II. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE : CONFÉRER AU DROIT RECONNU À L'ARTICLE 61-1 DE LA CONSTITUTION TOUTE SON EFFECTIVITÉ

Le présent projet de loi organique revêt une importance particulière pour l'application du recours de constitutionnalité a posteriori introduit par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, comme l'a exactement rappelé le Conseil d'Etat, « tant qu'une telle loi organique n'est pas intervenue, les dispositions de l'article 61-1 de la Constitution ne sont donc pas applicables ; que, dans l'attente de cette loi organique, la conformité d'une loi à la Constitution ne peut, en conséquence, être utilement contestée devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux » 22 ( * ) . Le texte examiné a pour finalité de rendre effective la possibilité de soulever une question prioritaire de constitutionnalité.

A. LE TEXTE SOUMIS À L'EXAMEN DU SÉNAT

1. Le texte du projet de loi organique soumis par le Gouvernement

Le projet de loi organique (article premier) insère un chapitre II bis au sein du titre II « Fonctionnement du Conseil constitutionnel » de l'Ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

Ce nouveau chapitre, intitulé « De la question de constitutionnalité » comprend onze articles et constituera la principale base législative de la question préjudicielle de constitutionnalité, les compléments apportés au Code de justice administrative et au Code de l'organisation judiciaire par les articles 2 et 3 du projet de loi organique procédant par renvoi aux articles 23-1 à 23-7 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958.

La question de constitutionnalité s'organise selon deux principes simples :

- elle pourra être soulevée par toute partie à l'instance , devant toutes les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation , à toute étape de la procédure (première instance, appel ou cassation) ;

- si les juridictions concernées sont habilitées à apprécier la recevabilité de la question, le Conseil constitutionnel demeure seul compétent pour statuer au fond sur la conformité à la Constitution.

Sur ces bases, la procédure s'organise selon les cas en trois ou deux temps :

- lorsque la question est soulevée devant une juridiction de première instance ou d'appel, celle-ci transmet la question à la cour suprême de son ordre si elle l'estime recevable. Le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation procède de nouveau à un examen de recevabilité (principe de double filtre) et renvoie, le cas échéant, la question au Conseil constitutionnel ;

- lorsque la question est soumise directement à la cour suprême (ce qui peut être le cas en première instance, appel et cassation devant le Conseil d'Etat et en cassation seulement devant la Cour de cassation), celle-ci procède de même à un examen de recevabilité et décide du renvoi de la question au Conseil constitutionnel.

La question de constitutionnalité devant une juridiction relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation

Le projet de loi organique retient six lignes directrices :

- la question de recevabilité pourrait être invoquée devant toutes les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. Néanmoins, des règles particulières sont proposées en matière pénale : d'une part, au cours de l'instruction la question devrait être portée devant la chambre de l'instruction (et non devant le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention) ; d'autre part, comme tel était le cas dans le projet de loi organique élaboré en 1990, la question ne pourrait pas être soulevée devant la cour d'assises. Selon l'exposé des motifs, « cette restriction est justifiée par la composition particulière de cette juridiction et l'intérêt qui s'attache à ce que les questions de droit et de procédure soient réglées avant l'ouverture du procès criminel ». Néanmoins, le texte permet que la question de compatibilité avec la Constitution soit soulevée au moment de la déclaration d'appel formé contre un arrêt de la cour d'assises statuant en premier ressort. Elle serait alors transmise à la Cour de cassation ;

- l'initiative de soulever la question de constitutionnalité serait réservée aux parties . Le juge ne serait pas autorisé à la relever d'office ;

- la recevabilité de la question serait admise si trois conditions sont réunies : 1° la disposition contestée commande l'issue du litige ou la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; la disposition n'a pas déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision sauf changement de circonstances ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

- la juridiction devrait, si elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la question de constitutionnalité , sous réserve, le cas échéant des exigences résultant de l'article 88 de la Constitution en matière de droit communautaire ;

- la décision de transmettre la question serait admise au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties. Le refus de transmettre la question ne pourrait être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

- Lorsque la question est transmise, la juridiction serait tenue de surseoir à statuer . Dans l'hypothèse où la personne est privée de liberté à raison de l'instance ou lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté, le juge devrait néanmoins statuer. Il pourrait également se prononcer quand un texte lui commande de statuer dans un délai déterminé ou en urgence.

La question de constitutionnalité devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation

Les cours suprêmes peuvent être saisies de la question de constitutionnalité dans deux hypothèses :

- soit sous la forme d'un renvoi de la question par le juge du fond -les cours disposant alors d'un délai de trois mois pour statuer ;

- soit lorsque la question est soulevée directement devant le Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation, juge d'appel ou juge de premier ressort, ou devant la Cour de cassation en instance de cassation.

Dans les deux cas, les cours suprêmes procèdent à un examen de recevabilité de la question sur le fondement de trois critères, en sachant que les deux premiers sont communs à ceux retenus devant les juridictions du fond (disposition contestée commandant l'issue du litige et n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel sauf changement de circonstances), alors que le troisième est spécifique : il requiert que la disposition en cause soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.

Le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation devraient renvoyer la question au Conseil constitutionnel si ces conditions sont satisfaites.

L'examen de la question de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel

A ce stade, trois principes ont été retenus :

- le Conseil constitutionnel, une fois saisi de la question de constitutionnalité, aviserait immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblés. Ces autorités pourraient soumettre leurs observations au Conseil constitutionnel.

- le Conseil constitutionnel statuerait dans un délai de trois mois au terme d'une procédure contradictoire et, sauf cas exceptionnel, publique ;

- la décision serait notifiée aux parties et communiquée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation ainsi qu'à la juridiction devant laquelle la question de constitutionnalité a été soulevée. Elle serait également notifiée au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents des assemblées et publiée au Journal officiel.

Le projet de loi organique prévoit enfin que ses dispositions entreraient en vigueur le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication.

* 22 CE, 11 déc. 2008, Association de défense des droits des militaires (n° 306962), confirmé notamment par CE, 8 juillet 2009, n°323590, et CE, 3 juin 2009, n° 327005.

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