EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 24 FÉVRIER 2010

_______

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé qu'en dix ans le nombre de gardes à vue avait doublé. Les conditions de garde à vue restent déplorables comme l'a souligné, en 2009, le premier rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fragilisent le régime actuel de la garde à vue, créant ainsi une insécurité juridique préoccupante. A l'initiative de M. Jacques Mézard, le Sénat a déjà eu l'occasion de débattre de ce sujet le 9 février 2010. Les plus hautes autorités de l'Etat se sont émues de la situation actuelle de la garde à vue, le Président de la République appelant de ses voeux, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en 2009, la mise en place d'un « véritable habeas corpus à la française ».

Le rapporteur a ensuite évoqué les principaux aspects du régime juridique de la garde à vue en observant que, depuis 1993, une dizaine de lois d'une portée variable en avaient modifié les caractères. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 en ont fait une mesure créatrice de droits. La durée de la garde à vue, fixée à vingt-quatre heures au maximum, peut être renouvelée pour une même durée sur autorisation écrite du Procureur de la République. Le législateur a néanmoins prévu des prolongations supplémentaires dans deux hypothèses :

- pour les infractions de criminalité organisée, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures ;

- en cas de risque sérieux de l'imminence d'un acte de terrorisme, la garde à vue peut être prolongée de deux fois vingt-quatre heures supplémentaires.

M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le procureur de la République ou, s'il s'agissait d'une commission rogatoire, le juge d'instruction, devait être informé dès le début d'une garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé que le principe d'une information immédiate du magistrat avait constitué un progrès et impliquait aussi que l'autorité judiciaire prenne toutes ses responsabilités pour garantir un déroulement correct de la garde à vue.

Parmi les droits de la personne gardée à vue, le rapporteur a relevé la possibilité de faire prévenir par téléphone un proche ainsi que le droit de demander à s'entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue puis, le cas échéant, dès le début de la prolongation. Cependant, dans les régimes dérogatoires concernant la criminalité organisée, ce droit peut être reporté au début des prolongations de la garde à vue. Depuis la loi du 5 mars 2007, les auditions en garde à vue, en matière criminelle, font l'objet d'un enregistrement.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est inquiété de la progression considérable du nombre des gardes à vue qui, selon les statistiques officielles pour 2009, s'élevaient à 580 108, chiffre qui ne tenait cependant compte ni des gardes à vue effectuées outre-mer, ni de celles concernant les infractions routières, l'ensemble pouvant être estimé entre 850 000 et 900 000 gardes à vue. Il a noté que le choix de retenir, dans le cadre de la LOLF, le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale, n'était pas étranger à cette évolution. Estimant que la garde à vue restait une mesure utile, il lui est apparu d'autant plus nécessaire qu'il y soit recouru à bon escient.

Le rapporteur a également attiré l'attention sur les conditions souvent déplorables dans lesquelles étaient effectuées les gardes à vue insistant sur des mesures telles que la confiscation des lunettes ou l'obligation faite aux femmes de retirer leur soutien-gorge, vécues comme des humiliations par les intéressés. Les personnes sont ainsi placées dans un état de vulnérabilité ou de dépendance psychologique encore aggravé par le fait que, bien souvent, elles ignorent les raisons réelles justifiant la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, a rappelé, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme avait mis en exergue certaines fragilités du régime juridique français de la garde à vue. Ainsi, l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 précise que la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dès « le premier interrogatoire par la police » tandis que l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009 exige que l'action des avocats s'exerce « librement ». Sans doute ces arrêts ne sont-ils applicables qu'à l'Etat -en l'espèce la Turquie- partie à l'affaire jugée, néanmoins, certains tribunaux français ont été conduits à annuler des actes accomplis pendant des gardes à vue sur le fondement de la contrariété du droit français à la Convention européenne des droits de l'homme. Aussi, dans l'attente des décisions des cours d'appel et, sans doute, de la Cour de cassation, la situation actuelle est source d'une insécurité juridique préoccupante.

Evoquant alors les pistes de réforme actuellement envisagées, M. François Zocchetto, rapporteur, a relevé que le comité de réflexion présidé par M. Philippe Léger avait proposé, dans le rapport remis au Président de la République le 1 er septembre 2009, le renforcement de la présence de l'avocat pendant la garde à vue, d'une part, avec la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la douzième heure, l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client et, d'autre part, la présence possible de l'avocat si la garde à vue était prolongée. Ce rapport, a-t-il indiqué, recommandait également l'extension de l'enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue ainsi que la limitation de la garde à vue aux infractions punies d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an.

Le rapporteur s'est montré réservé sur l'une des propositions du rapport, également évoquée par la ministre de la justice et des libertés lors du débat sénatorial sur la question orale, concernant le principe d'une audition de la personne d'une durée de quatre heures qui pourrait avoir pour effet de différer en pratique la reconnaissance des droits reconnus dans le cadre de la garde à vue et, en particulier, l'accès à l'avocat.

M. Pierre Fauchon a observé, sur ce sujet, que cette audition devait être clairement présentée à l'intéressé comme une alternative à la garde à vue.

M. François Zocchetto, rapporteur, s'est dit particulièrement intéressé par la proposition présentée par la garde des Sceaux, prévoyant que, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne puisse être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Présentant alors la proposition de loi de M. Jacques Mézard et de plusieurs de ses collègues du groupe RDSE, le rapporteur a indiqué qu'elle reposait sur le principe selon lequel la personne gardée à vue ne saurait être entendue sans être assistée de son avocat. Ainsi, au début de la garde à vue, l'intéressé serait assisté d'un avocat pour la première audition s'il en faisait la demande et, en conséquence, l'audition pourrait être différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. A l'issue de cette audition, la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de l'avocat, sauf si elle renonçait expressément à ce droit. Il a observé, par ailleurs, que la proposition de loi visait à supprimer les régimes dérogatoires relatifs à la grande criminalité, à l'exception du report à la soixante-douzième heure de l'intervention de l'avocat pour les crimes et délits constituant des actes de terrorisme.

M. François Zocchetto, rapporteur, a jugé que la proposition de loi abordait un sujet d'actualité important et complexe qui devait également être examiné à la lumière de la réforme de la procédure pénale annoncée par le Gouvernement, dont le régime de la garde à vue constituerait nécessairement un volet important. Il a noté à cet égard que l'avant-projet de réforme serait très prochainement soumis à une concertation et qu'un texte devrait être présenté au début de l'été au Parlement. Il n'a pas écarté, pour sa part, qu'une initiative consensuelle puisse être prise par le Sénat sur la question spécifique de la garde à vue, et a souhaité que, dans cette perspective, le débat et la réflexion se poursuivent encore. Il a ainsi invité la commission à ne pas établir de texte et à adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

M. Jacques Mézard a rappelé que la proposition de loi avait pour objet de lever une insécurité juridique née d'une situation devenue intolérable. Il a observé que s'il était admis, comme l'avait indiqué la garde des Sceaux, qu'aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue, des dispositions écartant la présence de l'avocat pendant le déroulement de la garde à vue n'avaient plus de justification. Il a marqué la nécessité, pour le Sénat, de prendre une initiative dans ce domaine compte tenu de sa tradition de garant des libertés publiques.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a d'abord rappelé que l'influence du Sénat dans ce domaine pouvait s'exprimer indépendamment d'une proposition de loi et prendre, par exemple, la forme d'un amendement. Il a estimé que la prochaine réforme de la procédure pénale pourrait, en raison de son ampleur, faire l'objet de plusieurs textes distincts dont l'un serait consacré à la garde à vue, cette question pouvant être, selon lui, traitée de manière relativement indépendante de la suite de l'enquête.

M. Jean-Pierre Michel a souhaité qu'un état des lieux puisse être dressé sur les évolutions législatives ayant déjà concerné la garde à vue et, en particulier, sur l'intervention de l'avocat, qui avait permis un réel progrès par rapport à l'état de droit antérieur. Il a jugé, en outre, indispensable que le parquet assume effectivement l'intégralité des responsabilités qui lui sont confiées par le code de procédure pénale pour assurer le contrôle de cette mesure. Il a ajouté que la réforme de l'instruction changerait profondément la nature de la garde à vue, le procureur de la République étant susceptible de mener l'enquête directement dès l'interpellation de la personne. M. Jean-Pierre Michel s'est interrogé sur l'aide judiciaire et les modalités actuelles du fonctionnement des barreaux pour garantir une permanence afin d'assurer l'intervention des avocats dans le cadre des gardes à vue. Il a enfin rappelé que la commission lui avait confié ainsi qu'à M. Jean-René Lecerf une mission sur la réforme de la procédure pénale dont le champ concernait également la garde à vue.

M. Jean-René Lecerf s'est déclaré réservé, pour sa part, sur la communication du dossier à l'avocat, dès lors que celui-ci serait présent pendant le déroulement de la garde à vue. Il a déploré les modalités actuelles de déroulement des gardes à vue et, en particulier, la confiscation de certains objets ou encore la pratique des fouilles dont les conditions présentaient moins de garanties que celles désormais reconnues par la loi pénitentiaire aux personnes détenues, ce qui lui paraissait particulièrement choquant.

M. Alain Anziani s'est interrogé sur les raisons qui conduisaient encore à différer l'examen d'un texte sur un sujet dont chacun s'accordait à reconnaître l'urgence dans un contexte d'insécurité juridique. Il a souhaité que le législateur puisse traiter, en particulier, de la communication du dossier à l'avocat, du statut du gardé à vue ainsi que des moyens dévolus à l'indemnisation de la défense.

Sur la proposition de son rapporteur, la commission a décidé de ne pas établir de texte et d'adopter une motion de renvoi en commission .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page