EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Examiné en Conseil des ministres le 26 mars dernier, le projet de loi n° 283 (2007-2008) relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 avril, sur les rapports de M. Eric Ciotti, au nom de la commission des lois saisie au fond, et de M. Thierry Carcenac, au nom de la commission des finances saisie pour avis. Le groupe de l'Union pour un Mouvement populaire et le groupe Nouveau Centre l'ont soutenu ; le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche s'est abstenu.

Ce projet de loi a pour objet de réformer les règles applicables au jugement des comptes soumis aux juridictions financières, afin de les mettre en conformité avec l'article 6, §1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle . »

Dans plusieurs décisions récentes, la Cour européenne des droits de l'homme a en effet considéré que les procédures de jugement des comptes et de condamnation à l'amende des comptables publics comme des comptables de fait relevaient du champ d'application de la convention, contesté leur caractère équitable pour le justiciable et critiqué leur longueur excessive.

Si le Premier président de la Cour des comptes, M. Philippe Séguin, a pris dès le mois de mai 2006 une instruction pour assurer le respect de ces décisions, la modification du code des juridictions financières n'en demeure pas moins nécessaire et, depuis 2006, le ministère des affaires étrangères a reçu plusieurs demandes du Conseil de l'Europe, chargé du suivi de la mise en oeuvre des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, pour connaître l'état d'avancement de la rénovation des procédures juridictionnelles applicables devant la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes.

Indispensables, sous réserve de quelques aménagements et compléments, les mesures proposées constituent le prélude d'une réforme d'ampleur de l'organisation et des missions des juridictions financières. Annoncée par le Président de la République le 5 novembre 2007, à l'occasion de la célébration du bicentenaire de la Cour des comptes, cette réforme est actuellement en préparation.

I. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE

Le jugement des comptes constitue la mission première et le fondement du statut de magistrat des membres de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes. Issues de pratiques séculaires, les procédures juridictionnelles ont été récemment remises en cause par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

A. LES COMPÉTENCES DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES EN MATIÈRE DE JUGEMENT DES COMPTES

Les compétences des juridictions financières en matière de jugement des comptes sont actuellement limitées par les prérogatives reconnues au ministre du budget. Elles sont partagées entre la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes et les comptables supérieurs du Trésor. Enfin, elles ne représentent plus l'activité principale des magistrats financiers.

1. Une compétence limitée

En vertu de règles coutumières et jurisprudentielles qui remontent au 19 ème siècle, les juridictions financières ont pour mission de vérifier a posteriori la régularité et la sincérité des comptes que les comptables publics, également appelés comptables patents, doivent leur présenter dans les délais réglementaires et selon les formes prescrites.

Elles ne peuvent en principe fonder leurs décisions que sur les éléments matériels des comptes soumis à leur contrôle, à l'exclusion de toute appréciation du comportement personnel des comptables 1 ( * ) . C'est ce qu'exprime le vieil adage selon lequel : « la Cour des comptes juge les comptes, pas les comptables ». Toute irrégularité constatée dans le recouvrement des recettes ou le paiement des dépenses, quand bien même elle n'aurait pas entraîné de préjudice financier pour la personne publique concernée, du fait d'un vice de forme par exemple, ou quand bien même le comptable n'aurait pas commis de faute, est de nature à engager la responsabilité pécuniaire et personnelle de ce dernier.

Par un jugement (chambres régionales et territoriales des comptes) ou un arrêt (Cour des comptes), les juridictions financières accordent aux comptables dont les comptes sont réguliers décharge sur chaque exercice, et quitus lorsqu'ils quittent leurs fonctions. S'ils n'ont pas satisfait aux obligations de leur charge, notamment s'ils n'ont pas exercé en matière de dépenses les contrôles qui leur incombent, elles peuvent exiger d'eux, par voie d'injonction, les justifications complémentaires nécessaires puis, à défaut, les mettre en débet 2 ( * ) . Le débet peut aussi être la conséquence de diligences insuffisantes pour recouvrer des recettes. Enfin, les juridictions financières peuvent condamner les comptables à l'amende pour retard dans le dépôt de leurs comptes ou dans les réponses aux injonctions qui leur ont été adressées. Le montant de ces amendes est actuellement plafonné à un peu plus de 1.100 euros.

Le réseau des comptables patents

Les comptables patents se répartissent en quatre grandes catégories, qui regroupent environ 9.000 agents et forment un réseau complexe :

- les comptables directs du Trésor (trésoriers-payeurs généraux, contrôleurs budgétaires et comptables ministériels, agents des postes comptables), au nombre de 3.200 ;

- les comptables des administrations financières (direction des impôts et direction des douanes), au nombre de 1.150 ;

- les agents comptables des établissements publics locaux d'enseignement, répartis en 2.750 agences comptables ;

- les agents comptables des établissements publics et des groupements d'intérêt public, répartis en 2.750 agences comptables.

Il appartient au ministre chargé du budget d'apprécier le comportement des comptables publics et les circonstances dans lesquelles les irrégularités ont été commises. Pouvoir lui est donné d'accorder la remise gracieuse de tout ou partie des sommes mises à leur charge par le juge des comptes 3 ( * ) .

Le principe même d'une remise gracieuse des débets prononcés à l'encontre des comptables publics s'explique par l'obligation faite au juge des comptes de sanctionner toute irrégularité, nonobstant l'absence de faute du comptable public ou de préjudice financier pour la personne publique, alors que les montants des débets peuvent parfois atteindre des sommes élevées.

Toutefois, nombreux sont ceux qui voient dans ce pouvoir reconnu au ministre chargé du budget une persistance de la « justice retenue », abandonnée pour les juridictions administratives avec la loi du 24 mai 1872 et la décision « Cadot » rendue par le Conseil d'Etat le 13 décembre 1889. Son caractère exorbitant et l'utilisation large qui en a été faite jusqu'à présent par les ministres successifs suscitent de nombreuses critiques, légitimes au regard du principe d'indépendance des juridictions financières qui voient ainsi leurs décisions réformées par le pouvoir exécutif.

Enfin, la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes n'ont pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf ceux qu'elles ont déclarés comptables de fait (l'expression « gestionnaires de fait » est employée indifféremment), en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public 4 ( * ) .

Ces personnes sont soumises aux mêmes obligations et responsabilités que les comptables publics, le juge des comptes pouvant toutefois suppléer par des considérations d'équité à l'insuffisance des justifications produites. Elles peuvent en outre être condamnées à l'amende pour gestion de fait, sauf dans l'hypothèse d'une condamnation pénale pour usurpation de fonctions publiques. Le montant de cette amende est plafonné au « total des sommes indûment détenues ou maniées » : il peut donc atteindre des sommes élevées.

Les ministres du budget successifs se sont toujours reconnu le pouvoir d'accorder la remise gracieuse tant des amendes infligées aux comptables de fait que des débets prononcés à leur encontre.

* 1 Conseil d'Etat, 12 juillet 1907, Nicolle.

* 2 Le débet est la situation d'un comptable public, ou d'un comptable de fait, déclaré débiteur d'un organisme public à raison d'irrégularités commises dans la gestion ou la conservation de deniers publics ou de deniers privés réglementés. Par extension, l'expression désigne le montant dont le comptable est déclaré redevable.

* 3 Décret n° 2008-228 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l'apurement des débets des comptables publics et assimilés, pris sur le fondement de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963.

* 4 Selon le glossaire établi par la Cour des comptes, la gestion de fait est « le maniement des deniers publics ou des deniers privés réglementés par une personne qui n'est pas un comptable public et qui n'agit pas pour le compte ou sous le contrôle d'un comptable public. »

Page mise à jour le

Partager cette page