TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 30 octobre 2008 sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l' examen du rapport de Mme Muguette Dini sur la proposition de résolution n° 58 (2008-2009), sur la proposition de directive du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l' égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions , de handicap , d' âge ou d' orientation sexuelle (E 3918).

Mme Muguette Dini, rapporteur, a rappelé que le Sénat a voté au printemps dernier un projet de loi transposant cinq directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations sur lequel la commission avait émis un certain nombre de réserves mais qu'il était juridiquement impossible d'intégrer dans des textes européens déjà adoptés. Or, une nouvelle directive antidiscrimination, qui peut susciter au moins autant d'inquiétudes, est en cours de négociation au Conseil de l'Union européenne depuis juillet dernier. Pour ne pas placer de nouveau le Parlement français devant le fait accompli, elle a donc pris l'initiative, avec un certain nombre de ses collègues, de déposer une proposition de résolution afin de faire connaître les préoccupations de la commission à ce sujet et d'influencer les négociations en amont, comme le Gouvernement l'y avait d'ailleurs invitée avant l'été.

La Commission européenne s'est d'ailleurs également saisie de cette directive dans le cadre de son programme de contrôle du respect du principe de subsidiarité par le droit communautaire et a estimé qu'elle ne posait pas de problème particulier.

Mme Muguette Dini, rapporteur, a ensuite présenté le projet de nouvelle directive qui ne porte pas sur les mêmes sujets, ni sur les mêmes domaines, que les cinq autres transposées en mai dernier. Elle est relative aux discriminations fondées sur l'âge, l'orientation sexuelle, le handicap et l'appartenance religieuse et les convictions, dans le domaine de la protection sociale, de la santé, des avantages sociaux, de l'éducation ainsi que de l'accès aux biens et aux services et de la fourniture de biens et services.

Or, l'analyse de ce texte suscite cinq réserves fondamentales :

- la rédaction actuelle de la directive organise un régime injuste et peu protecteur car elle entraîne une confusion entre la discrimination et l'inégalité de traitement. Or, la discrimination est l'intention de nuire à une personne en raison de ses caractéristiques personnelles (orientation sexuelle, appartenance religieuse...) alors que l'inégalité de traitement résulte du constat empirique selon lequel une personne est moins bien traitée que d'autres placées dans une situation identique. Une inégalité de traitement peut donc se produire sans discrimination. Par exemple, si un régime d'assurance maladie applique le même taux de cotisation à tous les salariés adhérents mais ne rembourse certains frais dentaires qu'aux salariés à temps complet, il commet une inégalité de traitement entre salariés mais pas une discrimination : il ne s'agit pas de défavoriser les salariés à temps partiel en raison de leurs caractéristiques personnelles - à moins qu'ils ne soient tous d'une orientation sexuelle ou d'une confession religieuse particulières. La confusion entretenue entre ces deux notions conduit donc à ne protéger que les personnes qui relèvent des catégories créées par la directive : personnes âgées, handicapées, homosexuelles ou appartenant à une minorité religieuse. Si celles-ci subissent une inégalité de traitement alors le droit communautaire la qualifie de discrimination ; s'il s'agit d'autres personnes, la directive est muette ;

- le deuxième point, plus contestable encore, tient au fait que la directive est d'inspiration communautariste. Selon l'article 2, une discrimination indirecte se produit dès lors que des personnes d'une confession religieuse ou d'une orientation sexuelle données subissent un « désavantage particulier » par rapport à d'autres personnes. Cette définition conduit en réalité à la création juridique de communautés particulières, dotées de droits propres. Par exemple, le vendredi étant le jour saint des musulmans dédié à la prière, l'ouverture des services de la sécurité sociale du lundi au vendredi entraîne pour eux « un désavantage particulier » par rapport au reste de la population : ils ne bénéficient, en réalité, que de quatre jours par semaine de l'ouverture des services, alors que les non musulmans bénéficient de cinq jours. Les citoyens de confession musulmane devraient donc bénéficier, selon les termes de la directive, du droit de demander l'ouverture des services sociaux un jour supplémentaire de la semaine. Cette conception de la société est profondément contraire à la conception française de la République selon laquelle tous les citoyens sont égaux devant la loi ;

- par ailleurs, comme l'avait déjà relevé la commission lors de l'examen de la loi de transposition des directives anti-discrimination, les définitions communautaires des discriminations et du harcèlement sont floues et laissent craindre des procès d'intention ;

- en outre, les dispositions concernant la lutte contre les discriminations à l'égard des personnes handicapées sont peu satisfaisantes. Le texte prévoit que tous les organismes publics et entreprises privées doivent réaliser « des aménagements raisonnables » afin que les personnes handicapées puissent accéder aux biens et services et à la fourniture de biens et services mis à la disposition du public, y compris en matière de logements et de transport. Cependant, il ne dit rien du contenu de cet aménagement raisonnable. Il crée ainsi une grande insécurité juridique puisqu'il place de ce fait l'ensemble des législations nationales en ce domaine sous l'autorité du juge communautaire auquel il reviendra inévitablement de fixer un contenu précis à cette obligation à la place des Etats membres. Or, c'est bien au législateur national qu'il appartient de poser des obligations précises, comme l'a fait le Parlement français avec la loi du 11 février 2005 sur le handicap. Qui plus est, on peut estimer que le niveau d'exigence dans les normes à imposer dépendra du niveau de richesse du pays concerné. Dans ces conditions, l'échelon communautaire ne paraît pas le plus adapté pour lutter efficacement et justement contre les discriminations à l'égard des personnes handicapées ;

- enfin, l'interprétation de la directive par la Commission européenne laisse supposer que l'application du principe d'égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale pourrait remettre en cause l'interdiction en France de l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples homosexuels pacsés. En effet, même si les droits d'accès à la PMA sont officiellement exclus du champ d'application de la directive, la Commission européenne considère que la reconnaissance par un Etat membre d'un contrat civil comparable au mariage donne aux personnes concernées les mêmes droits qu'aux personnes mariées en matière de sécurité sociale, qui prend en charge, en France, la PMA. Or, il n'est pas contestable que seul le Parlement dispose de la légitimité démocratique nécessaire pour statuer sur cette question.

En conséquence, Mme Muguette Dini, rapporteur, a présenté cinq demandes faites au Gouvernement par la proposition de résolution, afin de répondre aux difficultés précédemment évoquées.

A Mme Bernadette Dupont, qui se demandait si les obligations définies par la loi du 11 février 2005 en matière d'accessibilité des bâtiments pour les personnes handicapées ne sont pas, sur certains points, un peu strictes, M. Nicolas About, président, a répondu qu'il jugeait la loi plutôt équilibrée. En matière de services publics par exemple, celle-ci ne rend pas obligatoire l'accessibilité de tous les bâtiments, mais demande que chaque service puisse être rendu. Beaucoup de communes se sont ainsi acquittées de cette obligation en aménageant une pièce de leurs locaux.

M. Dominique Leclerc a approuvé la démarche, encore trop rare, consistant à permettre au Parlement de faire connaître son sentiment en amont de l'adoption des textes européens. On peut ainsi espérer que la directive sera davantage compatible avec le droit français et que sa transposition se fera dans de bonnes conditions. D'autres Etats membres, comme la Grande-Bretagne ou le Danemark, sont beaucoup plus efficaces que la France dans ce genre d'exercice. Par ailleurs, il faut souligner que les directives sont parfois interprétées de manière très stricte par l'administration française elle-même : par exemple, dans un autre domaine, celle-ci considère à tort qu'en matière d'ouverture du capital des sociétés d'exercice libéral, la directive européenne qui traite ce sujet n'autorise que deux options, l'ouverture totale ou l'absence d'ouverture.

Mme Marie-Thérèse Hermange a déclaré que les notions de discrimination et d'inégalité de traitement, malgré l'effort de définition réalisé dans la proposition de résolution, sont par nature assez floues et extensives. Elle s'est également interrogée sur l'impact d'autres directives communautaires sur la loi française du 6 août 2004 relative à la bioéthique car certaines ont déjà été négociées, votées et sont dès à présent applicables. De ce fait, les marges de manoeuvre du législateur national, à l'occasion de la prochaine révision des lois de bioéthique, seront très limitées. Enfin, elle a jugé singulier que l'on prenne pour exemple de discrimination indirecte potentielle les horaires d'ouverture des services publics en fonction du vendredi, jour saint des musulmans, et pas du dimanche, jour saint des catholiques.

Mme Muguette Dini, rapporteur, a fait observer que cet exemple n'a de vocation que pédagogique : les services publics étant fermés le dimanche, en France, ce sont, d'après les définitions européennes, les citoyens de confession musulmane qui pourraient être considérés comme victimes d'une discrimination indirecte.

M. André Lardeux a considéré que la proposition de directive est tout à fait contraire au principe de subsidiarité. Il a jugé que la législation communautaire est en fait communautariste depuis l'origine. Elle est même, en l'espèce, en recul sur celle de certains pays d'Afrique du Nord : en Tunisie, par exemple, même si une majorité des citoyens est de confession musulmane, c'est le dimanche qui est le jour officiel de repos hebdomadaire et non le vendredi, jour consacré pourtant à la prière. Le droit communautaire ne tient pas compte du fait que si on ne maintient pas des principes communs à tous les citoyens, l'unité de la société est menacée. Il a par ailleurs estimé que malgré son intérêt, la proposition de résolution restera lettre morte et c'est en réalité la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui fait le droit en l'espèce. Enfin, il a demandé pourquoi il est nécessaire de mentionner dans la proposition de résolution la question de l'accès des couples homosexuels à la procréation médicalement assistée, à partir du moment où la directive l'exclut de son champ d'application.

Mme Muguette Dini, rapporteur, a répondu que si le texte de la proposition de directive est claire, l'interprétation qu'en fait la Commission européenne ne l'est pas. Celle-ci considère en effet que si un Etat membre reconnaît un contrat civil liant des personnes homosexuelles comme étant « comparable » au mariage, ce qui peut être le cas du Pacs, alors le principe de l'égalité de traitement s'applique. Il y a donc au moins une ambiguïté que la proposition de résolution demande justement de lever.

M. Nicolas About, président, a signalé que les propositions de résolution deviennent, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, la feuille de route du Gouvernement dans la négociation. Dans ce cas particulier, l'adoption de la directive requiert l'unanimité au Conseil, le Gouvernement pourra donc se prévaloir de la position du Sénat pour s'y opposer si la rédaction ne satisfait pas les demandes formulées dans la proposition de résolution.

Mme Muguette Dini, rapporteur, a indiqué que plusieurs Parlements d'autres Etats membres ont déjà adopté l'équivalent d'une résolution ou fait connaître officiellement leur opposition à certains points de cette proposition de directive : c'est le cas notamment de l'Allemagne, de l'Italie, de la République tchèque, de l'Irlande et du Danemark.

A M. Jean Desessard, qui demandait si la proposition de résolution sera inscrite en séance publique, M. Nicolas About, président, a répondu qu'en vertu de l'article 73 bis du règlement du Sénat, la proposition de résolution de la commission deviendra résolution du Sénat au terme d'un délai de dix jours francs suivant la date de la distribution du rapport sauf si, dans ce délai, le Président du Sénat, le président d'un groupe, le président de la commission des affaires européennes, le Gouvernement ou lui-même, en tant que président de la commission saisie au fond, demande qu'elle soit examinée par le Sénat. Il a également indiqué qu'aucun amendement extérieur n'a été déposé sur le texte de la proposition de résolution en application du même article 73 bis paragraphe 6.

La commission a ensuite examiné le texte proposé pour la résolution.

A l'initiative de Mmes Marie-Thérèse Hermange et Bernadette Dupont, elle a supprimé le quatrième considérant, l'estimant trop abstrait et dépourvu d'effet juridique. Elle a ensuite précisé que les principes fondamentaux de la République soutiennent une démarche universaliste préconisant la définition de principes communs et rassembleurs. En ce qui concerne le dispositif relatif aux aménagements raisonnables destinés à permettre l'accès des personnes handicapées aux biens et services, elle a affirmé que, selon elle, la directive est contraire au principe de subsidiarité. Sur la question de la PMA, elle a retenu une rédaction exigeant plus fermement que la proposition de directive ne doit entraîner aucun effet juridique, en matière de droit d'accès des couples homosexuels liés par un contrat civil comparable au mariage, qui ne serait décidé par les législations nationales. Enfin, elle a souhaité montrer sa détermination au Gouvernement en lui demandant solennellement de s'opposer à l'adoption d'un texte qui ne répondrait pas à ses préconisations.

Elle a ensuite adopté le texte de la proposition de résolution ainsi modifié.

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