II. UNE INTERDICTION FONDÉE SUR LA PROTECTION DE L'ORDRE PUBLIC

Le choix d'une interdiction générale de dissimulation du visage dans l'espace public, s'il manifeste la volonté du législateur d'exprimer une valeur essentielle du lien social, n'en comporte pas moins pour la personne une restriction de ses choix.

Le législateur peut apporter des limitations à l'exercice des libertés pour des raisons d'intérêt général qu'il lui revient d'apprécier.

Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises. A titre d'exemple, « le législateur peut à des fins d'intérêt général déroger au principe de la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (Conseil constitutionnel, n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006).

Néanmoins, le législateur ne peut porter atteinte à une liberté protégée par la Constitution que sur le fondement d'une autre exigence constitutionnelle puisqu'il lui appartient, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de concilier différentes valeurs constitutionnelles.

Aussi, le projet de loi ne serait-il conforme à la Constitution que si aucune liberté constitutionnelle n'était en cause ou, dans le cas contraire, si l'interdiction introduite par le législateur se fondait sur des exigences occupant un rang similaire dans l'ordre juridique.

De l'analyse de ces conditions dépend la constitutionnalité du présent projet de loi.

A. L'INTERDICTION DE DISSIMULATION DU VISAGE PORTE-T-ELLE ATTEINTE À DES PRINCIPES DE CARACTÈRE CONSTITUTIONNEL ?

En premier lieu, comme le rappelle l'étude du Conseil d'Etat, il n'existe pas de principe constitutionnel protégeant le libre choix du vêtement . La Cour de cassation a affirmé, certes dans un domaine particulier, que « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales ».

Le projet de loi ne semble pas, par ailleurs, porter atteinte au droit au respect de la vie privée posé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi que par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. En effet, l'interdiction concerne la dissimulation dans l'espace public .

Cependant, le choix du vêtement n'est pas seulement une affaire de goût, l'expression d'une liberté personnelle dont on peut douter qu'elle serait protégée par le Constitution. Il peut aussi mettre en jeu la manifestation d'une conviction religieuse. Tel serait le cas du port du voile intégral. A ce titre, l'interdiction prévue par le projet de loi pourrait apparaître comme contraire à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses protégées par l'article 10 de la Déclaration de 1789 et l'article 9 de la convention européenne des droits de l'Homme. Toutefois, une certaine prudence s'impose à la lumière de deux considérations.

D'abord, peut-on se prévaloir de la liberté d'exprimer ses convictions religieuses pour porter une tenue qui ne correspond à aucune prescription religieuse, comme l'ont rappelé à plusieurs reprises les plus hautes instances de l'Islam ?

En outre, comme le relève l'étude du Conseil d'Etat, l'article 9 de la convention européenne des droits de l'Homme « ne garantit pas toujours le droit de se comporter d'une manière dictée par une conviction » (CEDH, 2 octobre 2001, Pichon et Sajous c/France) et il ne confère pas aux individus le droit de se soustraire à des règles générales qui se sont révélées justifiées (CEDH, 10 novembre 2005, Leyla Sarin).

La jurisprudence interne admet aussi des restrictions à la liberté religieuse 16 ( * ) .

Cependant, en dépit des incertitudes sur le caractère constitutionnel de la liberté de dissimuler son visage dans l'espace public, il apparaît préférable, et plus sûr juridiquement, de fonder l'interdiction posée par le projet de loi sur un principe à caractère constitutionnel.


* 16 Cass, 3 e civ. 8 juin 2006 : « la liberté religieuse pour fondamentale qu'elle soit, ne [peut] avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d'un règlement de copropriété ».

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