b) Un fonctionnement en vase clos : la prévalence des auto-saisines

En outre, le CES de la V e République a trop souvent été, comme le Conseil économique de 1946, ignoré par ses autorités de saisine, qui n'ont que rarement fait appel à lui : ainsi, en 2007, le Conseil n'a produit que 4 avis sur saisine gouvernementale.

Le Conseil a donc été contraint de définir lui-même ses thèmes d'étude et a largement recouru aux auto-saisines . Ce type de saisine, qui ne représentait que la moitié des avis rendus dans les années 1970, a cru de manière continue jusqu'à aujourd'hui, si bien que les auto-saisines suscitaient deux tiers des avis du Conseil dans les années 1990, et jusqu'à trois quarts entre 2005 et 2007.

Ce « paradoxe » d'un « organe consultatif au service des pouvoirs publics dont la principale activité consiste à s'auto-consulter » 10 ( * ) est d'autant plus étonnant que les auto-saisines ne sont pas expressément prévues par la Constitution de 1958 et que, lors des débats préparatoires à son adoption, un amendement en ce sens avait été rejeté.

La prévalence des auto-saisines, qui demeure réelle, tend toutefois à s'atténuer dans la période récente, et notamment depuis 2008. En effet, les saisines gouvernementales facultatives sont en nette progression, même si le Gouvernement persiste à ne pas consulter le Conseil sur des sujets qui sont pourtant de sa compétence.

Notre collègue Jean-Claude Frécon relève ainsi que le Conseil n'a été saisi ni du projet de loi de modernisation de l'économie, ni du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active (RSA). Toutefois, il note surtout que les auto-saisines ne sont, en réalité, qu'une variable d'ajustement que le Conseil utilise pour pallier le faible nombre de saisines gouvernementales , ces dernières étant systématiquement traitées en priorité et dans des délais réduits (deux à trois mois).

Le bilan d'activité du CESE depuis 2005

Année

Nombre d'avis

adoptés

Nombre

d'études

Total

Dont saisines

gouvernementales

Communications

Nombre de personnes

entendues en audition

2005

19

2

21

6 avis

4

230

2006

23

0

23

5 avis

3

223

2007

20

5

25

4 avis

5

266

2008

29

2

31

8 avis

5

267

Source : Rapport d'information n° 389 (2008-2009) de M. Jean-Claude Frécon, fait au nom de la commission des finances, déposé le 6 mai 2009.

c) Une composition peu représentative

Enfin et surtout, la composition du Conseil a fait l'objet de critiques virulentes qui pointent son manque de représentativité et son inadaptation aux réalités sociales.

De telles critiques sont inévitables dans un contexte où, pour mettre en place une assemblée ayant vocation à représenter la société civile, l'Etat doit institutionnaliser des groupes qui, justement, agissent hors du champ d'action des pouvoirs publics traditionnels, et où il doit pour ce faire fixer des critères de représentativité. Or, ces critères sont, par définition, imparfaits et donc susceptibles d'être contestés.

Toutefois, par-delà ces considérations, la composition du CES est d'autant plus discutable qu'elle n'a pas fondamentalement évolué depuis 1958 : la composition actuelle du Conseil est, encore aujourd'hui, largement le reflet des compromis opérés dans les années 1950 et 1960.

Cet anachronisme est aggravé par le fait que les critiques adressées au Conseil ont, le plus souvent, été résolues par une augmentation du nombre total de ses membres -ce procédé ayant d'ailleurs incité les pouvoirs publics à s'abstenir de mener une réflexion de grande ampleur sur la répartition des sièges entre les différents secteurs sociaux et économiques.

Ainsi, si la réforme opérée par la loi organique n° 84-499 du 27 juin 1984 a restructuré les groupes présents au Conseil, notamment afin de mieux représenter les salariés et de permettre aux représentants de l'économie sociale de s'exprimer au sein du CES, ce fut au prix d'un accroissement sensible du nombre de conseillers, qui passa de 200 à 230.

Cette inertie de la composition du CES a provoqué une dégradation importante de sa représentativité à tous les niveaux :

- certaines catégories sont notablement sous-représentées (comme les professions libérales, qui ne disposent que de trois sièges), tandis que d'autres bénéficient d'un nombre de sièges sans rapport avec leur poids réel dans l'économie (c'est, par exemple, le cas des professions agricoles, qui occupent plus d'un dixième des sièges du Conseil) ;

- plus structurellement, les groupes du CES se sont sédimentés autour de critères hétérogènes (professionnels, sociaux, géographiques...), ce qui a renforcé l'apparente opacité de sa composition ;

- enfin, les conseillers ne reflètent qu'imparfaitement la diversité de la société française : d'un âge moyen élevé (60,3 ans au 1 er janvier 2009), ils ne comptent que peu de femmes dans leurs rangs (21,5 % ; ce chiffre contraste avec le poids réel des femmes dans la population active, puisqu'elles représentent aujourd'hui la moitié des travailleurs et sont les plus touchées par des problématiques que le CES devrait prendre en compte, comme la précarité ou le chômage).

* 10 M. Dominique-Jean Chertier, rapport précité. Celui-ci considère également que « les auto-saisines n'ont pas vocation à constituer un point d'entrée privilégié » et qu'« elles ne doivent être admises qu'en tant qu'elles manifestent l'indépendance de l'institution. C'est pourquoi ce mode de saisine doit être réservé aux thèmes de réflexion d'une importance particulière dont les pouvoirs publics ne veulent pas saisir le Conseil, notamment en raison de leur caractère sensible, ce qui ne devrait représenter, au maximum, que deux ou trois auto-saisines par an. »

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