N° 89

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 novembre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi, présentée par MM. David ASSOULINE, Jean-Pierre BEL, Serge LAGAUCHE, François REBSAMEN, Mme Marie-Christine BLANDIN et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, visant à réguler la concentration dans le secteur des médias ,

Par M. Michel THIOLLIÈRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

590 rectifié (2008-2009)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi déposée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés a pour objet de réguler la concentration dans le secteur des médias. Elle comprend deux articles visant à interdire aux entreprises liées à la commande publique d'être propriétaires, d'une part, de chaînes de télévision et de radios, et d'autre part, de journaux d'information politique et générale.

L'idée sous-jacente à cette proposition de loi fait peser un soupçon de fait sur les médias dont les propriétaires dépendent de contrats publics qui seraient naturellement incités à ne pas s'exprimer librement sur le pouvoir en place. Les auteurs de la proposition de loi considèrent qu'il est nécessaire de mettre en place un mécanisme a priori d'interdiction totale pour tout groupe plus ou moins lié à la commande publique, de détenir des parts d'une société de service audiovisuel ou d'un journal de presse écrite.

Votre rapporteur estime quant à lui :

- que les règles anti-concentration sont déjà très nombreuses en France, et il en fait un rapide descriptif dans le commentaire de l'article 1 er ;

- que la proposition de loi lance un débat de fond intéressant sur l'indépendance et le pluralisme dans les médias, mais que ceux-ci sont déjà pleinement garantis par les règles sur l'indépendance des journalises, par l'importance de l'offre médiatique, sur tous les supports, et enfin par le rôle que peut jouer le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui intervient de manière efficace en aval de la production d'informations ;

- enfin, qu'il n'y a pas réellement de fondement à l'idée qu'une chaîne appartenant à un groupe lié à des contrats publics serait moins indépendante qu'une chaîne appartenant à un autre groupe privé, qui a aussi des intérêts propres. Au demeurant, même les chaînes totalement publiques sont considérées en France comme indépendantes.

Sur la base de ces analyses, la commission a rejeté les articles de la proposition de loi et n'a pas élaboré de texte.

I. LE PLURALISME DANS LES MÉDIAS AUDIOVISUELS

La volonté de fixer des règles anti-concentration découle du principe fondateur du droit des médias qu'est le pluralisme. Principe à valeur constitutionnel, reconnu par les textes internationaux et européens, il justifie notamment l'existence des dispositions des articles 41-1 et 41-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui fixent des règles d'octroi d'autorisations des services de radio et de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

A. LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS

L'adoption de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, que cette proposition de loi vient modifier, a permis au Conseil constitutionnel de définir les grands principes relatifs au pluralisme.

Dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, il a ainsi considéré qu'il appartenait au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme, avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et « la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ».

Dans l'alinéa 11 de la même décision, le Conseil rappelle que le pluralisme des courants d'expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle , que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie et que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les moyens de communication audiovisuelle n'était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de « programmes qui garantissent l'expression de tendances de caractères différents dans le respect de l'impératif d'honnêteté de l'information ».

Le Conseil précise que l'objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions .

S'agissant des obligations imposées aux sociétés et à l'établissement public composant le secteur public de la communication audiovisuelle, le pluralisme est garanti par le fait que les cahiers des charges des chaînes publiques doivent nécessairement se conformer aux principes fondamentaux du service public et notamment au principe d'égalité et à son corollaire le principe de neutralité du service.

Dans le secteur privé, le pluralisme est assuré par le fait que le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose de pouvoirs de contrôle et que la loi prévoit des dispositions destinées à réglementer la possibilité pour une même personne d'être titulaire de plusieurs autorisations ou d'exercer une influence prépondérante au sein d'une société titulaire d'une autorisation.

En outre, le Conseil constitutionnel ne s'est pas borné à ériger la sauvegarde du pluralisme en objectif de valeur constitutionnelle, mais a aussi établi un lien entre cet objectif et les moyens d'y parvenir. Dans une décision du 27 juillet 2000, il a ainsi jugé qu'il incombait au législateur de « prévenir, par des mécanismes appropriés, le contrôle par un actionnaire dominant d'une part trop importante du paysage audiovisuel » (DC, 27 juillet 2000, n° 2000-433 DC, loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986), considérant implicitement que les autres instruments à la disposition des pouvoirs publics pour promouvoir le pluralisme (contrôle sur les contenus...) n'apportaient pas de garantie suffisante à cet égard.

Comme le rappelle le rapport de Mme Simone Veil sur le préambule de la Constitution (décembre 2008), « sans doute le Conseil n'a-t-il expressément énoncé cette obligation que pour l'audiovisuel et en rappelant, à titre de justification, la rareté persistante, quoique moins évidente que par le passé, de la ressource radioélectrique. Mais il peut être admis qu'elle vaut, de manière générale, pour l'ensemble des médias. L'objectif de sauvegarde du pluralisme, qui a pour fondement la liberté d'expression, peut ainsi justifier des restrictions à cette dernière, la liberté du lecteur, de l'auditeur ou du téléspectateur devant primer sur celle de l'éditeur ».

Au demeurant, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif anti-concentration instauré initialement par la loi du 30 septembre 1986, sur le fondement de non-respect du pluralisme.

En outre, s'il a admis, en 1994, le relèvement de 25 à 49 % de la part maximale qu'une même personne physique ou morale peut détenir directement ou indirectement dans le capital d'une société de télévision hertzienne, c'est en observant qu'il n'était pas dérogé aux autres règles assurant la protection du pluralisme et que la portée du contrôle de concentration était par ailleurs renforcée.

Toutefois, les exigences que fait peser sur le législateur l'objectif de sauvegarde du pluralisme ne sont pas absolues : elles doivent être conciliées avec d'autres règles ou principes de même valeur juridique et notamment avec la liberté d'entreprendre. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que le législateur doit tenir compte des contraintes techniques et des nécessités économiques propres au secteur - au rang desquelles figurait, dans sa décision précitée du 21 janvier 1994, le besoin d'encourager les investissements privés pour que se constituent des groupes aptes à affronter la concurrence internationale - et veiller à ce que l'application des règles qu'il édicte ne limite pas la liberté d'entreprendre dans des proportions excessives au regard de l'objectif constitutionnel de pluralisme.

Il s'avère ainsi que la législation française est le fruit de la recherche d'un équilibre entre le pluralisme des médias et leur stabilité économique . Votre rapporteur estime, à cet égard, que le droit actuel est satisfaisant et qu'au vu de la multiplication des espaces médiatiques, le pluralisme était de moins en moins menacé.

Notons enfin que le constituant a souhaité graver dans le marbre constitutionnel le principe du pluralisme, la loi constitutionnelle n° 2008-723 de modernisation l'ayant inscrit dans les articles 4 et 34 de la Constitution.

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