B. UNE SITUATION OPAQUE

Les enquêtes de la Cour des comptes ont aussi fait ressortir le décalage existant entre les réformes souhaitées par les pouvoirs publics et leur appropriation par la communauté hospitalière.

Ce constat peut être étendu à la réforme des modalités de financement des établissements de santé publics et privés.

Cette situation place le Parlement dans une situation délicate puisqu'il ne dispose pas d'une information suffisamment claire, précise et actualisée sur l'évolution de la politique hospitalière, qu'il s'agisse de la situation financière des établissements de santé ou de la réalisation, dans le calendrier prévu, de la réforme des modalités de financement (T2A).

1. Des comptes fragiles

On l'a dit, les dépenses hospitalières représentent 44 % du total des dépenses de l'Ondam en 2009, soit 69,6 milliards d'euros. Le volume financier consacré aux établissements de santé pose inévitablement, la question de leur contribution à la politique de maîtrise des dépenses de santé . Or, une certaine opacité règne en ce domaine car les annexes de la loi de financement de la sécurité sociale ou les documents qui accompagnent la présentation des comptes sociaux de l'année sont lacunaires sur ce sujet.

Cette situation est d'autant plus gênante que plusieurs interprétations du suivi de dépenses hospitalières sont possibles.

- Si le respect de l'Ondam est le critère principal, les établissements de santé publics et privés doivent se voir reconnaître un comportement vertueux puisqu'aucun dépassement des sous-objectifs hospitaliers, soumis à l'approbation du Parlement depuis 2006, n'a été constaté. Les résultats annuels font même apparaître chaque année une légère sous-exécution budgétaire, comprise entre 100 et 160 millions d'euros.

Contribution Hôpital à l'exécution de l'Ondam

(en millions d'euros)

2006

2007

2008*

Ondam initial

140 700

144 800

152 000

Dépassement

1 200

2 900

750

Sous-objectif soins de ville

65 300

66 700

70 600

Réalisation

1 400

3 100

- 750

Sous-objectifs hospitaliers

63 700

65 800

66 770

Réalisation

- 130

- 160

- 100

* prévisions

Les conditions dans lesquelles est régulé le secteur hospitalier (établissements publics et privés), ont contribué au respect des objectifs fixés par les lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi en 2006, face au risque d'un dérapage de l'Ondam hospitalier, le ministère chargé de la santé avait pris l'initiative de réguler ces dépenses en cours d'année en appliquant une réduction temporaire des tarifs applicables aux activités de médecine, chirurgie et obstétrique. De même, en 2008, le ministre a procédé à un gel de 100 millions d'euros de crédits du fonds de modernisation des établissements publics et privés.

L'analyse de l'évolution des dépenses hospitalières sur une période plus longue confirme cette image de bon élève. En effet, depuis 2000, le taux de progression des dépenses hospitalières est toujours inférieur, à l'exception de l'année 2005, au taux de progression de l'Ondam.

Décomposition de l'évolution des dépenses d'assurance maladie
(réalisations ou prévisions dans le champ de l'Ondam)

(en pourcentage)

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008 (p)

Soins de ville

7,8

7,2

8,0

6,2

4,3

3,1

2,6

4,5

2,8

Etablissements de santé

3,2

3,6

6,3

5,5

4,6

4,4

3,0

3,3

3,2

Médicosocial

5,7

6,3

7,9

9,0

9,3

7,8

6,4

6,7

6,5

Ondam

5,6

5,6

7,1

6,4

4,9

4,0

3,1

4,2

3,3

(p) prévisions

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, septembre 2008

La modération du taux d'évolution des dépenses hospitalières doit être pondérée par le fait qu'une partie des dépenses liées à l'activité hospitalière n'est pas retracée dans les sous-objectifs spécifiques aux établissements de santé . C'est le cas notamment des honoraires perçus par les professionnels de santé exerçant dans les établissements privés ou des médicaments achetés en officine avec une prescription délivrée par un praticien hospitalier. La détermination de la dépense réelle des établissements de santé publics et privés devrait donc tenir compte de ces états de fait.

Qui plus est, cette présentation ne prend pas en considération la diversité des cas .

Un bon nombre d'établissements publics dont la situation financière s'est dégradée au cours des dernières années doivent faire face à un déficit d'exploitation . La Cour des comptes évalue ce déficit à 400 millions d'euros en 2007. La fédération hospitalière de France considère que la dégradation financière est plus importante encore et l'estime à près de 800 millions en 2008.

Ces 800 millions ne sont pas intégrés dans la présentation de l'Ondam. Ils constituent donc une forme de dépassement différé de cet objectif puisqu'il faudra que les pouvoirs publics comblent ce déficit qui représente plus de 10 % du budget consacré aux établissements de santé et près de 20 % du déficit de l'assurance maladie de l'année en cours.

La dégradation financière des établissements publics est connue des autorités de tutelle qui ont mis en place des contrats de retour à l'équilibre financier. Ce dispositif est assorti d'une aide financière ponctuelle destinée à permettre aux établissements en difficulté de procéder aux adaptations indispensables.

L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a montré, dans un rapport récent, les limites de ce dispositif destiné aux établissements les moins productifs avant d'estimer que « tout se passe comme si certains établissements s'étaient durablement installés dans une culture du déficit » 11 ( * ) .

Si la situation des établissements publics se dégrade, les informations disponibles sur la santé financière des cliniques privées font apparaître des résultats paradoxaux.

Selon les études menées par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), le chiffre d'affaires des cliniques à but lucratif a connu une croissance moins dynamique en 2006 (dernière année pour laquelle sont disponibles des statistiques consolidées) qu'en 2005. Le chiffre d'affaires des cliniques soumises à la T2A a crû de 7,4 % en 2006 après une hausse de 10,1 % de l'année précédente 12 ( * ) .

Selon la même étude, la rentabilité des 848 cliniques figurant dans l'échantillon représentatif s'établit à 3 % du chiffre d'affaires ; elle recule de 0,3 % par rapport à 2005. L'année 2006 profite surtout aux grandes cliniques dont la rentabilité avait doublé en 2004 et 2005 et demeure constante en 2006. Il faut toutefois constater que la rentabilité du secteur MCO (2,8 %) est inférieure à celle du secteur hors MCO (4,3 %).

Enfin, la rentabilité financière des sociétés d'exploitation des cliniques (c'est-à-dire la mesure du revenu que les actionnaires perçoivent de l'entreprise) s'établit en 2006 à 13,5 % , en diminution de 2,1 % par rapport à l'année précédente. Ce recul concerne les cliniques MCO (baisse variant de 1,8 % à 12,8 %) comme les cliniques hors MCO (baisse allant de 2,8 % à 16,8 %).

Cette situation complexe mérite un débat spécifique lors de l'examen de chaque loi de financement et l'élaboration d'indicateurs de suivi des dépenses hospitalières.

2. Une réforme du financement qui prend du retard

A l'occasion de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale depuis 2004, votre commission a fait le point sur la mise en oeuvre de la tarification à l'activité.

L'exemple des pays voisins montre que ce type de réforme nécessite une période de montée en charge de plusieurs années et que la survenue de reports ou de retards est un phénomène courant, voire normal.

Du point de vue du calendrier, la décision du Gouvernement de financer en T2A, à 100 % les activités de médecine, chirurgie et obstétrique des établissements publics dès le 1 er janvier 2008, soit quatre ans avant la date prévue, constitue un élément très positif .

Il faut toutefois savoir que cette évolution n'est qu'apparente puisque le recours à des coefficients de transition permet de lisser les effets du passage à 100 % et de poursuivre une montée en charge progressive jusqu'en 2012. Elle masque aussi d'autres retards, notamment sur les modalités de calcul de la participation des usagers sur la base des tarifs de la T2A. Initialement prévue pour 2005, cette nouvelle procédure est désormais reportée en 2012. Les acteurs concernés se renvoient la responsabilité de ce report qui constituerait pourtant une modification majeure des pratiques actuelles et permettrait un meilleur contrôle des actes.

Le point sur lequel les retards sont les plus importants porte sur le processus de convergence entre les établissements publics et privés . L'idée de convergence des tarifs pratiqués pour un même acte, dans le secteur public et le secteur privé, constitue une originalité de la réforme menée en France où la T2A n'implique pas automatiquement l'application de tarifs similaires dans les différentes catégories d'établissements hospitaliers. Or, les pouvoirs publics ont fait le choix, régulièrement réaffirmé comme ce fut à nouveau le cas dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, d'affirmer que cette convergence doit se faire vers les tarifs les plus bas et non vers une moyenne.

Pour pouvoir atteindre cet objectif, les autorités de tutelle doivent disposer d'une vision complète des écarts de coûts entre les établissements publics et privé. Or, depuis 2004, aucune étude complète n'a pu être établie sur ce sujet.

En 2006, l'exposé des motifs de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 précisait que ces travaux concernaient notamment :

- la détermination d'une méthodologie de mesure des coûts commune aux deux secteurs, public et privé ;

- la conduite d'études dites complémentaires sur le coût du travail, la programmation de l'activité et la précarité, visant à expliquer les écarts de coûts observés.

L'année suivante, l'article 62 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoyait qu'un bilan des travaux sur la mesure de ces écarts devait être transmis au Parlement avant le 15 octobre 2008.

Ce rapport a donc été remis avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Il comporte effectivement un bilan des travaux menés pour mesurer les écarts de coûts entre établissements et présente une synthèse utile pour comprendre les différentes étapes de la réforme et la présentation des travaux en cours.

Au-delà de cette lecture positive, on peut aussi en tirer la conclusion que, quatre années après la mise en oeuvre de la T2A, l'analyse des écarts de coûts entre les différentes catégories d'établissements n'a que très faiblement progressé .

Les travaux destinés à mesurer les surcoûts liés à la prise en charge des patients en situation de précarité et à l'organisation de la permanence des soins sont partiels. Leur achèvement est renvoyé à des études supplémentaires dont le délai de réalisation varie de douze à vingt-quatre mois.

Les seize études complémentaires, suggérées par l'Igas en janvier 2006 afin d'optimiser l'analyse des écarts de coûts entre les différentes catégories d'établissements, figurent pour la plupart d'entre elles dans « les thématiques non explorées en première phase ». Leur réalisation est reportée à une date ultérieure .

Certes, ces études sont complexes mais les délais préalables à leur mise en oeuvre - certaines ont été suggérées par la Cour des comptes à la suite de la première expérimentation de financement d'un établissement à la T2A à la fin des années quatre-vingt-dix - soulèvent des interrogations.

La Mecss a souligné combien ces retards pénalisent les établissements de santé publics et privés et font peser une incertitude sur la mise en oeuvre de ce volet de la réforme 13 ( * ) .

Cette situation nuit aux établissements de santé dont l'évolution des modalités de financement est liée à la réalisation de ces études. L'accumulation des retards est également susceptible de remettre en cause l'achèvement du processus de convergence dans les délais prévus, c'est-à-dire en 2012 .

* 11 Rapport sur le contrôle des mesures prises dans le cadre du contrat de retour à l'équilibre financier (Cref) des hôpitaux « perdants » à la T2A - Igas, janvier 2008.

* 12 L'évolution de la situation économique et financière des cliniques privées à but lucratif entre 2005 et 2006, Etudes et résultats n° 650, août 2008.

* 13 Pour une gestion responsable de l'hôpital, Alain Vasselle, Bernard Cazeau, Sénat n° 403, 2007-2008.

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