III. UN ACCORD DE FACTURE CLASSIQUE

L'accord d'encouragement et de protection réciproques des investissements fait partie des quatre-vingt-douze accords du même type actuellement en vigueur qui permettent aux investisseurs français de bénéficier d'une protection juridique contre les risques politiques encourus dans le pays concerné.

Le Sénégal a signé depuis 2000 des accords de protection de l'investissement avec l'Italie (2000), le Mali (2005), l'Ile Maurice (2002), le Maroc (2006) et l'Espagne (2007).

L'accord conclu avec la France ne couvre pas les questions fiscales, traitées notamment par la convention fiscale signée le 29 mars 1974 et qui a fait l'objet d'un avenant entré en vigueur en 1993. Tous les investissements effectués avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord de juillet 2007 sont concernés par ses dispositions (art. 2). Cependant, seuls les différends nés après son entrée en vigueur doivent se conformer aux modalités de règlement prévues à l'article 8. Les investissements français bénéficiaient avant cet accord des protections éventuelles prévues par le Code de l'investissement sénégalais de 2004 ainsi que de ce qui est prévu tant par l'OHADA que par l'UEMOA.

Le texte de l'accord de Dakar s'éloigne peu de l'accord type français.

L'accord rappelle dans son préambule son double objectif : renforcer la coopération économique entre les parties et créer des conditions favorables aux investissements réciproques.

L'article 1 er définit plusieurs termes récurrents dans l'accord, au premier rang desquels celui d'« investissement ». La définition retenue s'avère suffisamment large pour permettre d'étendre le champ d'application de l'accord à tous les investissements réalisés par les nationaux ou sociétés de chaque partie, qu'ils aient été effectués avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord.

En vertu de l'article 2, l'Etat est responsable des actions ou omissions de ses collectivités publiques.

L'article 3 pose le principe général d'admission et d'encouragement par une partie des investissements effectués par les investisseurs de l'autre partie tandis que les articles 4 et 5 en précisent les contours :

- les investissements de l'autre partie bénéficient d'un traitement « juste et équitable » ; chaque partie examine, dans le cadre d'un investissement, avec bienveillance, les demandes d'entrée et d'autorisation de séjour, de circulation ou de travail sur son territoire (art. 4) ;

- les investisseurs ne peuvent être traités moins favorablement que ceux de l'Etat où ils investissent, ou moins favorablement que les investisseurs de la nation la plus favorisée, si le traitement réservé à ceux-ci est plus favorable ; des exceptions sont néanmoins prévues pour les avantages résultant d'accords économiques régionaux, tels que l'Union européenne pour la France, ainsi que pour les questions fiscales (art. 5). Le dernier alinéa de cet article précise que les dispositions relatives au traitement national et au traitement de la nation la plus favorisée ne s'étendent pas aux avantages particuliers accordés aux institutions financières de développement. Cette précision a été ajoutée à la demande sénégalaise afin de ne pas faire bénéficier systématiquement les investisseurs des régimes dérogatoires
- essentiellement des avantages fiscaux - accordés aux institutions financières de développement (l'Agence française de développement par exemple).

En vertu de l'article 6, l'Etat partie dans lequel l'investissement est réalisé assure la protection et la sécurité pleine et entière de celui-ci. Les mesures d'expropriation ou de nationalisation sont prohibées sauf si les conditions suivantes sont réunies : l'existence d'une cause d'utilité publique liée à des exigences internes, le respect de la procédure légale requise et l'absence de toute discrimination ou contradiction avec un engagement particulier.

L'expropriation éventuelle donne lieu au paiement d'une indemnité « prompte et adéquate », calculée et versée selon les modalités prévues par l'accord.

Le traitement national ou celui de la nation la plus favorisée doit être accordé à tout investisseur de l'autre partie, victime de pertes dues à la guerre ou à tout autre conflit armé.

L'article 7 garantit le libre transfert des diverses formes de revenus que peut produire l'investissement, sauf circonstances exceptionnelles (difficultés de balance des paiements, difficultés financières extérieures) exigeant des mesures de sauvegarde, ces dernières étant limitées à une durée de six mois. Les transferts sont « effectués en conformité avec les procédures en vigueur dans la législation de la partie contractante concernée, étant entendu que celles-ci ne sauraient dénier, suspendre ou dénaturer le libre transfert.». Il s'agit d'une spécificité de cet accord. En effet, l'accord-type ne mentionne pas la nécessité que les transferts soient conformes à la législation nationale.

Le mode de règlement des conflits prévu par le présent accord dépend de la nature des différends.

Dans le cas de différends opposant un investisseur et une partie contractante, l'article 8 de l'accord prévoit d'abord un règlement à l'amiable ; si celui-ci n'a pu être obtenu dans un délai de six mois, plusieurs solutions sont envisageables.

L'accord organise le règlement des différends relatifs aux investissements entre un Gouvernement signataire de l'accord et un investisseur de l'autre partie signataire. Il pose le principe de la recherche du règlement amiable avant tout recours à une autre forme de règlement.

A la demande de l'investisseur, si aucun accord n'a pu être trouvé dans un délai de six mois, trois voies d'arbitrage sont ouvertes :

- arbitrage par un tribunal arbitral ad hoc selon les règles de la Commission des Nations unies pour le Droit Commercial (CNUDCI). Le règlement d'arbitrage de la CNUDCI est entré en vigueur le 15 décembre 1976 et concerne les contrats commerciaux internationaux. Il définit la composition du tribunal arbitral, la procédure de l'arbitrage, notamment sa notification, son lieu, la langue utilisée, les conditions de la requête, de la réponse, les preuves, les mesures exécutoires, la clôture des débats et la forme et les effets de la sentence. Le recours à un arbitrage conformément à ce règlement est un accord préalable des parties, convenu par écrit (clause compromissoire) ;

- arbitrage du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, créé par la Convention de Washington du 18 mars 1965 que la France a signée en décembre de la même année et le Sénégal en septembre 1966). L'objet du CIRDI, institution à vocation internationale, est « d'offrir des moyens de conciliation et d'arbitrage pour régler les différends relatifs aux investissements opposant des États contractants à des ressortissants d'autres États contractants ». La compétence du Centre est définie par l'article 25 de la convention de Washington qui stipule que « la compétence du Centre s'étend aux différends d'ordre juridique entre un État contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu'il désigne au Centre) et le ressortissant d'un autre État contractant qui sont en relation directe avec un investissement et que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d'elles ne peut le retirer unilatéralement. Un arbitrage par le CIRDI peut ainsi intervenir non seulement pour les actes de l'État lui-même mais également des collectivités publiques ou d'organismes dépendant de lui, à condition que l'État concerné ait donné son approbation à un tel consentement (alinéa 3 de l'article 25 de la Convention). Le dernier paragraphe de l'article 8 de l'accord signé entre la France et le Sénégal permet explicitement la participation des collectivités publiques à une telle forme d'arbitrage, à condition bien entendu qu'elles y consentent. Ceci est d'autant plus important que le Sénégal a mis en oeuvre depuis longtemps une politique de décentralisation mais aussi de création d'agences autonomes, dont l'APIX (agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux). Par ailleurs, en vertu de l'article 9 de l'accord de Dakar, un investisseur qui aurait bénéficié d'une garantie pour les investissements effectués à l'étranger et qui aurait de ce fait reçu des versements ne verrait pas son droit à recourir au CIRDI affecté, nonobstant la subrogation dans ses droits et actions au profit de l'État garant ;

- arbitrage par la Cour commune de Justice et d'arbitrage de l'OHADA, lorsque les parties relèvent de ce Traité. Selon l'article 21 du Traité de Port-Louis qui traite de l'arbitrage en son titre 4, la CCJA « ne tranche pas elle-même les différends. Elle nomme ou confirme les arbitres, est informée du déroulement de l'instance, et examine les projets de sentences ». Peuvent relever de la procédure d'arbitrage prévue par le titre 4 « toute partie à un contrat, soit que l'une des parties ait son domicile ou sa résidence habituelle dans l'un des États-Parties, soit que le contrat soit exécuté ou à exécuter en tout ou partie sur le territoire d'un ou plusieurs États-Parties. ».

Enfin, les dispositions de l'article 8 de l'accord de Dakar relatif à l'arbitrage s'appliquent même en cas d'engagement spécifique prévoyant la renonciation à l'arbitrage international ou désignant une autre instance que ce qui est prévu par cet article (art. 10).

Aux termes de l'article 11, le règlement des différends opposant les parties contractantes sur l'interprétation ou l'application de l'accord privilégie la voie diplomatique. Si cette dernière n'aboutit pas à une solution dans un délai de six mois, le différend peut être soumis, à la demande de l'une ou l'autre partie, à un tribunal d'arbitrage. Si la constitution de ce tribunal n'intervient pas dans un délai de deux mois, l'une des parties peut solliciter le secrétaire général des Nations unies afin qu'il désigne les membres du tribunal. Prises à la majorité des voix, les décisions du tribunal d'arbitrage sont définitives et exécutoires de plein droit.

L'article 12 prévoit que lorsque les parties apportent des modifications législatives ou réglementaires, des mesures pour protéger l'environnement peuvent être adoptées, à condition qu'elles n'entravent pas l'application des dispositions de l'accord.

Alors que les points contenus dans l'accord de Dakar ne diffèrent pas sensiblement de ce que l'on peut rencontrer dans les quatre-vingt autres accords de protection des investissements que la France a conclus, cet article 12 introduit des dispositions relatives à l'environnement ne figurant pas dans l'accord-type de protection des investissements que la France a coutume de signer. Il s'agit d'une demande forte du Sénégal qui suspendait la conclusion de l'accord à la prise en compte de cette question. La rédaction finale de consensus est celle proposée par la partie française. Cet article, intitulé Interdictions et restrictions, stipule que les parties contractantes peuvent, lorsqu'elles élaborent ou modifient leurs lois et réglementations, adopter les mesures nécessaires pour protéger l'environnement, à condition que ces mesures n'entravent pas l'application des dispositions du présent accord.

La partie sénégalaise avait exprimé le souhait que les conséquences des mesures adoptées pour protéger l'environnement soient exclues du champ d'application de l'accord. Une telle exclusion pourrait priver les investisseurs français du droit à être indemnisé des pertes subies en conséquence de telles mesures, lesquelles, en l'absence d'une clause d'exception, peuvent dans certains cas constituer des mesures d'expropriation indirecte. La France n'avait, jusqu'à présent, jamais accepté d'introduire de clause « environnementale » dans un API et ce, bien que ce soit une demande récurrente de ses partenaires. En effet, sa position traditionnelle, notamment à l'OCDE, est que ces clauses ne doivent pas être traitées dans le cadre de conventions bilatérales d'investissement afin de ne pas risquer d'entraîner des distorsions de concurrence. Accepter d'exclure totalement de l'accord les litiges qui pourraient survenir de l'adoption de mesures environnementales créerait un précédent dans notre politique conventionnelle qui est susceptible d'influencer de façon négative la sécurité économique des investissements dans le secteur industriel. Toutefois, pour prendre en compte le souhait du Sénégal de mettre en avant sa politique dans la matière, la France a proposé une rédaction alternative qui prévoit que les Etats sont libres d'adopter de telles règles, tout en respectant les obligations vis-à-vis des investisseurs qui découlent de l'accord. L'article 12 de l'accord reconnaît ainsi le droit des parties contractantes d'adopter des mesures environnementales à condition que ces mesures n'entravent pas l'application des autres dispositions de l'accord, notamment l'obligation d'indemnisation en cas d'expropriation indirecte.

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