Rapport n° 482 (2008-2009) de M. Philippe RICHERT , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 23 juin 2009

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N° 482

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Nicolas ABOUT, Philippe RICHERT, Philippe ADNOT, Philippe ARNAUD, Denis BADRÉ, Pierre BERNARD-REYMOND, Laurent BÉTEILLE, Joël BOURDIN, Auguste CAZALET, Marcel DENEUX, Mme Béatrice DESCAMPS, M. Yves DÉTRAIGNE, Mme Muguette DINI, MM. Michel DOUBLET, Jean-Léonce DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Claude ETIENNE, Mme Françoise FÉRAT, M. René GARREC, Mmes Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Jacqueline GOURAULT, MM. Louis GRILLOT, Georges GRUILLOT , Mme Christiane KAMMERMANN, MM. Jean-Claude MERCERON, Philippe NOGRIX , Mmes Monique PAPON, Anne-Marie PAYET, MM. Louis PINTON, Paul RAOULT, Ivan RENAR, Charles REVET, Daniel SOULAGE, Mme Odette TERRADE, MM. André VALLET , Jean-Marie VANLERENBERGHE François ZOCCHETTO, Michel HOUEL, Jean-Paul AMOUDRY, Richard YUNG, Marcel-Pierre CLÉACH, Mme Colette MÉLOT, MM. Daniel DUBOIS, Pierre FAUCHON, François PILLET, Michel BÉCOT, Christian GAUDIN, Christian COINTAT, Alain HOUPERT, Hugues PORTELLI, Mme Françoise LABORDE, MM. Jean-Pierre CHAUVEAU, Roland du LUART, Dominique BRAYE, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE et M. Michel THIOLLIÈRE , visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories ,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Michel Mercier, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

215 ( 2007-2008), 483 (2008-2009)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 23 juin sous la présidence de M. Jacques Legendre, président, la commission des affaires culturelles a examiné, sur le rapport de M. Philippe Richert, la proposition de loi n° 215 (2007-2008) présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs sénateurs, visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories .

M. Philippe Richert, rapporteur , a estimé qu'aucun argument valable ne pouvait s'opposer à la sortie de ces têtes momifiées et tatouées des collections des musées de France et à leur restitution à la Nouvelle-Zélande, qui souhaite le retour de ces restes humains sur la terre de leurs ancêtres, pour qu'ils y reçoivent une sépulture conforme aux rites ancestraux. Il a indiqué que ce geste éthique répondait aux principes de dignité de l'homme et de respect des cultures et croyances d'un peuple vivant.

Néanmoins, il a estimé nécessaire de compléter la proposition de loi afin que s'engage une réflexion sur la procédure de déclassement des biens des collections publiques, prévue à son initiative dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France mais restée jusqu'à présent « virtuelle ».

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a adopté cinq amendements tendant notamment à :

- expliciter la finalité de la proposition de loi , en précisant que les têtes maories seront remises aux autorités néozélandaises ( article 1 er ) ;

- faire évoluer la commission scientifique compétente en matière de déclassement , déjà prévue par la loi sur les musées de France : renommée « commission scientifique nationale des collections » , sa composition est élargie, ses attributions sont étendues aux collections publiques, voire privées, au-delà des seules collections des musées de France et sa « feuille de route » est précisée ( articles 2 et 3 nouveaux ) ; cette commission devra notamment établir une forme de « doctrine » en matière de politique de déclassement ou de cession et rendre compte de ses orientations dans un rapport remis au Parlement dans un délai d'un an ( article 4 nouveau ) ;

- modifier, en conséquence, l'intitulé de la proposition de loi , qui est ainsi libellé : proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories et relative à la gestion des collections.

La commission a adopté le texte de la proposition de loi ainsi rédigée .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi qui a été renvoyée à votre commission résulte d'une initiative de notre collègue Catherine-Morin-Desailly, et vise à autoriser la restitution par la France des têtes maories conservées dans les collections de nos musées. Déposé en février 2008, ce texte a rassemblé autour de lui, à ce jour, cinquante-sept cosignataires - parmi lesquels votre rapporteur - issus de différents groupes politiques du Sénat.

Rappelons au préalable, comme le souligne l'exposé des motifs de la proposition de loi, que ces têtes humaines tatouées et momifiées sont une tradition du peuple maori, peuple autochtone de Nouvelle-Zélande, et revêtent, dans la culture maorie, un caractère sacré. Mais elles ont aussi « une histoire qui rappelle les pires heures du colonialisme » : en effet, avec l'arrivée des européens en Nouvelle-Zélande, elles sont considérées comme des « objets de collection » et font l'objet d'un trafic sordide jusqu'au milieu du 19 è siècle. C'est ainsi que certains de ces restes humains se sont retrouvés dispersés dans des musées d'Europe ou d'Amérique...

L'objet de cette proposition de loi est, certes, peu ordinaire. Il peut même apparaître surprenant que le Parlement soit appelé à légiférer dans un domaine comme celui-ci. Pour autant, ce n'est pas la première fois qu'un tel débat est initié par notre Haute Assemblée.

En 2002, votre commission s'était saisie d'une proposition de loi de notre collègue Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, visant à autoriser la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus Hottentote », à l'Afrique du Sud 1 ( * ) .

Au-delà de l'émotion suscitée par le triste sort de cette femme, votre rapporteur, d'abord réticent quant à l'opportunité de légiférer dans un tel domaine, s'était élevé contre les atermoiements administratifs qui faisaient alors obstacle aux demandes de retour du corps de cette femme sur sa terre d'origine, afin qu'elle y reçoive une sépulture décente.

Votre rapporteur avait jugé impérieux que les professionnels des musées se saisissent de cette question afin que l'histoire ne se répète pas. Or, sept ans plus tard, force est de constater que ces responsables ne se sont toujours pas engagés dans une réflexion approfondie, ignorant manifestement la volonté exprimée par le législateur : une nouvelle « affaire », dont chacun se serait bien passé, en est le révélateur et contraint le législateur à intervenir de nouveau.

A l'automne 2007, la ville de Rouen a décidé, dans une « démarche éthique » et un acte qualifié de « symbolique », de rendre aux autorités néo-zélandaises une tête maorie conservée dans les collections de son Muséum d'histoire naturelle. Toutefois, cette délibération, adoptée à l'unanimité par le conseil municipal, a été annulée par le juge administratif, au motif que la ville n'avait pas respecté la procédure de déclassement après avis conforme d'une commission scientifique, prévue à l'initiative de votre rapporteur par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Cette annulation a suscité une vive émotion, notamment celle de notre groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande, montrant l'importance de ces questions au regard des enjeux du dialogue interculturel. Elle a également relancé un débat sur le statut des restes humains conservés dans les musées, ainsi que sur les déclassements éventuels des biens appartenant aux collections publiques .

Votre rapporteur a pu mesurer, au cours de ses nombreuses auditions, que les demandes de retour des têtes maories sur la terre de leurs ancêtres , pour y recevoir une sépulture conforme aux rites et traditions de leurs communautés d'origine, étaient légitimes et que notre pays s'honorerait en y répondant favorablement. Ces demandes sont portées, dans une démarche exemplaire de respect et de délicatesse, par la Nouvelle-Zélande. Peu d'arguments valables peuvent s'opposer à cette restitution, que soutient d'ailleurs la communauté scientifique, dans sa grande majorité, ainsi que le cabinet de la ministre de la recherche l'a indiqué à votre rapporteur.

Toutefois, votre rapporteur n'a pas souhaité s'en tenir là .

En effet, au-delà de son objet ponctuel, la proposition de loi soulève des questions majeures pour notre politique des musées et notre politique culturelle et patrimoniale, qui renvoient également à des questions éthiques, morales, liées à la dignité de l'homme et au respect dû aux croyances et cultures des autres peuples . Ces enjeux interpellent les responsables politiques et ne sauraient relever des seuls professionnels des musées.

Par ailleurs, le Président de la République et le Premier ministre avaient demandé à la ministre de la culture, dans sa lettre de mission, d'engager le débat sur la valorisation de notre patrimoine et la question sensible de l'aliénation éventuelle des collections publiques. M. Jacques Rigaud a remis un excellent rapport sur le sujet en février 2008.

Dans le sillon de ces réflexions et de celles qui avaient déjà sous-tendu les débats autour de la loi de 2002 relative aux musées de France, votre rapporteur a souhaité que l'examen de cette proposition de loi soit une opportunité de faire avancer les choses . Il a pu constater, au cours de ses auditions, une certaine évolution des mentalités à l'égard de ces questions, à la fois au sein des conservateurs de musées et de la communauté scientifique.

C'est pourquoi votre commission a décidé de compléter le texte de la proposition de loi, en vue de « réactiver », tout en l'encadrant de fortes précautions, la procédure de déclassement de biens appartenant aux collections : ces propositions consistent notamment à « redimensionner » la commission scientifique nationale compétente en la matière, en élargissant sa composition et en lui fixant une « feuille de route » plus précise.

Votre rapporteur tient à préciser que cette réflexion n'a nullement pour finalité de mettre à mal l'intégrité de nos collections publiques et de « vider » nos musées de leurs formidables richesses accumulées au cours des siècles passés, qui constituent un élément majeur de notre patrimoine national. Il a entendu, en effet, les craintes de dérive sur une « pente glissante » que peut susciter la présente proposition de loi ; des voix similaires s'étaient déjà élevées en 2002 : or ces craintes n'ont pas été confirmées par les faits.

Votre rapporteur est convaincu que notre politique des musées aurait plus à perdre qu'à gagner à esquiver plus longtemps une réflexion qui apparaît aujourd'hui incontournable , et de nature à consolider, au final, la légitimité de nos collections et du principe d'inaliénabilité.

I. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI

Si la proposition de loi renvoie à des enjeux plus larges, comme votre rapporteur le développera dans la deuxième partie du présent rapport, elle est néanmoins ciblée dans son objectif et son champ d'application immédiats.

Il s'agit en effet de rendre possible, en droit, la restitution par la France des têtes maories conservées dans les collections des musées, à la suite de la démarche entreprise en ce sens par la ville de Rouen à l'automne 2007 avant d'être invalidée par le juge.

A. LE POINT DE DÉPART : TROUVER UNE ISSUE AU CONFLIT JURIDIQUE FAISANT OBSTACLE À LA VOLONTÉ DE LA VILLE DE ROUEN DE RENDRE UNE TÊTE MAORIE À LA NOUVELLE-ZÉLANDE

1. Une décision qui se heurte à des motifs de droit


Par une délibération en date du 19 octobre 2007 , le conseil municipal de la ville de Rouen a autorisé la restitution à la Nouvelle-Zélande de la tête maorie conservée par le muséum municipal d'histoire naturelle , d'ethnographie et de préhistoire.

Un accord formalisant les conditions de cette restitution a été signé avec le Musée Te Papa de Wellington, ce dernier étant chargé de l'identification de la tribu d'origine et, à défaut, de l'inhumation dans la zone sacrée spécialement aménagée à cet effet au sein de ce musée.

Cette tête naturalisée et tatouée avait été donnée à la ville de Rouen en 1875 par un particulier, un certain M. Drouet, et déposée au muséum. Ce dernier l'a retirée de l'exposition au public, pour respecter la demande des autorités néo-zélandaises, et la conservait depuis dans ses réserves.


• Fondée sur une démarche éthique
, la décision prise par la ville de Rouen - qui constitue une première en France - s'est heurtée, cependant, à des obstacles de nature juridique .

En effet, la ministre de la culture et de la communication a réagi sans tarder, relevant le caractère illégal des conditions dans lesquelles la restitution de la tête maorie avait été réalisée : dans un communiqué de presse du 22 octobre 2007, Mme Christine Albanel indiquait qu'elle avait demandé au préfet de Seine-Maritime de saisir le tribunal administratif de Rouen pour suspendre cette décision. Ainsi que cela a été confirmé à votre rapporteur par le cabinet de la ministre, c'est en se focalisant sur « une question de principe » qu'il a été décidé d'aller au bout de la logique contentieuse, et non pas en se fondant sur l'intérêt de la restitution en elle-même.


• Le tribunal administratif de Rouen, saisi en référé, a suspendu dans un premier temps, le 24 octobre 2007, la délibération du conseil municipal. Puis il l'a annulée, par ordonnance rendue le 27 décembre
. Ce jugement a été confirmé, en juillet 2008, par la Cour administrative d'appel de Douai .

Deux principaux arguments juridiques ont été avancés :

- d'une part, le non-respect de la procédure de déclassement préalable prévue par le code du patrimoine ;

- d'autre part, le caractère inopérant, en l'espèce, des dispositions du code civil relatives à la non patrimonialité du corps humain, sur lesquelles la ville de Rouen avait fondé sa décision.


Tout d'abord, le muséum d'histoire naturelle de Rouen ayant obtenu l'appellation de « Musée de France » par un arrêté du 17 septembre 2003, la ministre de la culture, comme le juge administratif, ont rappelé qu'il était soumis au contrôle scientifique et technique de l'Etat et régi par les dispositions issues de la loi du 4 janvier 2002 2 ( * ) .

Celles-ci prévoient, notamment, que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » et que « toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » 3 ( * ) .

Comme le soulignait Mme Christine Albanel dans le communiqué précité, le régime défini par la loi relative aux musées de France « ne fait pas obstacle à ce que certaines pièces sortent des collections publiques. Mais une telle décision suppose alors de recueillir l'avis d'une commission scientifique, dont le rôle est de vérifier qu'il n'est pas porté une atteinte injustifiée au patrimoine national. »

Or, l'avis de cette commission scientifique n'avait été ni obtenu ni même sollicité, entachant donc d'illégalité la démarche de restitution entreprise par la ville de Rouen ; selon le juge, les dispositions du code du patrimoine imposaient, en effet, que le « bien » en question fasse l'objet d'un déclassement préalablement à sa restitution.

Même si la tête maorie n'était pas inscrite à l'inventaire du muséum, le juge n'a pas repris l'argument de la ville de Rouen selon lequel elle pourrait, à ce titre, ne pas être considérée comme faisant partie de ses collections. En effet, ces dernières constituent « un tout », qu'il existe ou non un inventaire.


Par ailleurs, la ville de Rouen et le juge administratif ont eu des interprétations divergentes quant à l'application des dispositions du code civil issues de la loi « bioéthique » de 1994.

En effet, la Cour administrative d'appel a rejeté la validité de l'argument juridique avancé par la ville de Rouen en appui à sa décision de restitution : celle-ci s'était en effet explicitement fondée sur les dispositions de l'article 16-1 du code civil , issu de la loi « bioéthique » du 29 juillet 1994 4 ( * ) et aux termes duquel « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial » .

Or, le juge a considéré que cet article avait pour finalité d'éviter l'utilisation des restes humains à des fins mercantiles, alors que leur intégration dans une collection muséologique a une vocation scientifique et non pas mercantile. Dès lors, cette disposition n'a eu « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à un régime de domanialité publique sur un reste humain » en application des dispositions du code du patrimoine : celles-ci, « qui rendent inaliénables les biens d'une personne publique constituant une collection des musées de France, placent ces biens sous un régime de protection particulière distinct du droit patrimonial énoncé à l'article 16-1 du code civil ». Dès lors, la ville de Rouen n'était « pas fondée à soutenir qu'elle pouvait autoriser la restitution de ce bien sans respecter la procédure de déclassement prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine. » 5 ( * )

2. Un précédent : l'« affaire » de la Vénus Hottentote en 2002 et les atermoiements juridiques qui avaient conduit le Parlement à légiférer

L'objet de la présente proposition de loi présente certaines similitudes avec l'initiative qu'avait prise, il y a quelques années, M. Nicolas About , président de la commission des affaires sociales du Sénat, en déposant une proposition de loi 6 ( * ) visant à rendre possible la restitution à l'Afrique du Sud de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman , dite « Vénus hottentote » , conservée au Muséum national d'histoire naturelle de Paris.

Comme le soulignait alors notre collègue, cette femme était devenue, dans son pays, « le symbole de l'exploitation et de l'humiliation vécues par les ethnies sud-africaines, pendant la douloureuse période de la colonisation » ; les autorités sud-africaines réclamaient la restitution de sa dépouille, afin qu'elle puisse recevoir une sépulture décente.

D'abord interrogatif quant à la nécessité et à l'opportunité de légiférer dans un tel domaine, votre rapporteur s'était finalement rallié à cette initiative, face aux atermoiements et contradictions du gouvernement de l'époque et aux graves dysfonctionnements administratifs mis en évidence par cette triste affaire. Dans le rapport présenté au nom de votre commission des affaires culturelles, il aboutissait à la conclusion suivante : « l'accumulation de ce qu'il faut bien qualifier de bévues a appelé de la part de votre commission des observations sévères, qui l'ont conduit à apporter une réponse à une affaire que, jusqu'à présent, les autorités administratives n'ont pas voulu ou pas su traiter. » 7 ( * )


• Parmi ces dysfonctionnements, votre rapporteur avait notamment pointé du doigt la question de la gestion des réserves des musées : en effet, un agent du muséum avait soutenu à votre rapporteur que les « parties molles » de cette femme avaient « disparu » avec la chute d'une armoire ; ces propos ont ensuite été démentis en séance publique par le ministre...


• Par ailleurs, le gouvernement avait eu une position confuse quant au statut des restes humains présents dans les collections des musées .

En réponse à une question orale de M. Nicolas About, M. Michel Duffour, alors secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, avait indiqué, dans un premier temps, que les restes de Saartjie Baartman, faisant partie des collections nationales, étaient , selon la loi française, inaliénables, sauf possibilité de déclassement.

En revanche, en séance publique, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, alors ministre de la recherche, s'était appuyé sur les dispositions du code civil issues de la loi bioéthique de 1994 pour justifier que la proposition de loi n'était « pas nécessaire sur le plan juridique » : « des restes humains ne sont pas susceptibles d'appropriation et ne peuvent pas être une propriété de l'Etat, pas plus que d'une autre collectivité publique. Ils ne sauraient, par conséquent, être qualifiés d'éléments du « patrimoine national » (...) ; les règles de domanialité publique, dont celle de l'inaliénabilité du domaine public, ne s'appliquent pas aux éléments du corps humain. » Il ajoutait, néanmoins, que l'inclusion de ces restes humains dans des collections publiques « peut s'expliquer par la poursuite de fins scientifiques. En l'absence de dispositions législatives et réglementaires déterminant les conditions de cette situation, il appartient à l'autorité administrative qui en a la garde d'apprécier, au regard de l'ensemble des intérêts en cause, s'il y a lieu de séparer tel ou tel de ces restes humains de la collection. » 8 ( * )

Votre rapporteur s'était interrogé sur le bien fondé d'une telle hypothèse et les difficultés qu'elle pourrait soulever : « la loi « bioéthique » avait pour objet d'interdire qu'il soit porté atteinte à la dignité humaine, notamment en faisant commerce d'organes ou d'éléments du corps humain prélevés sur des êtres vivants ou sur des cadavres et non de définir le statut des restes humains conservés dans des collections scientifiques - de même que les textes réprimant les destructions de sépulture n'ont pas vocation à interdire la fouille archéologique d'un tombeau gallo-romain ou d'un site préhistorique. » 9 ( * )

La décision du juge administratif s'agissant de la tête maorie aura pour le moins permis de trancher, ne serait-ce que temporairement, la question d'interprétation juridique qui était alors soulevée, même si cette interprétation peut encore être sujette à caution en raison d'un certain « vide juridique ».

B. UNE PORTÉE PLUS LARGE : RÉPONDRE FAVORABLEMENT AUX DEMANDES LÉGITIMES DE RETOUR DES TÊTES MAORIES SUR LA TERRE DE LEURS ANCÊTRES

Au-delà du différend juridique concernant la ville de Rouen, la proposition de loi a une portée plus générale puisqu'elle vise à autoriser la restitution à la Nouvelle-Zélande de l'ensemble des têtes maories présentes dans les musées de France.

Comme tel était le cas s'agissant de la « Vénus Hottentote », ce choix apparaît légitime au regard de la demande de retour de ces restes humains formulée par les autorités néozélandaises d'une part, et du caractère éthique d'une démarche qui s'appuie sur le respect de la dignité de l'homme et le dialogue interculturel d'autre part.

Votre rapporteur rappelle que l'annulation de la délibération de la ville de Rouen avait suscité l'émotion du groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande du Sénat , présidé par notre collègue Marcel Deneux, qui indiquait, dans un communiqué de presse diffusé le 24 octobre 2007, souscrire pleinement à la démarche de Rouen, au nom des valeurs humanistes de la France et des liens de respect et d'amitié avec la Nouvelle-Zélande.

1. Une volonté constante des autorités néozélandaises : la mission de rapatriement confiée au Musée Te Papa

Votre rapporteur s'est vu confirmer, par Mme Sarah Dennis, Ambassadrice de Nouvelle-Zélande en France, lors d'un entretien, ainsi que par M. Christopher Finlayson, ministre des arts, de la culture et du patrimoine, dans un courrier qu'il lui a adressé en vue de la préparation de ce rapport, que le gouvernement néozélandais souhaite vivement le retour des restes humains des ancêtres du peuples maori , et en particulier des têtes tatouées (« Toi Moko ») encore dispersées dans les collections des musées européens ou américains. Il s'agit d'une position constante depuis plus de vingt ans .

Cette volonté s'exprime avec beaucoup de précautions : elle se veut d'abord incitative, et respectueuse des législations propres à chaque pays. Aussi, elle se traduit en priorité dans le dialogue entre institutions muséales , même si elle a également pu s'exprimer, de façon informelle, dans le cadre de rencontres diplomatiques bilatérales.


• Avec le soutien des tribus maories (« Iwi »), le gouvernement a donné mandat au Musée Te Papa Tongarewa de Wellington pour piloter le programme de rapatriement Karanga Aotearoa ») des dépouilles des ancêtres du peuple maori disséminées à travers le monde.

Ce programme, formalisé en mai 2003, a succédé au travail déjà mené, depuis le début des années 1980 par le Musée National de Nouvelle Zélande. Le Musée Te Papa a reçu, en 1999, l'entier soutien des représentants maoris et des autorités gouvernementales pour conduire cette mission.

Comme le souligne le ministre néo-zélandais de la culture dans le courrier adressé à votre rapporteur, le musée national Te Papa, en raison de l'expertise dont il bénéficie, agit au nom de l'Etat dans ce domaine : il est le « point de contact » du dialogue et de la négociation avec les institutions muséales à l'étranger . La « procédure » se déroule en quatre étapes :

- un travail d'identification et de recherche, pour localiser les institutions étrangères détenant des restes maoris et déterminer leur origine ;

- la phase de négociation individuelle avec les institutions étrangères pour obtenir un accord en vue de la restitution ;

- le rapatriement « physique » : le retour jusqu'en Nouvelle-Zélande est accompagné selon les traditions culturelles et rites appropriés ;

- « la dernière demeure » : les têtes qui ont pu être identifiées sont remises à leur tribu d'origine, pour être inhumées dans le respect des cérémonies rituelles ; les autres sont conservées dans un lieu sacré, spécialement dédié à cet effet au sein du musée Te Papa.

Dans un courrier adressé en août 2004 au directeur du Musée Te Papa, M. Seddon Bennington, le ministre de la culture néo-zélandais rappelait que le rapatriement doit être effectué dans des conditions garantissant le respect et la dignité dus aux défunts. Il est guidé par les principes suivants :

- le rôle du gouvernement consiste à faciliter cette procédure et non à « revendiquer » ces biens ;

- les restitutions doivent être conclues d'un commun accord avec les institutions situées à l'étranger ; elles ne sauraient donner lieu à un paiement ;

- les restes humains concernés doivent être identifiés comme étant originaires de Nouvelle-Zélande ;

- les Maoris devront être impliqués dans la procédure de rapatriement et détermineront, dans la mesure du possible, le lieu où reposera le défunt.


• D'après les informations transmises à votre rapporteur par les responsables du Musée Te Papa, ce programme a déjà permis le retour, depuis la première restitution effectuée en 1987 par le musée d'ethnologie de Stockholm en Suède, de 322 restes humains d'ancêtres maoris (sur un total estimé à environ 500), en provenance de 51 institutions dans 10 pays (Suède, Royaume-Uni, Australie, Suisse, Danemark, Argentine, États-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Canada) 10 ( * ) .

2. Permettre la restitution par la France des têtes maories : une démarche éthique, fondée sur le principe de dignité de l'homme et le respect des cultures et croyances d'un peuple vivant

En visant à autoriser la restitution par la France de l'ensemble des têtes maories conservées dans les collections des musées, la proposition de loi tend à permettre à notre pays de répondre favorablement, à son tour, à la demande de retour de ces restes humains formulée par les autorités néozélandaises, en levant les obstacles juridiques à cette restitution.

La plupart des personnalités entendues par votre rapporteur en vue de l'examen de ce texte lui ont confirmé le bien-fondé de cette démarche ou n'ont pas avancé, pour le moins, d'argument valable justifiant de s'y opposer. Cela traduit une certaine évolution des mentalités des conservateurs de musées et de la communauté scientifique à l'égard de ces problématiques depuis « l'affaire » de la Vénus Hottentote en 2002.


• La décision de restitution s'inscrit d'abord dans une démarche éthique . C'est d'ailleurs le sens que la ville de Rouen a donné à l'acte, qualifié de symbolique, de remise à la Nouvelle-Zélande de la tête tatouée conservée dans les réserves de son Muséum.

Cette démarche éthique est fondée, tout à la fois, sur le respect dû aux croyances d'un peuple à la culture et aux traditions encore bien vivantes , et sur un principe de dignité de l'homme , au regard de l'histoire sordide dont certaines de ces têtes tatouées sont le témoignage.

Pour les Maoris, l'ensemble des parties du corps présentent un caractère sacré car elles portent en elles « l'essence » de la personne. La tête est considérée comme la partie la plus sacrée du corps . Les Maoris d'élite avaient la tête totalement tatouée, en gage d'honneur ; à leur mort, leurs familles conservaient ces têtes desséchées en témoignage de respect.

Le programme néozélandais de rapatriement des dépouilles maories traduit, comme on l'a vu, l'importance que revêt, pour ce peuple, le retour de ses ancêtres sur leur terre d'origine, afin qu'ils puissent y recevoir une sépulture conforme aux rites ancestraux .

En outre, comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, ces têtes maories « ont une histoire qui rappelle les pires heures du colonialisme. En effet, lors de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les Européens se passionnent pour ces têtes humaines tatouées, tradition du peuple maori, qu'ils considèrent comme des objets de curiosité et de collection. Les collectionneurs privés se lancent dans de véritables « chasses aux têtes », à la recherche des plus beaux spécimens, qui font l'objet d'un commerce barbare. En vue de satisfaire la demande européenne, les tatouages de tête, initialement réservés aux chefs guerriers, concernent également les esclaves qui sont ensuite décapités pour faire l'objet d'échanges. »

Le commerce des têtes tatouées, dont les premières traces remontent au premier voyage en Nouvelle-Zélande du Capitaine Cook vers 1770, a été interdit en 1831 par un acte du Parlement britannique en Australie, qui était alors la plaque tournante de ce trafic.

Les Maoris


• Les Maoris sont un peuple autochtone de Nouvelle-Zélande, originaire de Polynésie. Ils s'y seraient installés par vagues successives à partir du 8 e siècle de notre ère.


• L'arrivée d'Abel Tasman en 1642, premier contact des Maoris avec des Européens, donna lieu à des affrontements sanglants. Des relations plus pacifiques ont pu être établies dès 1769 avec l'arrivée de James Cook. Les années qui suivirent ont été marquées, néanmoins, par une période de guerres intertribales connues sous le nom de « guerre des mousquets ».


• En 1840 , la Nouvelle-Zélande devient une colonie britannique . Par le traité de Waitangi , signé entre la couronne britannique et les chefs de tribus maories, les colons s'engagèrent à protéger le mode de vie des Maoris et à respecter l'intégrité de leur droit de propriété sur leurs terres. Toutefois, ce traité fut déclaré nul quelques années plus tard et pratiquement oublié, mais ses garanties ont continué à servir de point de ralliement puissant pour les Maoris.


• Pendant les années qui suivirent, des conflits sporadiques éclatèrent entre colons et maoris . La résistance maorie fut écrasée en 1872. A la suite de ces affrontements, les colons prirent des mesures de confiscation des terres -qui donnent encore lieu à contestation aujourd'hui. Dans cette période de répression, la population maorie a connu un déclin rapide , dû aux guerres, à la misère et aux épidémies : e ntre 1840 et 1896, la population Maorie aurait chuté de plus de moitié pour s'établir à 42 000 . Les Européens parlent alors d'une « race mourante ».


• Or, cette période de déclin et de lutte pour la survie a été suivie d'une période de croissance démographique et de renouveau culturel et politique . 17 000 Maoris se sont engagés pour prendre part à la 2 ème guerre mondiale. Ils ont résisté face aux menaces pesant sur leur survie culturelle et identitaire, dans un contexte d'exode rural et de forte urbanisation.


• Depuis 1980, le gouvernement néozélandais a réagi en créant le tribunal de Waitangi, chargé d'examiner les revendications des maoris sur les terres qui leur ont été confisquées.


• Aujourd'hui, la population maorie est d'environ 600 000 personnes ; une diaspora de 73 000 personnes environ vit principalement en Australie.


• En outre, comme tel était déjà le cas s'agissant de la « Vénus Hottentote », un grand nombre des personnalités entendues par votre rapporteur ont soutenu que ces têtes momifiées et tatouées ne présentent aucun intérêt scientifique avéré .

Elles ont été conservées par les Occidentaux, à l'origine, non pas dans une finalité scientifique, mais comme des objets exotiques de curiosité , ou dans une démarche d'anthropologie alors fondée sur des concepts raciaux.

D'après les informations transmises à votre rapporteur par M. Michel Van Praët, conservateur général du patrimoine, elles n'ont jamais fait l'objet en France, jusqu'à présent, d'analyses scientifiques . En outre, tout laisse à penser qu'elles n'ont pas vocation à devenir indispensables à la recherche dans les années à venir. Ainsi, pour M. Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France, rien ne justifie la conservation de ces têtes au regard des méthodes d'anthropologie actuelles.

Néanmoins, et comme l'a souligné M. Maurice Godelier, ethno-anthropologue spécialiste de l'Océanie, la restitution ne doit pas aboutir à des « trous » dans la connaissance scientifique de l'Humanité dont les musées sont aussi les garants. Pour M. Stéphane Martin, président de l'établissement public du Musée du Quai Branly, il ne faudrait pas, en outre, que leur restitution conduise à faire disparaître et à effacer de nos mémoires un pan de l'Histoire dont elles sont un témoignage. Désormais, des techniques comme la numérisation permettent de répondre à ces exigences, en reconstituant notamment l'image virtuelle de ces têtes.

* *

*

Compte tenu des observations formulées plus haut, votre commission a partagé la finalité de la proposition de loi , et approuvé la décision de sortir les têtes maories des collections des musées de France pour les rendre à la Nouvelle-Zélande , selon des modalités qui seront déterminées dans le cadre d'une coopération et d'un dialogue entre les institutions concernées.

Cependant, au-delà de cet aspect ponctuel, ce texte soulève des questions importantes par leur portée culturelle, éthique et morale.

C'est pourquoi votre commission a jugé utile de le compléter par des dispositions de nature à éviter d'avoir de nouveau recours à la loi pour régler un problème de ce type.

II. UN DÉBAT QUI RENVOIE À DES ENJEUX IMPORTANTS POUR LA POLITIQUE DES MUSÉES : LES OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Au-delà de son objectif ponctuel et ciblé, la présente proposition de loi a le mérite de relancer le débat sur des sujets sensibles et complexes , trop longtemps esquivés par les responsables des musées . Or, il est essentiel de se saisir de ces enjeux, afin que le Parlement ne soit pas contraint, une nouvelle fois, à légiférer pour pallier l'inertie de l'institution muséale.

A. UNE PROCÉDURE DE DÉCLASSEMENT EN MATIÈRE DE COLLECTIONS PUBLIQUES RESTÉE « VIRTUELLE » : TIRER PARTI DES POSSIBILITÉS OUVERTES PAR LA LOI

Le recours juridique contre la délibération de la ville de Rouen a permis de rappeler l'existence de la procédure de déclassement en matière de collections publiques, introduite à l'initiative de votre rapporteur dans la loi de 2002 relative aux musées de France 11 ( * ) . Force est de constater, néanmoins, que le champ de réflexion alors ouvert par le législateur n'a été relayé, depuis, par aucune initiative de la part des responsables des musées.

L'examen de la présente proposition de loi est une occasion de pointer du doigt la capacité d'esquive dont a fait preuve l'administration face à cette question. Il offre aussi une opportunité de « réactiver » cette procédure, tout en l'encadrant des précautions nécessaires pour préserver l'intégrité de notre patrimoine national .

1. L'inaliénabilité des collections : un principe consubstantiel à la mission de service public des musées

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a donné un fondement légal explicite au principe d'inaliénabilité des collections, en précisant que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » . Les principes d'imprescriptibilité et d'inaliénabilité se déduisaient déjà des règles relatives à la domanialité publique , issues de l'Édit de Moulins de 1566.

Chargé par la ministre de la culture et de la communication, le 16 octobre 2007, d'une mission de réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections , M. Jacques Rigaud a réaffirmé, dans son rapport 12 ( * ) , la portée du principe d'inaliénabilité, qui est au coeur de l'effort collectif ayant contribué à conserver et enrichir depuis des siècles notre patrimoine artistique et scientifique.

Aussi a-t-il clairement souligné la nécessité de le préserver : « l'inaliénabilité n'est pas une contrainte arbitrairement imposée pour des raisons de principe, mais un devoir qui procède de la mission de service public assignée aux musées depuis la Révolution » , puisqu'il s'agissait alors d'assurer la sauvegarde et la permanence des oeuvres devenues propriété de la Nation, au service de l'intérêt public de la connaissance et de la transmission aux générations futures , par-delà les variations des goûts.

2. Une possibilité très encadrée de déclassement prévue par la loi relative aux musées de France : une disposition restée jusqu'à ce jour « lettre morte »

Lors de l'examen du projet de loi relatif aux musées de France, le Parlement a ouvert un débat que les responsables de la politique des musées avaient jusqu'alors toujours esquivé.

Sans remettre en cause le principe fondamental d'inaliénabilité des collections publiques, réaffirmé par ce texte, votre rapporteur avait alors proposé, au nom de la commission des affaires culturelles, de « conserver une certaine souplesse dans sa mise en oeuvre afin de ménager, en application des règles de droit commun de la domanialité publique, une possibilité de déclassement » spécifique, strictement encadrée par le recours à l'avis conforme d'une commission scientifique .

Or, cette possibilité , ouverte par le législateur, d'extraire un bien du domaine public pour envisager notamment une cession, est restée virtuelle .

Certes, une « commission scientifique nationale des collections des musées de France » a été instituée par le décret du 25 avril 2002 13 ( * ) et effectivement mise en place en 2003. Cette commission a une triple vocation puisqu'elle est chargée d'émettre un avis :

- sur des projets d'acquisition et de restauration ;

- sur les collections présentées par les personnes morales sollicitant l'appellation « musée de France » ;

- et enfin sur les demandes de déclassement.

Composée de 35 membres , essentiellement des professionnels des musées et représentants de l'administration puisqu'elle réunit notamment 24 membres de droit, elle est présidée par le directeur des musées de France.

Or, comme cela a été confirmé à votre rapporteur par la directrice des musées de France, cette commission a tenu chaque année plusieurs réunions, toutes consacrées à des questions de restauration et d'acquisition, mais elle n'a jamais eu à statuer sur un problème de déclassement . Elle n'a pas davantage engagé de réflexion en vue de définir des critères pour d'éventuels déclassements, comme votre rapporteur l'avait pourtant invitée à le faire au moment des débats en séance publique.

3. Une procédure à « réactiver » tout en l'encadrant de précautions

a) Un débat utile et légitime


• Dans la lettre de mission adressée à M. Jacques Rigaud, Mme Christine Albanel lui demandait notamment de définir « une doctrine d'emploi » des dispositions prévues par la loi de 2002 relative aux musées de France en matière de déclassement. Comme elle le soulignait alors, l'objectif est de mettre en valeur les collections nationales, tout « en évitant deux écueils » : « la circulation totale des oeuvres » d'une part, et « leur stockage définitif aboutissant à un accroissement mécanique de leur nombre, indépendamment de toute évaluation d'ensemble » d'autre part.

De toute évidence, cette question doit être abordée avec vigilance et avec la plus grande prudence , compte tenu de la mission spécifique des musées, de leur prestige et de leur rôle de « gardiens » du formidable patrimoine culturel de notre pays, mais sans dogmatisme ni tabou .

Comme le relève M. Rigaud, le concept de « déclassement » ou « désaffectation », couramment mis en oeuvre en matière de gestion domaniale, n'est pas évident à transposer dans le domaine des musées. Il suscite également de fortes réserves du corps des conservateurs, qui craignent notamment que sa mise en oeuvre, même très encadrée, n'amorce un processus de désengagement financier de l'Etat qui pourrait remettre en cause, à terme, la nature même de service public des musées. Néanmoins, il est permis de regretter que l' « inertie manifeste de l'institution muséale » - pointée du doigt par M. Rigaud lui-même - ait conduit à ne tenir aucunement compte de la volonté du législateur et n'ait pas permis de faire avancer le débat sur un sujet important, en tirant parti de sept ans de réflexion ...


Même si, dans l'esprit du législateur, cette procédure a toujours eu vocation à ne rester qu'exceptionnelle, elle mérite au moins d'être mise en oeuvre de façon sincère .

Votre rapporteur relevait déjà, au moment des débats en séance publique, un certain paradoxe dans le fait que cette procédure, inspirée par une prudence extrême, suscite autant de réactions, alors même que l'on constate un certain laxisme en matière de gestion des collections, comme le confirment d'ailleurs les travaux conduits par la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art, présidée par M. Jean-Pierre Bady.

De surcroît, selon M. Rigaud, « une expérience loyale concernant des déclassements mûrement étudiés, loin de nuire à la cause des musées de France, lui donnerait un surcroît de crédibilité » : « quand on pousse les responsables de musées dans leur retranchement, rares sont ceux qui ne consentent pas à reconnaître qu'il existe, dans la masse des oeuvres qui leur sont confiées, certaines pièces dont on pourrait se séparer sans aucun dommage », soit qu'elles soient à l'évidence dépourvues de tout intérêt actuel ou futur, soit en raison de leur irrémédiable dégradation, soit que leur présence n'ait aucun sens dans la collection en question. Il suggérait notamment d'assouplir la composition et les modalités de fonctionnement de la commission nationale scientifique compétente en matière de déclassement.

Il envisageait, en outre, une piste qui pourrait consister à réserver un « sort spécial » aux matériels ou collections d'étude , c'est à dire les séries d'objets, de machines ou de spécimens botaniques ou zoologiques entrés dans les musées - notamment ceux à vocation scientifique ou technique -, dont l'étude ou la manipulation peuvent être riches d'enseignements mais dont la conservation indéfinie ne s'impose sans doute pas.

Une approche comparée au niveau international (voir l'encadré suivant) permet de constater que ce débat se pose dans de nombreux pays, même si aucune approche ne peut être transposée d'un pays à l'autre.

L'aliénation des collections publiques : une approche comparée


• Une récente étude 14 ( * ) de législation comparée réalisée par les services du Sénat a examiné la situation dans sept pays :

- En Allemagne , le principe d'inaliénabilité n'est pas juridiquement reconnu, mais la plupart des musées souscrivent à une « position commune » selon laquelle l'aliénation n'est envisagée que dans des situations exceptionnelles (par exemple pour un objet interchangeable) et dans le cadre d'une procédure très encadrée : la décision est prise par une commission ; les produits financiers de la cession doivent exclusivement servir à l'acquisition de nouvelles oeuvres.

- Au Danemark , la loi sur les musées nationaux prévoit que ces derniers peuvent aliéner certaines de leurs oeuvres, avec l'accord du ministre compétent. Les directives de l'Agence du patrimoine interdisent aux musées de vendre leurs oeuvres.

- En Espagne , la loi nationale de 1985 sur le patrimoine historique et les diverses lois des communautés autonomes posent le principe de l'inaliénabilité des collections publiques.

- En Italie , les collections appartenant à l'Etat et aux collectivités locales sont inaliénables compte tenu de leur appartenance au domaine public, mais un transfert entre Etat et collectivités est possible. Mais d'autres oeuvres culturelles ou celles détenues par d'autres personnes publiques peuvent être cédées, avec l'autorisation du ministère et à condition de ne pas présenter un intérêt particulier pour les collections publiques.

- Aux Pays-Bas , les collections publiques ne sont pas explicitement inaliénables, mais les procédures administratives empêchent leur aliénation inconsidérée. Un « code de bonne conduite » pour la cession des oeuvres des musées, destiné aux propriétaires et gestionnaires de collections, a été établi en 2000 à la demande du ministère de la culture et révisé en 2006.

- Au Royaume-Uni , les lois spécifiques qui régissent les musées nationaux ne posent pas le principe de l'inaliénabilité des collections (à l'exception de la National Gallery) mais restreignent les possibilités de cession, à titre gratuit ou onéreux, à trois cas : lorsque les oeuvres constituent des doublons ou sont très endommagées et quand leur maintien dans la collection est jugé inapproprié ; le produit des cessions ne doit être utilisé que pour enrichir les collections. Les autres musées publics respectent les directives de l'Association des musées et le « guide des cessions », publié en février 2008, qui répond à l'objectif d'une gestion plus active des collections (à la suite notamment du rapport Too Much stuff -trop de trucs- publié en 2003).

- Aux Etats-Unis , les collections fédérales ne sont pas soumises à des dispositions uniformes : les prêts et échanges, voire des dons, et, en général, des ventes, sont possibles. La plupart des grands musées américains, privés, ont adopté leurs propres directives et suivent les recommandations des associations professionnelles : l'aliénation est considérée comme un outil légitime et responsable de gestion des collections à condition d'être strictement encadrée et de respecter des procédures rigoureuses (par exemple pour des biens détériorés, détenus en double, sans rapport avec la mission du musée... ; l'objectif ne doit pas être financier).


• Au niveau international, le code de déontologie de l'ICOM , qui n'a pas de valeur juridique contraignante, encadre la cession des oeuvres, dès lors qu'elle est légalement possible, de conditions très strictes (articles 2.12 à 2.17) :

- le retrait d'un objet ou d'un spécimen de la collection d'un musée ne doit se faire qu'en toute connaissance de son importance, de sa nature (renouvelable ou non), de son statut juridique ; aucun préjudice à la mission d'intérêt public ne saurait résulter de cette cession ;

- chaque musée doit se doter d'une politique définissant les méthodes autorisées pour retirer définitivement un objet des collections (que ce soit par donation transfert, échange, vente, rapatriement ou destruction) ; l'usage doit être que lors de toute cession, celle-ci se fasse, en priorité, au bénéfice d'un autre musée ;

- les collections des musées sont constituées pour la collectivité et ne doivent en aucun cas être considérées comme un actif financier ; les avantages obtenus par la cession doivent être employés au bénéfice de la collection et, normalement, pour de nouvelles acquisitions.

b) Les propositions de votre commission : préciser la composition et la « feuille de route » de la commission compétente en matière de déclassement

Votre rapporteur a souhaité compléter la proposition de loi afin de remédier aux dysfonctionnements dont cette initiative est l'un des révélateurs.

Force est de constater, en effet, que les recommandations formulées en 2002 lors des débats sur la loi relative aux musées de France et sur celle relative à la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman n'ont pas été prises en compte et suivies d'effets concrets.


• C'est pourquoi votre rapporteur a jugé utile de préciser et de clarifier la « feuille de route » adressée à la commission nationale scientifique compétente en matière de déclassement .

Dans le même temps, votre rapporteur propose d' étendre le champ de compétence de cette commission, renommée « commission nationale scientifique des collections » ( articles 2 et 3 nouveaux ), au moins à titre consultatif, à l'ensemble des collections publiques (à l'exception, néanmoins, de celles, comme les archives, qui sont déjà régies par des règles adaptées), voire privées, au-delà des seules collections des musées de France.

Au-delà de la mission que lui a confiée la loi de 2002 (à savoir se prononcer par un avis conforme sur les déclassements de biens des collections des musées de France), elle aurait notamment pour vocation de définir une « doctrine » générale en matière de déclassement et de cession, permettant d'éclairer les propriétaires et gestionnaires de collections dans leurs décisions.

Elle devra rendre compte de ses réflexions sur ce sujet devant le Parlement, en lui remettant un rapport dans un délai d'un an à compter de la publication de la loi ( article 4 nouveau ).


• Par ailleurs, la composition de cette commission est élargie pour tenir compte de l'importance des enjeux que recouvrent les questions sensibles sur lesquelles elle aura à se pencher.

Dans le cas des restes humains par exemple, les problèmes éthiques qui se posent nécessitent que le débat ne soit pas réservé aux seuls professionnels de la conservation , mais s'ouvre également aux représentants politiques, aux représentants de l'Etat et des collectivités territoriales (en tant que propriétaires de collections publiques), à des personnalités qualifiées représentant notamment diverses disciplines scientifiques.

B. UNE RÉFLEXION À CONDUIRE SUR LA GESTION ÉTHIQUE DES COLLECTIONS DES MUSÉES

La gestion, la conservation et, par prolongement, la question du statut des restes humains conservés dans les collections publiques des musées et de leur éventuelle restitution, ont fait l'objet de débats, à la fois au niveau international et au niveau national. Une évolution des pratiques est sensible ces 25 dernières années, comme cela est ressorti d'un colloque organisé au Musée du Quai Branly en février 2008 15 ( * ) , qui a permis de confronter les expériences et les points de vue des responsables de musée de différents pays et des scientifiques de diverses disciplines.

Or, pour un grand nombre des personnes entendues par votre rapporteur, la France accuse un net retard sur ces questions .

Après l'émotion suscitée, en 2002, par les aléas ayant précédé la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud, l'« affaire » de la tête maorie de Rouen a relancé le débat sur des questions parfois sujettes à controverses : quel est le statut des restes humains présents dans les collections des musées ? quelles réponses apporter aux demandes de restitution de biens culturels, et en particulier d'éléments du corps humain, auxquelles sont confrontés nos musées, sans aboutir à mettre en péril l'intégrité de nos collections nationales ?

Une réflexion s'impose, de façon plus spécifique, sur ces sujets sensibles et complexes, notamment au sein de la commission prévue plus haut.

1. Un contexte international en évolution


• Dans un contexte de reconnaissance juridique et politique des droits des populations autochtones , les institutions muséales ont été confrontées, depuis près de vingt ans, à des demandes de restitution de biens considérés, par ces peuples, comme des éléments essentiels de leur patrimoine culturel et identitaire. Les restes humains sont notamment concernés, mais il peut également s'agir d'objets à caractère sacré ou d'autres biens culturels.

Ce mouvement s'est reflété dans les Déclarations des Nations Unies sur les droits des populations autochtones de 1994 et 2007 16 ( * ) . Cette dernière souligne notamment, dans ses articles 11 et 12, la nécessité d'accorder « réparation » aux atteintes portées à leur patrimoine culturel et religieux, et reconnaît un « droit au rapatriement de leurs restes humains » ; elle prévoit, en outre, que les Etats « veillent à permettre l'accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés. »

Au niveau culturel, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles , adoptée en 2005 par l'UNESCO répond à l'objectif de renforcer le dialogue entre les cultures. Celle-ci affirme le principe selon lequel « la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles impliquent la reconnaissance de l'égale dignité et du respect de toutes les cultures , y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones » .


Un certain nombre de pays ont pris conscience du défi ainsi posé aux musées et de leur rôle dans ce processus. Dans la dynamique née en Australie dans les années 1970, quelques pays, en particulier des pays anglo-saxons, ont adapté leur législation ou défini des principes directeurs pour répondre aux demandes de restitution émanant des populations autochtones ou délimiter des pratiques responsables vis-à-vis de la gestion des restes humains.

- Ainsi, les Etats-Unis ont adopté en 1990, à la suite notamment des accords de Vermillion de 1989 sur l'éthique archéologique et le traitement des morts, une loi fédérale - Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) - qui donne le droit aux tribus autochtones reconnues de réclamer le retour des restes humains et de certaines catégories d'objets pour lesquels ces individus ou groupes peuvent établir la propriété ancienne ou l'ascendance linéaire. Malgré les critiques qu'elle peut encore susciter, cette loi a permis d'ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire des relations avec les peuples autochtones basé sur la recherche de la compréhension interculturelle.

- Au Royaume-Uni , l'organe consultatif national responsable des politiques muséales ( Museums and Galleries Commission ), a entrepris un travail de réflexion sur la question à la fin des années 1990, qui a abouti, dans un premier temps, à la définition d'une série de principes directeurs destinés à aider la gestion des demandes de retour et de restitution, publiés en 2000 17 ( * ) .

En outre, une loi spécifique sur la question des restes humains - le Human Tissue Act - a été votée en 2004 ; elle permet notamment aux musées de considérer favorablement les demandes de retour de restes humains datant de moins de 1 000 ans qui leur sont adressées. Par ailleurs, un guide sur le traitement des restes humains dans les collections des musées a été publié en 2005 ; outre les questions de conservation, de restauration et d'exposition, ce guide énonce douze critères à prendre en compte dans l'examen des demandes de restitution, dont notamment : la position de ceux qui sont à l'origine de la demande ; le sens culturel, religieux et spirituel des restes humains concernés ; leur âge ; la façon dont ils sont entrés dans les collections ; leur statut dans l'institution muséale ; leur valeur scientifique, historique ou éducative ; l'usage qu'ils ont pu avoir dans le passé, notamment au regard de la recherche scientifique ; leur devenir en cas de restitution ; les éventuelles alternatives à la restitution, etc.


• Enfin, le code de déontologie de l'ICOM 18 ( * ) pour les musées, révisé en octobre 2004, fixe des principes généraux (voir l'encadré suivant), sur lesquels la communauté muséale internationale s'est mise d'accord.

Le code de déontologie de l'ICOM : huit principes généraux pour des musées responsables

1. Les musées assurent la protection, la documentation et la promotion du patrimoine naturel et culturel de l'humanité.

2. Les musées qui détiennent les collections les conservent dans l'intérêt de la société et de son développement. La mission d'un musée est d'acquérir, de préserver et de valoriser ses collections afin de contribuer à la sauvegarde du patrimoine naturel, culturel et scientifique. Ses collections constituent un important patrimoine public (...). A cette notion d'intérêt public est inhérente la notion de gestion raisonnée, qui recouvre les idées de propriété légitime, de permanence, de documentation, d'accessibilité et de cession responsable .

3. Les musées détiennent des témoignages de premier ordre pour constituer et approfondir les connaissances. Ils ont des obligations particulières vis-à-vis de la société quant à la protection et aux possibilités d'accès et d'interprétation des témoignages qu'ils détiennent dans leurs collections.

4. Les musées contribuent à la connaissance, à la compréhension et à la gestion du patrimoine naturel et culturel.

5. Les ressources des musées offrent des possibilités d'autres services et avantages publics.

6. Les musées travaillent en étroite coopération avec les communautés d'où proviennent les collections, ainsi qu'avec les communautés qui les servent.

7. Les musées opèrent dans la légalité.

8. Les musées opèrent de manière professionnelle.

Ce code pose, en matière de traitement et d'exposition d'objets « sensibles » (restes humains et objets sacrés), le principe du respect des voeux des communautés d'origine : les musées doivent s'employer à « répondre avec diligence, respect et sensibilité aux demandes de retrait, par la communauté d'origine, de restes humains ou d'objets à portée rituelle exposés au public » . La restitution des biens culturels est envisagée dans les termes suivants : « les musées doivent être disposés à engager le dialogue en vue du retour de biens culturels vers un pays ou un peuple d'origine » ; « si une nation ou une communauté d'origine demande la restitution d'un objet ou spécimen qui s'avère avoir été exporté ou transféré en violation des principes des conventions internationales et nationales, et qu'il s'avère faire partie du patrimoine culturel ou naturel de ce pays ou de cette communauté, le musée concerné doit, s'il en a la possibilité légale, prendre rapidement les mesures nécessaires pour favoriser son retour » (article 6.3).

2. Une « grille de références » à clarifier

a) La place des restes humains dans les collections des musées

Les problèmes éthiques et juridiques posés par l'exhibition de corps humains dans le domaine de la muséographie s'est posée récemment, comme rappelé dans l'encadré suivant, avec la décision de la justice d'interdire l'exposition « Our Body, à corps ouvert » organisée à Paris.

L'interdiction de l'exposition « Our Body » à Paris

Cette exposition, présentant de vrais corps humains, poursuivait, selon ses organisateurs, un but scientifique et pédagogique, en invitant le public à une découverte de l'anatomie de nature à améliorer la connaissance des fonctions du corps.

Saisi par plusieurs associations, le Tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé 19 ( * ) , a interdit, en avril 2009, à la société organisatrice de poursuivre l'exposition de cadavres et de pièces anatomiques d'origine chinoise, en s'appuyant notamment sur les motifs suivants :

- la détention privée de cadavres est illicite, ceux-ci ayant « d'abord vocation à être inhumés ou incinérés ou placés dans des collections scientifiques de personnes morales de droit public » ;

- la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire a étendu au cadavre le respect dû au corps de la personne vivante par le code civil ;

- l'article 16-2 du code de procédure civile autorise le juge à prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain, y compris après la mort ;

- la finalité scientifique de l'exposition est contestable ;

- « la commercialisation des corps par leur exposition porte une atteinte manifeste au respect qui leur est dû » .

Cette annulation a été confirmée, le 30 avril, par la Cour d'appel de Paris, qui s'est appuyée à titre principal sur le doute entourant à la fois l'origine des corps et l'existence de consentement préalable à leur exposition.


• Au-delà, votre rapporteur a pris la mesure, au cours de ses auditions, du besoin d'accompagner les professionnels des musées - conservateurs, restaurateurs, etc. - confrontés à des questions éthiques relatives au traitement, à la manipulation et à la gestion des restes humains.

Rappelons que la loi du 19 décembre 2008 20 ( * ) a précisé que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et que « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence » 21 ( * ) .

Par ailleurs, si les restes humains occupent une place particulière dans les collections, ils restent encore une « zone d'ombre » des musées, comme votre rapporteur avait déjà pu le constater au moment de l'examen de la loi sur la Vénus Hottentote. A cet égard, votre rapporteur salue la volonté du ministère de la culture de parvenir à une meilleure connaissance de ces collections sensibles : en effet, la directrice des musées de France a annoncé, lors de son audition, qu' un inventaire prioritaire des restes humains devra être réalisé par les musées , dans le cadre du récolement décennal obligatoire dont l'achèvement est programmé pour 2014.

Cela permettra notamment de prendre la mesure des réalités extrêmement diverses qu'ils recouvrent et des problèmes éthiques plus ou moins importants qu'ils peuvent ou non poser : les enjeux ne sont pas les mêmes, en effet, s'agissant d'ossements préhistoriques, de momies datant de plusieurs millénaires, d'éléments du corps humains plus récents, dont l'identité et l'origine sont parfois connues, ou encore de collections médicales ; on distingue également, comme l'a rappelé M. Stéphane Martin, des objets constitués en tout ou partie de fragments de restes humains ou des restes humains transformés en objets pouvant avoir un intérêt esthétique.

b) Le cas des demandes de restitution

Les demandes de restitution de biens culturels, et notamment d'objets constitués en tout ou partie de restes humains, soulèvent des questions sensibles et complexes, qui touchent à l'éthique et à la dignité de l'homme, mais aussi au dialogue entre les cultures et au respect que l'on doit aux croyances des autres peuples.

S'il faut bien entendu éviter toute position dogmatique ou simpliste, il apparaît néanmoins urgent d'aborder ce débat et de poser aussi clairement que possible des principes servant à guider les démarches des professionnels de nos musées face à de telles demandes , qui font peser sur eux une responsabilité lourde. En effet, une position attentiste sur ces sujets ne résisterait sans doute pas à l'Histoire.


• Comme le soulignait Mme Christine Albanel, ministre de la culture, en introduisant le symposium international organisé en février 2008 au Musée du Quai Branly, les demandes de rapatriement, qui reflètent les progrès accomplis dans la reconnaissance des droits des minorités culturelles, « paraissent d'autant plus légitimes aux yeux de l'opinion publique qu'elles émanent de communautés souvent victimes de l'expansion coloniale européenne et aujourd'hui encore parfois marginalisées dans leur pays. »

Cependant, elles doivent être abordées avec autant d'attention que de vigilance . Comme s'interrogeait alors la ministre : « peut-on concilier (...) cette démarche de restitution avec les principes constitutifs de nos musées ? La fonction d'un musée ne se limite pas à la présentation de ses collections publiques, il a aussi pour mission d'étudier, de conserver pour les générations futures des objets qui témoignent de la diversité des manières de vivre et de penser le monde. Les collections publiques expriment notre histoire et les relations que nous avons entretenues depuis des siècles avec d'autres peuples. (...) La force actuelle des mouvements de patrimonialisation identitaire ne saurait, pour compréhensible et légitime qu'elle soit, mettre en péril la vocation universaliste de nos musées. »

C'est en effet, d'une certaine façon, la logique de « musée prédateur » - pour citer l'expression employée par MM. Jean-Yves Marin et Stéphane Martin lors de leur audition - qui a pu présider à la constitution d'une partie des collections de nos musées, qui est aujourd'hui interrogée.


• Comme votre rapporteur l'a souligné plus haut, s'agissant des têtes maories, plusieurs critères ou principes peuvent éclairer la réflexion, qui devra se poursuivre au sein de la commission que votre rapporteur propose de faire évoluer dans sa composition et ses missions :

- le fait qu'il existe une demande émanant d'un peuple contemporain, à la culture et aux traditions bien vivantes ;

- la proximité temporelle des restes humains concernés, au regard des notions de dignité humaine et de respect dû aux morts ; en outre, pour MM. Stéphane Martin et Bertrand-Pierre Galey, la possibilité d'identifier et de nommer la personne est également un critère objectif ;

- l'intérêt scientifique, historique et culturel des biens concernés ; l'étude des restes humains peuvent en effet présenter un intérêt, pour permettre la reconstitution des modes de vie ou de l'histoire des peuplements...

Cependant, votre rapporteur insiste également sur la prudence extrême avec laquelle ces demandes doivent être examinées, de l'avis de l'ensemble des personnes entendues. Il s'agit de prévenir toute dérive et d'éviter, comme l'ont souligné M. Michel Van Praët et Mme Hélène Guichard, le risque de déboucher sur une forme de « communautarisme des musées » , contraire à leur vocation. Or, certaines demandes de restitution peuvent être la traduction de revendications identitaires voire nationalistes aux finalités douteuses au regard des principes de notre droit international.

Par ailleurs, les musées sont responsables d'une connaissance scientifique de l'humanité , humanité dont les restes humains sont aussi des archives. Il leur revient également, comme l'a souligné M. Stéphane Martin, au regard de leur dimension « fétichiste », de conserver des « échantillons » du monde, de son histoire et des différentes cultures qui le composent. Celui-ci a également souligné que cette dimension prévalait sans doute sur l'intérêt scientifique, rarissime en matière de restes humains.

Ces constats soulignent l'importance du dialogue et la nécessité d'un examen au cas par cas de chaque demande.

Restituer pour restituer n'est pas une solution. Cela présenterait même le risque de se heurter à des incompréhensions : ainsi que l'ont relevé notamment MM. Pascal Picq et Maurice Godelier, certains peuples sont encore mal à l'aise à l'égard de leur passé et de leur histoire. Par ailleurs, d'autres formules que la restitution et le rapatriement sont envisageables , comme par exemple les objets que des communautés considèrent comme des « ambassadeurs » de leur culture dans le ou les différents pays où ils sont conservés ou exposés au public.

Ce sont, au final, des nouvelles voies de coopération culturelle qui s'ouvrent pour nos musées.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier - Sortie des collections des têtes maories conservées par les musées de France

I. Le texte de la proposition de loi

L'article unique de la proposition de loi tend à prévoir que les « têtes maories » - c'est à dire des têtes momifiées et tatouées - conservées par des musées de France « cessent de faire partie de leurs collections » à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi.

Cette rédaction reprend, pour partie, celle de la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus Hottentote », à l'Afrique du Sud, prévoyant, dans son article unique, qu' « à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l'établissement public du Muséum national d'histoire naturelle. » Cette disposition était complétée par un alinéa précisant explicitement, en outre, que « l'autorité administrative dispose, à compter de la même date, d'un délai de deux mois pour les remettre à la République d'Afrique du Sud. »


Le statut des collections des « musées de France »

La loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a révisé le statut et l'organisation de la politique des musées. Ces règles relevaient jusqu'alors d'une ordonnance du 13 juillet 1945 portant statut provisoire des musées des Beaux-arts, dont l'objectif était alors de « fixer les règles indispensables pour assurer la continuité de l'accroissement des collections publiques, du recrutement des conservateurs et du contrôle et de l'aide de l'Etat. »

La loi de 2002 a créé, tout d'abord, l'appellation « musée de France » , qui peut être accordée aux musées appartenant à l'Etat, à une autre personne ou collectivité publique ou « à une personne morale de droit privé à but non lucratif » 22 ( * ) , au regard de l'intérêt public des collections dont ils ont la garde. Ce « label » est attribué à la demande de la personne morale propriétaire des collections, par arrêté pris après avis du Haut Conseil des musées de France. Les musées nationaux et les musées classés en application des dispositions antérieures sont devenus, de plein droit, « musée de France ».

Qu'il s'agisse de collections d'oeuvres d'art ou de collections scientifiques, naturelles, techniques, de musées d'art et d'histoire ou de musées thématiques divers, le législateur a confié pour missions permanentes aux musées de France de : conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ; rendre leurs collections accessibles au public le plus large ; concevoir et mettre en oeuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous à la culture ; contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu'à leur diffusion 23 ( * ) .

La loi a encadré strictement, en outre, le statut des collections des musées de France - s'agissant des acquisitions, de leur affectation et des modalités de prêts et dépôts - ainsi que les conditions de leur conservation et de leur restauration, soumis au contrôle d'instances scientifiques. Elle a imposé, notamment, la réalisation d'un inventaire et d'un récolement décennal des collections. Le premier, en cours, devrait être achevé en 2014.

Dans ce cadre, la loi a explicité, dans son article 11, les principes d'imprescriptibilité et d'inaliénabilité des collections publiques , qui découlaient déjà de l'application des règles relatives à la domanialité publique.

Rappelons que ces dispositions, codifiées par une ordonnance de 2006 24 ( * ) , prévoient, à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, que « sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique » ; suit une liste de onze catégories parmi lesquelles figurent notamment les collections des musées, les archives publiques, les objets mobiliers classés ou inscrits, les collections d'oeuvres du Fonds national d'art contemporain ou encore les collections publiques relevant du Mobilier national et de la Manufacture nationale de Sèvres.

Le régime spécifique institué par la loi de 2002 et désormais codifié au code du patrimoine est très protecteur de l'intégrité des collections des musées de France. Il est articulé autour des principales dispositions suivantes :

- les collections des musées de France sont imprescriptibles (article L. 451-3 du code du patrimoine) ;

- les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre , inaliénables (article L. 451-5 du même code) ;

- toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu' après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et le fonctionnement sont fixés par décret (article L. 451-5) ; comme cela a été rappelé dans l'exposé général, cette disposition avait été introduite dans le texte de loi à l'initiative de votre rapporteur, lors des débats au Sénat ;

- les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'Etat, ceux qui ont été acquis avec l'aide de l'Etat, ne peuvent être déclassés (article L. 451-7) ;

- les biens des collections des musées appartenant à des personnes privées, qui ont été acquis par dons et legs ou avec le concours de l'Etat ou d'une collectivité territoriale ne peuvent être cédés que si leur affectation à un musée de France est maintenue (article L. 451-10) ;

- enfin, toute cession de tout ou partie d'une collection d'un musée de France intervenue en violation de ces dispositions est nulle (article L. 451-4).


• La portée de la proposition de loi

En prévoyant de sortir des collections des musées de France les têtes maories qui y sont conservées, la proposition de loi tend à déroger à la procédure spécifique de déclassement , après avis conforme d'une commission scientifique, prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine et applicable aux biens constituant les collections des musées de France.

La sortie des collections n'implique pas, cependant, le déclassement d'office et la restitution systématique des têtes maories. Le déclassement du domaine public, en vue de la restitution de ces restes humains, devra être opéré par la collectivité propriétaire des collections - dont le musée n'est que l'affectataire et le « gardien » - selon les règles de droit commun de la domanialité publique, c'est à dire par arrêté s'il s'agit de l'Etat et par délibération de l'assemblée délibérante pour les collectivités territoriales.

D'après les informations transmises à votre rapporteur par la direction des musées de France, une dizaine de têtes maories sont présentes dans les collections - en l'occurrence les réserves - de plusieurs musées de France, relevant soit de l'Etat soit des collectivités territoriales :

- un musée national, le Musée du Quai Branly (qui a le statut d'établissement public administratif), en aurait sept ou huit dans ses réserves ;

- cinq musées territoriaux, le plus souvent des muséums municipaux (à La Rochelle, Lille, Lyon, Rouen et Marseille).

II. La position de la commission

Comme votre rapporteur l'a souligné dans l'exposé général, la plupart des personnalités entendues dans le cadre de ce rapport lui ont confirmé le bien-fondé de la restitution des têtes maories, ou ne lui ont pas, pour le moins, opposé d'arguments valables de nature à s'y opposer.

En effet, comme pour la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, plusieurs critères justifient, en l'espèce, une restitution :

- d'abord, la demande de retour des têtes maories conservées dans les musées étrangers constitue une position constante du gouvernement néozélandais , qui a mandaté le musée national Te Papa pour piloter un programme de rapatriement des restes humains maoris ; le fait que la demande émane d'une démocratie, et soit portée par un peuple vivant, dont les traditions ont résisté à l'histoire, constitue un élément important ;

- ensuite, la restitution se justifie à la fois au regard du principe de dignité humaine et du respect des cultures et croyances des autres peuples, puisque, d'une part, il s'agit de restes humains, et non de biens culturels ordinaires, et que, d'autre part, l'objectif du retour est d'offrir aux ancêtres une sépulture digne, conforme aux rites ancestraux ;

- enfin, les têtes maories, entrées dans les collections de nos musées en tant qu'objets de curiosité, n'ont jamais fait l'objet en France de recherches scientifiques et, de l'avis de l'un des éminents scientifiques entendus par votre rapporteur, ne présentent pas d'intérêt au regard des méthodes anthropologiques actuelles ; la seule précaution à prendre serait, néanmoins, de conserver la trace de ce témoignage historique et culturel , comme le permettent les méthodes actuelles de numérisation notamment.

Votre rapporteur a jugé utile de compléter la rédaction de cet article en vue de préciser explicitement sa finalité, qui est de rendre les têtes maories à la Nouvelle-Zélande .

Il reviendra ensuite aux responsables des musées concernés et aux autorités compétentes de définir, en étroite coopération avec le musée Te Papa, les modalités de la restitution des têtes maories que ces musées ne sont plus fondés à conserver.

Au bénéfice de ces observations, votre commission a adopté cet article ainsi modifié .

Article 2 (nouveau) - Commission scientifique nationale des collections

Cet article a pour objet de faire évoluer, dans sa composition et dans ses missions, la commission scientifique, actuellement prévue par l'article L. 451-5 du code du patrimoine et appelée à se prononcer en matière de déclassement de biens des collections des musées de France.

I. Le droit existant


• A l'initiative de votre rapporteur, alors rapporteur de ce texte au nom de votre commission des affaires culturelles, la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a prévu, tout en réaffirmant le principe d'inaliénabilité des biens des collections publiques des musées de France, une possibilité de déclassement d'un de ces biens « après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » 25 ( * ) .

Dans le souci de ne pas « figer » les collections publiques mais également d'éviter des déclassements injustifiés ou par trop hâtifs, cette disposition leur a étendu les règles de droit commun de la domanialité publique, tout en encadrant ces règles de garanties importantes, par le recours à une instance scientifique.

Comme votre rapporteur le soulignait alors en séance publique, « sanctuariser » les collections des musées relève d'une « conception très conservatrice qui ne tient compte ni de la diversification des collections ni de l'évolution de la conception de musée » et se heurte à plusieurs limites : d'abord, un tel principe est peu adapté aux institutions à vocation scientifique ou technique, dont les collections doivent tenir compte des progrès de la connaissance ; en outre, l'évolution des missions des musées exige des conservateurs une gestion plus dynamique de leurs collections ; enfin, ce principe impose aux collectivités territoriales une contrainte de gestion très forte sur leurs musées.

Rappelons que votre rapporteur avait substitué cette disposition à celle qu'avaient introduite les députés en première lecture, qui prévoyait une exception au principe d'inaliénabilité pour les oeuvres d' art contemporain . Votre rapporteur avait jugé cette proposition non pertinente, et de nature à jeter un doute légal sur cette catégorie d'oeuvres, pour laquelle le principe d'inaliénabilité se justifie le plus, en raison des revirements du goût .


• Pris en application des dispositions de la loi de janvier 2002, le décret du 25 avril 2002 26 ( * ) a prévu, dans ses articles 16 et suivants, la mise en place d'une « commission scientifique nationale des collections des musées de France » , qui a été effectivement constituée en 2003.

Cette commission est compétente à la fois en matière d'acquisition des biens destinés aux collections, de restauration et de déclassement de ces biens. Ainsi, elle émet un avis :

- sur des projets d'acquisition et de restauration, notamment à la demande du directeur des musées de France ou du président d'une commission régionale ou interrégionale 27 ( * ) , ou encore à la demande du propriétaire de la collection, en cas d'avis défavorable de la commission régionale ;

- sur les collections présentées par les personnes morales sollicitant l'appellation « musée de France », à la demande du directeur des musées de France et préalablement à l'avis du Haut Conseil des musées ;

- et enfin sur les demandes de déclassement.


• Présidée par le directeur des musées de France, cette commission comprend trente-cinq membres :

- vingt-quatre membres de droit , parmi lesquels le chef de l'inspection générale des musées - qui en est le vice-président -, le chef de l'inspection générale de l'architecture et du patrimoine, le président du musée du Louvre, le directeur du Musée national d'art moderne, le directeur du musée du Conservatoire national des arts et métiers, les directeurs des collections au Muséum national d'histoire naturelle et à la Bibliothèque nationale de France, le chef du centre de recherche et de restauration des musées de France, et enfin les chefs des quinze « grands départements mentionnés à l'article 2 du décret du 31 août 1945 » 28 ( * ) ;

- six professionnels désignés par le directeur des musées de France (cinq membres désignés parmi les « professionnels » et un parmi les « spécialistes » siégeant dans les commissions régionales ou interrégionales) ;

- quatre personnalités qualifiées désignées par arrêté du ministre chargé de la culture « en raison de leurs compétences scientifiques » : un conservateur du patrimoine et trois personnalités désignées sur proposition respective du ministre chargé de la recherche, du ministre de la défense et du ministre chargé de la jeunesse et des sports.

Les membres autres que les membres de droit sont désignés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois.

L'ordre du jour des séances est arrêté par le président. Chaque projet est présenté à la commission par un professionnel du musée intéressé.

Alors que la commission se prononce, en matière d'acquisition et de restauration, à la majorité des membres présents, le décret de 2002 précise qu'elle se prononce, sur les cas de déclassement, selon des conditions particulièrement restrictives puisqu'il lui faut recueillir « la majorité des trois quarts des membres qui la composent » .


• Toutefois, comme cela a été confirmé à votre rapporteur par la directrice des musées de France, cette commission a tenu chaque année plusieurs réunions, consacrées à des questions de restauration et d'acquisition, mais elle n'a jamais été appelée à statuer en matière de déclassement .

Alors que votre rapporteur l'avait pourtant invitée à le faire au moment des débats en séance publique, elle n'a pas établi, en outre, de critères permettant d'encadrer le recours éventuel à cette procédure.

Dans un rapport précité sur la question de l'inaliénabilité des oeuvres des collections publiques, remis à la ministre de la culture et de la communication en février 2008, M. Jaques Rigaud a établi le même constat et regretté que cette commission ne se soit jamais saisie de cette question. Tout en réaffirmant la pertinence du principe d'inaliénabilité et la nécessité de préserver l'intégrité des collections constituant notre patrimoine national, il invitait néanmoins cette commission à se prononcer sur des cas de déclassement, ne serait-ce qu'à titre expérimental. Il suggérait, en outre, d'en alléger les procédures de fonctionnement, afin de la rendre plus opérationnelle.

II. Le dispositif adopté par votre commission

Votre rapporteur a pu constater, à l'occasion de « l'affaire » de la tête maorie de la ville de Rouen et de l'examen de la présente proposition de loi, que contrairement à la volonté exprimée clairement, et à deux reprises, par le législateur il y a plus de sept ans - à l'occasion des lois relatives aux musées de France et à la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman - la réflexion sur les cas de déclassement n'a nullement avancé .

Cette inertie de l'institution muséale apparaît d'autant moins justifiée que les mentalités, au sein de la communauté scientifique et des conservateurs de musée, ont évolué sur la même période, comme votre rapporteur a pu le relever au cours de ses auditions. Le rapport de M. Rigaud, bien qu'extrêmement prudent - à juste titre - sur le sujet, a également souligné que les responsables de la politique des musées avaient sans doute plus à perdre qu'à gagner à esquiver plus encore cette question.

Afin d'éviter que le législateur ait de nouveau à intervenir sur des cas ponctuels, votre rapporteur propose de faire évoluer la commission scientifique compétente en matière de déclassement , instituée par le décret du 25 avril 2002, à la fois pour en élargir la composition et pour en préciser les missions .

Compte tenu de son champ d'intervention plus large, les articles relatifs à cette commission, dénommée « commission scientifique nationale des collections » , sont insérés dans un chapitre nouveau, au sein du titre Ier du Livre Ier du code du patrimoine, qui comprend les dispositions communes à l'ensemble du patrimoine culturel.

1. Une « feuille de route » précisée

Cette commission est compétente en matière de déclassement ou de cession de biens culturels des collections publiques et des collections appartenant à des personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain (FRAC).

Au titre de son rôle de conseil et d'expertise dans ce domaine, elle a notamment les missions suivantes :


Définir des recommandations et orientations générales en matière de déclassement (1°) et être consultée sur les questions qui s'y rapportent par les propriétaires des collections compétents en matière de déclassement. Cela rejoint la volonté, exprimée par Mme Christine Albanel dans la lettre de mission adressée à M. Rigaud, de définir une « doctrine d'emploi » de la procédure de déclassement ouverte par la loi de 2002 relative aux musées de France ; rappelons que cette mission faisait suite, notamment, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, dans la lettre de mission adressée le 1 er août 2007 à la ministre de la culture, d'engager « une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections, sans compromettre naturellement le patrimoine de la Nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux. »


Donner un avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France (2°) comme c'est déjà le cas en application de l'article L. 451-5 du code du patrimoine.

Cette procédure de déclassement après avis conforme de cette commission serait également étendue aux oeuvres inscrites à l'inventaire du Fonds national d'art contemporain (FNAC). En effet, si celle-ci sont inaliénables, les dispositions de la loi relatives aux musées de France ne leur sont pas applicables. Tout déclassement éventuel doit être envisagé, toutefois, avec la plus grande prudence en matière d'art contemporain, le plus sujet à l'évolution des goûts et des modes : comme l'avait relevé M. Jacques Rigaud lors de son audition devant la commission, le 26 mars 2008, c'est en particulier les artistes vivants qui ont exprimé le plus fort attachement au principe d'inaliénabilité. Néanmoins, il a également proposé, dans son rapport précité, qu'une procédure de déclassement puisse s'appliquer au FNAC, certaines oeuvres ne méritant plus d'y figurer. Tel peut être le cas, par exemple, en raison de leur état de dégradation avancé.


• Cette commission est également chargée d'émettre un avis sur les décisions de déclassement de biens culturels appartenant aux autres collections relevant du domaine public (3°) , par exemple les collections des musées autres que les musées de France, les collections archéologiques, les objets mobiliers, les collections publiques relevant du Mobilier national et de la Manufacture nationale de Sèvres.


• Enfin, elle peut être saisie pour avis par des personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporains (FRAC) sur des décisions de cessions portant sur des biens de ces collections (4°) . Ces fonds (qui réunissent quelques 23 000 oeuvres) n'ont pas le statut de musée ; la plupart d'entre eux (à l'exception de quatre FRAC ayant le statut de régie régionale ou gérés par un syndicat mixte, et relevant donc du régime de la domanialité publique) sont des associations loi 1901 - et donc des organismes de droit privé - qui assument une mission de service public ; comme le soulignait M. Rigaud dans le rapport précité, si ce statut les exempte en droit strict de toute obligation d'inaliénabilité, le ministère de la culture a toujours estimé, par extrapolation, que les oeuvres de ces collections, acquises sur ressources publiques, ne pouvaient être cédées ou vendues ; or, il appelait les pouvoirs publics à se poser « de façon urgente » la question d'une extension, sous une forme ou une autre, de la procédure de déclassement, ne serait-ce que pour conforter ces « laboratoires » du soutien public à la création artistique.

2. Une composition diversifiée

Les questions de déclassement peuvent renvoyer à des sujets éminemment sensibles et à des questions éthiques, comme tel est le cas en matière de restes humains notamment. C'est pourquoi votre rapporteur a jugé indispensable que cette commission ne soit pas uniquement composée, comme c'est le cas actuellement, de conservateurs de musées.

Ainsi, il est proposé de fixer, par la loi, le cadre général de la composition de cette commission, tout en renvoyant le soin à un décret en Conseil d'Etat d'en décliner plus en détail la composition.

Cette commission comprendrait, aux termes de l'article L. 115-2 du code du patrimoine :

- un député et un sénateur ;

- des représentants de l'Etat et des collectivités territoriales, en tant que propriétaires des biens des collections ;

- des professionnels de la conservation ;

- et enfin des personnalités qualifiées, qui pourraient représenter, notamment, différentes disciplines scientifiques ou artistiques (historiens de l'art, artistes, anthropologues et ethnologues, philosophes, etc.).

Cette commission devrait également pouvoir se réunir sous la forme de « collèges » plus spécifiques, en fonction des domaines ou des biens sur lesquels elle aura à statuer.

Votre commission a adopté cet article 2 (nouveau) ainsi rédigé .

Article 3 (nouveau) - Coordination

Par coordination avec les dispositions introduites à l'article précédent, cet article additionnel tend à modifier l'article L. 451-5 du code du patrimoine, issu de l'article 11 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, afin de substituer la « commission scientifique nationale des collections », instituée par la proposition de loi, à la commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement ont été définies par le décret du 25 avril 2002 précité.

Ainsi, toute décision de déclassement d'un bien appartenant à une collection d'un musée de France ne pourra intervenir qu'après avis conforme de cette commission « redimensionnée ».

Votre commission a adopté cet article 3 (nouveau) ainsi rédigé .

Article 4 (nouveau) - Rapport au Parlement

Cet article additionnel tend à prévoir que la commission scientifique nationale des collections, mentionnée plus haut, rende compte de son action au Parlement en lui remettant, dans un délai d'un an suivant la publication de la présente loi, un rapport sur ses orientations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections publiques .

En effet, comme votre rapporteur l'a souligné plus haut, cette réflexion, qu'il avait souhaité voir s'engager après les lois de 2002 relatives aux musées de France et visant à restituer la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dont il était déjà le rapporteur, n'a jamais été lancée par les responsables de l'institution muséale.

En l'absence de suite concrète donnée à la volonté exprimée par le législateur très explicitement en séance publique, votre commission estime nécessaire de demander un suivi, par le Parlement, des travaux qui seront conduits au sein de la commission scientifique nationale des collections, et de leur fixer une première échéance précise. Ces orientations devront concerner, en particulier, la question spécifique des restes humains .

Votre commission a adopté cet article 4 (nouveau) ainsi rédigé .

Intitulé de la proposition de loi

Votre commission souhaitant compléter la proposition de loi par plusieurs articles additionnels, elle en a modifié, en conséquence, l'intitulé afin d'assurer la cohérence entre l'objet de ce texte et son contenu. Le nouveau libellé est le suivant : proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories et relative à la gestion des collections.

Votre commission a ainsi modifié l'intitulé de la proposition de loi .

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 23 juin 2009, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Richert et du texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 215 (2007-2008) visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Ivan Renar s'est déclaré favorable à la restitution des têtes maories. Celles-ci ont suscité un engouement des collectionneurs publics et privés au 19e siècle, dans un contexte colonialiste et raciste, si bien que certains esclaves ont eu la tête tatouée puis coupée en vue de satisfaire à la « demande ». L'anthropologie est d'ailleurs née dans ce contexte de racisme et a contribué à justifier scientifiquement certaines pratiques.

Il a avancé trois raisons rendant cette restitution légitime :

- il s'agit de restes humains et non de biens culturels ordinaires ;

- les Maoris sont un peuple contemporain ;

- la demande émane de l'ensemble de la nation néozélandaise, démocratique, et non d'une ethnie particulière.

Il a reconnu que les restes humains ne pouvaient être restitués à n'importe quelle condition et qu'il pouvait être important d'en conserver une trace, grâce aux techniques modernes, pour conserver ce témoignage de l'histoire et en vue d'éventuelles études ultérieures. Il s'est interrogé sur les raisons scientifiques qui pourraient justifier, selon certains, que l'on conserve ces têtes maories, et a estimé que la dimension éthique devait primer.

Il a regretté, cependant, que certaines dispositions que le rapporteur propose d'introduire dans ce texte conduisent à en changer la portée et à affaiblir la démarche initiale des signataires de la proposition de loi. Il a considéré, notamment, que la situation du FNAC constituait un sujet en soi.

M. Philippe Richert, rapporteur, a indiqué que l'objet premier de la proposition de loi était de permettre la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, qui a adopté une démarche exemplaire. Il a estimé que la décision de « réactiver » la commission compétente en matière de déclassement contribuait à renforcer la portée de la proposition de loi, en insistant sur la nécessité d'engager une réflexion qui n'a pas été conduite depuis sept ans. Cette commission aura notamment à se pencher sur la dimension éthique de cette question. Il a reconnu, toutefois, que la disposition concernant le transfert de propriété d'oeuvres du FNAC était plus éloignée de l'objet initial de la proposition de loi, même si elle répond à des attentes.

Mme Catherine Morin-Desailly a précisé que la proposition de loi avait été cosignée, à ce jour, par 57 sénateurs. Elle a rappelé que le muséum de Rouen avait souhaité s'engager, à l'occasion de sa réouverture, dans une gestion éthique des collections et avait suggéré, en ce sens, de rendre la tête maorie qu'il conservait. La ville de Rouen a renoncé à détenir celle-ci dans ses collections, en s'appuyant sur les dispositions de l'article 16-1 du code civil, mais aussi sur la déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones de 2007 et sur le code de déontologie du conseil international des musées (ICOM). La ville avait considéré qu'une saisine de la commission de déclassement serait vouée à l'échec, compte tenu de sa composition. La délibération ayant été adoptée à l'unanimité, la nouvelle municipalité rouennaise a réaffirmé sa volonté de poursuivre la procédure.

Elle a rappelé que les peuples demandant le retour de leurs « ancêtres » portent un regard différent du nôtre sur ces restes humains. L'exposé des motifs de la proposition de loi mentionne des critères précis pour justifier la restitution des têtes maories, afin de ne pas ouvrir la « boîte de Pandore ». Puis elle a fait observer que l'interdiction récente, par le juge, de l'exposition « Our Body » avait permis de prendre conscience des problèmes éthiques posés par l'exposition de corps humains. Elle a apporté son soutien à la décision de réactiver la procédure de déclassement et aux amendements présentés en ce sens par le rapporteur, avec lequel elle a travaillé en étroite collaboration. Elle a jugé nécessaire, en outre, de parvenir à un état des lieux plus précis des restes humains conservés dans les musées et de combler le relatif vide juridique concernant leur statut. Elle a souhaité, en ce sens, qu'une mission d'information puisse être conduite sur le sujet.

M. Serge Lagauche a considéré qu'il aurait été préférable de demander à la commission scientifique existant déjà de se prononcer sur le déclassement éventuel des têtes maories, avant d'en créer une nouvelle.

M. Pierre Bordier s'est interrogé sur le cas des momies égyptiennes.

Mme Marie-Christine Blandin a indiqué que la commission scientifique aura sans doute à se pencher sur la question des têtes réduites des Indiens, qui sont revendiquées par des tribus, ainsi que sur la question des laboratoires d'anthropologie. Elle a regretté l'insertion de dispositions concernant le FNAC.

M. Jacques Legendre, président, a fait observer que les Egyptiens modernes pouvaient parfois revendiquer une certaine filiation avec les pharaons. Sur l'objectif premier et ponctuel de la proposition de loi, il a estimé légitime que la France réponde favorablement à une demande qui est exprimée avec beaucoup de délicatesse par la Nouvelle-Zélande. Il a jugé nécessaire, au-delà, de prolonger la réflexion en prévoyant que la commission scientifique compétente en matière de déclassement se penche effectivement sur le sujet et élabore des principes généraux.

En réponse à Mme Monique Papon , M. Philippe Richert, rapporteur, a indiqué que, selon les indications qui lui ont été transmises, six musées de France ont une ou plusieurs têtes maories dans leurs réserves, sans que l'on dispose d'un inventaire précis, et que d'autres se trouvent dans des collections privées.

Il a précisé que la nouvelle commission devra conduire une réflexion scientifique et éthique importante pour déterminer des critères ou orientations en matière de déclassement. Il a indiqué que les Britanniques avaient effectué un tel travail et défini plusieurs critères, dont l'un est lié à l'âge des restes humains, ce qui permet d'écarter, notamment, toute restitution de momies égyptiennes.

Puis, la commission est passée à l'examen de la proposition de loi.

A l'article unique (Sortie des collections des têtes maories conservées par les musées de France), elle a adopté, après les interventions de Mme Béatrice Descamps, de M. Philippe Richert, rapporteur, de Mme Catherine Morin-Desailly et de M. Jacques Legendre, président, l'amendement n° C6 présenté par M. Philippe Richert, rapporteur, visant à expliciter la finalité du texte, en précisant qu'une fois sorties des collections des musées les têtes maories devront être remises à la Nouvelle-Zélande.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° C1 présenté par M. Philippe Richert, rapporteur, portant article additionnel après l'article unique et visant à préciser la composition et les missions de la « commission scientifique nationale des collections », compétente en matière de déclassement, qui se substitue à celle prévue par la loi de 2002 relative aux musées de France.

Elle a adopté, en outre, deux amendements présentés par M. Philippe Richert, rapporteur, le n° C2, de coordination, et le n° C3 visant à prévoir que cette commission remettra, dans un délai d'un an suivant la publication de la loi, un rapport sur ses orientations en matière de déclassement.

La commission a ensuite examiné l'amendement n° C4 présenté par M. Philippe Richert, rapporteur, tendant à prévoir de nouvelles possibilités de transfert de propriété d'oeuvres inscrites sur l'inventaire du FNAC et mises en dépôt auprès de collectivités territoriales, élargissant ainsi les possibilités de transfert déjà ouvertes par la loi de 2002 relative aux musées de France. Après les interventions de M. Ivan Renar et de Mme Marie-Christine Blandin, M. Jacques Legendre, président, a proposé de reprendre cette disposition sous la forme d'une proposition de loi distincte. M. Philippe Richert, rapporteur, a partagé cette position et accepté, en conséquence, de retirer cet amendement.

Enfin la commission a adopté l'amendement n° C5, présenté par M. Philippe Richert, rapporteur, visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi afin de tirer les conséquences de l'adoption des amendements n° C1 à C3.

La commission a alors adopté le texte de la proposition de loi ainsi modifié.

AMENDEMENT NON ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article additionnel après l'article unique

Amendement n°4 présenté par M. Philippe Richert, rapporteur

Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Les biens des collections nationales inscrits sur l'inventaire du Fonds national d'art contemporain ayant été confiés par l'État, avant le 14 juillet 1945, à une personne publique qui en est toujours dépositaire à la date de publication de la présente loi, deviennent, après récolement, la propriété de cette personne publique sauf si celle-ci s'y oppose.

Toutefois, les biens confiés à une personne publique entre le 7 octobre 1910 et le 13 juillet 1945 ne font l'objet d'un tel transfert de propriété que s'ils sont déposés dans un musée bénéficiant, à la date de publication de la présente loi, de l'appellation musée de France.

II. - Les biens des collections nationales inscrits sur les inventaires du Fonds national d'art contemporain ayant été confiés par l'État, à compter du 14 juillet 1945, à une personne publique qui en est toujours dépositaire à la date de publication de la présente loi, peuvent faire l'objet d'un transfert de propriété au bénéfice de cette personne publique, dès lors que celle-ci s'engage à en maintenir l'affectation dans un musée de France.

La décision de transfert de propriété est prise sur avis conforme de la commission scientifique nationale des collections mentionnée à l'article L. 115-1 du code du patrimoine.

III. - Les dispositions du I et du II ne s'appliquent pas aux biens donnés ou légués à l'État.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• Mme Sarah Dennis , ambassadrice de Nouvelle-Zélande et Mme Victoria Hallum , conseillère à l'Ambassade de Nouvelle-Zélande

• Mmes Bénédicte Durand , conseillère en sciences humaines et sociales au cabinet de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

• M. Bertrand-Pierre Galey , directeur général du Muséum national d'histoire naturelle

• M. Maurice Godelier , ethno-anthropologue, spécialiste de l'Océanie, professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

• Mmes Hélène Guichard , conservateur au Louvre, et Laure Cadot , auteur d'un mémoire de recherche appliquée sur les statuts et les enjeux de la conservation des restes humains

• Mme Marie-Christine Labourdette , directrice des musées de France, MM. Benjamin Gestin , secrétaire général adjoint, et Olivier Henrard , conseiller juridique au cabinet de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

• M. Pierre Le Coz , vice-président du Comité consultatif national d'éthique

• M. Jean-Yves Marin , directeur du Musée de Normandie

• M. Stéphane Martin , président de l'Établissement public du Musée du Quai Branly

• M. Sébastien Minchin , directeur du Muséum d'histoire naturelle de Rouen

• M. Pascal Picq , paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France

• M. Michel Van Praët , conservateur général du patrimoine, membre du conseil exécutif de l'ICOM (organisation internationale des musées et des professionnels de musées)

ANNEXE

LISTE DES RESTITUTIONS FAITES AU MUSÉE TE PAPA DE NOUVELLE-ZÉLANDE

Institution ayant fait une restitution

Pays

Date de restitution

• University College de Londres

Angleterre

1987

• Museum of Ethnology, Stockholm

Sweden

1987

• Museum national de Sydney

Australie

1989

• Victoria Museum de Melbourne

Australie

1989

• Victoria Museum de Melbourne

Australie

1990

• Musée ethnographique de Genève

Suisse

Juin 1992

• Museum für Volkerkunde de Bâle

Suisse

Juin 1992

• Manchester Museum de Manchester

Angleterre

Mars 1994

• New Zealand High Commission de Londres

Angleterre

Mars 1994

• Royal Albert Memorial Art Gallery and Museum, Exeter

Angleterre

Novembre 1996

• Lichfield Museum du Staffordshire

Angleterre

Novembre 1996

• National Museum

Danemark

Décembre 1998

• Queensland Museum, Brisbane

Australie

Mai 1998

• Whitby Museum de Leeds

Angleterre

Juillet 1998

• Université d'Edimbourg

Ecosse

Juillet 1998

• Université d'Edimbourg

Ecosse

Novembre 1999

• National Museum

Ecosse

Novembre 1999

• South Australian Museum, Adelaide

Australie

Avril 2000

• National Museum of Australia, Sydney

Australie

Mars 2001

• Musée ethnographique de Buenos-Aires

Argentine

Mai 2004

• Bishop Muséum, Hawaï and National Burials Programme

Etats-Unis

Août 2004

• Melbourne University, Victoria

Australie

Septembre 2005

• Museum Victoria

Australie

Septembre 2005

• State Coroner's Office, Melbourne

Australie

Septembre 2005

• Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leiden

Pays-Bas

Novembre 2005

• Kelvingrove Art Gallery and Museum de Glasgow

Ecosse

Novembre 2005

• Perth Art Gallery and Museum

Ecosse

Novembre 2005

• Suffolk Regiment Museum

Angleterre

Novembre 2005

• Saffron Walden Museum

Angleterre

Novembre 2005

• Museum de Leeds

Angleterre

Novembre 2005

• Royal Albert Memorial Art Gallery and Museum, Exeter

Angleterre

Novembre 2005

• Musée d'archéologie et d'anthropologie de l'Université de Cambridge

Angleterre

Novembre 2005

• Uberseemuseum de Brême

Allemagne

Novembre 2006

• Marischal Museum d'Aberdeen

Ecosse

Février 2007

• Tasmanian Museum and Art Gallery

Australie

Mai 2007

• National Museums

Australie

Mai 2007

• Australian National Wildlife Collection, CSIRO

Australie

Mai 2007

• Institute of Anatomy

Australie

Mai 2007

• Field Museum de Chicago

Etats-Unis

Septembre 2007

• Bristol Museum

Angleterre

Novembre 2007

• Barts and the London Queen Mary School of Medicine and Dentistry

Angleterre

Novembre 2007

• Hancock Museum de Newcastle

Angleterre

Novembre 2007

• National Museum de Liverpool

Angleterre

Novembre 2007

• Museum de Swansea

Pays de Galles

Novembre 2007

• Plymouth museum

Angleterre

Novembre 2007

• Bexhill Museum, Sussex

Angleterre

Novembre 2007

• University College de Londres

Angleterre

Novembre 2007

• Royal College of Surgeons, London

Angleterre

Novembre 2007

• Royal Ontario Museum

Canada

Juin 2008

• Canada Museum of Civilisation

Canada

Juin 2008

• University of British Columbia

Canada

Juin 2008

• Oxford Museum of Natural history, Oxford

Angleterre

Novembre 2008

• British Museum, London

Angleterre

Novembre 2008

• Manchester Museum, Manchester

Angleterre

Novembre 2008

• Cuming Museum, London

Angleterre

Novembre 2008

• National Museums of Scotland Department of Zoology and Geology

Ecosse

Novembre 2008

• Macleay Museum University of Sydney, New South Wales

Australie

Mars 2009

* 1 Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud.

* 2 Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

* 3 Article L. 451-5 du code du patrimoine.

* 4 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

* 5 Cour administrative d'appel de Douai, n° 08DA00405.

* 6 Proposition de loi n° 114 (2001-2002) autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à l'Afrique du Sud, présentée par M. Nicolas About.

* 7 Rapport n° 177 (2001-2002) de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles, Sénat.

* 8 Compte-rendu intégral des débats au Sénat, séance publique du 29 janvier 2002.

* 9 Rapport n° 177 (2001-2002) de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur la proposition de loi n° 114 (2001-2002) autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à l'Afrique du Sud, présentée par M. Nicolas About.

* 10 Voir liste en annexe.

* 11 Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

* 12 « Réflexions sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections », rapport remis par M. Jacques Rigaud le 6 février 2008 à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.

* 13 Décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l'application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

* 14 « L'aliénation des collections publiques », documents de travail du Sénat, série Législation comparée, n° LC 191, décembre 2008.

* 15 « Des collections anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées », symposium international, 22 et 23 février 2008.

* 16 Résolution adoptée par l'Assemblée générale, le 13 septembre 2007. La France a émis des réserves et plusieurs pays ne l'ont pas adoptée (comme les Etats-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande)

* 17 Restitution and Repatriation - Guidelines for good practice.

* 18 L'ICOM est le Conseil international des musées.

* 19 Ordonnance de référé n° 2009-002176 rendue le 21 avril 2009.

* 20 Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.

* 21 Article 16-1-1 du code civil.

* 22 Article L. 441-1 du code du patrimoine.

* 23 Article L. 441-2 du code du patrimoine.

* 24 Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.

* 25 Article 11 de la loi du 4 janvier 2002, codifié à l'article L. 451-5 du code du patrimoine.

* 26 Décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l'application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

* 27 L'article 15 du même décret prévoit que pour les musées de France n'appartenant pas à l'Etat ou à ses établissements publics, toute décision d'acquisition et de restauration est précédée, sous réserve des dispositions de l'article 16, de l'avis de la « commission scientifique régionale des collections des musées de France » ; cette commission peut être interrégionale lorsque deux ou plusieurs préfets de région en font la proposition. Sa composition et ses modalités de fonctionnement sont précisées aux articles 18 à 21 du décret précité.

* 28 Décret n° 45-2075 du 31 août 1945 modifié portant application de l'ordonnance relative à l'organisation provisoire des musées des Beaux-arts ; son article 2, modifié par un décret du 21 août 2008, prévoit qu'il est constitué 15 grands départements dirigés par des professionnels, qui remplissent, outre les missions relatives aux collections placées sous leur responsabilité, des missions d'étude, de recherche et de conseil dans le domaine de l'histoire de l'art et de la conservation des oeuvres, à la demande du directeur des musées de France. Ces départements sont les suivants : antiquités nationales, antiquités grecques et romaines, antiquités égyptiennes, antiquités orientales, peintures, sculptures, objets d'art, Versailles, arts asiatiques (musée Guimet), Orsay, arts et civilisations d'Afrique, Asie, Océanie et Amériques (musée du Quai Branly), XXe siècle, civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, arts de l'Islam.

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