2. Des prêteurs plus responsables

a) Des conditions plus strictes d'examen de la solvabilité des emprunteurs

Si le projet de loi a pour objectif de permettre à l'emprunteur de mieux juger de l'engagement de crédit qu'il va prendre en signant un contrat de crédit à la consommation, il vise aussi à davantage responsabiliser le prêteur dans le processus d'octroi des prêts.

Si le taux de défaillance des clients sur les crédits à la consommation n'est pas excessif (selon le rapport Athling, 85 % des mensualités n'ont pas connu de retard de paiement et 9 % d'entre elles ont été réglées avec un retard inférieur à deux mois), les établissements de crédit sont régulièrement accusés de prêter sans discernement à des clients très risqués, en limite de solvabilité 147 ( * ) .

Aujourd'hui, les pratiques d'évaluation de solvabilité des emprunteurs sont très variables selon les prêteurs. Certains établissements demandent des justificatifs, d'autres se contentent des déclarations de leurs clients concernant leurs ressources et charges, ou encore leurs emprunts déjà souscrits auprès d'autres établissements de crédit. Les prêteurs effectuent rarement une analyse approfondie de la situation économique et financière de l'emprunteur, par exemple à partir de leurs derniers relevés de compte. L'ouverture de crédit à la consommation est une démarche rapide, industrialisée , qui repose sur des méthodes de scoring considérées comme globalement fiables par la profession.

Afin de mieux responsabiliser le prêteur, le projet de loi renforce, pour tous les types de crédit à la consommation, y compris ceux souscrits à distance, par exemple par Internet, les obligations des établissements financiers, ce qui devrait les conduire à mieux gérer leurs risques :

- d'abord il oblige le prêteur, conformément à la directive précitée, à « évaluer la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris les informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur ». La déchéance totale ou partielle des intérêts, prononcée par le juge, viendra sanctionner l'absence d'évaluation sérieuse de la solvabilité de l'emprunteur par le prêteur ;

- ensuite, il crée une obligation de consulter le fichier des incidents de paiement sur les crédits aux particuliers (FICP) avant de prendre la décision d'octroi de crédit. En pratique, ce fichier est déjà largement consulté par les banques et établissements spécialisés avant l'octroi des prêts. En l'absence de consensus sur l'utilité pour la distribution du crédit et la faisabilité d'un fichier dit « positif » recensant l'ensemble des crédits aux particuliers, le Gouvernement n'a pas choisi, de s'engager dans cette réforme. Sous réserve d'améliorations dans son fonctionnement, et notamment d'une actualisation plus rapide des données y figurant, le FICP reste donc l'outil informatisé commun de base des établissements de crédit.

Les expériences de centrale des crédits aux particuliers (fichiers positifs)

Le FICP donne actuellement des informations sur les seuls incidents de paiement et recense tous les particuliers en surendettement, mais ne fournit pas plus d'informations sur la solvabilité des emprunteurs. Or, pour que les établissements de crédits puissent faire en toute connaissance leur choix de prêter ou de ne pas prêter, il leur faut appréhender correctement la situation des personnes qui sollicitent l'octroi d'un crédit. Deux méthodes sont envisageables :

- la première fait reposer l'évaluation du client sur les informations qu'il apporte, éventuellement corroborées par des pièces justificatives ;

- la seconde s'appuie sur un recensement systématique et exhaustif des données financières concernant l'emprunteur, consultable au sein d'un répertoire central contenant la liste de tous les engagements de chaque emprunteur, appelé « fichier positif ».

Les avantages d'un fichier positif sont donc les suivants :

- une connaissance objective de la situation d'endettement de chaque particulier emprunteur (par défaut, ceux qui ne sont pas dans le fichier n'ont aucun crédit en cours), qui facilite l'analyse de solvabilité par les établissements de crédit et leur permet tous d'accéder au même niveau d'information ;

- la possibilité d'imposer des normes d'endettement maximum afin de prévenir le malendettement puis le surendettement.

Mais les réticences à s'engager dans un tel système ne sont pas infondées :

- la mise en place d'un fichier positif conduirait en France à ficher 15 à 20 millions de détenteurs d'un crédit à la consommation (contre 2 millions actuellement de personnes fichées au FICP), dont la majorité n'ont jamais connu d'incident de paiement, ce qui pose un problème éthique au regard du droit à la protection de la vie privée ;

- un tel outil serait coûteux et long à mettre en place, et coûteux à faire fonctionner. Le nombre d'informations devant y figurer pour permettre une analyse fine de solvabilité serait considérable et pourrait ne pas s'arrêter aux contrats de crédit à la consommation, mais intégrer également les autres créances (notamment de logement, de communications, d'énergie...), voire les ressources. De plus, en ce qui concerne les crédits renouvelables, l'outil devrait intégrer non pas le montant maximum de tirage autorisé mais le montant effectivement utilisé, nécessitant de très nombreuses écritures informatiques sur le fichier central ;

- ensuite, le fichier positif serait susceptible de ne pas avoir une grande efficacité dans la prévention du surendettement ; le surendettement passif, résultant des « accidents de la vie », représente en effet les trois quarts des dossiers de surendettement : pour ces personnes, il n'y avait pas de défaut de solvabilité au moment de la souscription du crédit ;

- enfin, d'aucuns estiment que, même si le droit interdit une utilisation du fichier à des fins de prospection commerciale, le risque de détournement de finalité ne peut pas être totalement écarté.

Pour toutes ces raisons, la transformation du FICP en fichier positif n'a pas été retenue par le projet de loi.

Il existe de nombreuses expériences de centrales de crédit, selon des modèles très différents d'un pays à l'autre :

- en Allemagne , il existe depuis 1927 un fichier positif (la Schufa) géré par les établissements de crédit, qui recense tous les crédits des particuliers et les incidents de paiement. Mais les informations sur les crédits sont incomplètes car il existe aussi des établissements de crédit qui accordent des prêts, à des taux plus élevés, sans déclaration à la Schufa ;

- en Italie , il existe à la fois un fichier négatif (recensant environ 700 000 « mauvais payeurs »), créé par association entre les établissements de crédit couvrant 90 % des crédits à la consommation, et un fichier positif, servant à l'évaluation du risque client, créé également par les établissements de crédit et recensant l'ensemble des crédits des particuliers, y compris les crédits immobiliers (21 millions de personnes fichées) ;

- la Belgiqu e est le seul pays d'Europe à avoir mis en place depuis 2003 un fichier positif public, recensant tous les crédits à la consommation et les crédits immobiliers des particuliers. Les incidents de paiement sont enregistrés durant dix ans. La consultation par le prêteur est obligatoire avant l'octroi de prêt ;

- dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis et Royaume-Uni) et nordiques , il existe de multiples fichiers positifs privés, créés par accords entre banques et établissements financiers. Ils servent souvent à la fois à des fins de suivi des clients, et de prospection et d'analyse de solvabilité des nouveaux clients.

* 147 Voir notamment l'étude du magazine 60 millions de consommateurs de mai 2008.

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