rapide

Les mesures de redressement des comptes sont celles à privilégier dans l'immédiat. Elles pourraient consister à :

- reporter l'âge légal de départ en retraite ;

- accélérer le calendrier d'entrée en vigueur de la décote dans la fonction publique ;

- introduire un mécanisme de stabilité, comme il existe en Allemagne 27 ( * ) ou en Suède, afin d'assurer un pilotage efficace de l'assurance vieillesse ;

- éviter que le dossier de l'égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes spéciaux ne soit forcément harmonisé sur la base du mieux-disant ;

- codifier et imposer le principe de neutralité actuarielle pour que les opérations d'adossement de régimes spéciaux et le montant des rachats de cotisation ne soient plus contestés ;

- examiner les spécificités des préretraites « amiante » 28 ( * ) .

b) Augmenter l'âge de cessation d'activité des Français

Certains affirment qu'il sera impossible d'augmenter l'âge de départ en retraite aussi longtemps que le chômage restera à un niveau élevé. Votre commission considère à l'inverse qu'il convient de créer les conditions d'une augmentation effective de l'âge de cessation d'activité en s'appuyant sur une augmentation progressive de l'âge légal de la retraite. Cette conviction s'appuie notamment sur des travaux universitaires démontrant la neutralité à long terme des mutations démographiques sur le marché du travail 29 ( * ) : « S'il n'y a pas de relation de vases communicants entre activité des seniors et activité des juniors, alors il n'y a pas a priori de raison pour que le taux de chômage soit un frein à l'ajustement à la hausse de l'âge de la retraite réclamée par l'augmentation de l'espérance de vie. »

Les dernières statistiques comparatives publiées par Eurostat soulignent, s'il en était encore besoin, que l'âge de cessation d'activité se situe en France à un niveau très bas. Il existe donc de très importantes marges de manoeuvre pour améliorer la situation financière de l'assurance vieillesse :

Age moyen de sortie du marché du travail en Europe en 2005

Age moyen

Age médian

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Suède

63,0

64,3

63,3

63,9

Irlande

64,6

63,6

61,5

64,4

Portugal

63,8

62,4

61,4

64,2

Royaume-Uni

61,9

63,4

60,3

63,8

Espagne

62,8

62,0

59,5

62,6

Finlande

61,7

61,8

60,7

61,5

Pays-Bas

61,4

61,6

59,3

60,5

Allemagne

61,1

61,4

59,9

61,6

Danemark

60,7

61,2

60,1

62,2

Belgique

59,6

61,6

56,8

57,9

Autriche

59,4

60,3

56,4

59,6

Italie

58,8

60,7

57,2

58,4

France

59,1

58,5

58,3

58,8

Source : Eurostat, juillet 2007

Sans doute serait-il possible de sortir du dogme de la retraite à soixante ans en introduisant une plus grande flexibilité. Ainsi, le nouveau régime de retraite suédois ne prévoit plus d'âge légal de départ à la retraite, mais un choix laissé à l'initiative de l'assuré social, à l'intérieur d'une fourchette comprise entre soixante et un et soixante-sept ans. Les salariés peuvent continuer à travailler et donc à cotiser jusqu'à soixante-sept ans, sans que leurs employeurs ne s'y opposent. La France pourrait faire de même et opter, compte tenu de sa situation démographique plus favorable, pour une fourchette comprise entre soixante et un et soixante-cinq ans.

c) Reprendre la réforme des pensions civiles et militaires

En dépit de la réforme de 2003, les dépenses de pension continuent à croître à un rythme très rapide dans le budget de l'Etat (5 % à 6 % par an) et dans ceux des collectivités locales (5 % à 7,5 % par an). Ce paradoxe apparent s'explique par la conjonction de deux facteurs :

- une plus grande générosité du régime de retraite des trois fonctions publiques par rapport à ceux du secteur privé ;

- le caractère limité et l'entrée en vigueur progressive des mesures d'économies décidées par la loi du 21 août 2003.

Evolution des dépenses de pension des personnels de l'Etat

(en milliards d'euros)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

LFI 2006

PLF

2007

Montant des pensions civiles

21,22

22,15

23,33

24,60

26,10

27,65

29,61

31,07

Progression en %

+ 5,5

+ 4,4

+ 5,3

+ 5,4

+ 6,1

+ 6,0

+ 6,8

+ 4,9

Montant des pensions militaires

7,32

7,47

7,68

7,83

8,06

8,21

8,32

8,51

Progression en %

+ 2,3

+ 2,0

+ 2,8

+ 2,0

+ 2,9

+ 2,0

+ 1,3

+ 2,3

Montant des pensions

28,50

29,60

30,93

32,35

34,16

35,88

38,07

39,72

Progression en %

+ 4,7

+ 3,8

+ 4,7

+ 4,6

+ 5,3

+ 5,0

+ 6,1

+ 4,3

Poids dans le budget général des dépenses totales de pension

11,2 %

11,4 %

11,6 %

11,8 %

11,8 %

12,2 %

ND

ND

Evolution du montant des pensions versées par la CNRACL

2000

2001

2002

2003

2004

2005

LFI

2006

PLF

2007

Montant en milliards d'euros

7,12

7,59

8,11

8,61

9,28

9,88

10,62

11,50

Progression en %

+ 5,9

+ 6,6

+ 6,8

+ 6,2

+ 7,7

+ 6,5

+ 7,5%

+ 4,9%

Compte tenu du déficit croissant de la branche Vieillesse d'une part, des contraintes pesant sur les finances de l'Etat, d'autre part, il faut rouvrir dès 2008 le dossier des pensions de la fonction publique.


• Modifier les principales règles de calcul des pensions :

- calculer progressivement d'ici à 2012 les pensions sur la base de la référence des cinq dernières années au lieu des six derniers mois ;

- réduire le taux de l'annuité à hauteur de 1,80 % par an en 2012 (au lieu de 1,875 % par an en 2008 et 2 % en 2003), soit l'équivalent d'un taux maximum de remplacement de 75 % pour une carrière de quarante et une années et neuf mois ;

- accélérer de trois ans, dès 2012 au lieu de 2015, le calendrier de mise en oeuvre du taux de la décote (- 1,25 % par trimestre manquant) ;

- avancer à 2012 ou 2015, au lieu de 2020, la fin de la période transitoire à l'issue de laquelle l'âge d'annulation de la décote sera fixé à soixante-cinq ans pour les personnels sédentaires et à soixante ans pour ceux appartenant aux services actifs.


• Revoir les règles autorisant des départs anticipés

- fermer aux nouveaux entrants les dispositifs actuels prévoyant un âge d'ouverture des droits fixés à cinquante ou cinquante-cinq ans ;

Evolution du fondement des retraites chez les fonctionnaires civils de l'Etat entre 2001 et 2006

Flux 2001

Flux 2006

Motif

Nombre

%

Nombre

%

Services actifs

20 056

34,9

20 846

27,1

Invalidité

4 228

7,4

4 859

6,3

Départ anticipé des mères de famille de trois enfants

5 096

8,9

6 613

8,6

Congés de fin d'activité (CFA)

7 652

13,3

8 475

11,0

Congés de fin de carrière (CFC)

1 415

2,5

3 093

4,8

Cessation progressive d'activité (CPA)

3 610

6,2

7 415

9,7

Fonctionnaires sédentaires (départ à 60 ans)

15 336

26,7

24 931

32,4

TOTAL

57 393

100,0

76 832

100,0

Source : Cour des comptes

- fermer, pour l'avenir, l'accès au bénéfice de l'article L. 24 du code des pensions autorisant le départ des pères et mères de trois enfants après seulement quinze ans de service. Ouvrir une négociation avec les partenaires sociaux pour le remplacer par un véritable avantage familial ;

- fermer progressivement l'accès à la cessation progressive d'activité, ou en réformer les conditions d'accès pour rendre moins coûteux ce dispositif à partir de cinquante-huit ans. Il concernait encore 29 148 personnes en 2007, pour un coût de 301 millions d'euros ;

- autoriser plus largement la prolongation volontaire de l'activité professionnelle des fonctionnaires et ce jusqu'à soixante-cinq ans ;


• Réduire fortement les bonifications de pension

- passer progressivement d'une bonification du 1/5 e à une bonification du 1/10 e pour les catégories actives ;

- placer en extinction, sur un rythme rapide, les « petites » bonifications de l'article 12 du code des pensions à l'exception des bonifications familiales ;

- placer en extinction, dès 2008, la majoration de pension dont bénéficient les retraités titulaires d'une pension civile ou militaire résidant à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. En effet, cette indemnité temporaire de retraite (ITR) ou surpension, représente un coût de plus en plus élevé pour le budget de l'Etat (266 millions d'euros en 2006) 30 ( * ) .


• Réformer la réversion 31 ( * )

d) Restaurer la mesure originaire des carrières longues

Depuis la création de la mesure des carrières longues, plus de 400 000 départs anticipés sont intervenus dans le régime général. Ce succès s'explique non seulement par le souhait de beaucoup de personnes d'accéder à la retraite le plus tôt possible, mais aussi par l'extension du champ d'application du dispositif à des situations non prévues à l'origine. Il en est résulté l'octroi du bénéfice de la mesure à des catégories d'assurés sociaux auxquelles le législateur de 2003 n'avait pas songé, tout en présentant un coût pour les finances sociales car ces départs ne sont pas facturés au juste prix.

Les services de la Cnav estiment que le coût annuel des carrières longues devrait se stabiliser à 2,3 milliards d'euros en 2008, 2009 et 2010, avant de diminuer très lentement en 2011 (2,1 milliards) et en 2012 (2 milliards d'euros). Ce niveau n'est malheureusement pas compatible avec l'ampleur du déficit actuel de l'assurance vieillesse. Il conviendrait donc par prudence de redimensionner le champ d'application de la mesure sur les bases qui furent un temps envisagées en 2003. Cela supposerait :

- d'en limiter le bénéfice aux personnes de cinquante-huit et de cinquante neuf ans ;

- de supprimer les modalités actuelles de validation rétroactives de droits à la retraite ;

- de mettre un terme aux rachats d'années d'étude et d'années incomplètes pour accéder aux carrières longues, tout en imposant que les barèmes de calcul soient actuariellement neutres ;

- d'abroger le dispositif prévoyant le rachat des années d'aide familial dans l'agriculture.

• L'impact des départs à cinquante-six et cinquante-sept ans

Le mécanisme des carrières longues avait été initialement préparé et conçu sur la base des seuls départs à cinquante huit et cinquante-neuf ans. L'impact d'une mesure analogue était d'ailleurs évalué à 5,2 milliards d'euros sur la période 2001-2010, soit environ 500 millions d'euros par an 32 ( * ) .

Ces chiffres apparaissent rétrospectivement bien faibles. Par ailleurs, l'extension des carrières longues aux personnes âgées de cinquante-six et cinquante-sept ans a accru d'un tiers le coût global de la mesure.

(en milliards d'euros)

2004

2005

2006

2007(p)

Coût total de la mesure

0,6

1,3

1,8

2,1

dont au titre des 56-57 ans

0,2

0,5

0,6

0,7

Source : CNAV

• Les rachats dans les régimes complémentaires

Les rachats de trimestres auprès du régime général au titre des périodes d'études supérieures ou des années incomplètes n'ont pas d'effet direct sur le niveau de la pension servie par l'Agirc et l'Arrco. Toutefois, puisque ces opérations permettent à l'assuré de remplir la condition de durée d'assurance requise dans le régime général pour disposer d'une pension au taux plein, la pension servie par les régimes complémentaires s'en trouve finalement améliorée. La réglementation de l'Agirc et de l'Arrco repose toujours sur le principe d'un départ en retraite à l'âge de soixante-cinq ans. Mais aucun abattement n'est appliqué avant cet âge si la pension de retraite de base est liquidée au taux plein, quel que soit le motif pour lequel celui-ci est accordé.

Les régimes complémentaires Agirc et Arrco n'ont pas procédé à des évaluations globales de l'impact financier de ce cas de figure imprévu, ni d'ailleurs des effectifs concernés. Toutefois, le nombre d'années rachetées ne cesse de croître pour l'Agirc : 18 en 2004, 422 en 2005, 1 164 en 2006.

Il appartiendra aux gestionnaires de ces régimes, c'est-à-dire aux partenaires sociaux, d'apprécier l'opportunité de modifier ce dispositif.

• Les validations rétroactives des droits à la retraite

En règle générale, la validation des droits à la retraite intervient dans le cadre d'activités professionnelles donnant lieu au versement en temps réel de cotisations obligatoires. Il existe toutefois deux dispositifs dérogatoires :

- les régularisations de cotisations des périodes salariées non cotisées, le plus souvent faute de déclaration et de versement de cotisations par l'employeur (l'article R. 351-11, alinéa 2, du code de la sécurité sociale) ;

- la régularisation des périodes d'apprentissage accomplies avant le 1 er juillet 1972, dont les règles ont été fixées dans la lettre ministérielle du 23 septembre 1999, l'arrêté du 24 mai 2000 et la lettre ministérielle du 19 janvier 2004.

L'assuré qui remplit les conditions requises, en apportant notamment la preuve de l'activité salariée ou de l'apprentissage accompli à l'époque, peut effectuer un versement de cotisations a posteriori , qui sera pris en compte pour ses droits à retraite. Le recours à ces dispositifs spécifiques de validation s'est fortement accru depuis 2003 : entre janvier 2004 et avril 2007, pas moins de 90 000 régularisations de cotisations arriérées ont été réalisées dans le régime général. On constate le même phénomène pour les salariés agricoles (604 en 2003, 4 720 en 2004, 12 783 en 2005 et 17 566 en 2006).

La grande majorité des régularisations servent à permettre aux assurés d'augmenter leur durée d'assurance et de remplir ainsi les conditions requises pour bénéficier d'un départ en retraite anticipée pour longue carrière. Une retraite anticipée sur quatre a donné lieu à une régularisation de cotisations en 2006. Ces opérations ont lieu sur la base d'un prix d'achat souvent dérisoire : la Cnav estime qu'en moyenne, pour un euro perçu, le régime général verse en retour un supplément de masse de prestations de 27,3 euros.... Or le supplément de prestations vieillesse occasionné porte sur des montants considérables : 363 millions d'euros en 2006 et 456 millions d'euros en 2007.

• Les rachats des périodes d'aide familiale dans l'agriculture

Les assurés des régimes agricoles disposent aussi, depuis l'entrée en vigueur de l'article 101 de la loi du 21 août 2003 complété par le décret n° 2004-862 du 24 août 2004, de la faculté de racheter les périodes d'aide familiale accomplies entre l'âge de quatorze et de vingt et un ans. Trois conditions sont requises : être un parent direct du chef d'exploitation ou de son conjoint, avoir exercé son activité de manière habituelle et régulière sans avoir été scolarisé et ne pas avoir eu d'activité relevant d'un autre régime obligatoire de base.

Le nombre de ces rachats est passé de 1 618 en 2004 à 9 077 en 2005.

Ce dispositif, d'un accès facile puisqu'il repose souvent, faute de document, sur des attestations fournies par des personnes privées, est majoritairement utilisé pour bénéficier des carrières longues. En 2006, plus de 40 % des départs anticipés avant soixante ans dans le régime des non-salariés agricoles ont donné lieu à un rachat pour les périodes d'aide familiale agricole.

• Les barèmes des rachats dans le régime général

Enfin, les services de la Cnav 33 ( * ) ont constaté que les rachats des années incomplètes et des années d'études pour entrer dans le champ d'application de la mesure carrières longues offrent des rendements dépassant parfois 65 % par an.

A l'initiative de notre commission, l'article 114 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoit que ces opérations doivent désormais faire l'objet de tarifs spécifiques, fondés sur le principe de neutralité actuarielle. Dix mois après son entrée en vigueur, la Cnav n'a toujours pas modifié son barème.

2. Préparer ensuite l'avenir : un nouveau mode de gestion et de gouvernance des régimes de base du secteur privé en 2012

La proximité temporelle et l'absence de travaux préparatoires laissent supposer que le rendez-vous de l'année prochaine sur les retraites débouchera sur l'adoption d'ajustements conjoncturels. Le Premier ministre a ainsi annoncé que le Gouvernement s'inscrira dans la continuité de la réforme de 2003 34 ( * ) . Cette démarche est assurément pragmatique et judicieuse. Mais au-delà des mesures indispensables à court terme, votre commission affirme la nécessité d'engager dès maintenant le processus d'une réforme systémique en 2012 qui, seule, permettrait de résoudre la crise de confiance grandissante des assurés sociaux.

La solution pour laquelle elle plaide est le passage à un système de cotisations définies.

a) Abandonner dans le régime général et les régimes alignés les systèmes par annuités devenus ingouvernables

Les systèmes par annuités ont en quelque sorte une obligation de résultats vis-à-vis de leurs assurés sociaux. Cela les conduit le plus souvent à vouloir ajuster leurs recettes en fonction de leurs engagements plutôt que l'inverse.

Par ailleurs, la régulation de notre système de retraite aurait aussi besoin de dispositions permettant de faire ce que les Américains appellent du « fine tuning », c'est-à-dire d'en modifier les paramètres d'une façon habituelle et simple, sans susciter de vastes mouvements sociaux 35 ( * ) . Or, le système des annuités oblige à procéder par révolutions, alors que l'on pourrait faire, chaque année, de simples réglages techniques.

b) Passer à un système par points, sur le modèle des retraites complémentaires

Comme l'a fait l'Allemagne en 1992, la France aurait tout intérêt à faire adopter par la Cnav le système des points, sans pour autant engager une fusion avec l'Agirc-Arrco ou une unification des régimes.

A l'inverse du système des annuités qui met inévitablement les politiques en première ligne, dans des régimes complémentaires par points, la question des équilibres financiers est avant tout du ressort des gestionnaires, c'est-à-dire de leurs conseils d'administration. Au cours des dernières décennies, la régulation y a pris diverses formes : modération de la revalorisation annuelle de la valeur du point, augmentation des cotisations, voire changement de certaines dispositions jugées trop favorables comme la réduction des bonifications pour familles nombreuses réalisée en 1994 à l'Agirc.

Les régimes de retraite par points reposent aussi sur des mécanismes relativement simples, favorisant, autant que faire ce peut, la réalisation automatique des ajustements financiers. Dans cet objectif, les décisions individuelles des assurés sociaux semblent plus efficaces que les règles de fonctionnement actuelles des grands régimes de base, qui reposent sur un ensemble de normes vaste et complexe, souvent contradictoires entre elles.


La dynamique des régimes par points

La technique de la gestion des retraites par points, inventée par les fondateurs de l'Agirc en 1947, est largement utilisée en France. De nombreux régimes ont été créés suivant ce modèle, et aujourd'hui la quasi-totalité de la population active est couverte par une protection complémentaire obligatoire contre le risque vieillesse.

Les régimes complémentaires français sont issus de l'ordonnance du 4 octobre 1945 qui a posé le principe de l'immatriculation obligatoire de tous les salariés à la sécurité sociale. A cette date, près de 200 000 salariés du secteur privé étaient couverts par des conventions collectives de branche datant de 1937 et 1938, qui n'ont pas été supprimées. Elles ont été transformées en avantages complémentaires, qui se sont ajoutés à ceux de la sécurité sociale. En 1951, l'Etat a créé un régime complémentaire pour ses agents contractuels cadres (l'Ipacte) qui fut étendu en 1955 aux cadres contractuels des collectivités locales. Un mécanisme similaire (l'Igrante) fut ensuite institué en 1959, pour les non-cadres contractuels de l'Etat. Ces deux institutions fusionnèrent en 1970 pour former l'institution de retraites complémentaires des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (Ircantec).

Parmi les professions indépendantes, les notaires, les médecins et les pharmaciens se sont dotés dès 1949 d'un régime complémentaire. La plupart des sections des professions libérales firent de même. Le dernier régime complémentaire créé fut celui des professions médicales en 1984, si bien qu'aujourd'hui, seules les sages-femmes demeurent dépourvues d'une telle protection sociale.

Les artisans et les commerçants instituèrent, en 1978, leurs propres régimes complémentaires sur une base obligatoire pour les premiers et facultative pour les seconds. Depuis avril 2004, les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole bénéficient également d'un régime complémentaire géré par points. Le régime complémentaire des artisans est devenu obligatoire la même année.

Conformément à la réforme des retraites de 2003, le régime additionnel de la fonction publique, constituant le second étage du système de retraite des fonctionnaires, est entré en vigueur le 1 er janvier 2005 .

La technique de gestion par points apparaît à l'usage particulièrement souple 36 ( * ) . Elle peut être utilisée aussi bien par les régimes de répartition pure (Arrco, Agirc, Ircantec), que par les régimes de répartition provisionnée, comme le nouveau régime additionnel des fonctionnaires, voire par les régimes financés en capitalisation (Préfon). En outre, les systèmes par points sont par nature contributifs, dans la mesure où le montant de la retraite servie est proportionnel au nombre total de points. Ces mécanismes reflètent donc, pour chaque cotisant, le détail de son activité passée, ainsi que la chronique des taux de cotisation et des salaires d'activité antérieurs. Mais le principe de contributivité peut néanmoins être modulé par l'introduction de mécanismes de solidarité. Cela passe ou bien par l'attribution de points « gratuits » sans contrepartie de cotisations salariales, afin de compenser certaines périodes non travaillées (chômage, maladie...), ou bien encore par la mise en place de majorations de pension en fonction du nombre d'enfants élevés.

c) Introduire la technique des comptes notionnels et le mécanisme d'ajustement structurel suédois

Les autorités suédoises ont choisi de modifier radicalement leur système d'assurance vieillesse. Le bilan positif de cette réforme a conduit la Mecss 37 ( * ) à recommander la transposition de ses principaux éléments en France : le système des comptes notionnels, d'une part, le mécanisme d'ajustement automatique des comptes, d'autre part.

Partant d'un régime de retraite à prestations définies, ressemblant beaucoup au régime général français, les Suédois ont fait le choix de passer à un mécanisme original à cotisations définies, préservant le principe de la répartition, tout en y introduisant une faible part de capitalisation. L'objectif des pouvoirs publics suédois était d'anticiper le choc démographique lié au vieillissement de la population au cours des prochaines décennies. Ils ont donc choisi comme variable d'ajustement l'âge du départ à la retraite et, dans une moindre mesure, le taux de progression des pensions. En contrepartie, le niveau de cotisation pesant sur les actifs a été définitivement stabilisé à 18,5 % des salaires (16 % pour la retraite par répartition et 2,5 % pour la part affectée à la capitalisation).

Tous les assurés sociaux suédois bénéficient d'un compte individuel virtuel, d'où le qualificatif de « notionnel », sur lequel sont enregistrés les flux de cotisations. Ceux-ci ne donnent toutefois pas lieu à constitution d'un capital financier au sens propre du terme car le régime continue de fonctionner suivant les règles de la répartition : les cotisations encaissées sont utilisées chaque mois pour financer les pensions des retraités. Il s'agit donc simplement d'une version plus élaborée de la technique des points utilisée depuis soixante ans en France par les régimes complémentaires Agirc et Arrco.

Le mécanisme des comptes notionnels a été adopté par le législateur suédois en 1998 avec une période de transition de quinze ans pour les générations nées entre 1938 et 1953. Il a été complété en 2001 par le mécanisme suivant : si les ressources du régime s'avèrent insuffisantes pour honorer le montant des retraites à servir aux assurés sociaux, un processus d'ajustement fondé sur le ratio actif-passif s'enclencherait automatiquement en agissant sur le taux de revalorisation du capital notionnel accumulé par l'ensemble des assurés sociaux, ainsi que sur l'indice d'évolution des pensions déjà liquidées.

Selon la Mecss, ce système « présente quatre avantages principaux :

- il garantit un équilibre financier pérenne, sur la base de taux de cotisations élevés, mais stables à l'avenir ;

- il préserve l'équité entre les générations ;

- il assure une meilleure transparence de l'effort contributif ainsi que des niveaux de prestations perçues par les assurés sociaux suédois ;

- il garantit une pension minimum aux personnes âgées les plus modestes.

Il a été conçu pour préserver un haut niveau de retraite au cours des prochaines décennies. En contrepartie, les assurés sociaux sont incités à prolonger leur activité professionnelle pour conserver un même taux de remplacement que les générations bénéficiant de l'ancien système. »

Il s'agit de la plus ambitieuse et de la plus originale des réformes de retraite menées en Europe depuis les années quatre-vingt. Plusieurs pays européens de tailles diverses (Italie, Lettonie, Pologne) en ont repris l'orientation générale. La France pourrait elle aussi utilement s'en inspirer.

d) Ne modifier qu'avec prudence l'architecture institutionnelle de l'assurance vieillesse

Le système de retraite français se singularise en Europe par la coexistence de plusieurs dizaines de régimes différents, notamment spéciaux, et par la diversité des règles applicables aux assurés sociaux des secteurs privé et public. Une telle architecture institutionnelle ne favorise évidemment pas la bonne gestion de l'assurance vieillesse, d'autant qu'elle tend à multiplier les occasions d'oppositions entre assurés sociaux.

Sans doute conviendrait-il de progresser vers une plus grande harmonisation, au moins pour certains paramètres clefs de l'assurance vieillesse, à commencer par celui de la durée de cotisation . La définition d'un socle minimum de solidarité entre les assurés sociaux constituerait déjà un premier pas. Le réalisme incline à préciser qu'il est probablement impossible d'y joindre la fusion de certaines caisses de retraite : l'exemple du régime social des indépendants (RSI) a montré les difficultés et les exigences de cet exercice.

L'autonomie de l'Agirc et de l'Arrco doit par ailleurs être respectée. En prônant la transposition de l'exemple suédois à la Cnav pour 2012, votre commission n'envisage nullement la fusion du régime général et des régimes complémentaires. L'unification des régimes, projet initial des fondateurs de la sécurité sociale en 1945, reste une perspective de très long terme.

B. METTRE FIN À TOUTES LES FORMES DE CESSATION PRÉCOCE D'ACTIVITÉ

1. Créer les outils statistiques de suivi de l'emploi des seniors

Singulièrement, le suivi statistique des départs en préretraite et des cessations précoces d'activité demeure lacunaire :

« Les données statistiques sont actuellement très insuffisantes même si des approximations peuvent être avancées. De fait, aucun dispositif de suivi des différents modes de départs à la retraite n'a été jusqu'à présent mis en place. Il en résulte que, s'agissant notamment des mises à la retraite d'office et des départs volontaires, il n'existe pas de données précises et fiables concernant leur nombre respectif et les masses financières correspondantes 38 ( * ) . »

C'est le cas surtout des préretraites d'entreprises, qui ne bénéficient d'aucune participation financière publique et restent largement inconnues des statistiques, d'autant que certains mécanismes de licenciements, avec majoration des indemnités légales ou conventionnelles, de salariés proches de l'âge de la retraite, pourraient être assimilés, dans certains cas, à des préretraites privées.

La mission Igf-Igas de novembre 2006 a évalué entre 86 000 à 107 500 personnes le nombre annuel des mises à la retraite d'office avec une indemnité de mise à la retraite. Parallèlement, elle estimait les départs volontaires intervenant sur la base d'une indemnité de départ à la retraite à entre 114 000 à 142 500 personnes.

2. Pénaliser financièrement le recours à toutes les formes de cessation précoce d'activité

Il est désormais admis que la politique de l'emploi fondée sur l'exclusion du marché du travail des personnes de plus de cinquante-cinq ans a échoué. Pourtant rares sont les estimations et les études sur le coût de cette politique. Certains universitaires se sont néanmoins risqués à tenter d'en apprécier l'impact.

« Les politiques de cessation d'activité ont été massives, ont suscité des espoirs énormes et expliquent plus d'un tiers des hausses de cotisation depuis 1973 . (...) « L'estimation de leur efficacité est une question particulièrement difficile, dépendant à la fois de paramètres microéconomiques cruciaux et du bouclage macroéconomique de ces politiques. (...) Pour que ces politiques soient efficaces, il faut conjointement une forte substitution entre jeunes et seniors et une faible sensibilité de l'emploi non qualifié à son coût. Si ces conditions ne sont pas remplies, il n'est pas à exclure que ces politiques aient plus contribué à augmenter le chômage des jeunes qu'à le réduire. 39 ( * ) »

Le plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors lancé en juin 2006 visait à enrayer la tendance à la diminution du taux d'emploi des seniors. Mais son absence de résultat atteste des limites des mesures purement incitatives. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 fait le choix d'une politique plus directive. Ce fut également l'orientation choisie en Finlande où l'âge minimum permettant le maintien des indemnités chômage jusqu'au départ à la retraite a été relevé en 2005 à cinquante-neuf ans. En outre, dans ce pays, une partie des dépenses liées aux pensions d'invalidité est à la charge des grandes entreprises, ce qui les incite à réaliser des efforts dans ce domaine. Des compagnies d'assurance spécialisées dans la retraite proposent même aux employeurs des programmes d'accompagnement pour y parvenir.

3. Placer en extinction les dispenses de recherche d'emploi des chômeurs âgés

La dispense de recherche d'emploi (DRE) représente un autre mode très utilisé de cessation précoce d'activité des salariés 40 ( * ) . Il s'agit d'un dispositif créé en mars 1984 qui permet à un demandeur d'emploi âgé de cinquante-cinq ans ou plus d'être dispensé de rechercher un emploi, sous certaines conditions et après en avoir fait volontairement la demande auprès de son agence locale pour l'emploi.

Elle est accessible à partir de cinquante-sept ans et demi aux bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, mais dès cinquante-cinq ans aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique et aux demandeurs d'emploi non indemnisés et quel que soit leur âge aux bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite.

La réforme des retraites n'a pas modifié l'évolution du nombre des personnes dispensées de recherche d'emploi.

Nombre de bénéficiaires d'une dispense de recherche d'emploi au 31 décembre de chaque année

1995

276 211

1996

270 244

1997

274 977

1998

283 547

1999

325 164

2000

348 824

2001

364 647

2002

377 897

2003

400 266

2004

408 783

2005

408 703

2006

416 910

Source : Données Unedic

Au total, le montant de la prise en charge des dispensés de recherche d'emploi est évalué par le ministère des finances à près de 5,2 milliards d'euros par an .

4. Faire face aux risques potentiels des négociations en cours sur la pénibilité

L'article 12 de la loi du 21 août 2003 a invité les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, « une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité ». Ce sujet revêt un fort potentiel d'ambiguïté qui appelle une clarification car il est devenu un argument systématiquement évoqué dans le débat public sur les retraites.

• Qu'en est-il de la santé des seniors au travail ?

L'enquête européenne Share évalue et compare la santé des salariés âgés dans onze pays européens 41 ( * ) . Il en ressort qu'une personne sur cinq considère, en France, que ses problèmes de santé l'empêchent d'avoir des activités normales. Cette proportion est inférieure à celle des autres pays. Une personne sur quatre estime par ailleurs que son état de santé limite ses capacités dans son emploi actuel, ce qui se situe dans la moyenne de l'étude : « Ainsi, la situation des personnes en emploi de cinquante ans et plus ne semble pas particulièrement défavorable en France, même s'il convient de relativiser ce constat : le faible taux d'emploi peut s'accompagner d'un « tri », les personnes ayant le moins bon état de santé étant moins présentes sur le marché du travail. 42 ( * ) »

Compte tenu de la subjectivité de ces informations, il est préférable de se reporter aux statistiques publiées par l'Insee sur la mortalité comparée des catégories socioprofessionnelles.

Mortalité des hommes et des femmes selon la catégorie socioprofessionnelle

Période 1982-2001

Distribution
en (%)

Indice standardisé de mortalité (ISM)

Catégorie socioprofessionnelle

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

N'a jamais travaillé

16,3

5,6

1,2

1,9

Travaille ou a déjà travaillé dont :

83,7

94,4

1,0

1,0

- cadres ou professions intellectuelles supérieures

2,8

10,6

0,8

0,6

- professions intermédiaires

9,4

16,0

0,8

0,9

- artisans, commerçants ou chefs d'entreprise

6,8

10,4

0,9

0,9

- employés

35,3

11,3

1,0

1,0

- agriculteurs exploitants

10,2

11,7

0,9

0,8

- ouvriers

19,2

34,4

1,1

1,2

Ensemble

100,0

100,0

1,0

1,0

Champ : hommes et femmes de 45 à 64 ans en 1982, nés en France métropolitaine et vivant en ménages ordinaires.

Source : Insee


• Des difficultés pratiques insolubles

Le champ de la notion de pénibilité est incertain, voire sans limite. Il correspond à l'évidence à une détérioration de l'état de santé des individus. Mais, au-delà de ce constat, isoler des critères opérationnels permettant de définir la pénibilité constitue un exercice délicat. Faut-il l'apprécier au regard de l'environnement et de l'intensité du travail ou des efforts physiques ? Faut-il prendre en compte toutes les contraintes susceptibles de nuire à la santé d'une personne au travail, c'est-à-dire les tâches répétitives, la pressions liées aux résultats, les charges lourdes, la station debout prolongée, le travail de nuit, le port d'équipements de protection, le travail à la chaîne, la variation des horaires 43 ( * ) ? Comment le médecin du travail pourra-t-il assurer un suivi individuel et mettre en place « une traçabilité » de la pénibilité au fil de la carrière des assurés sociaux ?


• Des négociations à rebondissement conduisant à la création d'une nouvelle forme déguisée de préretraite ?

Les négociations entre les partenaires sociaux ont commencé le 23 février 2005 avant de s'enliser et d'accumuler deux ans de retard. Elles semblaient d'ailleurs définitivement dans l'impasse avant de connaître un rebond inattendu au printemps 2007.

« La pénibilité est un vrai problème, il y a des travaux plus pénibles que d'autres, il faut donc les prendre en compte comme cela a été fait en 2003 pour ce que l'on appelle les « carrières longues », qui ont eu la possibilité de partir en retraite plus tôt. Il reste un certain nombre de cas à régler, dont ceux des salariés qui ont travaillé dans des conditions plus pénibles que d'autres, c'est tout l'objet de cette négociation. Elle pose des questions difficiles en termes de champ d'application : qui est concerné ? Le dispositif mis en place sera-t-il automatique ou bien ponctuel en fonction de situation du salarié en fin de carrière, selon quel état physique ? Enfin, qui assure le financement ?(...) Nous avons décidé de creuser cette possibilité : reste à savoir quels sont les salariés qui pourront en bénéficier, sur la base de quels critères, définis comment, notamment au sein des branches. (...) J'ai l'impression que les lignes bougent ; nous devrions pouvoir trouver un accord avant 2008. 44 ( * ) »

Il semble que les partenaires sociaux se soient finalement accordés sur l'idée qui consisterait à envisager une procédure spécifique de retraite anticipée, le cas échéant financée partiellement par les employeurs, au bénéfice des assurés sociaux ayant exercé des activités pénibles pendant leur vie professionnelle. Au total, trois pistes de réflexion seraient actuellement envisagées :

- le recours à la pension d'invalidité ;

- la réouverture du dispositif de préretraite progressive, qui avait été supprimé par la réforme des retraites de 2003 ;

- l'accroissement du champ d'application des préretraites Cats.

Les négociations progressent désormais sur la voie d'un dispositif combinant un cadre collectif et une dimension individuelle.

Or la question de la pénibilité est intimement liée à celle du passage de l'emploi à la retraite qui se fait selon des trajectoires très variées. Jusqu'ici, existent en France trois principaux modes de sortie anticipée du marché du travail : le chômage, l'invalidité et les préretraites. La pénibilité risque désormais de s'y ajouter.

C. LIER LE DOSSIER DES ADOSSEMENTS À LA RÉFORME DES RÉGIMES SPÉCIAUX

1. L'enjeu du dossier des régimes spéciaux pour les finances publiques et les finances sociales

La part des régimes spéciaux dans la branche vieillesse est considérable : elle correspond à 5,6 % de l'ensemble des retraites (13,1 milliards d'euros sur un total de 236 milliards d'euros) et à 7,9 % des seuls organismes de base (166 milliards d'euros). Les sept grands régimes spéciaux rassemblent 1,1 million de retraités pour seulement 471 000 actifs.

Ils sont caractérisés par leur insuffisance structurelle de financement et présentent tous des ratios démographiques défavorables : leur survie n'est donc possible que grâce à la solidarité nationale. En moyenne, les ressources provenant de l'extérieur assuraient, en 2005, 59 % des prestations vieillesse. Cette proportion devrait encore s'accroître pour atteindre 70 % en 2040-2050.

Il n'existe malheureusement aucune étude permettant d'évaluer avec précision l'importance relative des facteurs démographiques et des avantages spécifiques liés à des règles plus favorables. Tout juste peut-on indiquer que le surcoût du « chapeau » du régime de la RATP s'expliquait grosso modo pour 85 % par la précocité des départs en retraite, et pour le reste par le mode de calcul plus favorable des pensions.

Il est donc quasiment impossible de savoir combien coûte à la solidarité nationale le maintien de ces régimes. Sur la base d'informations éparses, votre rapporteur estime intuitivement à au moins 6 milliards d'euros par an, le surplus de prestations versées, par rapport à la situation théorique qui verrait ces assurés sociaux affiliés au régime général et à l'Agirc-Arrco. A titre de comparaison, ce montant correspond à près de la moitié du budget de l'enseignement supérieur (11,8 milliards d'euros en 2006).

Un chiffrage plus précis nécessiterait des investigations complémentaires de la part des services de l'Etat qui font aujourd'hui défaut. Nous disposons toutefois de quelques éléments incontestables :

- les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux s'élèvent à environ 280 milliards d'euros (dont 105 pour la SNCF, 90 pour les IEG, 27 pour les marins, 25 pour les mines, 23 pour la RATP et 12 pour la Banque de France), ce qui est considérable ;

- le montant des retraites versées par ces sept régimes devrait s'accroître. De 11,8 milliards d'euros en 2003, il passerait, selon le Cor, à 13,7 milliards en 2020, 15,4 milliards en 2040, puis 18,1 milliards en 2050 ;

- le besoin de financement couvert par des subventions d'équilibre et des contributions spécifiques passerait de 7 milliards d'euros en 2003 à 10,3 milliards en 2020, puis 10,8 milliards en 2040 et 12,8 milliards en 2050. A législation inchangée, le recours croissant à la solidarité nationale est donc massif et inévitable ;

- il existe une forte disproportion entre le faible nombre des cotisants (471 000 pour 24,4 millions d'actifs, soit 1,9 %) et la part relative des retraités des régimes spéciaux (1,1 million sur un total de 13,5, soit 8,1 %) dans la population française.

2. Le précédent de la Banque de France, un exemple à suivre ?

La Banque de France s'est engagée en 2007 dans un processus de convergence progressive avec les règles applicables aux pensions des trois fonctions publiques 45 ( * ) . Outre le rapprochement des paramètres techniques des régimes, la réforme prévoit que toute évolution ultérieure du code des pensions sera appliquée aux assurés sociaux de la Banque. Pendant la phase de convergence, ses agents vont continuer à bénéficier d'un régime dont les avantages se réduiront progressivement.


• Les grandes lignes de la réforme

Dans le cadre du nouveau régime de retraite de la Banque de France, les agents pourront demander la liquidation de leur retraite entre soixante et soixante-cinq ans. Obtenir une retraite à taux plein supposera à l'avenir d'avoir cotisé pendant 160 trimestres, ce nombre pouvant être porté à 164 à l'horizon 2013. L'augmentation jusqu'à soixante-cinq ans de la limite d'âge et celle du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein s'effectueront progressivement. La montée en charge du dispositif de décote s'effectuera à partir du 1 er janvier 2009 et se poursuivra jusqu'en 2022.

La mise en oeuvre du nouveau régime s'accompagne de l'élargissement de l'assiette de cotisation retraite à l'ensemble des éléments fixes de rémunération. Par ailleurs, la revalorisation des pensions s'effectuera désormais sur la base de l'évolution prévisionnelle de l'indice des prix à la consommation des ménages hors tabac.


• Le montant des économies attendues

A long terme, la Banque de France évalue à 600 millions d'euros, sur un total de 4,7 milliards d'euros d'engagements de retraite, le montant des économies que cette réforme permettrait de réaliser. Une économie supplémentaire de 100 à 200 millions d'euros pourrait être dégagée si plus de la moitié des agents choisissaient de prolonger leur carrière professionnelle au-delà de soixante ans, afin de bénéficier d'une pension à taux plein ou d'atteindre l'âge d'annulation de la décote.


• Les limites de la réforme

Les retraites des employés de la Banque de France seront donc alignées sur celles des fonctionnaires. Mais cette harmonisation n'est que partielle et s'accompagne de contreparties non négligeables.

Ainsi, les avantages familiaux, réservés jusqu'ici aux femmes, ont été étendus aux hommes sans avoir été modifiés. Par ailleurs, les différences de traitement entre les sexes ont été supprimées dans les trois domaines où elles existaient : les départs anticipés à la retraite des parents de trois enfants, les bonifications d'annuités pour les agents ayant élevé des enfants et les conditions de versement des pensions de réversion. Cet alignement « par le haut » aura un coût non négligeable.

Par ailleurs, la perte de pouvoir d'achat des agents titulaires résultant de l'extension des sommes soumises à cotisation sera intégralement compensée. Interrogée par votre rapporteur, la Banque de France a précisé que cette compensation est assurée, pour les agents titulaires « par le versement mensuel, jusqu'à la fin de l'activité, d'une prime dont le montant est égal à la différence entre la cotisation retraite de l'employé observée en avril 2007 et celle qui aurait été prélevée en l'absence de réforme du régime. En année pleine, le coût de cette prime de compensation est évalué à 14 millions d'euros ; ce coût ira en diminuant au fur et à mesure des départs en retraite des agents en activité avant l'entrée en vigueur de la réforme et se réduira en valeur réelle progressivement du fait de la non-indexation de la prime accordée 46 ( * ) ».

3. L'adossement, un autre aspect de la réforme des régimes spéciaux

La perspective de nouveaux adossements au régime général ne peut être envisagée indépendamment de la réforme en cours des régimes spéciaux.

Dans le cas des IEG, le régime général a en effet rendu un immense service à l'Etat et surtout aux entreprises EDF et GDF qui ont pu sortir de leurs comptes près de 90 milliards d'euros d'engagements de retraite. Mais ces adossements constituent aussi des opérations complexes susceptibles d'affecter profondément l'équilibre des comptes sociaux. Par ailleurs et malgré toutes les précautions prises, le respect du principe de stricte neutralité financière posé par le législateur ne pourra être constaté qu' a posteriori .

La technique de l'adossement pourrait être réutilisée pour d'autres entreprises publiques. Dans cette hypothèse, il s'agirait à l'évidence d'une contrepartie importante de l'Etat dans les négociations en cours avec les partenaires sociaux sur l'avenir des régimes spéciaux, car l'adossement permet de sécuriser le paiement des retraites des assurés sociaux des caisses adossées. Les pouvoirs publics ont jusqu'ici privilégié une approche au cas par cas de ces dossiers dont le traitement ne semble pas avoir beaucoup avancé au cours des dix-huit derniers mois.


• La RATP

Les décrets n os 2005-1635 et 2005-1636 du 26 décembre 2005 ont prévu un adossement du régime spécial de la RATP au régime général d'une part, et aux régimes complémentaires Arrco et Agirc, d'autre part. Mais les négociations engagées à ce sujet entre la Cnav et l'Etat sont manifestement dans l'impasse depuis deux ans.

Par ailleurs, le décret n° 2005-1637 relatif aux ressources de la caisse de retraite du personnel permanent de la RATP prévoit explicitement que les cotisations retraite de l'entreprise sont désormais libératoires : l'engagement de la RATP est donc limité au versement de ces cotisations. Et il n'y a plus lieu de procéder à un provisionnement. Enfin, l'Etat prend à sa charge à la fois le financement des droits passés mais également celui des droits futurs des agents de la régie, dans la limite de 45 000 affiliés actifs.


• La Poste

Les agents publics de La Poste n'appartiennent pas à un régime spécial, mais relèvent du code des pensions. En dépit de cela, comme pour la RATP, l'article 150 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 a prévu l'engagement de négociations en vue d'un adossement éventuel des fonctionnaires de La Poste. Des contacts ont eu lieu entre les différentes parties intéressées : la Cnav, La Poste, le nouvel établissement public national de financement des retraites de La Poste (EPNFRLP) créé à cet effet ainsi que les ministères de tutelle. Des travaux techniques sont actuellement en cours entre les services d'actuariat de la Cnav et ceux de La Poste.


• La SNCF

Une caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPRP-SNCF) a été créée en mai 2007 47 ( * ) afin de remplacer le service interne de l'entreprise qui avait jusqu'ici la charge de ces questions. Cette caisse a repris les engagements de retraite des agents. L'entreprise publique s'acquitte désormais de cotisations libératoires dont une partie correspond aux avantages spécifiques du régime.

La SNCF estime que « cette évolution a permis de mettre en conformité les comptes de l'entreprise avec les normes comptables internationales. Aucune perspective d'adossement n'est inscrite dans les textes publiés et, de ce fait, aucune négociation portant sur l'adossement du régime spécial de retraite de la SNCF n'est actuellement en cours. » 48 ( * )

4. Renforcer les garanties de neutralité pour le régime général

Au regard des difficiles négociations engagées depuis deux ans entre la RATP et la Cnav, il semble nécessaire de sécuriser davantage les adossements de régimes spéciaux au régime général. La Cour des comptes s'était d'ailleurs inquiétée, dans son rapport de septembre 2006, des « risques pour l'avenir » qu'entraînent ces montages.

Dans le dossier des IEG, les régimes complémentaires Agirc et Arrco avaient obtenu qu'une clause de révision partielle (dite « clause de rendez-vous ») du montant des droits d'entrée intervienne à l'issue d'un délai de cinq ans. Cela n'a pas été le cas pour la Cnav. Il semble pourtant indispensable de donner au régime général des garanties similaires à celles obtenues par les régimes complémentaires. Cette clause de révision devrait figurer dans la convention d'adossement, tout en prévoyant néanmoins un montant maximum plafonné, sans lequel les entreprises publiques concernées ne pourraient pas sortir ces engagements de retraite de leurs comptes.

A cela s'ajoute la nécessité d'introduire l'obligation de consulter la Cnav sur ces opérations d'adossement. Sans pour autant se voir accorder un droit de veto, les instances dirigeantes du régime général devraient avoir ainsi la garantie d'être consultées sur des dossiers engageant les équilibres financiers futurs de la caisse, pour des montants de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

D. RENDRE ENFIN TRANSPARENTES LES MODALITÉS DE FONCTIONNEMENT DE L'ASSURANCE VIEILLESSE

1. Améliorer l'information du Parlement et de l'opinion publique

La réforme des retraites de 2003 a permis des progrès remarquables dans le domaine de l'information des assurés sociaux sur leur situation individuelle au regard de la retraite. Parallèlement, le Cor a contribué à diffuser une information de qualité sur l'assurance vieillesse. Pourtant, la méconnaissance de ces sujets demeure encore très grande dans l'opinion publique.


• Le groupement d'intérêt public (Gip) info-retraites

Jusqu'à la réforme des retraites de 2003, les assurés sociaux ne disposaient que tardivement des informations sur le montant et le calcul de leur future pension. La loi du 21 août 2003 a eu notamment pour objectif d'accorder à chacun une plus grande liberté de choix en matière d'âge et de conditions de départ, ce qui a amené à définir un véritable droit à l'information. La création du Gip info-retraite a correspondu à la nécessité de coordonner en ce sens les travaux des trente-six principaux organismes de retraite obligatoire.

Les informations apportées aux assurés consisteront en :

- l'envoi d'un relevé de situation individuelle, à l'initiative des régimes, tous les cinq ans à partir de l'âge de trente-cinq ans et jusqu'à l'âge de cinquante ans ;

- l'envoi d'une estimation indicative globale de pension, à l'initiative des régimes, à partir de l'âge de cinquante-cinq ans, puis tous les cinq ans tant que l'assuré n'est pas retraité ; cette estimation devrait être réalisée, pour chaque régime, à l'âge d'ouverture du droit à pension ainsi qu'à l'âge auquel il pourrait bénéficier de la pension à taux plein.

Près de 1,4 million d'assurés appartenant aux classes d'âge 1949 à 1957 se verront adresser cette année les premiers documents personnalisés issus du droit à l'information individuelle sur la retraite. Une montée en charge progressive des envois par année de naissance est prévue ensuite jusqu'en 2010.

Enfin, le Gip info-retraite donne aux assurés sociaux la possibilité d'accéder à des informations complémentaire par le biais de son site Internet, mais également de son outil de simulation M@rel qui a pour objectif de donner à chacun une idée de sa future retraite, en fonction de ses revenus, quel que soit son âge.


• L'information du Parlement

Grâce à ses pouvoirs de contrôle, la commission des affaires sociales dispose d'une capacité d'investigation inédite sur la question des retraites qui pourrait être renforcé dans deux domaines précis.

Il faudrait d'abord, dans le cadre de l'examen de la loi de finances, améliorer la présentation de la mission « Régimes sociaux et de retraite » qui est consacrée principalement à la SNCF, à la RATP, aux marins et aux mineurs. Les indicateurs choisis portent en effet presque exclusivement sur le suivi des dépenses de gestion, ce qui limite singulièrement la portée de la démarche.

A contrario , les travaux de la direction de la sécurité sociale ont débouché en 2007 sur la réalisation d'une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale consacrée aux retraites. Ce document 49 ( * ) très bien fait représente d'ores et déjà une source d'information précieuse pour les parlementaires. Mais il faudrait y introduire davantage de données sur l'âge moyen de liquidation de la pension, sur le nombre d'années cotisées et validées, sur l'espérance de vie à soixante ans et sur la durée moyenne de la retraite dans les régimes sociaux.

2. Introduire des éléments de comparaison entre les différents régimes et les catégories d'assurés sociaux

Comparer deux régimes de retraite du point de vue du rendement nécessite de disposer d'indicateurs qui reflètent la valeur des régimes selon leurs adhérents. Or, les régimes de retraite peuvent être considérés comme des mécanismes permettant de transférer des revenus vers l'avenir. Leur utilité pour les individus dépend donc du bénéfice actualisé qu'ils en retirent, si l'on suppose que les individus sont suffisamment informés et qu'ils sont libres de choisir le régime auquel ils adhèrent. Dans ce cadre, les indicateurs qui paraissent les plus valables sont des indicateurs financiers de type taux de rendement interne ou bénéfice actualisé.

L'obstacle fondamental auquel se heurte la comparaison des régimes, en termes de rendement, est la mesure d'un « effort contributif » dans les différents régimes. Si une telle mesure est relativement simple dans le secteur privé en dehors des périodes de chômage et de quelques autres dispositifs spécifiques de validation, elle semble plus délicate dans le secteur public. Aujourd'hui encore les données chiffrées sur les retraites ne permettent, que d'approcher empiriquement le « rendement » des différents régimes entre eux 50 ( * ) .

Il n'existe pas de publication officielle consacrée spécifiquement à l'étude de cette question. Les travaux du Cor réalisés en 2001 et le rapport Charpin de 1999 ont certes abordé le sujet. Mais ces éléments apparaissent aujourd'hui anciens et contestés. On observera également que, dans son rapport public particulier d'avril 2003, la Cour des comptes s'est intéressée aux pensions des fonctionnaires civils de l'Etat, mais sans portée comparative, sauf sur l'âge de cession d'activité des fonctionnaires.

Outre le rendement, comparer entre eux les différents régimes de retraite suppose de prendre en compte de très nombreux aspects : le rapport démographique entre cotisants et retraités ; les transferts financiers au titre de la compensation démographique et de la surcompensation ; les données prospectives à moyen et long terme ; la structure comparée des ressources et des charges ; le niveau des prestations ; le niveau des cotisations ; l'âge de liquidation et de cessation d'activité ; les modes d'indexation des pensions, ainsi que l'importance des dépenses de gestion.

3. Appliquer un moratoire sur les règles des mécanismes de compensation démographique

Ainsi que l'a constaté la Mecss 51 ( * ) , l'Etat a en fait un double intérêt à utiliser à son avantage les règles de la compensation démographique :

- il est partie prenante à la compensation, en qualité de contributeur au titre des régimes de retraite des fonctionnaires civils et militaires ;

- il verse une subvention d'équilibre à certains régimes structurellement déséquilibrés (par exemple la SNCF) ou en voie d'extinction lente (les mines) et cette subvention sera d'autant moins élevée que le régime concerné percevra plus de compensation ou en versera moins aux autres régimes.

Ces observations incitent à souhaiter que l'on en revienne aux fondements votés en 1974. Cette orientation supposerait de supprimer la prise en compte des chômeurs et des préretraités dans les effectifs de cotisants décidée en 2002.

4. Créer une caisse de retraite pour la fonction publique d'Etat

Malgré la publication d'abondantes données statistiques, le système actuel du financement des retraites des fonctionnaires reste opaque. Il est difficile de dresser un constat des recettes et dépenses relatives aux retraites des fonctionnaires civils et militaires de l'Etat, les dépenses étant équilibrées à due concurrence par une subvention d'équilibre dénommée assez improprement « cotisation fictive employeur ». En effet, la notion de cotisation suppose une assiette à laquelle on applique un taux.

Lors du vote de la loi du 21 août 2003, votre commission avait d'ailleurs adopté un amendement à ce titre qui fut finalement retiré en séance. Cette démarche, déjà envisagée en 1995 dans le cadre du « plan Juppé », mériterait d'être reprise à l'avenir. Une telle évolution risque toutefois de se heurter à quelques réticences du ministère des finances : en termes strictement budgétaires, la situation actuelle présente en effet l'avantage de n'avoir à se préoccuper que d'équilibrer le compte des pensions des fonctionnaires à horizon d'un an.

5. Rechercher et publier les engagements à moyen et long terme des régimes de retraite

La prospective en matière de retraite s'appuie généralement sur des projections de la part relative des retraites dans le Pib, sur des estimations du besoin de financement futur des régimes de retraite ou encore sur l'évaluation des niveaux de cotisation nécessaires pour équilibrer les comptes de ces régimes à un horizon déterminé. Mais d'autres approches ont été récemment proposées. Ces démarches novatrices reposent sur la notion de « dette implicite » des systèmes de retraite.

La dette « explicite » des administrations publiques correspond à l'ensemble des sommes qu'elles se sont engagées à débourser dans le futur et ce, par contrat ou en vertu de dispositions légales non révisables. A contrario, on entend par dette « implicite », l'ensemble des engagements qui, s'ils n'ont pas de valeur juridique contraignante, résultent de la poursuite des politiques courantes ou correspondent aux attentes des citoyens sur les politiques futures. Pour les retraites stricto sensu , la définition des engagements implicites apparaît relativement simple : il s'agit de l'ensemble des droits à retraite qui devront être honorés dans le futur sur la base des règles existantes ou des réformes déjà adoptées 52 ( * ) .

Deux paramètres jouent un rôle décisif dans ces calculs : le taux d'actualisation retenu et l'horizon de ces estimations. Ces évaluations débouchent ainsi sur des montants très variables, mais généralement élevés, allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de points de Pib. Mais au total, cette démarche permet d'appréhender l'avenir.

En France, à l'inverse du régime général, l'Etat procède depuis 2003 à ce type d'évaluation pour le régime des pensions civiles et militaires. Les engagements au titre des retraites des fonctionnaires de l'Etat et des militaires sont évalués à 941 milliards d'euros au 31 décembre 2006, soit environ 53 % du Pib. Cette évaluation comprend les fonctionnaires employés par France Télécom (57 milliards d'euros) mais pas ceux de La Poste. Le montant des engagements du régime de retraite au titre des fonctionnaires de la CNRACL est estimé à 408 milliards d'euros, au 31 décembre 2006, par le régime. Celui des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (FSPOEIE) est évalué à 32 milliards d'euros à la même date.

D'autres pays utilisent ces méthodes d'évaluation sur une échelle beaucoup plus large, en les appliquant aux régimes couvrant l'essentiel de leur population . L'économiste Laurent Vernière a ainsi relevé, en 2002, les exemples de la Finlande , pour un montant évalué à deux années de Pib , du Japon (1,5 année de Pib) , du Canada (1,5 année de Pib) et de la Suède . Les autorités suédoises chiffrent le montant des engagements de leur système de retraite à 2,5 années de Pib.

Interrogés sur les éventuelles conséquences négatives de cet effort de transparence, les responsables suédois rencontrés par la Mecss en avril 2007 avaient fait valoir la réaction positive des agences de notation internationales. A la lumière de ce précédent, il semblerait opportun que les pouvoirs publics français demandent à la Cnav et aux autres grandes caisses de retraite du secteur privé de mener à bien les mêmes travaux d'évaluation des engagements de retraite implicites que ceux qui ont déjà été réalisés dans le cadre du budget de l'Etat.

*

* *

Sous réserve des observations qui précèdent et des amendements qu'elle propose dans le tome VI du présent rapport, votre commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)

Réunie le mardi 30 octobre 2007 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

M. Nicolas About, président , a souhaité connaître la position du conseil d'administration de la Cnav, ainsi que le sentiment personnel de sa présidente sur les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav , a tout d'abord souligné que le régime général enregistrera en 2007 un déficit supérieur d'un milliard d'euros aux prévisions. Ce dérapage important ne s'explique pas uniquement par l'engouement des assurés sociaux pour le dispositif de longue carrière. Il correspond également à un souhait quasi unanime des seniors de liquider leur pension dès que possible. Dans ces conditions, les besoins de financement de la Cnav ne peuvent que s'accroître pour atteindre 10 milliards d'euros par an à l'horizon 2010-2012.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 comporte un ensemble de mesures coercitives destinées à dissuader les entreprises de recourir aux mécanismes bien connus de préretraite et autres cessations précoces d'activité. Ces dispositions ont fait l'objet d'un accueil globalement favorable de la part du conseil d'administration de la Cnav. Cela n'a pas été le cas, en revanche, de la perspective envisagée par le Gouvernement consistant à augmenter la durée nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Face à l'ampleur des départs précoces, il convient déjà de tout faire pour que les entreprises cessent de se séparer de leurs salariés âgés.

La Cnav entend apporter sa propre contribution aux débats de 2008 sur les retraites. Il est encore prématuré d'en présenter les détails, mais les travaux préparatoires s'organisent autour de plusieurs idées force :

- les projections financières des comptes du régime général illustrent la nécessité de fournir un effort supplémentaire ;

- cette action, dont les contours restent à définir, est susceptible de porter sur le montant, sur l'élargissement de l'assiette et sur la durée de cotisation ;

- l'enjeu consiste à redonner confiance aux assurés sociaux sur la pérennité même du système de retraite par répartition.

S'exprimant à titre personnel, Mme Danièle Karniewicz a souligné combien les jeunes actifs sont inquiets et craignent même de cotiser à perte. L'une des questions majeures de la prochaine réforme des retraites consiste à mettre un terme à cette dérive qui menace de tuer l'esprit de la retraite par répartition. Si la collectivité nationale n'est pas capable d'envoyer un signal clair pour les rassurer, les jeunes générations auront tendance à s'adresser à des assureurs privés. Il convient donc de fournir les efforts nécessaires et de rétablir la crédibilité de l'assurance vieillesse.

Elle a constaté par ailleurs que beaucoup de salariés du secteur privé expriment une sensibilité de plus en plus forte à l'égard des régimes de retraite spéciaux restés jusqu'ici à l'écart des réformes successives de l'assurance vieillesse. Ce sujet des régimes spéciaux, de même que celui de la pénibilité, sera l'un des principaux thèmes du rendez-vous de 2008 sur les retraites.

Mme Isabelle Debré s'est interrogée sur les critères permettant de définir la notion de pénibilité.

A titre personnel, là encore, Mme Danièle Karniewicz a estimé qu'il convient d'appréhender le dossier de la pénibilité en veillant à ne pas créer uniquement un mécanisme de départ anticipé supplémentaire. Les grilles de référence actuellement utilisées par les branches professionnelles ne correspondent plus toujours à la réalité. Ainsi, elles ne prennent en compte, le plus souvent, que la pénibilité physique des tâches effectuées, en faisant abstraction des troubles psychologiques et moraux qui affectent la santé d'un nombre croissant de salariés. Il serait également nécessaire de promouvoir la prévention de la pénibilité, notamment en permettant aux assurés de bénéficier d'une formation tout au long de leur vie professionnelle.

La notion de pénibilité correspond à une réalité indéniable du monde du travail, qu'il est toutefois difficile d'apprécier. Sans doute peut-on se fonder sur le critère de l'espérance de vie. Mais les autres dimensions du dossier apparaissent problématiques. Comment assurer la « traçabilité » de la pénibilité des parcours professionnels individuels ? Cette mission devrait-elle être du ressort du médecin du travail, du médecin traitant, du médecin de la sécurité sociale ou des trois ensemble ? Est-il possible d'appréhender le risque, pour une personne ayant exercé un métier pénible mais se trouvant actuellement en bonne santé, de développer ultérieurement une maladie professionnelle ? Comment financer les mesures qui seraient prises pour traiter le problème de la pénibilité, lorsque le régime général consacre déjà plus de 2 milliards d'euros par an aux carrières longues ?

Après avoir souligné le très fort impact de la réforme Balladur de 1993 sur le niveau des retraites, Mme Danièle Karniewicz a estimé qu'il convient désormais de mettre un terme à cette évolution. Prenant le contre-pied des opinions généralement avancées par beaucoup d'experts et de décideurs publics, elle a considéré qu'il faudrait accroître le montant des pensions, ne serait-ce que pour donner confiance aux jeunes générations. Cela supposerait d'améliorer le mode d'indexation des salaires portés au compte des assurés sociaux tout au long de leur carrière professionnelle, en allant au-delà du seul indice des prix.

Elle a également avancé l'idée de définir un taux de remplacement minimum par rapport au dernier salaire d'activité. Pour y parvenir, il faudrait toutefois établir une répartition précise des efforts à fournir par la Cnav d'une part, par les régimes complémentaires, d'autre part. A défaut, une telle garantie serait dépourvue de toute effectivité.

Elle a ensuite exprimé son attachement au travail réalisé par les services de la Cnav dans le domaine de l'action sociale, en mettant en garde contre le réflexe qui consisterait à vouloir s'en remettre exclusivement aux conseils généraux.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse , a constaté que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne fait qu'aborder la question des retraites, en attendant le lancement de la prochaine réforme. Il a rappelé les préoccupations exprimées de longue date par la commission - préserver le système par répartition et réduire les disparités entre les assurés sociaux - et a approuvé l'article qui propose de restreindre et pénaliser financièrement les cessations précoces d'activité dans les entreprises.

En ce qui concerne la pénibilité, il a fait part de sa perplexité à l'égard de l'issue des négociations engagées entre les partenaires sociaux. A ses yeux, il faudrait avant tout améliorer les conditions de travail et insister sur la prévention. La prise en compte de la pénibilité ne doit pas se traduire uniquement par des préretraites supplémentaires.

Au-delà du rendez-vous de 2008, il convient d'engager une réflexion pour aboutir à une réforme structurelle plus importante à l'horizon 2012. Dans cette perspective, il est essentiel de connaître l'évolution probable, au cours des prochaines décennies, du taux de remplacement, c'est-à-dire du pourcentage que représente la retraite par rapport au dernier salaire d'activité. Il semble d'ailleurs que les prospectives disponibles fassent état de fortes disparités entre les salariés du secteur privé et les ressortissants des trois fonctions publiques. Cette question mériterait d'être approfondie, comme d'ailleurs celle des futurs adossements des régimes spéciaux.

Faisant référence à un sondage réalisé à la demande de la Cnav, Mme Danièle Karniewicz s'est inquiétée du sentiment d'exaspération à l'égard du monde du travail que manifestent les salariés arrivant à l'âge de la retraite. Bon nombre d'entre eux, y compris les plus modestes, vont même jusqu'à racheter à un coût élevé des trimestres de cotisations pour partir le plus vite possible. Il faudrait engager des efforts très importants pour sortir de cette situation. Les négociations sur la pénibilité pourraient être l'occasion d'élaborer un véritable pacte citoyen dans les entreprises afin d'améliorer les conditions de travail et les parcours professionnels, de façon à garder les seniors en activité.

Elle a ensuite réaffirmé ses réticences à l'égard du dispositif de cumul emploi-retraite, qui n'est pas exempt d'effets pervers. A l'inverse de la présentation qui en est faite généralement par le patronat, il ne s'agit en aucun cas du quatrième pilier de la retraite : actuellement, ce dispositif serait essentiellement utilisé par des salariés placés en préretraite, mais contraints de reprendre une activité professionnelle en raison de la modicité de leur pension.

S'exprimant à titre personnel, Mme Danièle Karniewicz a fait valoir le désarroi d'une partie croissante des classes moyennes à l'égard du principe de solidarité sur lequel est fondé notre système social. Nombreux sont nos concitoyens qui ont le sentiment d'être mis à contribution toujours davantage et de ne recevoir en contrepartie que des prestations de plus en plus faibles. A ce titre, un dispositif comme le bouclier sanitaire est susceptible de susciter de vives critiques dans la population.

En ce qui concerne les adossements, elle a indiqué que les négociations engagées avec l'Etat au sujet de la RATP sont au point mort pour deux raisons : la Cnav refuse le principe de l'intervention du fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour les avantages familiaux et elle estime que le taux d'actualisation proposé par la puissance publique n'est pas suffisant. D'autres contacts ont été engagés avec les services de La Poste, mais une telle opération constituerait à l'évidence une première, puisque cette entreprise est majoritairement composée de fonctionnaires.

Mme Isabelle Debré s'est déclarée favorable à la mise en oeuvre d'un pacte citoyen pour l'emploi des seniors dans les entreprises. La réussite d'une telle initiative ne passe pas nécessairement par la loi, mais par la mobilisation de l'ensemble des acteurs du monde du travail.

Mme Gisèle Printz a observé que tous les salariés âgés ne veulent pas partir en retraite le plus tôt possible. Beaucoup, à l'inverse, y sont contraints par la direction de l'entreprise qui les emploie.

M. Guy Fischer s'est inquiété de la baisse des pensions, notamment celles des femmes et des personnes âgées, et du problème posé par le mode d'indexation sur les prix. Il a souhaité savoir quel a été l'impact de la réforme Balladur sur ce point précis et s'il est exact que ce mode de calcul entraîne mécaniquement un effondrement du taux de remplacement. Il a également souhaité connaître le sentiment de Mme Karniewicz sur le niveau d'1,1 % proposé pour la revalorisation des pensions en 2008.

Mme Marie-Thérèse Hermange a approuvé les propos de Mme Karniewicz sur l'importance de l'action sociale de la Cnav.

Faisant référence à l'article du projet de loi de financement de la sécurité sociale consacré aux mises à la retraite d'office, M. Alain Vasselle a souhaité connaître l'opinion de Mme Karniewicz sur les craintes formulées par certains employeurs : la pénalisation des mises à la retraite d'office ne risque-t-elle pas d'avoir les mêmes effets pervers que la contribution Delalande pour le taux d'emploi des seniors ? Il a également souhaité savoir si la position personnelle de la présidente de la Cnav sur le dossier de la pénibilité est partagée par d'autres interlocuteurs syndicaux.

M. Jean-Pierre Godefroy a observé que dans bon nombre d'entreprises, mais aussi dans le corps des ouvriers d'Etat auquel il appartenait lui-même, les salariés ont été placés, contraints et forcés, en préretraite à cinquante-deux ou cinquante-trois ans. Il a estimé en outre que le problème de la pénibilité doit être prioritairement traité, par le biais d'une amélioration des conditions de travail, la cessation précoce d'activité devant être réservée aux pathologies professionnelles, dans le cas de l'amiante par exemple.

Mme Danièle Karniewicz a confirmé que les trente années passées de mauvaises pratiques dans les entreprises ont toujours un impact dévastateur pour l'emploi des seniors. Répondant à Alain Vasselle, elle a estimé que la pénalisation financière des mises à la retraite d'office ne recèle pas d'effets pervers. A l'inverse, des mesures coercitives sont nécessaires pour montrer aux employeurs le chemin à accomplir. D'autres pays européens, comme les Pays-Bas, y ont eu recours avec des résultats significatifs. Il faut néanmoins combiner mesures incitatives et contraignantes pour sortir de l'impasse actuelle sur la faiblesse du taux d'emploi des seniors.

Les négociations en cours sur la pénibilité traduisent progressivement une évolution de la position des partenaires sociaux. En ce qui concerne l'indexation des pensions sur les prix, l'impact de la réforme Balladur peut être estimé à - 15 % depuis 1993, par rapport à la situation qui aurait prévalu si l'on avait conservé pour référence l'évolution des salaires. La question de la revalorisation des pensions constitue une vraie préoccupation, qui conduit à poser le principe de la répartition des efforts entre les différentes générations et entre actifs et inactifs. A ce titre, elle a précisé que sa proposition d'amélioration du mode d'indexation concerne non pas les pensions, mais les salaires portés au compte durant la carrière professionnelle des assurés sociaux.

Après avoir fait part de ses réticences sur la technique de gestion des retraites par points, elle a jugé que la Cnav fournit un travail remarquable dans le domaine de l'action sociale : l'aide à domicile, le portage des repas et les services fournis aux personnes âgées avant qu'elles ne soient dépendantes sont indispensables.

ANNEXE - PROPOSITIONS POUR 2008

Préparation de la réforme des retraites de 2008

Synthèse des travaux de la commission des affaires sociales du Sénat

1. Justifier les nouveaux efforts demandés aux assurés sociaux au nom du principe d'équité entre les générations

2. Fixer l'horizon de la réforme à l'échéance 2040

3. Définir un cadre général raisonnable pour la réforme de 2008


• Maîtriser l'évolution des comptes de la branche vieillesse : contrôler le dispositif des longues carrières ; accélérer le calendrier de mise en oeuvre des mesures d'économies, comme la décote dans la fonction publique ; définir des mesures d'économies nouvelles ;


• Ne pas engager de dépenses supplémentaires au-delà des mesures en faveur du minimum vieillesse et des pensions de réversion annoncées par le Président de la République pendant la campagne électorale.


• Ne pas surestimer le transfert des futurs excédents de l'assurance chômage.


• Rééquilibrer pour l'avenir les efforts demandés aux différentes catégories d'assurés sociaux au profit des jeunes générations et des actifs du secteur privé qui ont déjà assumé la charge principale des réformes précédentes. Inversement, les ressortissants des trois fonctions publiques n'y ont contribué que depuis 2003 et les nouvelles dispositions qui leur sont applicables entrent en vigueur très progressivement. En 2020, les fonctionnaires civils et militaires pourraient représenter plus de 60 % des besoins de financement de l'ensemble de la branche vieillesse. C'est donc là qu'il faut faire porter l'effort principal.

4. La méthodologie de la réforme doit privilégier l'élaboration d'un texte court, autour d'objectifs simples et de quelques « mesures phares ».

5. Les principales mesures envisageables


• Redimensionner le dispositif des longues carrières, devenu financièrement insoutenable en raison de certains usages imprévus et parfois abusifs de cette faculté de départ précoce. Réserver à l'avenir le bénéfice de cette mesure aux seules personnes âgées de cinquante-huit et de cinquante-neuf ans.


• Limiter de façon effective le recours aux préretraites et aux autres dispositifs de cessation précoce d'activité, en les pénalisant lourdement sur le plan financier.


• Repousser à cinquante-huit ans l'âge auquel les chômeurs sont dispensés de recherche d'emploi (DRE). Prévoir ensuite la mise en extinction définitive de cette mesure de dispense dans un délai de cinq à dix ans.


• Limiter les éventuels effets pervers des résultats des négociations entre les partenaires sociaux sur le thème de la pénibilité, lorsque les termes de l'accord seront connus.


• Demander un nouvel effort aux ressortissants du régime général et des régimes alignés sous la forme d'un report à soixante et un ans de l'âge « normal » de départ en retraite. Une autre option pourrait consister à abandonner la notion d'âge légal de la retraite au profit d'une fourchette d'âge comprise par exemple entre soixante et soixante-cinq ans, sur la base d'un barème actuariel.


• Compte tenu de la croissance rapide des dépenses de retraite (6 % par an) dans le budget de l'Etat, reprendre le dossier de la réforme du code des pensions civiles et militaires en mettant en oeuvre, en 2008, l'ensemble des recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport d'avril 2003. Poursuivre aussi le processus d'harmonisation avec le régime général, en agissant sur les modalités de calcul des pensions, sur les règles de bonifications ainsi que sur les possibilités de départs anticipés. Placer en extinction le plus rapidement possible l'indemnité temporaire majorant la retraite des fonctionnaires de l'Etat dans certains territoires d'outre-mer.

6. Préparer l'avenir : engager dès 2008 le processus de réflexion pour aboutir à une réforme systémique en 2012

Au-delà de la réforme de 2008 qui, faute de temps de préparation, risque de ne pouvoir intégrer que des mesures paramétriques, il est nécessaire de préparer l'étape suivante et de prévoir le lancement d'une expertise indépendante et approfondie sur :

- la question des régimes par points ;

- la possibilité de transposer en France la réforme des comptes notionnels et du mécanisme d'ajustement suédois.

* 1 Premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - février 2007 - p. 9.

* 2 Les retraites : libres opinions d'experts européens - Editions Economica - février 2007. Ouvrage collectif sous la direction de Florence Legros - Contribution de Karine Briard de la Cnav (p. 215).

* 3 Quatrième rapport du Cor - Janvier 2007 - Retraites : questions et orientations pour 2008 - p. 29.

* 4 Rapport d'information de la Mecss : « Finances sociales : après la rechute, la guérison ? - Alain Vasselle - Rapport n° 403 (2006-2007) - p. 56 et 57.

* 5 Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, supprimé par la loi de finances pour 2004.

* 6 Rapport d'information n° 311 (2006-2007) de la Mecss : « La compensation vieillesse est-elle encore réformable ? » - Claude Domeizel et Dominique Leclerc - p. 31.

* 7 CJCE aff. 366/99 Griesmar du 29 novembre 2001. CJCE aff. 206/00 Moufflin du 13 décembre 2001.

* 8 Questions retraite n° 2004-65 - L'évolution de la réglementation et de la jurisprudence européennes en matière de retraite - Marina Mauclaire.

* 9 Projet de loi de financement de la sécurité sociale - Rapport n° 59 (2006-2007) d'Alain Vasselle - Tome VI - Examen des articles p. 61 à 63.

Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, compte rendu intégral des débats en séance publique au Sénat (30 novembre 2006), intervention de Dominique Leclerc.

* 10 Note n° 2006-M-061-01 et M-2006-222 de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office - novembre 2006 - p. 8.

* 11 Séance plénière du 22 octobre 2007.

* 12 Le Cor a retenu une hypothèse de productivité moyenne de 1,7 % par an jusqu'en 2013 et de 1,8 % entre 2014 et 2050.

* 13 Les retraites : Libres opinions d'experts européens - ouvrage déjà cité. - Entretien avec Edmond Alphandery (p. 282).

* 14 Stéphane Hamayon et Florence Legros - Perspectives du système de retraite français : la montée des incertitudes.

* 15 Article consacré « aux nouvelles générations devant la panne prolongée de l'ascenseur social » du sociologue Louis Chauvel - Janvier 2006 - Revue de l'OFCE.

* 16 Insee - Etudes et résultats n° 401, mai 2005 « Début de vie professionnelle et acquisition de droits à la retraite » - Insee - Données sociales (édition 2006) « Les droits à la retraite des cotisants » - Insee première n° 1104, octobre 2006 « De 1977 à 2002, l'emploi des jeunes salariés est de plus en plus découpé par des interruptions »

* 17 Premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - p. 16.

* 18 Document de travail de l'Ined n° 126 (avril 2005) - L'impact des réformes de 1993 et de 2003 sur les retraites - Thierry Debrard et Anne-Gisèle Privat.

* 19 Retraites : mieux vaut différer la mise au repos qu'écraser d'impôts. Frédéric Gonand - Laboratoire d'économétrie de l'Ecole polytechnique. Ouvrage collectif déjà cité « Les retraites » - p. 44 et 45.

* 20 Rapport d'information de la Mecss n° 403 (2006-2007) - Alain Vasselle « Finances sociales : après la rechute, la guérison », p. 58.

* 21 Cor - séance plénière du 25 octobre 2006. L'espace des choix possibles.

* 22 L'exemple récent du débat sur les régimes spéciaux montre cependant que bon nombre de dispositions sont de nature réglementaire.

* 23 Insee première n° 1089 - juillet 2006. « La population continue de croître et le vieillissement se poursuit ».

* 24 Ined - Population et société n° 429 - décembre 2006 - Population française : vers une stabilisation à 70 millions d'habitants.

* 25 Insee première n° 1092 juillet 2006 - Projection 2005-2050 - Des actifs en nombre stable pour une population âgée toujours plus nombreuse.

* 26 Entretien avec Raoul Briet, président du FRR - p. 287 de l'ouvrage collectif « Les retraites » déjà cité.

* 27 Questions retraite n° 2003-62 - Octobre 2003 - Laurent Vernière - Le pilotage des régimes de retraite face à l'augmentation de la longévité - Les exemples de la France, de l'Allemagne, la Finlande, la Suède et l'Italie.

* 28 Rapport de la Cour des comptes relatif à l'indemnisation des conséquences de l'utilisation de l'amiante - mars 2005.

* 29 Les retraites - Florence Legros - p. 10.

* 30 Une proposition de loi n° 366 (session extraordinaire de 2006-2007), destinée à placer cette disposition en extinction, a été déposée par André Lardeux et Catherine Procaccia, cosignée à ce jour par soixante-dix sénateurs.

* 31 Rapport d'information de la Mecss n° 314 (2006-2007) - Transparence, équité, solidarité : les trois objectifs d'une réforme de la réversion - Claude Domeizel et Dominique Leclerc.

* 32 Cf. étude de la direction de la sécurité sociale, publiée par le Cor en 2002 à l'occasion de la réunion plénière du 6 mars 2002 - Evaluation du coût global d'un départ au taux plein à 58 ou 59 ans, sous condition de 160 trimestres validés.

* 33 Revue Retraite et société- juin 2006 (numéro 48) - p. 125 à 135.

* 34 Discours pour le soixantième anniversaire de l'Agirc - 25 septembre 2007.

* 35 Quelle régulation pour les régimes de retraite par répartition ? Jacques Bichot - Revue Droit social - septembre-octobre 2006.

* 36 La lettre de l'Observatoire des retraites n° 14 - mars 2005 - p. 9 à 13 - La technique de retraite par points.

* 37 Rapport d'information de la Mecss n° 377 (2006-2007) - Réformer la protection sociale : les leçons du modèle suédois - Alain Vasselle et Bernard Cazeau - p. 30 à 56.

* 38 Note de la mission conjointe sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office - IGF et Igas - novembre 2006.

* 39 Les retraites contre le chômage ? Un regard historique - Antoine Bozio - Ecole des hautes études en sciences sociales. Voir aussi du même auteur « Les réformes des retraites de 1993 et 2003 vont-elles conduire à un allongement des carrières professionnelles ? » - avril 2006 - docweb n° 0605.

* 40 Darès - Premières synthèses - juin 2006 - n° 24-1 - « Fin 2004, la dispense de recherche d'emploi concerne près de 6 % des 55-64 ans. »

* 41 Enquête financée par la commission européenne - Les résultats sont consultables sur le site www.irdes.fr.

* 42 Les retraites - Libres opinions d'experts européens - ouvrage collectif sous la direction de Florence Legros - Article de Samia Benallah et Pierre Ralle - L'emploi des seniors : à quel prix ? - p. 186.

* 43 Sur ce sujet, voir l'article de la revue Droit social n° 9110 - septembre-octobre 2006 - Les négociations interprofessionnelles sur la pénibilité au travail - Franck Héas - p. 885.

* 44 Déclaration du chef de file de la négociation pour le Medef - 5 juin 2007. Voir aussi la déclaration du Medef du 27 septembre 2007.

* 45 Décret n° 2007-262 du 27 février 2007 relatif aux agents titulaires de la Banque de France.

* 46 Réponse de la Banque de France au questionnaire budgétaire adressé en juillet 2007 par la commission des affaires sociales du Sénat.

* 47 Décret n° 2007-730 du 7 mai 2007 relatif à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

* 48 Réponse de la SNCF au questionnaire budgétaire adressé par la commission des affaires sociales en juillet 2007.

* 49 Annexe 1 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 - Programmes de qualité et d'efficience retraites.

* 50 Economie et statistiques n° 328-1999 - Comparaison de rendement des régimes de retraite : une approche par cas type - Jean-Marc Aubert.

* 51 Rapport d'information n° 131 (2006-2007) de la Mecss - La compensation vieillesse est-elle encore réformable ? Claude Domeizel et Dominique Leclerc.

* 52 L'économie française, compte et dossiers - Les engagements implicites des systèmes de retraite - Didier Blanchet et Jean-François Ouvrard - Insee - juin 2006.

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