EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer, en première lecture, sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, qui a été déposé en premier lieu sur le bureau de l'Assemblée nationale et adopté par les députés sans modification le 20 octobre 2009.

Cette ordonnance vise à modifier les tableaux n° 1 et n° 1 bis annexés au code électoral en application des lois n° 86-825 du 11 juillet 1986 et n° 86-1197 du 24 novembre de la même année, et à créer un tableau n° 1 ter consacré aux circonscriptions des Français résidant hors de France. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a en effet prévu le plafonnement du nombre de sièges de députés et la création d'une représentation à l'Assemblée nationale des Français de l'étranger : elle a donc rendu nécessaire une actualisation des limites des circonscriptions législatives, qui ne pouvaient pas être maintenues dans leur forme actuelle sans violer les dispositions de la Constitution.

En outre, ce texte s'inscrit dans une actualité législative chargée en matière électorale. Il pose ainsi les jalons d'un processus global qui passera notamment par l'examen prochain du projet de loi organique sur l'élection des députés et du projet de loi ratifiant l'ordonnance relative à l'élection de députés par les Français établis hors de France.

Comme l'a annoncé M. Alain Marleix, secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales, à votre commission des lois le 3 décembre 2008, ce processus passera également, du côté du gouvernement, par un redécoupage des cantons.

Première étape d'une réforme indispensable, le présent projet de loi répond à une nécessité démocratique trop longtemps différée. En effet, les circonscriptions législatives sont inchangées depuis 1986 et ont servi de base à cinq élections législatives : celles de 1988, 1993, 1997, 2002 et 2007. Cet espace de plus de vingt ans entre deux actualisations des limites des circonscriptions constitue un record sous la Cinquième République et est à l'origine de substantielles disparités de représentation entre les électeurs.

En application de l'habilitation consentie par le Parlement à l'article 2 de la loi n° 2009-39 du 13 janvier 2009 relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés, le présent redécoupage est effectué par ordonnance, en application de l'article 38 de la Constitution. Dans ce cadre, le Parlement doit opérer une ratification expresse de cette ordonnance et dispose de la plénitude de ses pouvoirs.

L'habilitation donnée au pouvoir exécutif par le Parlement était valable pendant une période d'un an (soit jusqu'au 13 janvier 2010) et le projet de loi de ratification de l'ordonnance devait être déposé sur le bureau de l'une des Assemblées au plus tard trois mois après la publication de cette dernière. La présente ordonnance a été publiée le 29 juillet 2009 et le projet de ratification a été déposé à l'Assemblée nationale le 25 août : l'ordonnance est donc en vigueur avec valeur administrative et acquerra sa valeur législative à l'issue de sa ratification.

I. LE REDÉCOUPAGE DES CIRCONSCRIPTIONS LÉGISLATIVES : UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE DÉSORMAIS DOTÉE D'UN CADRE CONSTITUTIONNEL

A. LA REDÉFINITION DES CIRCONSCRIPTIONS LÉGISLATIVES : UNE NÉCESSITÉ POUR GARANTIR L'ÉGALE REPRÉSENTATION DES CITOYENS

1. Les circonscriptions législatives, définies pour les seuls besoins de l'élection des députés, peuvent être modifiées par le législateur ordinaire

Aux termes de la Constitution et du code électoral, le mode de scrutin pour les élections législatives se caractérise par deux singularités.

En premier lieu, le scrutin d'élection des députés est un scrutin majoritaire à deux tours . Il s'agit d'un mode de scrutin particulièrement pérenne : institué pour la première fois de 1875 à 1889, il fut rétabli en 1958 et ne connut qu'une seule suspension, éphémère, lors des élections législatives de mars 1986 1 ( * ) , qui se déroulèrent au scrutin proportionnel à un tour.

Ensuite, les élections législatives ont lieu dans des circonscriptions ad hoc , spécifiquement définies en vue de l'élection des députés , c'est-à-dire en-dehors de toute réalité administrative préexistante. Il s'agit d'une innovation de la V ème République, les députés ayant été élus dans le cadre des départements ou des arrondissements tout au long des III ème et IV ème Républiques. Là encore, le principe ne connaît qu'une seule exception : celle des élections législatives de 1986, qui entraînèrent un bref retour au département.

Du fait de cette dernière caractéristique, il est loisible au législateur de modifier non seulement le nombre de députés de chaque circonscription, mais aussi la délimitation des circonscriptions elles-mêmes afin de tenir compte des évolutions historiques et démographiques du territoire et, ainsi, de garantir le respect du principe d'égalité devant le suffrage ; ce principe découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, source du principe général d'égalité entre les citoyens, et de l'article 3 de la Constitution, aux termes duquel le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».

Dès lors, entre 1958 et 1986, la V ème République a été marquée par une série d'actualisations régulières des frontières des circonscriptions , intervenues environ tous les dix ans. Depuis leur délimitation initiale par l'ordonnance n° 58-945 du 13 octobre 1958, les circonscriptions législatives ont ainsi été remodelées en 1966, en 1972, en 1975, puis en 1986.

Modifications apportées en métropole aux délimitations des circonscriptions électorales législatives sous la Ve République

Date

Secteur intéressé

Impact des modifications

Ordonnance n° 58-945 du 13 octobre 1958

Totalité du territoire métropolitain

Délimitation des
465 circonscriptions métropolitaines

Loi n° 66-502 du 12 juillet 1966

Remplacement des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par ceux de Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Essonne, Yvelines et Val d'Oise

42 circonscriptions avant
47 circonscriptions après

Loi n°72-522 du 24 juin 1972

Modification des limites des départements de l'Ain, de l'Isère et du Rhône

16 circonscriptions avant
19 circonscriptions après

Loi n° 75-357 du 15 mai 1975

Remplacement du département de la Corse par ceux de Corse-du-Sud et de Haute-Corse

3 circonscriptions avant
4 circonscriptions après

Loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986

Totalité du territoire métropolitain

Délimitation des
555 circonscriptions métropolitaines

Les circonscriptions ainsi définies figurent dans les tableaux n° 1 et n° 1 bis annexés au code électoral en application de son article L. 125.

La décision constitutionnelle n° 86-128 DC du 18 novembre 1986 rappelle à ce titre que, dès lors que l'effectif total de l'Assemblée nationale n'est pas affecté, le remodelage des frontières des circonscriptions, ainsi que la modification de la répartition des sièges entre les différentes circonscriptions, est une compétence du législateur ordinaire 2 ( * ) .

Par conséquent, la modification des circonscriptions législatives relève de l'article 34 de la Constitution et peut, en tant que telle, être réalisée par voie d'ordonnance 3 ( * ) .

2. La délimitation actuelle des circonscriptions : un héritage de la loi du 24 novembre 1986

Comme le soulignait votre rapporteur Patrice Gélard dans son rapport sur le projet de loi et le projet de loi organique relatifs à la commission prévue par l'article 25 de la Constitution, la carte actuelle des circonscriptions est héritée du processus de redécoupage « mouvementé » entré en vigueur avec la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986.

En effet, le remodelage des circonscriptions opéré en 1986 fut rythmé par l'utilisation successive de l'article 38 de la Constitution, permettant au gouvernement de légiférer par ordonnances, puis de l'article 49, troisième alinéa, de la Constitution, afin d'engager l'Assemblée nationale à adopter le texte avant son examen par le Sénat. Après le passage du texte devant le Conseil constitutionnel, qui le déclara conforme à la Constitution malgré de strictes réserves d'interprétation, des observations publiques furent formulées par une commission de « sages » instituée par M. Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, et constituée de magistrats 4 ( * ) .

Finalement, le Président de la République, M. François Mitterrand, refusa de signer les ordonnances préparées en application de la loi d'habilitation, si bien que celles-ci furent transformées en projet de loi par le gouvernement, lequel fut adopté par le Parlement.

Le redécoupage alors mis en oeuvre -et toujours en vigueur- repose sur quatre principes :

- tout d'abord, il consacre l'usage constant depuis 1914 selon lequel chaque département doit être représenté par au moins deux députés ;

- ensuite, il repose sur la méthode dite des « tranches » , qui attribue à chaque département un nombre de sièges correspondant à la partie entière du quotient plus un siège pour tout reste. La clé de répartition fixée par la loi de 1986 octroyait deux sièges jusqu'à 216.000 habitants, puis un siège supplémentaire par tranche de 108.000 habitants ;

- la continuité territoriale des circonscriptions est posée comme principe, le législateur ne pouvant y déroger que pour les départements dont le territoire comporte des parties insulaires ou enclavées ;

- la délimitation des circonscriptions est subordonnée au respect des limites cantonales , sauf dans les circonscriptions créées à Paris, Marseille et Lyon et dans les cantons présentant une discontinuité territoriale ou comptant moins de 40.000 habitants selon les chiffres du recensement général de 1982 ;

- enfin et surtout, il prévoit que la population d'une circonscription ne peut présenter un écart de plus de 20% par rapport à la population moyenne des circonscriptions du département.

3. Maintenu en vigueur malgré de nombreuses tentatives de réforme, le tableau de 1986 est aujourd'hui à l'origine de fortes disparités entre les électeurs

Dans le cadre du processus de refonte des dispositions relatives à l'élection des députés conduit entre 1985 et 1986, le législateur a prévu qu'il serait procédé à la révision des limites des circonscriptions « en fonction de l'évolution démographique ». Cette révision aurait dû répondre à une règle précise de périodicité et avoir lieu « après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation » 5 ( * ) . Or, deux recensements généraux sont intervenus en 1990 et en 1999, sans pour autant provoquer une révision du découpage des circonscriptions législatives : les tableaux n° 1 et n° 1 bis sont donc désormais obsolètes.

En effet, les tentatives de réforme menées dans les années 1990 et 2000, bien qu'ambitieuses, se sont avérées infructueuses.

On peut ainsi citer les travaux de la commission de réforme des modes de scrutin, présidée par le doyen Georges Vedel en 1993, qui proposait de « créer, en s'inspirant d'exemples étrangers, [...] une commission indépendante, qui interviendrait en amont de l'élaboration du projet de loi [portant délimitation des circonscriptions] ». Composée « pour une part, de membres des juridictions administratives et judiciaires et, pour l'autre, d'experts dans les disciplines de la démographie, de la géographie et des sciences politiques », cette commission devait inciter les pouvoirs publics à actualiser régulièrement la carte des circonscriptions législatives.

De la même manière, une commission pour le redécoupage des circonscriptions législatives et des cantons, présidée par M. Pierre Bordry, conseiller d'Etat, avait été mise en place le 4 mars 2005 et avait remis son rapport à M. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, en juin 2005. Ses travaux, qui préconisaient l'instauration d'un écart maximal de 10% entre la population de chaque circonscription et la moyenne départementale et le relèvement de la « tranche » à 116.200 habitants, auraient entraîné la modification des limites des circonscriptions de 35 départements s'ils avaient été mis en application sur la base des chiffres issus du recensement général de 1999. Le projet a toutefois été abandonné, le gouvernement renonçant à réviser les limites des circonscriptions moins de deux ans avant les plus proches élections 6 ( * ) .

En tout état de cause, le maintien en vigueur des tableaux établis en 1986 est aujourd'hui la cause de disparités substantielles entre les électeurs des différentes circonscriptions, dont les voix n'ont plus un poids égal. Ainsi que le précisait M. Patrice Gélard dans son rapport précité, « le tracé des circonscriptions dessiné en 1986 [...] repose aujourd'hui sur une `photographie' de la population datant de vingt-[sept] ans ». Du fait de ce décalage temporel, trente-six circonscriptions législatives présentent un écart de plus de 20% à la population moyenne des circonscriptions dans le département et violent les principes posés lors de la réforme de 1986.

Dans un registre similaire, M. Charles de la Verpillière, rapporteur du présent texte à l'Assemblée nationale, rappelle que la 2 ème circonscription de la Lozère compte actuellement six fois moins d'habitants que la 6 ème circonscription du Var.

Écarts constatés dans les circonscriptions mises en place en 1986 (Statistiques démographiques du recensement général de 1999) .

Circonscriptions
dont la population est

Départements

inférieure
à la moyenne
départementale
de + de 20 %

supérieure
à la moyenne
départementale
de + de 20 %

Alpes-Maritimes

8 e (86.470 h)

6 e (137.352 h)
7 e (136.913 h)
9 e (143.897 h)

Aude

-

2 e (126.391 h)

Bouches-du-Rhône

3 e (83.270 h)

10 e (146.927 h)
12 e (151.625 h)

Haute-Garonne

4 e (92.553 h)
9 e (92.471 h)

5 e (169.505 h)
6 e (173.495 h)

Hérault

-

3 e (157.833 h)
4 e (157.808 h)

Ille-et-Vilaine

6 e (97.615 h)

5 e (151.520 h)

Loire

-

7 e (127.903 h)

Loire-Atlantique

-

5 e (140.357 h)

Pas-de-Calais

-

11 e (128.646 h)

Bas-Rhin

-

4 e (146.848 h)
9 e (138.394 h)

Paris

3 e (75.128 h)
15 e (78.490 h)

6 e (122.870 h)
21 e (125.252)

Seine-et-Marne

-

8 e (169.078 h)

Yvelines

6 e (86.974 h)

1 ère (136.268 h)

Var

1 ère (73.946 h)
2 e (86.693 h)

6 e (180.153 h)

Vaucluse

-

2 e (152.332 h)

Val-d'Oise

-

2 e (188.200 h)

Martinique

-

4 e (128.058 h)

Guyane

1 ère (55.644 h)

2 e (101.569 h)

* 1 Loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 ; cette « parenthèse » proportionnelle ne dura cependant qu'un an, le scrutin majoritaire à deux tours étant rétabli par la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986.

* 2 L'article 25 de la Constitution prévoit en effet : « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ». Une lecture combinée de ces dispositions avec celles de l'article 34 de la Constitution montre ainsi que les autres éléments déterminants pour l'élection des parlementaires relèvent de la loi ordinaire.

* 3 C'est notamment ce qu'affirme le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-573 du 8 janvier 2009, au considérant 16.

* 4 La commission comprenait deux magistrats du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.

* 5 Second alinéa de l'article L. 125 du code électoral, inséré par la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986. Cette indication n'est toutefois pas contraignante pour le législateur : dans sa décision constitutionnelle précitée du 2 juillet 1986, le Conseil constitutionnel a en effet considéré que « le respect dû au principe de l'égalité devant le suffrage implique que la délimitation des circonscriptions électorales pour la désignation des députés fasse l'objet d'une révision périodique en fonction de l'évolution démographique ; que la constatation d'une telle évolution peut résulter de chaque recensement général de la population ; que, si l'article 2 de la loi méconnaît ce principe, il ne saurait cependant lier pour l'avenir le législateur ; que, dès lors, en raison de son caractère inopérant, il n'y a pas lieu de le déclarer contraire à la Constitution » (considérant n° 29).

* 6 AN, question écrite n° 81635 de M. Léonce Deprez.

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