B. UN NOUVEAU RÉGIME DE RÉPARATION DES DOMMAGES

Votre commission juge opportun de tracer tout d'abord les grandes lignes de la directive avant d'entrer, à l'occasion de l'examen des articles du projet de loi, dans le détail de ses dispositions.

1. Un champ d'application limité aux dommages graves aux eaux, sols, espèces et habitats naturels protégés

La directive vise à réparer les dommages affectant les eaux, les sols et les espèces et habitats naturels protégés , c'est-à-dire les espèces énumérées dans les annexes des directives « oiseaux » de 1979 9 ( * ) et « habitats naturels » de 1992 10 ( * ) et leurs habitats ainsi que leurs sites de reproduction ou leurs aires de repos.

La pollution de l'air est indirectement mentionnée dans le 4 ème considérant qui précise que « les dommages environnementaux comprennent également les dommages causés par des éléments présents dans l'air, dans la mesure où ils peuvent causer des dommages aux eaux, aux sols ou aux espèces et habitats naturels protégés ».

Les dommages à réparer incluent également les détériorations des « services écologiques » définis comme les fonctions assurées par une ressource naturelle auprès d'une autre ressource ou du public.

La directive consacre ainsi ces biens comme des biens communs, indépendamment de leur statut juridique .

Défini comme une « détérioration négative mesurable d'une ressource naturelle ou une détérioration mesurable d'un service lié à des ressources naturelles » , le dommage doit toutefois, pour être réparé, présenter un caractère de gravité .

La directive prévoit des cas classiques d'exclusion comme la force majeure ou les activités menées dans l'intérêt de la défense. En outre, elle ne se superpose pas aux dispositifs internationaux en vigueur et prévoit donc des exclusions liées à l'existence parallèle de mécanismes de prévention ou de responsabilité prévus par des textes internationaux relatifs aux pollutions d'hydrocarbures et nucléaires.

En outre, elle ne s'applique aux pollutions diffuses que lorsqu'il est possible d'établir un lien de causalité entre les dommages et les activités des exploitants.

Elle prévoit enfin une limitation dans le temps de l'obligation de réparer, en instituant une prescription trentenaire et en évitant la rétroactivité de ses dispositions 11 ( * ) . Si les pollutions historiques de sols ne sont pas couvertes par la directive, elle peuvent l'être par le droit commun civil et administratif de la responsabilité prévu dans chaque Etat membre.

2. La nécessité d'un lien de causalité entre le dommage et l'activité économique d'un exploitant

La directive impose la preuve d'un lien de causalité entre le dommage et l'activité de l'exploitant. La définition de l'exploitant est potentiellement large puisqu'il s'agit de « toute personne physique ou morale, privée ou publique, qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ou, lorsque la législation nationale le prévoit, qui a reçu par délégation un pouvoir économique important sur le fonctionnement technique, y compris le titulaire d'un permis ou d'une autorisation pour une telle activité, ou la personne faisant enregistrer ou notifiant une telle activité ».

L'activité professionnelle est définie comme « toute activité exercée dans le cadre d'une activité économique, d'une affaire ou d'une entreprise, indépendamment de son caractère privé ou public, lucratif ou non lucratif ».

La directive définit un double régime :

- pour les activités les plus dangereuses, les dommages devront être réparés par l'exploitant même s'il n'a pas commis de faute ;

- pour les autres activités, seuls les dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés devront être réparés, et uniquement en cas de faute ou de négligence de l'exploitant.

Sont ainsi particulièrement concernés par cette dernière disposition les exploitants d'infrastructures de transport , d'installations touristiques en milieu naturel (parcs d'attraction, exploitants de remontées mécaniques) et les industriels dont les installations ne sont pas classées mais sont situées à proximité d'habitats ou d'espèces protégés.

3. L'obligation de prévention et de réparation du dommage

La notion de prévention prévue dans la directive ne renvoie pas à des procédures de déclaration et d'autorisation accompagnées de prescriptions techniques imposant à l'exploitant ou au fabricant des normes techniques visant à limiter la pollution en cas de fonctionnement normal d'une installation. Il s'agit de prendre des mesures d'urgence en cas de « menace imminente » de dommage, définie comme « une probabilité suffisante de survenance d'un dommage environnemental dans un avenir proche ».

La réparation , quant à elle, peut être « primaire » (entraînant un retour à l'état initial ou s'en approchant), « complémentaire » (compensant le fait que la réparation primaire n'aboutit pas à cette restauration complète) et/ou « compensatoire» (couvrant les pertes intermédiaires entre la survenance du dommage et le moment où la réparation primaire produit pleinement son effet). Les objectifs de ces différents types de réparation et les choix susceptibles d'être opérés lorsque différentes possibilités se présentent ont été précisés en annexe à la directive, à la demande des milieux industriels.

L'exploitant doit donc, aux termes de la directive, prendre des mesures de prévention en cas de menace de dommage pour empêcher sa réalisation , et en informer l'autorité compétente. Si le dommage s'est déjà produit, il doit d'abord essayer d'en limiter l'ampleur ou d'en prévenir de nouveaux. Puis, dans un second temps, il soumet à l'approbation de l'autorité compétente, qui interviendra après consultation des tiers intéressés, les mesures de réparation appropriées .

S'agissant de la mise en oeuvre des mesures de prévention et de réparation, la directive consacre l'Etat comme « le garant et le gardien des ressources naturelles concernées » 12 ( * ) . Elle accorde en effet un rôle prépondérant aux pouvoirs publics, par le biais de l'autorité compétente, qui doit déterminer l'exploitant concerné par un danger imminent, lui imposer des mesures de prévention, évaluer l'importance des dommages et lui imposer les mesures de réparation. Cette intervention s'effectue sous la forme de mesures de police, c'est-à-dire d'actes administratifs unilatéraux qui doivent être motivés, notifiés à l'exploitant et susceptibles de recours. L'autorité pourra adresser à l'exploitant des prescriptions spécifiques en matière d'information ou de mesures à prendre et pourra, en cas d'inaction, se substituer à lui.

En outre, s'ils ne disposent pas de droit d'action contre l'exploitant de l'activité à l'origine d'un dommage environnemental en application de la directive, les victimes ou les organisations de défense de l'environnement peuvent en revanche saisir l'autorité compétente d'une « demande d'action » accompagnée des informations pertinentes. Cette demande d'action et les observations qui l'accompagnent devront être examinées par ladite autorité lorsqu'elles révèleront l'existence « plausible » d'un dommage environnemental. Après avoir recueilli le point de vue de l'exploitant concerné, l'autorité informera le demandeur de sa décision d'agir ou non.

En application du principe pollueur-payeur, le financement des mesures est en principe assuré par l'exploitant. La directive prévoit toutefois des exceptions. Certaines sont obligatoires, comme le fait d'un tiers ou le respect d'un ordre ou d'une instruction émanant d'une autorité publique. D'autres sont à la discrétion des Etats membres, comme l'exonération pour risque de développement et l'exonération pour respect du permis.

4. Les options ouvertes par la directive

La directive offre aux Etats membres des marges de manoeuvre non négligeables pour transposer, ce qui peut être de nature à faire peser un risque de distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne. Les Etats peuvent :

- adopter des dispositions plus strictes , notamment élargir l'application de la directive à d'autres activités ;

- étendre la définition du dommage à des espèces et habitats naturels désignés par les Etats à des fins équivalentes à celles des directives « oiseaux » et « habitats naturels » précitées ;

- appliquer ou non un régime de partage des responsabilités entre le producteur et l'utilisateur d'un produit ;

- interdire un double recouvrement des coûts qui pourrait avoir lieu du fait d'actions concurrentes menées par une autorité compétente en application de la directive et par une personne dont les biens sont affectés par les dommages environnementaux ;

- exclure des activités dangereuses ouvrant un régime de responsabilité sans faute l'épandage à des fins agricoles de boues d'épuration provenant de stations d'épuration des eaux urbaines résiduelles traitées conformément à une norme approuvée.

Les Etats peuvent en outre instituer l'une ou l'autre des exonérations suivantes, à condition que l'exploitant apporte la preuve qu'il n'a pas commis de faute ou de négligence :

- pour « respect du permis » : une émission ou un événement expressément autorisé et respectant toutes les conditions liées à une autorisation ;

- pour « risque de développement » : une émission ou une activité dans le cadre d'une activité dont l'exploitant prouve qu'elle n'était pas considérée comme susceptible de causer des dommages à l'environnement au regard de l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où l'émission a eu lieu.

Enfin, la question de l'assurance a fait l'objet de vifs débats entre la Commission, le Parlement et les organisations non gouvernementales d'une part, partisans globalement d'un régime obligatoire et certains Etats, les industriels et les milieux des assurances d'autre part, qui ont estimé extrêmement difficile de mesurer la probabilité de réalisation du risque et d'évaluer le dommage. Au final, la directive ne met pas à la charge de l'exploitant d'obligation d'assurance, ni de constitution de garanties financières ni de contribution à des fonds de mutualisation tendant à couvrir sa responsabilité y compris en cas d'insolvabilité. Elle prévoit que :

- les Etats membres prennent des mesures pour encourager le développement d'instruments de garanties financières ;

- la Commission présente, avant le 30 avril 2010 , un rapport sur l'application de la directive et soumet, le cas échéant, des propositions relatives à un système harmonisé de garanties financières obligatoires.

* 9 Directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages.

* 10 Directive 92/43/CEE : il s'agit des espèces et habitats regroupés dans le réseau Natura 2000.

* 11 Sont exclus les dommages causés par un événement survenu avant le 30 avril 2007, ceux causés par un événement survenu après cette date, lorsqu'ils résultent d'une activité spécifique exercée et menée à son terme avant cette date et aux dommages causés par un événement ayant eu lieu plus de trente ans auparavant.

* 12 Michel Prieur, La responsabilité environnementale en droit communautaire, Revue juridique de l'environnement.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page