II. LES ENJEUX ET CONTRAINTES D'UNE OUVERTURE RAISONNÉE À LA CONCURRENCE

A. LA DÉMATÉRIALISATION, VECTEUR DE NOUVEAUX RISQUES

1. Les risques reconnus de fraude et de criminalité

Les caractéristiques mêmes du jeu en ligne que sont, par exemple, la dématérialisation, la rapidité, l'interactivité, la simplicité, la segmentation des opérations ou l'invisibilité du joueur, comportent de nouveaux risques de fraude et de criminalité de la part du site ou du joueur lui-même , exposés dans l'étude précitée du CERT-LEXSI : non-paiement des gains, manipulation des taux de redistribution, vol de cartes bancaires, blanchiment de fonds, manipulation des résultats et cotes des paris, revente de données personnelles à des groupes criminels, programmes « furtifs » de publicité et de routage des connexions... La forte croissance de ce marché peut aussi accroître les incitations à la corruption de fonctionnaires ou de contractants privés.

Ces jeux s'inscrivent donc dans la problématique transversale de la difficulté de faire respecter des interdits sur Internet , tant du fait des caractéristiques techniques de cet outil que de la perception (parfois factice) d'un nouveau champ de liberté individuelle. Le régime du démarchage financier se heurte à des obstacles de même nature (respect du champ des produits interdits de démarchage, détection et stigmatisation des démarcheurs non agréés...) et la genèse laborieuse de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), par la loi « création et Internet », illustre la difficile conciliation entre liberté individuelle et respect de l'ordre public , de protection comme de direction.

Pour autant, la dématérialisation peut aussi permettre une amélioration de la traçabilité et de la sécurité , notamment des moyens de paiement, dès lors que les opérateurs disposent d'infrastructures et de logiciels performants, s'astreignent à des contrôles de l'identité des joueurs et respectent les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment.

2. Les risques amplifiés d'addiction

L'addiction est un phénomène connu et mesuré lorsqu'elle est liée à des substances (alcool, drogues, cigarette...), mais beaucoup moins bien cerné en l'absence de substances , et singulièrement en matière de jeu. Le constat de la dépendance repose cependant sur des faits, comme en témoignent les patients du centre médical de Marmottan et les recherches du Pôle universitaire d'addictologie du CHU de Nantes, et chacun peut plus ou moins spontanément établir une distinction entre le joueur occasionnel qui se divertit et le joueur pathologique qui s'appauvrit , en passant par le joueur expert qui en fait une quasi activité professionnelle.

La dépendance au jeu, qui naît de la convergence entre le loisir et l'appât du gain, constitue donc un enjeu de santé publique et un nouveau champ d'investigation. Une étude conduite en Suisse à la demande de la Commission fédérale des maisons de jeux et de l'Office de la justice, publiée en novembre 2004, décrit ainsi avec pertinence le processus du jeu pathologique :

« Chez la plupart des personnes concernées, le parcours de la dépendance depuis son apparition jusqu'à sa guérison est, dans les grandes lignes, le même. Cette " carrière de joueur " comporte trois phases : une première phase positive (phase de gain), une phase critique d' accoutumance (phase de perte) et une phase de dépendance (phase de désespoir). [...] Un gain important par rapport au revenu du joueur peut être l'élément déclencheur d'un jeu problématique. [...] Au cours de la phase de jeu intensive, l'aspect principal est le rattrapage des dettes que le joueur a contractées à cause du jeu ».

De même, une étude publiée en juillet 2009 par la société publique Svenska Spel , équivalent suédois de la Française des jeux, a évalué le coût de l'addiction en Suède à environ 400 millions d'euros.

Le jeu en ligne peut à cet égard réunir tous les critères du potentiel addictif , tels que la possibilité de mises de faible montant, l'accessibilité immédiate et l'unité de lieu, l'intensité de la répétition de courtes phases de jeu, la possibilité de simuler des paris, et un taux de retour au joueur (TRJ) plus élevé que pour les jeux du réseau physique. Les « machines à sous » en ligne sont ainsi le jeu qui présente le plus de risques d'addiction.

La question de l'impact du TRJ, directement liée à la fiscalité applicable, est cependant controversée . Plusieurs études anglo-saxonnes ont mis en évidence une corrélation par une élasticité de la demande de jeu nettement supérieure à l'unité, mais la causalité n'est pas démontrée de manière irréfutable. On peut cependant intuitivement penser qu'avec un TRJ élevé, un joueur est davantage incité à réinvestir ses gains pour « se refaire » , le TRJ contribuant également à lui faire surestimer ses chances.

En revanche, la fréquence de jeu est un élément clef du développement du jeu excessif , qui trouve un terreau plus favorable lorsqu'un joueur mise quotidiennement des sommes relativement faibles que lorsqu'il engage très ponctuellement une somme élevée.

Si les ressorts de l'addiction au jeu sont désormais davantage étudiés, notre pays ne dispose pour ainsi dire d'aucune données statistiques , en premier lieu sur le nombre de joueurs pathologiques, et votre rapporteur déplore depuis longtemps que ce thème n'ait que peu ou pas été pris en compte dans les politiques de santé des gouvernements successifs .

En se fondant sur des statistiques étrangères, une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de juillet 2008 avait évalué, selon une fourchette large, entre 1 % et 3 % la proportion des joueurs pathologiques et problématiques. La deuxième étude de l'INSERM, plus détaillée et reposant sur une analyse statistique de grande ampleur, permettra d'apporter de précieux éclairages mais a déjà pris du retard .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page