B. UNE PRISE EN CHARGE EN DÉTENTION ENCORE LARGEMENT INSUFFISANTE

1. L'absence de structures adaptées

Aux termes de l'article 763-7, les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire doivent être incarcérées dans « des établissements pénitentiaires permettant d'assurer un suivi médical et psychologique adapté » (articles 763-7 et 717-1 du code de procédure pénale).

Plusieurs établissements pénitentiaires accueillent une forte proportion de délinquants sexuels.

A cette « spécialisation » de fait n'a cependant pas répondu, pendant longtemps, un effort spécifique. Ainsi, au terme de la visite en 2007 des centres de détention de Casabianda en Haute Corse et de Mauzac en Dordogne ainsi que du centre pénitentiaire de Caen accueillant plus de 80 % de délinquants sexuels, votre rapporteur dressait les constats suivants 18 ( * ) .

Force est de constater qu'aujourd'hui les moyens humains manquent pour assurer un véritable suivi de la population pénale dans les établissements concernés.

La prise en charge psychiatrique souffre de l'insuffisance du nombre de psychiatres publics : à Casabianda, le suivi médico-psychologique des détenus est assuré par un médecin psychiatrique du secteur hospitalier de Bastia qui effectue deux vacations par semaine -l'unité de soins médico-psychologiques fonctionnant désormais avec le renfort d'une psychologue à plein temps ; à Mauzac un psychiatre intervient une fois par semaine (alors que la convention avec l'hôpital prévoit trois journées et demi de présence). Le responsable de l'UCSA de Mauzac a estimé tout à fait illusoire la possibilité dans un centre aussi isolé que celui-ci - a fortiori lorsque le département dans lequel il est implanté souffre d'une pénurie de psychiatres- d'assurer une prise en charge effective des détenus atteints de troubles psychiques.

Le centre pénitentiaire de Caen dispose quant à lui d'un service médico-psychologique 19 ( * ) . Son responsable a attiré l'attention de votre rapporteur sur l'accroissement des charges lié notamment à la responsabilisation pénale des malades mentaux et à l'augmentation de la demande judiciaire de soins (en particulier à la suite de la loi du 5 août 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs). Il a souligné plus particulièrement deux priorités : d'abord, la nécessité de répondre mieux aux besoins des détenus dont la demande d'entretien individuel -sauf cas d'urgence- peut parfois attendre douze mois ; ensuite, l'opportunité de permettre une évaluation régulière des détenus au cours de la détention (par exemple bilan au quart de peine, à mi-peine et six mois avant la sortie).

Dans les trois établissements, l'insuffisance des effectifs de médecins, psychologues et travailleurs sociaux (un travailleur social pour 160 détenus à Casabianda, par exemple) rend difficile l'évaluation et le traitement de la dangerosité .

Cette dangerosité ne fait pas l'objet d'une évaluation méthodique. Dans ce domaine, les approches restent empiriques ou ponctuelles.

Ainsi le juge de l'application des peines dont dépend le centre de Casabianda rappelle dans son rapport annuel pour 2006 que selon un premier bilan réalisé le 7 juillet 2000 avec deux des médecins experts habituellement désignés, les condamnés, dans leur ensemble, ne présentent pas d'état dangereux au sens psychiatrique du terme. Selon le psychologue responsable du centre de détention de Mauzac, une trentaine de délinquants seraient susceptibles de récidiver à l'issue de leur libération.

Une prise en charge axée sur la prévention de la récidive reste pour le moins lacunaire. A Mauzac, un « groupe de parole » a été mis en place mais ne concerne qu'une petite partie des détenus. Cette expérience 20 ( * ) devrait cependant être étendue à partir de 2008 si les moyens humains le permettent.

Ainsi que votre rapporteur avait pu l'observer lors d'un déplacement au Canada en début d'année 2008, la prise en charge des délinquants sexuels pendant le temps de la détention est beaucoup plus développée dans ce pays que dans le nôtre. La politique pénitentiaire canadienne dans ce domaine -même si certaines méthodes de soins apparaissent parfois contestables- peut utilement nourrir la réflexion.

La prise en charge des délinquants sexuels :
l'exemple de l'établissement pénitentiaire de la Macaza

L'établissement La Macaza est une structure pénitentiaire fédérale pour hommes, d'un niveau de sécurité moyen, située à 1 heure 30 au nord ouest de Montréal dans les Laurentides. Il compte environ 230 employés (dont 53 % sont des agents de surveillance) pour une population pénale de 254 détenus au 8 janvier 2008. Parmi ces détenus, une centaine a été condamnée pour des infractions sexuelles. L'établissement compte 28 % de condamnés à des peines indéterminées contre 17 % pour la moyenne nationale des établissements à sécurité moyenne.

L'établissement se caractérise par la mise en oeuvre d'un programme spécifique pour les délinquants sexuels ainsi que par une prise en charge adaptée pour les autochtones (au début de l'année 2008, parmi les condamnés à des peines d'une durée supérieure à dix ans, l'établissement comptait près de la moitié d'autochtones).

La délégation a pu constater que la journée du détenu dans un centre tel que La Macaza était très chargée : le matin est plutôt consacré à la mise en oeuvre des programmes de traitement de la récidive tandis que l'après-midi est dévolu au travail 21 ( * ) et aux activités de loisir. C'est là un choix délibéré destiné à rapprocher le rythme de la vie en détention de celui qui prévaut en milieu libre et à favoriser ainsi la réinsertion. Le traitement des délinquants sexuels qui constitue la principale spécificité de l'établissement repose sur différents programmes. Certains sont plus particulièrement tournés vers le renforcement de la maîtrise de soi et la réduction de l'excitation sur la base de tests phallométriques.

Pendant douze à quatorze semaines, au cours de séances quotidiennes d'une quinzaine de minutes, un évaluateur enregistre 22 ( * ) le niveau d'excitation sexuelle de la personne placée dans une cabine isolée en réaction à une bande enregistrée que le délinquant a lui-même élaborée à partir de scénarios sonores inspirés notamment de la situation à l'origine de l'infraction.

Cet enregistrement dont l'efficacité est attestée par l'effet physique qu'elle produit sur le délinquant est validé par l'évaluateur avant que ne commence le traitement proprement dit. Celui-ci a pour objet de démontrer au délinquant qu'il est capable de se maîtriser par rapport à des « images sonores » qui pourraient le conduire à commettre une infraction sexuelle 23 ( * ) .

Le traitement des auteurs d'infractions passe aussi, surtout, par des thérapies de groupe assistées par un psychologue et un agent de groupe. Ces groupes dits de « thérapie cognito-comportementale », organisés selon différents modules, se déroulent en deux phases de seize semaines chacune, la première orientée vers la compréhension de l'acte délictuel, la seconde sur les outils dont la personne peut se doter pour éviter le geste déviant. Les groupes constitués d'une dizaine de détenus (mélangeant généralement les auteurs d'infractions sexuelles de nature différente afin que les individus ne forment pas un groupe homogène qui serait susceptible de se « blinder » et puissent réagir les uns par rapport aux autres) se réunissent quatre fois par semaine pour des séances de trois heures.

Les animateurs du groupe peuvent s'appuyer sur une méthodologie très structurée qui n'interdit nullement d'adapter avec souplesse la progression de la thérapie en fonction des profils des personnes prises en charge.

Votre rapporteur a observé de manière générale que l'essentiel de la prise en charge incombait à des personnels pourvus d'une formation de psychologue. L'établissement ne comporte pas de psychiatre « résident » mais recourt à des vacations, nécessaires notamment pour les prescriptions de certains traitements médicamenteux qui peuvent venir en appui du suivi psychologique plutôt qu'en substitution.

La prise en charge de la délinquance sexuelle au Canada semble avant tout marquée par un grand pragmatisme. Les responsables du service correctionnel entendent procéder sans a priori : une méthode est d'abord jugée sur son efficacité et plusieurs outils d'inspiration différente peuvent se combiner. A leurs yeux, il faut se donner toutes les chances de permettre la réinsertion de la personne condamnée. Ces choix sont parfois contestés et leur efficacité a été mise en cause par de récents travaux de recherche publiés aux États-Unis. Néanmoins, selon les interlocuteurs de votre délégation, ils semblent porter leurs fruits : le taux de réitération sur dix ans des délinquants sexuels serait, à l'échelle du Canada dans son ensemble, de 8 % (à titre de comparaison, le taux de recondamnation d'un condamné pour infractions sexuelles sur la période 2000-2004 est de 13,5 % en France).

* 18 Rapport pour avis n° 96 , tome IV (2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, sur le projet de loi de finances « Justice - administration pénitentiaire » pour 2008.

* 19 Le service médico-psychologique régional comprend trois équivalent temps plein (ETP) psychiatres, cinq temps pleins psychologiques, six ETP infirmiers.

* 20 Cette approche qui s'inscrit dans une perspective criminologique ou éducative mais non thérapeutique afin de permettre une réflexion de la part des personnes placées sous main de justice sur leur passage à l'acte.

* 21 L'établissement comprend une imprimerie qui produit les formulaires du service correctionnel du Canada et ceux d'autres ministères.

* 22 Par le moyen d'un anneau placé autour du sexe de l'intéressé.

* 23 Cette démonstration peut être obtenue, du moins au début du traitement, en invitant la personne à inhaler une très faible dose d'ammoniac chaque fois qu'elle ne se domine plus : l'inhalation réduit immédiatement l'excitation. L'évaluateur a pour objectif de faire prendre conscience à la personne que son corps peut résister à des fantasmes la conduisant à un comportement déviant avant de l'amener à considérer que la force de la volonté peut produire les mêmes effets qu'une inhalation d'ammoniac.

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