B. DES TRAVAUX EN COURS, UNE RÉFORME ANNONCÉE

Le drame de l'amiante a mis sur la place publique des lacunes du système de santé au travail pressenties depuis longtemps. Traditionnellement centré sur la visite médicale individuelle, celui-ci n'est guère en mesure de freiner la multiplication des pathologies ; guère en mesure d'accompagner la montée des risques différés, alors que la mobilité accrue des salariés met la traçabilité et le suivi au premier plan des nouvelles exigences ; guère en mesure non plus d'appréhender les effets des transformations du système productif, on pense au développement du travail précaire, au développement de l'emploi hors de l'entreprise, à l'intensification de la productivité et à ses effets sur la santé des salariés, tels que la survenance croissante des troubles musculo-squelettiques et celle des troubles psychiques.

En octobre dernier, un important rapport élaboré par l'inspection générale des affaires sociales, par celle des finances et par les professeurs Françoise Conso et Paul Frimat, a dressé le bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel du 19 décembre 2000, de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

Toutes les démarches des pouvoirs publics, note le rapport, ont été peu ou prou guidées par la nécessité de passer d'une approche réparatrice à une démarche réellement préventive, en renouant ainsi avec l'approche de la loi fondatrice du 11 octobre 1946, dont l'objectif était de prévenir toute altération de la santé par le travail.

La circulaire du 7 avril 2005 relative à la réforme de la médecine du travail souligne dans cet esprit « le rôle premier que doit reconquérir, en médecine du travail, la nécessaire action correctrice du milieu de travail en entreprise ».

Il existe ainsi une pensée largement partagée de ce que devrait être la médecine du travail.

Cependant, tout en identifiant quelques progrès significatifs, tels que le fait que la pluridisciplinarité est aujourd'hui admise en tant que principe d'organisation des services de santé au travail et aussi le fait que l'espacement des visites médicales a contribué à rapprocher le temps consacré par les médecins à l'action en milieu de travail du « tiers temps » prévu par la réglementation, le rapport Conso et Frimat dresse le bilan très sévère d'une médecine du travail en état de crise. Les signes de dysfonctionnements se sont multipliés au cours des dernières décennies, résume-t-il, à travers la forte augmentation des maladies professionnelles, la désaffection pour le métier de médecin du travail, le déficit de connaissance, l'éparpillement des responsabilités, la contestation de la procédure d'aptitude, dont le caractère prédictif est faible et la valeur préventive quasi-nulle, et enfin l'inapplication de la loi.

Quelques illustrations de ces défaillances montrent l'ampleur du problème :

- en ce qui concerne l'application de la loi, un rapport de l'Igas publié en 2004 sur l'agrément des services de santé au travail a dénoncé les services fonctionnant sans agrément, les quotas de temps médical non satisfaits, les médecins exerçant la médecine du travail sans posséder les titres requis, une action en milieu de travail inférieure au « tiers temps » réglementaire, même si des progrès ont été accompli ;

- d'ici cinq ans 1 700 médecins du travail partiront en retraite alors que 370 nouveaux à peine auront été formés par l'internat. Jusqu'à présent, plutôt que de remettre en cause l'organisation d'ensemble du recrutement, seuls des dispositifs provisoires d'accès à la médecine du travail ont été développés, dans des conditions qui ont plutôt nui à l'image de cette discipline, rappelle le rapport ;

- la mise en oeuvre de l'approche pluridisciplinaire prévue par la loi de modernisation sociale reste formelle et s'apparente trop souvent à une juxtaposition de compétences dépourvues des objectifs communs et de l'animation susceptibles de construire une véritable équipe pluridisciplinaire.

Tel est le constat, très largement partagé. En ce qui concerne les solutions, le rapport Conso et Frimat préconise de progresser sur trois grands axes :

- il faudrait tout d'abord résoudre rapidement la question de la démographie des médecins du travail et des ressources des services de santé au travail, en passant d'un exercice individuel à une pratique collective de la prévention.

A cet égard, le rapport juge nécessaire de renforcer les connaissances et l'expertise en médecine du travail, d'augmenter le nombre de postes d'internes de la spécialité, de reconnaître formellement la notion d'équipe pluridisciplinaire ;

- il faudrait ensuite mettre véritablement la prévention au centre de l'activité des médecins du travail.

Il s'agirait en particulier de redéfinir les services de santé au travail et leurs objectifs de prévention en inscrivant dans la loi la mission de préparer et de mettre en oeuvre des projets de prévention dans le cadre d'un plan pluriannuel santé au travail d'entreprise. Par ailleurs, suggère le rapport, la loi pourrait notamment imposer à l'employeur de donner suite aux propositions du médecin ou d'expliquer par écrit pourquoi il ne le fait pas. Il s'agirait enfin de reprendre la réforme de l'aptitude, sur la base du rapport rendu en janvier 2007 par Hervé Gosselin, conseiller en service extraordinaire à la chambre sociale de la Cour de cassation, en mettant en place des procédures ciblées de prévention des inaptitudes.

Le rapport Gosselin évoque de son côté une série de difficultés juridiques concrètes. Il est intéressant d'en retenir une simple illustration. On sait que le médecin du travail ayant à se prononcer sur l'inaptitude au poste de travail doit soumettre le salarié à deux examens espacés de deux semaines. En cas de déclaration d'inaptitude dans le cadre d'une visite de reprise, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que la période de suspension du contrat de travail prend fin avec le premier examen médical. En revanche, l'obligation de reclassement naît à compter du second examen, puisque c'est seulement à l'issue de cet examen que l'inaptitude du salarié sera juridiquement acquise. De même, la computation du délai d'un mois avant la reprise du paiement du salaire du salarié ni reclassé ni licencié ne commence à courir qu'après le second examen. Dès lors, si l'employeur ne prend pas en charge les salaires pendant cette période, il ne reste au salarié qu'à recourir à des expédients que la loi et la morale sociale réprouvent, ou à perdre quinze jours de salaire... Tels sont les problèmes concrets à résoudre dans le cadre de la réforme de l'inaptitude ;

- il faudrait enfin passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de régulation .

Il s'agirait à cet égard de remplacer l'agrément des services de santé au travail par une procédure d'accréditation, sur la base d'un protocole défini avec la Haute Autorité de santé, notamment sur la base de leur capacité d'intervention pluridisciplinaire, et de développer une qualification d'infirmier spécialisé en médecine du travail. Il s'agirait aussi de confier la régulation des objectifs, des moyens et de l'accréditation des services de santé au travail aux conseils régionaux de la prévention des risques professionnels, les CRPRP. Un schéma directeur régional de la médecine du travail serait arrêté sur avis du CRPRP. Il s'agirait enfin de poursuivre le mouvement de concentration des services de santé au travail, ou au minimum la mutualisation de leurs moyens.

La réforme ferait une large place à l'expérimentation.

Ces propositions ont été soumises aux partenaires sociaux.

A l'occasion de la conférence sur les conditions de travail réunie le 4 octobre dernier, le ministre du travail a annoncé que la modernisation des services de santé au travail sera poursuivie au début de 2008 sur la base de ces rapports d'évaluation.

Dans cette perspective, le ministre a demandé au Conseil économique et social de lui communiquer d'ici la fin du mois de février prochain un avis sur :

- la réorientation de l'activité des médecins du travail vers un équilibre pertinent entre les activités de prévention en entreprise et les activités cliniques ;

- l'articulation souhaitable entre le rôle du médecin du travail et celui des autres acteurs des services de santé ;

- les moyens d'adapter les missions confiées à la médecine du travail à l'évolution démographique défavorable de la profession.

Le plan de réforme sera présenté sur la base de cet ensemble de données à la fin du premier semestre.

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