Rapport n° 392 (2008-2009) de M. Gérard CÉSAR , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 mai 2009

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N° 392

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur la proposition de résolution présentée par MM. Gérard CÉSAR et Simon SUTOUR, au nom de la commission des Affaires européennes (2), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur le projet de règlement relatif aux catégories de produits de la vigne , aux pratiques oenologiques et aux restrictions qui s'y appliquent ,

Par M. Gérard CÉSAR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, François Fortassin, Alain Fouché, Adrien Giraud, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mme Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Philippe Paul, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall.

(2) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme  Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

324 , 393 (2008-2009)

Introduction

Mesdames, Messieurs,

Longtemps assimilé à un vin de second rang par rapport au vin rouge ou blanc, le vin rosé a acquis désormais ses lettres de noblesse et représente un marché substantiel. Ni un vin blanc, ni un vin rouge, ni un mélange des deux, le vin rosé « traditionnel » est un vin à part et à part entière. Les consommateurs ne s'y trompent pas, d'ailleurs, qui sont de plus en plus nombreux à l'apprécier. Les professionnels non plus qui, dans le respect des méthodes traditionnelles, font de la France le premier producteur mondial de vin rosé.

Or, le vin rosé « authentique », c'est-à-dire obtenu par des méthodes traditionnelles de vinification, et non par coupage, c'est-à-dire par mélange de vin blanc et de vin rouge, est aujourd'hui en danger, du moins pour ce qui est des vins de table. Le projet de règlement de la Commission européenne sur les pratiques oenologiques, pris pour l'application du règlement européen d'avril 2008 portant réforme de l'organisation commune de marché du vin -l'OCM vitivinicole- lève en effet l'interdiction de coupage pour les vins rosés de table existant depuis le précédent règlement communautaire de mai 1999. Celle-ci empêcherait les producteurs européens de jouer à armes égales avec ceux des pays tiers, qui eux recourent au mélange rouge-blanc et vendent leur production sous le nom de rosé sur le territoire communautaire.

Or, le recours au coupage présente des risques de standardisation des produits, d'édulcoration de leur contenu et, au final, de confusion dans l'esprit de consommateurs qui seront incités à se détourner de cette catégorie de vin. Mais si les professionnels du secteur, suivis par le Gouvernement, ont clairement manifesté leur désaccord auprès des instances communautaires, notre pays est encore isolé sur ce dossier à l'échelle européenne.

Il est donc essentiel, aujourd'hui, de soutenir le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui négocie ce dossier à Bruxelles pour le compte de la France, afin de faire entendre la voix particulière de notre pays et de tenter d'y rallier certains de nos partenaires européens lors du vote du texte le 19 juin prochain. Tel est l'objet de la présente proposition de résolution, que ce rapport tend à soutenir tout en la complétant.

I. LE VIN ROSÉ : UN VIN SPÉCIFIQUE ET APPRECIÉ DES FRANÇAIS

A. UN PRODUIT QUALITATIF ET ORIGINAL

Longtemps le vin rosé a été enfermé dans une perception négative : tenu pour un vin secondaire, élaboré par défaut, sans grande technicité, il était indigne de l'intérêt de l'oenologue. Du fait des progrès très importants réalisés au stade de la production et de l'engouement des consommateurs les accompagnant, la situation s'est profondément modifiée, le rosé étant aujourd'hui un produit « tendance » contribuant à dynamiser un marché du vin confronté à une conjoncture difficile.

1. Un vin chargé d'histoire

Loin d'être un vin nouveau ou dépourvu d'héritage, le rosé est un vin issu d'une histoire séculaire et de traditions bien établies. Il serait même, d'après les historiens du vin, le premier vin de l'histoire .

En effet, le vin élaboré dans l' Antiquité par les Egyptiens, les Grecs et les Romains, premières civilisations à avoir développé des pratiques viticoles dignes de ce nom, ne pouvait qu'être de couleur claire. Le raisin était soit foulé, soit pressé directement, et son jus immédiatement recueilli afin de le faire fermenter « en clair ». En l'absence de cuvaison, il était de facto impossible d'obtenir une couleur rouge soutenue. De nombreuses représentations anciennes attestent la pratique courante de la vinification en rosé, permettant d'obtenir le vinum clarum , qui deviendra ensuite « claret », puis « clairet ».

Au Moyen Age , le « vin clair » reste le premier type de vin produit et commercialisé, même si l'évolution des techniques, et notamment le développement des pressoirs, permet d'obtenir du vin rouge, ou vinum rubeum . A titre d'exemple, les domaines de l'archevêché de Bordeaux produisaient au XIII e siècle 87 % de vin clair, pour seulement 13 % de vin rouge et une part quasi symbolique de vin blanc. Ces proportions étaient la règle, non seulement dans le bordelais, mais également dans les autres régions françaises.

Ces tendances perdurent à la Renaissance et jusqu'au XVII e siècle . Un inventaire de caves parisiennes réalisé dans la première moitié de ce siècle à Paris fait état d'une proportion de 80 % de « vin clairet ». Les écrits des médecins rendent compte des vertus qu'on lui accordait alors. On appréciait ainsi la fraîcheur et la vivacité de vins considérés comme « sains », « nourrissant peu le corps » et destinés aux consommateurs urbains et plutôt aristocrates.

Ce n'est qu'à la fin du XVII e siècle que la tendance va évoluer en faveur des « vins noirs » ou « vins vermeils », qui existaient depuis des siècles mais dont la demande ne s'était pas exprimée de manière significative. Considérés comme « plus nourissants », ces vins plus fortement colorés, plus rudes, plus tanniques et issus d'une macération plus longue, vont peu à peu supplanter les vins rosés. A partir du XIX e siècle , les vins rouges sont produits de façon largement majoritaire, mais le vin rosé conservera, bon an mal an, une part de marché non négligeable.

2. Une vinification particulièrement délicate

La vinification en rosé est toujours réalisée à partir de raisins rouges 1 ( * ) . La macération des pellicules de raisin rouge avec le jus blanc des raisins entraîne une migration de la couleur des premières au second.

Deux techniques différentes peuvent être utilisées :

- par saignée , d'une part. Historiquement, il s'agissait d'écouler une partie des jus obtenus dès la mise en cuve des rouges, en vue d'accroître la concentration de ces derniers, par simple augmentation du rapport liquide/solide. Cette technique, qui convient pour des caves peu spécialisées dans l'élaboration des rosés et présente certains inconvénients, se perpétue encore dans certaines régions ;

- par pressurage direct , d'autre part. Dans cette technique, aujourd'hui la plus répandue, la vendange est directement déversée dans le pressoir, de sorte que la macération ne dure que le temps du remplissage.

Quelle que soit la technique retenue, la vinification est plus délicate que pour les vins rouges ou blancs, dans la mesure où les erreurs alors commises sont quasiment impossibles à rattraper. Il est très difficile d'obtenir un vin à la fois fruité et équilibré, de maîtriser sa couleur et surtout d'être régulier d'un millésime à l'autre. Le vinificateur devra en effet trouver le meilleur compromis entre le niveau de maturité des raisins, la température de récolte et la durée de macération pré-fermentaire.

3. Une élaboration le distinguant des vins rouges ou blancs

Selon une formule largement usitée par les techniciens du rosé, ce dernier n'est « ni un vin blanc, ni un vin rouge, ni un mélange de vin blanc et de vin rouge ». Il résulte de ceci que l'on ne pourrait obtenir de vin rosé de qualité ni en éclaircissant la couleur d'un vin rouge, ni en intensifiant celle d'un vin blanc.

La différence entre le vin rosé et le vin rouge porte essentiellement sur le moment et la durée de la macération pelliculaire . Pour le rosé, cette macération se déroule dans le moût avant fermentation, alors que pour le rouge, elle a lieu avant, pendant et après la fermentation. La diffusion des composés des pellicules se produit en phase aqueuse pour le rosé, mais en présence d'alcool pour le vin rouge. Elle varie de quelques minutes à quelques heures pour le premier, tandis qu'elle dure de quelques jours à quelques semaines pour le second, les composés de la pellicule diffusant alors plus intensément.

S'agissant de la différence entre vin rosé et vin blanc , elle porte sur la nature des cépages . Au-delà de la seule couleur, la texture comme la composition aromatique et le goût des cépages blancs et des cépages noirs sont très différents. En revanche, les cépages servant à la fabrication de vin rosé sont très nombreux puisqu'ils servent aussi à la production de vins rouges : Cabernet franc, Merlot, Gamay, Pinot noir, Grenache noir ...

4. Une spécificité en termes de couleur, de texture, de goût et de conservation

Les vins rosés présentent un ensemble harmonique particulier intégrant couleur, texture originale, arômes et goût particuliers, sans toutefois les transformer en vins de garde.

Leur spectre de couleur est très large de par leur composition chimique spécifique, certaines molécules entrant dans leur composition étant responsables de leur teinte. Un mélange de vin rouge et de vin blanc ne permettrait pas d'obtenir des couleurs parfaitement identiques, mais néanmoins de s'en rapprocher fortement.

Selon les oenologues, les vins rosés se reconnaissent à leur texture très particulière en bouche. Ils doivent procurer un équilibre entre d'une part, une impression de fraîcheur sans agressivité et un effet désaltérant, et d'autre part, une légère impression de « sucrosité » obtenue dans la plupart des cas sans addition de sucre, par la seule macération pelliculaire qui permet l'extraction de molécules spécifiques, les mannoprotéines et les polysaccharides. Ces dernières donnent au vin une impression de « rondeur » tout à fait spécifique que ne permettrait pas d'obtenir l'élaboration par coupage, d'où résultent habituellement des notes amères et astringentes.

Les vins rosés présentent des arômes spécifiques de fruits rouges, de fruits exotiques, de caramel, de rose ou de compote inimitables par un simple mélange. Leur typicité repose en effet sur le caractère des cépages noirs utilisés très majoritairement pour leur élaboration. Le mélange de vins rouge et blanc ne parviendrait en aucun cas à recréer cette palette aromatique à dominante fruitée si spécifique.

Enfin, le vieillissement des vins rosés n'est pas comparable à celui des autres vins. Ses qualités de fraîcheur sont difficiles à conserver dans le temps, le vin prenant progressivement des notes « miellées », « gelée de coings » ou « prune », tandis que la couleur évolue vers des nuances orangées. Il est par conséquent recommandé de boire les rosés dans l'année, même si certains peuvent supporter jusqu'à trois ans de maturation en cave.

B. UN MARCHÉ EN PLEINE EXPANSION DOMINÉ PAR LA FRANCE

Si le marché des vins rosés est particulièrement difficile à décrire du fait de l'absence de définition internationale du produit et de ses méthodes de production variées, les données de cadrage établies par les principaux acteurs institutionnels 2 ( * ) permettent d'en cerner les grandes tendances.

1. Une filière non négligeable à l'échelle mondiale

Les derniers chiffres disponibles, datant de 2006, estiment la production mondiale de vin rosé à 21,5 millions d'hectolitres , soit 8 % de la production mondiale de vin. Ils représentent une part non négligeable (20 % pour les Etats-Unis, l'Algérie ou le Maroc), voire majoritaire (pour la Tunisie et l'Uruguay) de la production viticole dans certains pays.

La France, avec 5,9 millions d'hectolitres cette même année (29 % du total), est le premier pays producteur. Elle est suivie de l'Italie (respectivement 4,5 millions d'hectolitres et 21 %), de l'Espagne et des Etats-Unis (respectivement 3,85 millions d'hectolitres et 18 % chacun).

Une synthèse de diverses sources a établi la consommation mondiale de vins rosés à 9 % de la consommation mondiale de vins. La tendance serait à la hausse de cette part, avec des préférences pour les produits de style sucré.

Certains pays surconsomment du vin rosé. C'est le cas de la France (le tiers du marché mondial de rosé à la consommation, contre 14 % de celui des vins en général), de l'Espagne (respectivement 12 % et 6 %) et des Etats-Unis (respectivement 16 % et 11 %).

La faiblesse des échanges internationaux caractérise le marché des vins rosés : ainsi, environ 10 % seulement de la production seulement est commercialisée entre pays. L'absence de normalisation internationale du produit pourrait l'expliquer. Contrairement aux vins rouge ou blanc, le rosé est largement consommé dans son pays ou sa région de production. La concurrence se fait donc, pour l'instant du moins, davantage au sein des pays producteurs qu'entre ceux-ci.

2. Une position de leader pour la France

Premier producteur mondial de vin rosé, la France a fourni 6,26 millions d'hectolitres en 2007 3 ( * ) . Les données fournies cette même année à partir des agréments pour les appellations d'origine contrôlée (AOC) et les vins de pays, ainsi que les contrats d'achat vrac pour les vins de table, ont permis d'obtenir une ventilation de cette production entre les diverses régions viticoles concernées. D'une façon générale, les vins rosés en AOC représentent 45 % du total, tout comme les vins de pays, les vins de table constituant les 10 % restant. D'un point de vue géographique, c'est bien évidemment en Provence (17 %), où ce type de vin est prépondérant, que se concentre la production de vins à appellation, suivie de la Loire (10 %) et du Rhône (5 %).

S'agissant du commerce de vins rosés, la France en importe 1,5 million d'hectolitres , dont une partie est mélangée et une autre réexportée. Nos principaux pays fournisseurs sont les Etats-Unis, le Maghreb, l'Italie et l'Espagne.

Les exportations représentent 0,9 million d'hectolitres . Elles sont composées à 47 % d'AOC, à 42 % de vins de pays et à 11 % de vins de table. S'agissant de la première catégorie, les exportations de vins rosés de Loire représentent 23 % de la production, du Rhône 21 % et de Languedoc 16 %. Toutes catégories confondues, les principaux marchés d'export sont la Belgique (30 %), les Pays-Bas (13 %) et le Royaume-Uni (10 %).

Au total, le marché du vin rosé est particulièrement dynamique dans notre pays, que ce soit à la production (qui est passée de 4,5 millions d'hectolitres en 2002 à plus de 6 millions en 2007) ou à la consommation (en hausse de 2 % chaque année environ).

3. Un vin séduisant un public croissant

La « bonne santé » du secteur du vin rosé -qui représente 24 % de la consommation française, dépassant désormais celle de vin blanc- dans un contexte général d'atonie du marché du vin, trouve plusieurs explications :

- des caractéristiques en adéquation avec un certain « air du temps » . De par sa fraîcheur et sa légèreté, le rosé peut se boire à toute époque de l'année, notamment pendant les périodes les plus chaudes. De par sa palette remarquablement étendue d'arômes et de goûts, il peut être servi avec une large gamme de plats, durant tout le repas, et accompagne particulièrement bien les saveurs exotiques à la mode aujourd'hui ;

- une plus grande facilité d'accès pour des consommateurs peu expérimentés en matière de vin . Avec une segmentation de marché moins complexe que celle des rouges et blancs et une approche gustative plus spontanée, le rosé est un vin qui « décomplexe » des publics que les vins « classiques » tendent à intimider. Sa consommation est ainsi en hausse chez les jeunes et les femmes, deux catégories de consommateurs dont la « culture » vitivinicole et l'attirance pour le vin est souvent moindre que celle des hommes. Dans les tests d'image, le vin rosé passe pour un produit plus moderne et jubilatoire que ses concurrents rouges et blancs ;

- les remarquables efforts réalisés par la filière pour rendre le produit plus attractif . En termes de contenu tout d'abord : les professionnels du secteur, aidés en cela par des instituts techniques de haut niveau, ont énormément progressé ces dernières années et proposent aujourd'hui des produits de qualité, équilibrés et variés selon les terroirs de production. Ce sont précisément ces efforts que les producteurs craignent de voir réduits à néant, suscitant un profond sentiment d'injustice. En termes économiques ensuite : les vins rosés se situent dans des fourchettes de prix inférieures à celles des rouges et des blancs, qui facilitent l'achat au quotidien : le « coeur » du marché se situe entre deux et quatre euros la bouteille. En termes de marketing enfin : couleur séduisante, choix de noms évocateurs, conditionnement adapté aux modes de consommation actuels, étiquette savamment étudiée.

C. UN MODE TRADITIONNEL D'ÉLABORATION À PRÉSERVER

1. Un large plébiscite des consommateurs pour les méthodes traditionnelles de vinification

Principaux intéressés, les consommateurs se positionnent très largement en faveur de la méthode traditionnelle d'élaboration du vin rosé. Une pétition ouverte sur Internet par les principaux acteurs français de la filière 4 ( * ) contre le coupage a déjà recueilli plus de 23.000 signatures. Mais c'est surtout un récent sondage Ifop pour Sud-Ouest Dimanche et Midi libre 5 ( * ) qui illustre le plus nettement l'attachement de nos concitoyens au vin rosé français tel que nous le connaissons.

De fait, 87 % des personnes interrogées se sont déclarées opposées au projet européen d'autoriser le mélange entre vin rouge et vin blanc pour créer du vin rosé. Ce refus est unanime chez les hommes (87 %) comme chez les femmes (86 %), chez les ruraux (87 %) comme chez les habitants de la région parisienne (86 %). Et la baisse des prix qu'un tel vin pourrait permettre n'accroîtrait pas la consommation : 86 % des personnes interrogées ont déclaré que s'il venait à être produit et commercialisé sur notre territoire, elles n'en achèteraient pas.

Ce message dépourvu d'ambiguïté laisse apparaître quelques nuances , même si le refus reste majoritaire dans tous les cas de figure. C'est bien évidemment dans les régions productrices (Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Limousin) que l'idée est le plus radicalement rejetée, à 90 %, alors que ce taux atteint « seulement » 75 % en Nord-Pas-de-Calais. Par ailleurs, les personnes les plus âgées y sont le plus sensibles : on trouve 95 % d'opposants chez les plus de 65 ans, contre 71 % chez les 18-25 ans.

2. Un recours au coupage présentant des inconvénients certains

Si le coupage n'induit bien évidemment pas de risques sanitaires pour le consommateur, il est en revanche porteur de risques économiques pour le producteur en réduisant la demande. Plusieurs éléments oeuvreraient en ce sens :

- le risque de standardisation dans la composition du produit. L'introduction d'une part infime -inférieure à 1 % du volume total dans certains cas- de vin rouge dans un volume de vin blanc suffit à donner un mélange s'apparentant extérieurement à un vin rosé classique. Ces vins que l'on devrait alors qualifier de « rosis » ou « colorés », plutôt que de rosés à proprement parler, seront donc composés presque entièrement de vins blancs. Pour réduire les coûts autant que pour être certains de flatter le goût du plus grand nombre de consommateurs, les producteurs auront alors recours aux cépages blancs les plus répandus en Europe (Chardonnay, Sauvignon ...). La formidable palette de goûts et de couleurs des vins rosés serait alors menacée au profit d'un produit formaté et interchangeable, en contradiction avec les efforts de la filière française ces dernières années pour accroître l'identité et la typicité de ces vins ;

- le risque d'édulcoration dans cette même composition. L'absence, dans les rosés issus de coupage, des molécules donnant au vin sa « rondeur » pourrait être compensée par une macération pelliculaire plus longue sur les raisins blancs. Or, une telle « manipulation » risque de donner des couleurs brunes au vin, de lui conférer une certaine acidité et de produire une légère « surcharge tannique » source de rugosité. Pour masque ces inconvénients, la tentation sera forte pour le producteur de corriger cet excès de dureté par un ajout de sucre, ce qui dénature substantiellement le produit ;

- le risque de confusion dans l'esprit du consommateur. D'un point de vue technique, il est possible d'obtenir par coupage des vins d'une apparence très proche de celle d'un rosé « traditionnel ». Seules des méthodes chimiométriques permettent de différencier des vins rosés « traditionnels » des vins obtenus par coupage, les consommateurs ne pouvant les différencier à l'oeil nu. Cependant, ces vins ne leur permettront pas de retrouver la saveur et la « sucrosité » particulières des rosés, suscitant une certaine déception et ternissant leur image auprès d'un public qui hésitera à rééditer l'acte d'achat.

II. UNE RÉGLEMENTATION COMMUNAUTAIRE MENAÇANTE

A. LA RÉFORME DE L'ORGANISATION COMMUNE DE MARCHÉ VITIVINICOLE

La philosophie de la réforme de l'OCM vitivinicole, formellement adoptée par le Conseil de l'Union européenne en avril 2008 6 ( * ) , a été d'aligner le maximum de pratiques oenologiques autorisées dans l'Union sur celles admises au niveau international, notamment à travers les normes élaborées par l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV). Il s'agissait de mettre à jour l'ancien règlement communautaire 7 ( * ) afin de moderniser la filière et de répondre aux défis de la compétition internationale.

LA RÉFORME DE L'ORGANISATION COMMUNE DE MARCHÉ VITIVINICOLE

Le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil portant OCM vitivinicole a opéré une réforme d'ampleur de la filière vitivinicole dans l'Union européenne.

En effet, les droits de plantation seront à terme abandonnés, tandis que les régimes de distillation seront progressivement supprimés. Le paiement unique par exploitation sera introduit si les Etats-membres le souhaitent. Un régime d'arrachage volontaire est introduit, cependant que la chaptalisation et l'aide à l'utilisation des moûts demeureront autorisés sous conditions. Les Etats-membres disposeront d'enveloppes nationales pour répondre à des difficultés spécifiques.

Enfin, le règlement contient des mesures sur les pratiques oenologiques et sur l'amélioration des règles en matière d'étiquetage.

Le règlement de 2008 a confié à la Commission européenne la charge d'approuver de nouvelles pratiques oenologiques ou de modifier celles existantes. Or, lors des discussions sur le projet de règlement d'application relatif aux pratiques oenologiques, la Commission a proposé de lever un certain nombre de restrictions, afin que les producteurs de l'Union européenne soient placés dans les mêmes conditions que leurs concurrents des pays tiers. C'est pourquoi elle a proposé des évolutions (comme la désalcoolisation ou encore l'utilisation de copeaux) que la profession, en règle générale, appelait de ses voeux. Il convient en outre d'indiquer que ces mesures s'inscrivent dans les orientations retenues par le plan quinquennal de modernisation de la filière vitivinicole française adopté par le Gouvernement le 29 mai 2008.

Votre rapporteur souscrit pour l'essentiel aux principes de la réforme de l'OCM viticole, mais souligne qu'il avait été à l'origine d'une résolution européenne du Sénat en 2007 pour rappeler les principes auxquels la Haute assemblée était attachée 8 ( * ) .

Suite à l'adoption en 2008 du nouveau règlement de l'OCM, la Commission a finalement présenté, à l'automne 2008, deux projets de règlements d'application : le premier projet, traitant des pratiques oenologiques , est élaboré au sein d'un comité de réglementation 9 ( * ) , tandis que le second, abordant les règles d'étiquetage, est instruit dans le cadre d'un comité de gestion .

LA COMITOLOGIE

Les Etats-membres souhaitant contrôler la Commission européenne quand celle-ci adopte des mesures d'exécution de la législation communautaire, un certain nombre de mécanismes juridiques très complexes ont été mis en place. Ainsi, la Commission travaille-t-elle avec trois types de comités composés en pratique de fonctionnaires nationaux, désignés par les Gouvernements nationaux :

- les comités consultatifs , qui doivent uniquement rendre un avis sur les mesures d'exécution prévues par la Commission ;

- les comités de gestion , compétents notamment dans le domaine de la politique agricole commune (PAC), peuvent bloquer, par un vote à la majorité qualifiée, une décision prise par l'exécutif et la renvoyer devant le Conseil de l'Union européenne ;

- enfin, les comités de réglementation disposent de larges prérogatives puisque leur vote favorable à la majorité qualifiée est nécessaire pour adopter les décisions de portée générale de la Commission.

B. LA SUPPRESSION CONTESTÉE ET CONTESTABLE DE LA DISPOSITION INTERDISANT LE VIN ROSÉ COUPÉ

1. Le dispositif issu du règlement de 1999

Le point 6 de l'article 42 du règlement communautaire précité de 1999 interdisait expressément le coupage pour les vins rosés de table 10 ( * ) , mais autorisait le coupage, tantôt à titre exceptionnel et permanent 11 ( * ) , tantôt provisoirement, pour les vins de table rouges 12 ( * ) . En effet, au plan communautaire, cette interdiction se justifiait par l'existence de régimes d'aides distincts pour la distillation de crise des vins de table rouges et des vins de table blancs.

Le silence des textes communautaires sur les vins autres que ceux de table signifiait qu'il était licite d'utiliser la technique du coupage pour les vins d'appellation, afin notamment de prendre en compte les spécificités d'élaboration du champagne rosé et de certains vins rouges. En outre, le mélange de moûts rouge avec du vin blanc était également autorisé.

En définitive , votre rapporteur reconnaît que la réglementation de 1999 était complexe à appréhender mais ajoute qu'elle avait le mérite de ne pas porter préjudice à la production française de vin rosé .

2. Le dispositif issu du règlement de 2008

La Commission, dès les premières discussions préparatoires du règlement d'application sur les pratiques oenologiques, avait fait part de ses doutes sur la justification du maintien de l'interdiction du coupage. Elle a effet souhaité, dès novembre 2008, autoriser le « coupage » des vins rouges et blancs sans indication géographique (IG) pour obtenir un vin rosé.

De fait, le maintien de l'interdiction pour les vins de table devenait à ses yeux une « discrimination négative » à l'encontre des producteurs communautaires. Ce traitement différencié était, selon elle, de plus en plus difficile à conserver, alors que la pratique du mélange rouge-blanc est utilisée aux Etats-Unis ou en Australie et que ces produits sont déjà sur le marché européen, sans indication sur les étiquettes. La Commission a donc souhaité simplifié la réglementation des vins de table, d'autant que la notion même de vin de table disparaîtra prochainement 13 ( * ) .

C. UNE SITUATION QUI A D'ABORD PRIS DE COURT LE GOUVERNEMENT ET LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES

1. Les organisations professionnelles ont d'abord tardé à réagir

Les organisations professionnelles nationales ont été associées aux négociations communautaires, notamment à travers des réunions organisées régulièrement par VINIFLHOR 14 ( * ) et le ministère chargé de l'agriculture. La levée de l'interdiction du coupage y a été abordée. De plus, le projet de règlement comprenant la levée de l'interdiction du coupage a été présenté en décembre 2008, à la demande de la Commission, à l'instance communautaire de consultation des organisations professionnelles agricoles -le COPA-COGECA 15 ( * ) - et a reçu un avis favorable.

Cependant, dès décembre 2008, la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlée (CNAOC) avait alerté le ministère sur la suppression de l'interdiction du coupage pour le vin rosé de table. En outre, le 14 janvier dernier, les professionnels français des filières de rosé ont fait connaître leur opposition à la levée de cette interdiction.

En tout état de cause, votre rapporteur estime qu'il serait inopportun de chercher des boucs-émissaires dans ce dossier et qu'il convient de répondre en urgence aux préoccupations des producteurs français de rosé.

2. Le ministère de l'agriculture et de la pêche est parvenu à prolonger les débats, mais notre pays peine à trouver des alliés

Suite aux réactions des professionnels, le Gouvernement a exprimé clairement à la Commission sa position. Le 27 janvier 2009, lors du vote indicatif sur le projet de règlement relatif aux pratiques oenologiques (aucun vote décisionnel n'a eu lieu pour l'instant), la France s'est prononcée favorablement, compte tenu des réponses positives apportées à ses autres demandes, pour autoriser le lancement de la consultation de l'OMC, qui dure au moins trois mois. Mais dans le même temps, le Gouvernement a fait part de ses vives réserves sur la levée de l'interdiction du coupage, a souhaité que la période d'examen du texte à l'OMC permette de trouver un compromis et a obtenu, le 6 avril dernier, que le vote sur les deux règlements d'application intervienne seulement le 19 juin prochain, c'est-à-dire après l'élection du Parlement européen.

Parallèlement, le ministre en charge de l'agriculture, M. Michel Barnier, a écrit à deux reprises à la Commissaire européenne en charge de ces questions, le 11 février 2009 et le 13 mars 2009, pour souligner son opposition à la levée de l'interdiction du coupage. De nombreux contacts ont suivi entre les services du MAP et de la Commission.

Toutefois, à l'issue d'une rencontre entre la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires du ministère et la Commission le 20 mars à Bruxelles, cette dernière a indiqué qu'elle n'entendait pas modifier le projet de règlement sur les pratiques oenologiques, pour deux raisons essentiellement 16 ( * ) .

En premier lieu, elle dispose a priori d'une majorité qualifiée solide. En effet, selon les informations fournies par le Gouvernement à votre rapporteur, les chances sont minces de voir la France obtenir le 19 juin prochain une minorité de blocage (fixée à 91 voix). Notre pays disposant de 29 voix, il lui faudrait convaincre, d'une part, l'Allemagne (29 voix) et la Hongrie (12 voix), qui n'apprécient pas la baisse du plafond autorisé de sulfites et, d'autre part, l'Italie (29 voix) et la Grèce (12 voix), qui sont hostiles aux mesures relatives à la désalcoolisation. Autrement dit, l'opposition au règlement sur les pratiques oenologiques repose sur une alliance hétéroclite d'Etats-membres que la Commission européenne pourrait aisément briser en donnant satisfaction aux revendications de certains pays pour isoler la France.

En second lieu, la Commission souhaite respecter un calendrier très contraint. La réouverture des négociations sur les pratiques oenologiques risquerait d'aboutir à un vide juridique, car le règlement de 1999 sera officiellement abrogé le 1 er août prochain 17 ( * ) .

Enfin, il convient d'ajouter que la Commission a saisi l'OMC pour qu'elle contrôle, le plus en amont possible, le règlement d'application sur les pratiques oenologiques avant son adoption définitive 18 ( * ) . Selon les informations fournies à votre rapporteur, les Etats-Unis ont demandé un délai supplémentaire d'examen de ce texte, sans que l'on connaisse les motivations de leur demande.

3. Le compromis sur l'étiquetage, proposé par la Commission européenne, n'est pas satisfaisant

La Commission a proposé de répondre à la demande française en réglementant l'étiquetage facultatif des vins de table rosés dans le cadre de la discussion du second projet de règlement d'application de l'OCM.

Ces dispositions relatives à l'étiquetage ont été soumises au vote indicatif en comité de gestion du 24 mars 2009. Le texte en cours de discussion permettrait d' identifier par un étiquetage spécifique le « rosé traditionnel » (vin rosé issu de macération ou de fermentation, sans coupage), et le « rosé de coupage » pour les produits élaborés par mélange.

Cette proposition n'apparait guère pertinente , selon votre rapporteur, pour trois raisons. D'une part, chaque Etat-membre serait libre de rendre obligatoire ou non ces étiquetages sur son territoire, ce qui ne garantit pas un régime commun dans l'Union européenne. D'autre part, cette réglementation ne concernerait que les vins rosés produits en France. Enfin, les professionnels du rosé en France estiment que l'indication « rosé traditionnel » ne correspond pas à l'image moderne que véhicule le vin rosé, en particulier auprès des jeunes consommateurs.

La France s'est abstenue sur ce projet en mars dernier en rappelant son opposition à la levée de l'interdiction du coupage des vins de table rouges et blancs. A la suite de ce comité de gestion, le cabinet du ministre en charge de l'agriculture a rencontré celui de la Commissaire européenne à l'agriculture le 31 mars à Bruxelles, pour demander des évolutions sur les procédés d'élaboration du rosé, au-delà des règles d'étiquetage retenues par ailleurs.

Pour l'heure, la Commission reste sur sa position et refuse d'envisager une modification du projet de règlement sur les pratiques oenologiques pour conserver l'interdiction du coupage pour les vins sans IG.

III. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION

A. DES MARGES DE MANoeUVRE CONTRAINTES

Votre rapporteur est conscient de la difficulté pour la France de défendre les intérêts de sa filière rosé compte tenu du quasi inexistant soutien des autres Etats-membres sur l'épineuse question du coupage du vin rosé de table . Les marges de manoeuvre du Gouvernement sont très faibles, tant au niveau communautaire qu'au niveau international.

En effet, si d'aventure une minorité de blocage était réunie lors de l'examen du projet de règlement sur les pratiques oenologiques, il faudrait être vigilant pour que les avancées qu'a obtenues le Gouvernement lors des négociations sur le nouveau règlement ne soient pas remises en cause.

Par ailleurs, la réouverture du règlement (CE) n° 479/2008 précité paraît peu envisageable compte tenu de l'opposition de la Commission et de son monopole d'initiative législative en matière de marché intérieur. Or, toutes les mesures obligatoires dans le domaine de l'étiquetage nécessitent un règlement communautaire.

Quant à une réglementation nouvelle au sein de l'OIV (qui autorise le coupage pour les vins) ou de l'OMC (qui interdit d'obliger les pays tiers à indiquer sur leurs étiquettes si le vin rosé est issu de coupage), elle est pour l'heure hors de portée. D'une part, la modification des règles au sein de l'OIV nécessite le consensus des Etats. D'autre part, les accords relatifs à la politique commerciale communautaire doivent être conclus à la majorité qualifiée par le Conseil « Affaires générales et relations extérieures » (CAGRE) 19 ( * ) .

B. DES PRODUCTEURS FRANÇAIS DEVANT ÊTRE DEFENDUS

Votre rapporteur estime que les droits du consommateur doivent être préservés. Celui-ci doit pouvoir faire la différence entre, d'une part, un vin rosé issu d'un coupage entre un vin rouge et un vin blanc et, d'autre part, un vin rosé authentique issu de techniques de vinification élaborées.

En outre, le règlement sur les pratiques oenologiques doit répondre aux préoccupations des producteurs de vin rosé traditionnel , qui sont très présents dans le Var, mais également dans le Bordelais ou le Languedoc, sans porter atteinte naturellement aux traditions de coupage de vin pratiquées dans certaines régions, en Champagne par exemple.

A cet égard, le dispositif prévu par la présente résolution ne concerne que les vins dits « tranquilles ». Il s'agit des vins qui ne forment pas de bulles lors de l'ouverture de la bouteille, par opposition aux vins dits « pétillants » ou « effervescents ». Ces derniers, qui recourent traditionnellement à la méthode du coupage, ne sont en effet pas concernés -et ceci sans contestation- par cette règlementation.

Nul ne peut anticiper aujourd'hui les conséquences économiques de l'autorisation du vin rosé coupé sur la filière vitivinicole française, mais ce sont peut-être les producteurs de vin rosé de table qui ont le plus à craindre de cette réforme. Il convient en effet de distinguer, d'un côté, les producteurs de rosé d'appellation et, d'un autre côté, les producteurs de vins de table.

Les producteurs de vins rosés d'appellation avaient la faculté, en vertu du silence des textes communautaires, de recourir à la technique du coupage, mais ils l'ont refusée dans leur cahier des charges. Compte tenu de la forte fragmentation du marché du vin, certains observateurs optimistes estiment que les vins rosés haut de gamme seront très faiblement concurrencés par les vins rosés coupés à faible prix.

Quant aux producteurs de vin rosé de table, ils pourraient craindre une concurrence de la part des producteurs français et de l'Union européenne. S'agissant des producteurs issus des pays tiers, ils ont depuis longtemps accès au marché français sans obligation d'indiquer s'ils commercialisent du vin rosé coupé ou non.

Comme la réglementation sur les pratiques oenologiques est très complexe et que les techniques de contrôle des services spécialisés ne sont pas pleinement satisfaisantes 20 ( * ) , il convient de mettre en oeuvre une stratégie « tous azimuts » pour défendre la pérennité de la filière vitivinicole française.

C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre rapporteur estime indispensable que la Haute assemblée mette tout en oeuvre pour soutenir le Gouvernement dans ses négociations avec la Commission européenne.

Cette stratégie rejoint celle prônée le 2 avril 2009 par le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui demandait aux organisations professionnelles françaises de rechercher le soutien des organisations professionnelles des autres Etats membres. A cet égard, votre rapporteur se félicite des efforts déployés par la CNAOC qui organise courant mai une conférence de presse à l'échelon européen 21 ( * ) . En outre, il y a lieu de saluer la prise de position de l'Assemblée des régions européennes viticoles (AREV), qui s'est opposée à l'unanimité, le 28 avril dernier, à la levée de l'interdiction du coupage des vins de table blancs et rouges pour produire du vin rosé 22 ( * ) .

En tout état de cause, une campagne de communication à l'échelle nationale sera nécessaire afin de rappeler à l'opinion publique les spécificités du vin rosé de table français et du vin rosé d'appellation.

Au cours de sa réunion du mercredi 6 mai 2009, présidée par M. Jean-Paul Emorine, président, la commission des affaires économiques a examiné le rapport de M. Gérard César, la proposition de résolution n° 324 (2008-2009) sur le projet de règlement relatif aux catégories de produits de la vigne, aux pratiques oenologiques et aux restrictions qui s'y appliquent.

Elle a adopté à l'unanimité une nouvelle rédaction proposée par le rapporteur, assortie d'un amendement.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat ;

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de règlement relatif aux pratiques oenologiques, pris en application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole ;

Considérant l'importance économique de la filière vitivinicole française du vin rosé, tant sur le marché domestique qu'à l'étranger, et les efforts déployés par les professionnels du secteur pour augmenter constamment la qualité de ce produit ;

Rappelant que les vins rosés de table issus d'un coupage entre des vins blancs et des vins rouges ne sauraient être confondus avec des vins rosés de table élaborés selon des techniques traditionnelles et spécifiques, notamment au regard de leurs qualités gustatives ;

Considérant que l'impact économique, social et environnemental sur la filière vitivinicole française de l'autorisation de coupage pour le vin rosé de table n'a pas été établi par la Commission européenne ;

Rappelant que le consommateur, en vertu du b) de l'article 30 du règlement (CE) 479/2008 précité, doit pouvoir faire la différence entre un vin rosé issu d'un coupage entre un vin rouge et un vin blanc et un vin rosé authentique issu de techniques de vinification élaborées et traditionnelles ;

1° Demande au Gouvernement de s'opposer fermement à la suppression de l'interdiction du coupage de vins sans indication géographique de couleurs différentes pour produire des vins tranquilles rosés.

2° Invite le Gouvernement à demander à la Commission européenne, avant l'adoption du règlement d'application sur les pratiques oenologiques, de réaliser une étude d'impact sur les conséquences économiques, sociales et environnementales d'une levée de l'interdiction de coupage pour le vin rosé de table qui risque de mettre gravement en difficulté les viticulteurs recourant aux pratiques oenologiques traditionnelles.

ANNEXE I - AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

AMENDEMENT N° 1

présenté par

MM. Yves DÉTRAIGNE, Jean-Claude ETIENNE et Mme Françoise FÉRAT

_________________________

après les mots :

« d'obtenir »

ajouter les mots :

« , pour les vins sans indication géographique, »

Objet

La proposition de résolution n° 324 est de bon sens car la décision de reconnaître, parmi les pratiques oenologiques admises dans l'Union, l'obtention de vins rosés par coupage de vins blancs et de vins rouges risque de remettre en cause les efforts faits par de nombreux viticulteurs pour améliorer la qualité des vins rosés.

Toutefois, depuis le XVIII e siècle, les vins rosés d'appellation d'origine contrôlée Champagne sont élaborés par adjonction de vin rouge à du vin blanc lors de l'assemblage et avant la seconde fermentation en bouteilles. Ces boissons ainsi obtenues connaissent un succès croissant dans tous les pays du monde : ils ont ainsi représenté près de 15 % des 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires (hors taxe et départ) de la Champagne. La résolution n° 324 ne doit pas pénaliser cette production originale de qualité et reconnue sur le plan mondial.

Aussi le présent amendement propose-t-il d'exclure les vins à appellation d'origine contrôlée Champagne afin de permettre aux viticulteurs champenois de poursuivre la production de champagne rosé dans les règles de la tradition.

AMENDEMENT N° 2

présenté par

M. Roland COURTEAU et les membres du groupe socialiste

_________________________

Alinéa 3

Après l'alinéa 3, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Invite le Gouvernement à demander à la Commission européenne, avant tout décision, de réaliser une étude d'impact sur les conséquences économiques, sociales et environnementales d'une levée de l'interdiction de coupage et d'évaluer les risques de concurrence déloyale entre les viticulteurs qui élaborent du vin rosé selon les pratiques oenologiques traditionnelles et ceux qui le fabriquent par d'autres méthodes. »

AMENDEMENT N° 3

présenté par

M. Roland COURTEAU et les membres du groupe socialiste

_________________________

Alinéa 4

Dans l'alinéa 4, après les mots : « à s'opposer », insérer le mot : « clairement »

ANNEXE II - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- MM. Pascal Viné , directeur général des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, et Julien Turenne , adjoint au sous-directeur des produits et marchés, du ministère de l'agriculture et de la pêche ;

- M. Gilles Masson , directeur du Centre de recherche et d'expérimentation sur le vin rosé ;

- Mmes Marion Zalay , directrice, et Dominique Filhol , directrice adjointe de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) ;

- M. Alain Baccino, président de la Chambre d'agriculture du Var et vice-président du Centre du rosé ;

- MM. Pascal Bobillier Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlées (Cnaoc) et Roque Pertusa , président des Caves coopératives du Var.

ANNEXE III - LA PROCÉDURE DE COMITOLOGIE

* 1 Ou plus exactement de raisins à pellicule rouge ou noire, mais à jus blanc.

* 2 Office international du vin (OIV), interprofessions françaises et FranceAgriMer.

* 3 En 2006, la France était déjà en tête des pays producteurs de rosé (29 % de part de marché), devant l'Italie (21 %), l'Espagne et les Etats-Unis (à égalité avec 18 %).

* 4 http://www.coupertuelerose.com/petition.php?rub=signer

* 5 Sondage été réalisé par téléphone ou à domicile les 2 et 3 avril 2009 auprès d'un échantillon de 1.010 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

* 6 Cf. le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil portant OCM vitivinicole.

* 7 Cf. le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 portant OCM vitivinicole.

* 8 Proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant OCM vitivinicole et modifiant certains règlements (E 3587), et le rapport n° 89 (2007-2008) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 21 novembre 2007.

* 9 Cf. le schéma explicatif en annexe.

* 10 En effet, « le coupage d'un vin apte à produire un vin de table blanc ou d'un vin de table blanc avec un vin apte à produire un vin de table rouge ou avec un vin de table rouge ne peut pas produire un vin de table ». Autrement dit, quelle que soit l'étape de fermentation considérée, on ne peut pas mélanger deux vins de table de couleurs différentes pour fabriquer un troisième vin, qui peut avoir l'aspect d'un vin rosé selon les proportions choisies dans les vins coupés.

* 11 De fait, le coupage de vin peut être autorisé « dans certains cas à déterminer » et « à condition que le produit final ait les caractéristiques d'un vin de table rouge ».

* 12 Le dernier alinéa du point 6 de l'article 42 du règlement précisait qu'un « coupage de ce type est autorisé jusqu'au 31 juillet 2005, dans les régions où cette pratique était traditionnelle, selon des modalités à fixer ».

* 13 On ne distinguera, à compter du 1 er août 2009 que trois catégories de vin dans l'Union européenne: les vins d'appellation, les vins avec indication géographique et les vins sans indication géographique. Par conséquent, à compter de cette date, les vins de table devraient devenir des vins sans indication géographique, tandis que les vins de pays seraient répartis au cas par cas dans chacune de ces trois catégories (l'intégration dans la catégorie des vins d'appellation devant cependant être marginale).

* 14 Cet organisme public, créé en 2005, intervient dans les secteurs des fruits et légumes, du vin et de l'horticulture. Il participe à l'élaboration de la réglementation dans ces secteurs, il met en oeuvre les soutiens nationaux et communautaires et analyse l'évolution de ces marchés.

* 15 Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne - Confédération générale des coopératives agricoles de l'Union européenne.

* 16 La Commission ne consentirait à réviser sa position que si l'OMC devait émettre des observations sur ce règlement.

* 17 Toutefois, ce règlement serait maintenu pendant trois mois dans l'hypothèse où la décision de la Commission était renvoyée au Conseil en l'absence de majorité qualifiée au sein du comité de réglementation.

* 18 Cette saisine de l'OMC est obligatoire dans le cadre de l'accord sur les obstacles techniques au commerce (accord OTC), qui est le principal instrument international adopté à ce jour dans le domaine des réglementations techniques. Ce texte vise à éviter que les règlements, les normes et les procédures d'essai et de certification créent des obstacles injustifiés au commerce international.

* 19 La conclusion des accords relatifs aux services nécessite quant à elle l'unanimité du Conseil.

* 20 A titre d'exemple, les techniques de contrôle par résonance magnétique ne permettent pas d'identifier plus de deux cépages dans des mélanges, ni de faire la distinction entre des vins coupés et des vins issus d'un mélange avec des moûts.

* 21 Cette conférence de presse réunirait des professionnels du milieu vitivinicole de France, d'Espagne, d'Italie, de Slovénie, de Hongrie et peut-être d'Allemagne.

* 22 L'AREV souhaite le maintien de l'interdiction de produire du vin rosé de table coupé mais souhaite réserver une exception pour le « vino tinto de mezcla » sur le territoire espagnol.

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