2. La Commission européenne propose des taxes nationales qui alimenteraient des fonds de résolution nationaux

Michel Barnier, commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, a indiqué, lors de la présentation d'une communication sur les « fonds de résolution des défaillances bancaires » 9 ( * ) , que la Commission s'oriente vers la « mise en place d'un cadre général de prévention et de gestion des crises en complément des mesures de régulation, afin de réduire la probabilité, la gravité et le coût des futures crises ». Il juge que « la logique la plus pragmatique aujourd'hui, c'est d'avoir des fonds nationaux liés aux superviseurs et aux Etats, alimentés par les banques, avec une coordination et un cadre européen ».

La Commission retient donc le principe du « pollueur-payeur » . Les banques verseraient ainsi une contribution alimentant un fonds, mis en place au niveau national, de prévention, d'assainissement et de restructuration, appelé « fonds de résolution ».

Michel Barnier souligne néanmoins qu'un tel fonds « ne sera pas utilisé pour renflouer ou pour secourir une banque. Mais uniquement pour s'assurer qu'une faillite bancaire serait gérée de manière ordonnée et sans déstabiliser l'ensemble du système financier ». Les différents fonds nationaux seraient interconnectés entre eux, notamment en vue d'intervenir lors de défaillances d'établissements transnationaux.

Pour la Commission, le financement des fonds doit répondre à deux impératifs : « obtenir les ressources nécessaires en prenant en compte les modalités de leur emploi (c'est-à-dire la probabilité et le coût de la résolution des défaillances) ; encourager un comportement approprié, atténuant le risque de résolution ».

La communication donne des détails plus techniques sur les éléments sur lesquels pourraient être assis la contribution. Pour autant, la variable finalement retenue n'est pas encore arrêtée. La Commission sera également attentive à éviter les distorsions de concurrence entre les Etats membres et devrait, à cette fin, proposer un texte à l'automne 2010.

3. Les propositions nationales

a) En France
(1) Deux nouvelles taxes qui n'ont pas vocation à stabiliser le secteur financier

La France a d'ores et déjà institué deux nouvelles taxes frappant le secteur financier . La première permet de financer la supervision. La seconde, exceptionnelle, porte sur les bonus des opérateurs de marché. Elles sont donc limitées dans leur champ et dans leurs effets au regard de l'objectif de stabilité de la sphère financière .

L'article 6 de la loi de finances pour 2010, codifié à l'article L. 612-20 du code monétaire et financier, a tout d'abord institué une « contribution pour frais de contrôle » au profit de la Banque de France, destinée à assurer le financement de la tâche de supervision du secteur bancaire et assurantiel assumée par l'Autorité de contrôle prudentiel.

Comme le rappelle notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, dans son rapport sur la loi de finances pour 2010, « cette contribution n'est pas en soi une innovation majeure et il importe de ne pas en exagérer la portée, puisqu'elle constitue avant tout un alignement justifié sur le régime de financement d'autres autorités de supervision françaises ou étrangères . [...] Le budget de l'AMF est ainsi financé par des contributions et droits fixes acquittés par les professionnels qu'elle contrôle ».

Par ailleurs, l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010 a créé une taxe exceptionnelle acquittée par les établissements de crédit et les entreprises d'investissement sur la part variable des rémunérations octroyées, en 2009, à leurs opérateurs de marché. Cette taxe procède effectivement d'une contribution du secteur financier aux finances publiques mais ne constitue pas un outil durable de stabilisation.

(2) Le rapport Lepetit suggère une taxe sur les externalités négatives des activités systémiques

En décembre 2009, Christine Lagarde avait demandé à Jean-François Lepetit, ancien président du Conseil national de la comptabilité, un rapport sur le risque systémique. Celui-ci a été remis le 14 avril 2010.

Il propose notamment de créer une taxe destinée à réduire les externalités négatives des activités systémiques. A l'instar de la Commission européenne, il analyse en détail les différentes assiettes possibles pour cibler au mieux les activités porteuses de risques. Ainsi, pour éviter d'acquitter la taxe, les banques auraient plus intérêt à réduire leurs activités risquées .

Le rapport souligne cependant que l'efficacité de la taxe est subordonnée à une double universalité : elle doit s'appliquer à toutes les institutions financières, régulées ou non ; elle doit être mondiale. Sur ce dernier point, il convient en particulier que sa finalité, son assiette et son taux soient définis dans les enceintes internationales.

Sur l'ensemble de ces propositions, le rapport Lepetit concorde avec les propositions de la Commission européenne.

En revanche, il précise que la taxe doit être « sans contrepartie », dès lors qu'elle ne vise qu'à réduire les externalités négatives et, par conséquent, « elle doit être affectée au budget de l'Etat. En particulier, il ne s'agit pas d'un mécanisme d'assurance. L'abondement d'un fonds de résolution signalerait au contraire le droit des contributeurs à bénéficier d'une intervention en cas de difficulté ».

Le Gouvernement français, suivi en cela par le Gouvernement britannique, a effectivement confirmé qu'il souhaitait qu'une telle taxe abonde le budget général.

De même, dans son rapport de mai 2010 sur les concours publics aux établissements de crédit, la Cour des comptes rappelle que la France doit préférer « un prélèvement visant à réduire les comportements risqués plutôt qu'à compenser un éventuel coût pour les finances publiques ». Elle estime que son produit devrait être affecté au budget général : « pour que l'Etat conserve une marge de manoeuvre lorsqu'il doit choisir de soutenir ou non un secteur et que le secteur bancaire n'ait pas l'impression de bénéficier d'une garantie automatique d'intervention en cas de difficultés, le comportement de l'Etat doit demeurer, au moins pour partie, imprévisible ».

Quelle affectation permet le mieux de réduire l'aléa moral ? Force est de constater qu'il est particulièrement difficile de répondre à cette question. Dans le cadre d'un fonds de résolution, les pouvoirs publics assument le fait qu'ils seront amenés à intervenir. Pour autant, ils cantonnent leur action au simple démantèlement de l'institution en difficulté. Néanmoins, quitte à intervenir, peut-être seront-ils tentés de la sauver.

Dans le cas d'une affectation au budget de l'Etat, celui-ci demeure plus libre. En théorie du moins, car la crise récente a montré que les Etats sont systématiquement et massivement intervenus pour soutenir leur secteur bancaire, compte tenu du risque systémique et des retombées potentiellement catastrophiques pour l'économie. Or quelle que soit l'affectation de la taxe, l'Etat devra toujours gérer la problématique du risque systémique.

A ce jour, la question de l'aléa moral n'est pas résolue de façon satisfaisante. Christine Lagarde a récemment annoncé qu'une taxe sur les banques pourrait être mise en place, en France, d'ici la fin de l'année 2010. Un travail politique sur le principe et la finalité de la taxe doit encore être conduit, notamment au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, plusieurs chantiers techniques, en particulier celui de la définition de l'assiette, apparaissent toujours assez largement en friche.

(3) La proposition de votre commission des finances

Enfin, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, une dernière piste est à l'étude. Aux termes du XIII de l'article 6 de la loi de finances pour 2010, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport « sur les modalités de mise en oeuvre d'une taxe ou prime d'assurance systémique à laquelle seraient assujettis les établissements financiers et selon une hypothèse de rendement constant des prélèvements sur le secteur financier ». Ce rapport devra, en principe, être remis le 30 juin 2010, au plus tard. Le rapport Lepetit répond déjà, en grande partie, aux interrogations de la commission : définition d'une taxe systémique et de ses assiettes possibles ; avantages et inconvénients au regard d'autres instruments de régulation ; modalités d'utilisation de son produit.

En revanche, le rapport Lepetit ne dit rien sur la possibilité de substituer une taxe sur les risques systémiques à la taxe sur les salaires, sans équivalent dans l'Union européenne, qui pèse principalement sur le secteur financier français . Votre commission des finances voit deux avantages à cette permutation. D'une part, elle permettrait de rendre un impôt « plus intelligent » en le faisant peser sur les activités les plus risquées et non sur la masse salariale. La pression fiscale augmenterait ainsi en fonction des risques pris et non avec le nombre d'embauches réalisées par l'établissement de crédit. D'autre part, en l'absence d'une croissance significative des risques, la charge fiscale serait maintenue à l'identique pour les banques de sorte que le financement de l'économie ne serait pas perturbé.

b) En Allemagne

L'Allemagne a annoncé son intention de créer une taxe spéciale sur les banques applicable à partir de septembre 2010 . Wolfgang Schaüble, ministre fédéral des finances, estime que « les banques devront prendre leurs responsabilités et contribuer à alimenter un fonds de stabilité destiné à faire face aux crises à venir ».

La contribution frappera les banques en fonction de leur degré d'exposition aux risques, de leur taille et de leur connexion à d'autres établissements . Son produit sera affecté à la SoFFin 10 ( * ) , l'Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers, créée, à l'instar de la Société de financement de l'économie française (SFEF) et de la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE) en France, pour gérer les conséquences de la crise sur la sphère financière allemande.

Les fonds recueillis serviront au démantèlement ordonné d'une banque en situation de faillite . Là encore, l'objectif n'est pas de financer le sauvetage d'une banque mais de cantonner le risque systémique d'une faillite.

c) Aux Etats-Unis

Le 14 janvier 2010, en réaction aux bonus qualifiés d'« obscènes » versés par les établissements de Wall Street à leurs collaborateurs, le Président Obama a annoncé son intention de créer une « taxe de responsabilité sur la crise financière » dont le produit doit permettre de rembourser les pertes du programme de soutien aux banques.

Selon le Trésor américain, le programme fédéral de soutien aux banques, intitulé TARP ( Troubled Asset Relief Program ), connaîtra une perte nette de 117 milliards de dollars (pour 700 milliards de dollars engagés initialement et 364 milliards de dollars effectivement dépensés).

La « taxe de responsabilité » a pour but de récupérer l'intégralité de ces 117 milliards de dollars sur les douze prochaines années . A première vue, la taxe apparaît paradoxale puisque les pertes du programme TARP proviennent pour l'essentiel des plans de soutien à l'assureur AIG, aux spécialistes du crédit hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae , et à l'industrie automobile.

L'administration américaine considère toutefois que la responsabilité principale de la crise incombe aux banques . Elles sont, surtout, redevenues solvables, comme l'atteste la distribution de bonus élevés .

En l'état actuel, le projet vise à imposer, au taux de 0,15 %, les dettes, hors capital Tier One et hors les fonds couverts par la garantie fédérale des dépôts ( Federal Deposit Insurance Corporation ). L'assiette exacte sera arrêtée ou, tout du moins, contrôlée par le régulateur bancaire.

Il convient de souligner que la taxe porte sur la partie du bilan qui comprend les instruments financiers les plus risqués. Dans un sens, elle pourrait s'apparenter à une « taxe systémique » . Le poids de la taxe sera d'autant plus lourd que la banque sera exposée à la dette. Les promoteurs de la réforme font ainsi valoir qu'elle incite les banques à revoir leurs pratiques en termes de gestion des risques et à diminuer le levier de leur bilan.

Environ cinquante établissements, dont quinze filiales de groupes étrangers, seraient concernés. Les fonds mutuels, les hedge funds , les spécialistes du crédit hypothécaire ainsi que les constructeurs automobiles seraient exonérés.

Le Congrès des Etats-Unis doit désormais concrétiser l'annonce du Président Obama, mais, à ce jour, il n'a pas inclus cette proposition dans la loi de régulation financière qu'il examine actuellement.

* 9 Communication de la Commission COM (2010) 254 du 26 mai 2010.

* 10 Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung

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