ARTICLE 9
(Art. L. 433-3 du code monétaire et financier
et art. L. 233-7 du code de commerce)

Dispositions relatives au déclenchement et au prix
des offres publiques d'acquisition obligatoires

Commentaire : le présent article propose d'abaisser du tiers à 30 % du capital ou des droits de vote le seuil de déclenchement d'une offre publique obligatoire, de préciser et élargir le périmètre des titres pris en compte pour le calcul de ce seuil, et de modifier le point de départ de la période rétrospective de douze mois utilisée pour déterminer le prix équitable de l'offre.

I. LE DÉCLENCHEMENT DE L'OFFRE PUBLIQUE D'ACQUISITION OBLIGATOIRE

Le régime des offres publiques obligatoires a été introduit en droit français par la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier. Il est essentiellement destiné à éviter les prises de contrôle rampantes et à mieux protéger les intérêts des actionnaires minoritaires.

Ce régime des offres publiques (d'acquisition ou de retrait), en grande partie fixé par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), a également pour objet de faire respecter certains principes fixés par l'article 231-3 du règlement général de l'AMF et que sont le libre jeu des offres et de leurs surenchères, l'égalité de traitement et d'information des détenteurs des titres des personnes concernées, la transparence et l'intégrité du marché et la loyauté dans les transactions et la compétition .

Il a été substantiellement réformé lors de la transposition de la directive du 21 avril 2004 sur les offres publiques d'acquisition (« directive OPA »), par la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition. Sans revenir en détails sur le régime de ces offres, il importe d'en exposer certaines caractéristiques importantes révisées par le présent article.

A. LE SEUIL ET LES CAS D'OUVERTURE

1. Le cas « classique » : l'obligation de dépôt d'une offre en cas de franchissement du seuil du tiers du capital ou des droits de vote

L'article L. 433-3 du code monétaire et financier dispose que toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert au sens des dispositions de l'article L. 233-10 du code de commerce 225 ( * ) , qui vient à détenir, directement ou indirectement, une fraction du capital ou des droits de vote d'une société dont le siège social est établi en France et cotée sur un marché réglementé européen 226 ( * ) , est tenue d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société, dans des conditions fixées par le règlement général de l'AMF.

L'article 234-2 du règlement général fixe ce seuil au tiers des titres de capital ou des droits de vote.

2. Les autres cas de dépôt obligatoire d'une offre

L'obligation de déposer une offre publique d'acquisition est également prévue dans quatre autres cas principaux , fixés par l'article L. 433-3 précité ou certains articles du règlement général de l'AMF :

- dans le cadre d'une procédure de garantie de cours prévue par les II et III de l'article L. 433-3, lors de l'acquisition d'un bloc d'actions conférant la majorité du capital ou des droits de vote de la société ;

- dans le cadre d'une opération couramment désignée comme « excès de vitesse d'acquisition », soit l'obtention de plus de 2 % du capital ou des droits de vote en moins de douze mois consécutifs, lorsque la participation initiale est comprise entre le tiers et la moitié du capital ou des droits de vote (article 234-5 du règlement général de l'AMF) ;

- en cas de prise de contrôle d'une société qui détient une participation, constituant une part essentielle de ses actifs, de plus du tiers du capital ou des droits de vote dans une société cotée sur un marché réglementé européen, et dans les mêmes conditions, lorsque cette prise de contrôle résulte d'un concert et en modifie substantiellement l'équilibre des participations (article 234-2 du règlement général) ;

- aux termes du IV de l'article L. 433-3 et de l'article 231-13 du règlement général, en cas d'offre sur une société qui détient plus du tiers du capital ou des droits de vote d'une société française ou étrangère cotée sur un marché réglementé européen ou tiers et qui constitue un actif essentiel de la société détentrice, une offre sur la société fille doit également être déposée ( cf . le cas du groupe Renault-Nissan).

3. Les évolutions préconisées par le groupe de travail de l'AMF

L'AMF a constitué un groupe de place présidé par Bernard Field, membre du collège de l'autorité, qui a remis un rapport en octobre 2008 sur les déclarations de franchissement de seuil de participation et les déclarations d'intention. Outre des propositions d'extension du périmètre des instruments financiers pris en compte dans les déclarations de franchissement de seuil ( cf . infra ), ce groupe de travail a en particulier préconisé :

- sous réserve d'une « clause de grand-père » pour ne pas porter préjudice aux situations existantes, un alignement entre le périmètre des instruments financiers retenus pour le seuil d'offre publique obligatoire et celui des déclarations de franchissement de seuils . Devraient donc être inclus les instruments financiers donnant le droit d'acquérir des actions déjà émises et ceux procurant une exposition économique aux actions ;

- une réduction de 2 % à 1 % de la fraction qui détermine l' « excès de vitesse d'acquisition ».

- un abaissement du seuil de déclenchement de l'OPA du tiers à 25 % ou 30 % du capital ou des droits de vote, afin de le rapprocher du contrôle de fait.

Le groupe de travail s'est en particulier fondé sur la règlementation en vigueur dans les autres pays ( cf . encadré infra ) et sur le constat d'un quorum relativement faible dans les assemblées générales des sociétés cotées, mais aussi fonction de la présence d'un ou plusieurs actionnaires prépondérants 227 ( * ) . Le groupe a ainsi relevé que « la "puissance de vote effective" d'un actionnaire dont la participation se situe juste en deçà du seuil du tiers est suffisante pour lui permettre de prendre de fait le contrôle absolu (...) d'une société dans pratiquement tous les cas , alors qu'elle permet déjà de nommer ou révoquer à elle seule les membres du conseil d'administration ou de surveillance dans un certain nombre de cas lorsque la participation atteint simplement 25 % ».

Les pratiques internationales en matière de seuil d'OPA

« En Europe, la directive OPA, si elle a posé le principe de l'offre obligatoire et lui a donné pour fondement la protection des actionnaires en cas de changement de contrôle de la société dans laquelle ils ont investi, a renvoyé aux Etats membres le soin de fixer le seuil de « droits de vote conférant le contrôle ».

« Aussi bien la pratique des Etats membres est-elle assez variable en la matière, les seuils oscillant entre 25 % et 50 % et ne correspondant pas nécessairement à la minorité de blocage du droit des sociétés ; si certains Etats connaissent, en outre, un système comparable à l' « excès de vitesse d'acquisition » français, celui-ci a toutefois été progressivement supprimé au Royaume-Uni.

« Au Royaume-Uni , la Rule 9 du Takeover Code oblige notamment au lancement d'une offre publique toute personne qui a acquis un « interest in shares » représentant plus de 30 % des droits de vote . La notion est extensive puisqu'une personne sera réputée avoir un « interest in shares » lorsqu'elle détient les actions, dispose du droit (conditionnel ou discrétionnaire) d'exercer les droits de vote ou d'en contrôler l'exercice, ou peut ou doit acquérir les actions en vertu d'un contrat financier, d'une option ou d'un dérivé, et enfin lorsqu'elle a conclu un contrat financier à terme dont la valeur est déterminée par référence au prix des actions. Les actions faisant l'objet d'une cession temporaire (prêt-emprunt de titres) sont également incluses dans le périmètre de la réglementation, mais le Takeover Panel peut accorder une « dérogation ». En revanche, les titres hybrides dont le sous-jacent n'est pas encore émis ne sont pas pris en compte.

« Aux Etats-Unis , il n'y a pas, par principe, de seuil de déclenchement d'une offre obligatoire. En pratique toutefois, la grande majorité des sociétés sont dotées de mesures de défense (plan de poisons pills) qui s'activent dès lors qu'un investisseur prend une participation de l'ordre de 10 % à 20 % . Cet état de fait contraint un investisseur potentiel à négocier avec le management de la société visée préalablement à tout projet d'acquisition significatif, négociations qui peuvent aller jusqu'au lancement d'une offre portant sur la totalité du capital de la société. »

Source : rapport du groupe de travail de l'AMF présidé par Bernard Field, octobre 2008

B. LE PÉRIMÈTRE DES TITRES RETENUS

L'article L. 433-3 du code monétaire et financier comme l'article 234-2 du règlement général de l'AMF, précités, ne précisent pas le périmètre des titres de capital ni le caractère direct ou indirect de leur détention, qui déterminent les seuils de déclenchement d'une offre publique.

A contrario , le régime des déclarations de franchissement (à la hausse ou à la baisse) de seuils de capital d'entreprises cotées 228 ( * ) , modifié lors de la transposition de la directive 2004/109/CE du 15 décembre 2004 229 ( * ) (dite « directive Transparence »), est beaucoup plus précis. Le périmètre des instruments financiers retenus pour le calcul des seuils a également été sensiblement élargi par l'ordonnance n° 2009-105 du 30 janvier 2009 230 ( * ) , de deux manières :

- ont été assimilées aux actions et aux droits de vote soumis à déclaration tous les instruments et produits dérivés conférant au porteur le droit d'acquérir des actions déjà émises de sa seule initiative , immédiatement ou à l'échéance, par livraison physique ou, au choix du porteur uniquement, soit en espèces soit en actions. Cette extension couvre en particulier les options d'achat d'actions (« calls »), les contrats à terme (« futures » cotés et « forwards » négociés de gré à gré), et certaines obligations convertibles ou échangeables en actions à l'initiative du détenteur ;

- les autres instruments non assimilables font l'objet d'une information séparée sur les principales caractéristiques lors du franchissement de seuil. Il s'agit donc des instruments dont le dénouement physique (par livraison des actions) ne dépend pas de la seule initiative du déclarant , de ceux donnant accès aux actions à émettre et de ceux qui prévoient un dénouement exclusivement en numéraire.

Cette information concerne plus particulièrement les warrants 231 ( * ) , les options dites « à barrière activante », les bons de souscription d'actions, les obligations à option de conversion ou d'échange en actions nouvelles ou existantes (OCEANE), les contrats d'échange sur actions (« equity swaps ») et les contrats avec paiement d'un différentiel (« contracts for difference » - CFD 232 ( * ) ). Ces derniers, compte tenu de leur relative simplicité et de leur effet de levier parfois très élevé, connaissent un grand essor et peuvent être commercialisés auprès des particuliers, lorsqu'ils sont investisseurs avertis.

Cette extension s'inscrivait dans la continuité des travaux du groupe de place présidé par Bernard Field, évoqué supra . Elle avait en particulier pour objectif de mieux prévenir les pratiques dites de « hidden ownership » , soit l'utilisation de produits dérivés en vue de prises de contrôle rampantes, en améliorant la transparence sur l'ensemble des intérêts économiques détenus par les actionnaires dans une société.

C. LE PRIX ÉQUITABLE DE L'OFFRE

Aux termes de l'article L. 433-3 précité, et par transposition de la notion de « prix équitable » prévue par l'article 5 de la directive OPA, le prix proposé doit être au moins équivalent au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre , agissant seul ou de concert, sur une période de douze mois précédant le dépôt de l'offre . L'AMF peut cependant demander ou autoriser la modification du prix proposé dans les circonstances fixées dans son règlement général, selon une analyse « multi-critères ».

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article modifie l'article L. 433-3 du code monétaire et financier et l'article L. 233-7 du code de commerce afin de :

- abaisser de 33,33 % à 30 % du capital ou des droits de vote le seuil de déclenchement pour un des cas d'offre publique obligatoire ;

- préciser et élargir le périmètre des titres pris en compte pour le calcul du seuil d'offre publique obligatoire, selon un alignement partiel sur le régime de transparence des franchissements de seuils ;

- modifier et déplacer en amont le point de départ de la période rétrospective de douze mois utilisée pour déterminer le prix équitable de l'offre ;

- et par cohérence, introduire un nouveau seuil de 30 % dans le régime de déclaration des franchissements de seuils par les actionnaires de sociétés cotées.

A. LE NOUVEAU SEUIL DE 30 % POUR LE DÉCLENCHEMENT DE L'OFFRE

Le sixième alinéa ( du I ) du présent article modifie le IV de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier, relatif aux offres sur une société qui détient plus du tiers du capital ou des droits de vote d'une société française ou étrangère cotée et qui en constitue un actif essentiel, pour abaisser ce seuil du tiers à 30 % .

Cette modification procède d'une intention plus globale d'abaisser le seuil du tiers dans tous les cas concernés de dépôt obligatoire d'une OPA. Mais dans la mesure où il s'agit de la seule occurrence de ce seuil dans les dispositions législatives sur les offres publiques obligatoires, les autres aménagements seront portés dans le règlement général de l'AMF .

B. L'ÉLARGISSEMENT LIMITÉ DU PÉRIMÈTRE DES TITRES RETENUS

Le troisième alinéa ( du I ) du présent article complète le premier alinéa du I de l'article L. 433-3, précité, pour préciser et élargir la nature des titres qui doivent être retenus dans le calcul du seuil déterminant l'obligation de déposer une offre. Pour l'appréciation de la détention directe ou indirecte d'une fraction du capital ou des droits de vote, il retient ainsi un principe d'alignement partiel sur le périmètre prévu par le régime des déclarations de franchissement de seuil , régi par les articles L. 233-7 et L. 233-9 du code de commerce et qui a été élargi par une ordonnance du 30 janvier 2009 ( cf . supra ).

Sont notamment intégrées dans le périmètre les actions ou droits de vote possédés par d'autres personnes pour le compte de celle tenue à l'obligation de déposer l'offre, possédés par les sociétés que cette personne contrôle (au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce), et possédés par un tiers avec qui cette personne agit de concert.

Des exceptions notables sont toutefois prévues puisque ne sont pas pris en compte :

- les actions déjà émises ou les droits de vote que le détenteur, ou l'une des personnes mentionnées supra , peut acquérir à sa seule initiative, immédiatement ou à terme , en vertu d'un accord ou d'un instrument financier (4° du I de l'article L. 233-9 du code monétaire et financier), dans les conditions précisées par le règlement général de l'AMF. Cette exclusion couvre donc notamment les actions susceptibles d'être remises par la conversion ou l'échange d'obligations, ou résultant de l'exercice d'une option d'achat, de bons de souscription d'actions ou d'autres produits dérivés répondant à ces caractéristiques ;

- les actions ou droits de vote possédés par un tiers avec lequel le détenteur originel a conclu un accord de cession temporaire (6° du I de l'article L. 233-9), soit les titres transmis en application d'un prêt réglementé, d'une pension livrée ou d'une vente à réméré, qui donnent lieu à un transfert effectif de propriété. Ces cessions temporaires devront par ailleurs faire l'objet d'une déclaration du cessionnaire en application de l'article 8 bis du présent projet de loi ;

- les actions dont le détenteur a l'usufruit mais dont il ne dispose pas des droits de vote.

C. LES NOUVELLES MODALITÉS DE CALCUL DU PRIX ÉQUITABLE

Le cinquième alinéa ( du I ) du présent article propose une nouvelle rédaction pour la première phrase du deuxième alinéa du I de l'article L. 433-3 précité, afin de modifier les modalités de calcul du prix équitable de l'offre publique sous deux aspects :

- le point de départ de la période de douze mois, examinée rétrospectivement pour déterminer le prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre, n'est plus le dépôt de l'offre à l'AMF mais « le fait générateur de l'obligation de dépôt du projet d'offre publique ». C'est bien la date du fait générateur, située en amont du dépôt, qui provoque le franchissement du seuil. Dans des cas récents (en particulier le rachat de Gecimed par Gecina en mars 2009), l'AMF a en effet constaté des dépôts tardifs de projet d'offre, après le fait générateur, qui auraient pu permettre de ne pas prendre en compte dans le calcul du prix certaines acquisitions réalisées à des niveaux élevés, et auraient donc conduit à minorer le prix de l'offre in fine ;

- le prix proposé doit être au moins « égal », et non plus « équivalent » au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre sur la période précitée. L'étude d'impact associée au présent projet de loi n'explicite guère les raisons de cette modification. Elle apparaît cependant plus conforme à la formulation de l'article 5 de la directive OPA , qui dispose qu' « est considéré comme le prix équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période, déterminée par les Etats membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l'offre ».

III. LES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel.

Par cohérence, elle a également inséré un nouveau seuil de capital ou de droits de vote devant faire l'objet d'une déclaration à l'émetteur. Le septième alinéa ( II ) du présent article insère ainsi dans le I de l'article L. 233-7 du code de commerce le nouveau seuil de 30 % qui détermine l'obligation de déposer une offre.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Ces dispositions utiles font suite au rapport du groupe de travail de l'AMF présidé par M. Bernard Field, précité, et à une consultation de place conduite par la Direction générale du Trésor à la fin du premier semestre de 2009. On peut cependant s'interroger sur la pertinence d'un abaissement du seuil d'OPA obligatoire à 30 % et sur l'hypothèse d'un alignement intégral du périmètre des titres pris en compte sur celui du régime des déclarations de franchissement de seuil.

A. LE SEUIL DE 30 % EST-IL PERTINENT ?

Le seuil actuel du tiers du capital ou des droits de vote est cohérent avec le droit des sociétés puisqu'il correspond, pour les sociétés anonymes, à la minorité de blocage théorique d'une modification des statuts. On peut également considérer qu'un actionnaire souhaitant prendre le contrôle de la société de manière occulte se placerait de toute façon juste sous le seuil de dépôt obligatoire, quel qu'il soit. Deux arguments forts plaident cependant en faveur d'un abaissement du seuil à 30 % :

- ainsi que l'avait exposé la mission d'information sur les centres de décision économique, dont votre rapporteur était président et notre collègue Christian Gaudin rapporteur, dans son rapport publié en juin 2007 233 ( * ) , la majorité de nos principaux partenaires européens appliquent un seuil inférieur au tiers du capital ou des droits de vote , nonobstant les éventuelles différences d'assiette. Le seuil de 30 % des seuls droits de vote est ainsi retenu par l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, l'Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède. La Slovénie retient un seuil de 25 % des droits de vote, la République tchèque celui de 40 %, la Lettonie celui de 50 %, et la Pologne se singularise avec un seuil des deux tiers ;

- la dispersion du capital de nombre de sociétés cotées, le niveau moyen de participation aux assemblées générales ( cf . supra ) et une éventuelle action de concert font se multiplier les situations dans lesquelles un actionnaire détenant moins du tiers des droits de vote peut imposer ses vues lors des assemblées générales . Ainsi que l'a relevé le rapport du groupe de travail de l'AMF, précité, « le seuil du tiers s'avère de plus en plus éloigné de la notion de contrôle de fait qui matérialise une réelle emprise sur la société » et « le droit boursier de l'offre obligatoire ne prend aujourd'hui en considération que le seuil théorique de la minorité de blocage comme si la participation aux assemblées générales des sociétés cotées était de 100 % ».

Le recours à la notion qualitative de contrôle de fait, telle que prévue par le I de l'article L. 233-3 du code de commerce 234 ( * ) , pourrait apparaître séduisant. Il serait en réalité particulièrement malaisé dans la mesure où il supposerait d'apprécier, de façon rétrospective, l'emprise de l'actionnaire sur l'assemblée générale et l'administration de la société, et serait en toute hypothèse contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive OPA , qui renvoie à un pourcentage de détention du capital ou des droits de vote. Le recours à une notion quantitative, objective et matériellement vérifiable s'impose donc.

Le groupe de place a proposé un seuil de 25 % ou de 30 %, selon l'objectif poursuivi (protéger le plus possible les actionnaires minoritaires ou cibler la majorité des situations présentant un risque de contrôle de fait), et c'est le second qui a recueilli l'assentiment de la majorité des professionnels ayant participé à la consultation du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

B. L'ÉLARGISSEMENT DU PÉRIMÈTRE DES TITRES ET LA MODIFICATION DE LA NOTION DE PRIX ÉQUITABLE

S'agissant du périmètre des titres retenus pour calculer le déclenchement de l'offre publique obligatoire, un alignement total sur celui des déclarations de franchissement de seuil pouvait sembler intellectuellement plus satisfaisant et cohérent. Le groupe de travail de l'AMF tendait d'ailleurs à le privilégier. Cette option avait également été proposée lors de la consultation de place de juin 2009. Il était cependant apparu que cette option requerrait des dispositions transitoires complexes (« clause de grand-père ») et de nouvelles dérogations en ce qui concerne le déclenchement de l'offre obligatoire, pour éviter que l'obligation ne naisse du fait de la détention de titres ne traduisant pas une volonté de prendre le contrôle de la société.

L'approche retenue par le Gouvernement dans le présent article, plus modeste mais prévoyant un périmètre plus précis et un peu plus large que dans le droit actuel, s'appuie sur les observations formulées par la majorité des participants à la consultation de place. Elle repose ainsi sur le constat que deux logiques distinctes s'appliquent aux franchissements de seuils et à l'offre publique, celle de la transparence et celle du contrôle effectif .

La logique de transparence de l'actionnariat, envisagée dans la durée , conduirait en effet à privilégier un périmètre extensif de déclaration, incluant les titres et contrats donnant potentiellement accès à des actions. L'obligation de déposer une offre reposerait en revanche sur une logique de contrôle effectif à un instant donné , impliquant de ne retenir que les titres conférant un accès inconditionnel aux actions déjà émises, et non ceux présentant un aléa ou susceptibles de donner une exposition économique à terme.

Votre rapporteur estime cependant que cette conception du contrôle et de l'offre obligatoire est trop statique et restrictive , et qu'il est nécessaire de rapprocher davantage le périmètre du seuil de déclenchement des offres obligatoires de celui déterminant le régime de transparence de l'actionnariat. Votre commission a donc adopté un amendement tendant à supprimer les exceptions exposées supra .

Votre rapporteur s'est également interrogé sur la pertinence de la nouvelle définition du prix équitable , en tant que « prix égal » plutôt qu' « équivalent » au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre. La notion d'équivalence a l'intérêt de faire clairement référence aux offres mixtes ou en titres. Ces offres ne sont pour autant pas compromises par le recours au « prix égal » dans la mesure où la valeur des titres proposée dans l'offre peut être aisément confrontée au cours le plus élevé observé durant la période de douze mois. La lettre de la directive OPA est également mieux respectée.

La modification du point de départ de la période de calcul du prix équitable a en revanche recueilli un soutien quasi unanime des participants à la consultation de place de juin 2009.

Enfin, dans la mesure où le nouveau seuil de 30 % - comme dans le droit actuel - figure explicitement dans les dispositions du code monétaire et financier relatives au cas marginal des offres sur une société dont un actif essentiel est coté en France ou à l'étranger, votre commission a jugé préférable de consacrer légalement ce seuil dans le cas principal de dépôt d'une offre obligatoire, figurant au I de l'article L. 433-3 de ce code. Ce seuil est en effet déterminant pour l'appréciation du régime des offres publiques et a vocation à être fixé par la loi plutôt que par le règlement général de l'AMF .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.


* 225 Aux termes de l'article L. 233-10 du code de commerce, modifié par l'article 8 du présent projet de loi, « sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique (commune) vis-à-vis de la société ».

* 226 C'est-à-dire « dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ».

* 227 En 2008, le quorum moyen lors des assemblées générales des sociétés du CAC 40 était ainsi de :

- 50,21 % dans les treize sociétés à capital dispersé (aucun actionnaire détenant plus de 10%) ;

- 60,47 % dans les huit sociétés dont un ou plusieurs actionnaires détiennent 10 à 20 % ;

- 54,84 % dans les six sociétés dont un ou plusieurs actionnaires détiennent 20 à 30 % ;

- et 68,53 % dans les treize sociétés à capital concentré (un ou plusieurs actionnaires détenant plus de 30 %).

* 228 Rappelons qu'il existe dix seuils de capital ou de droits de vote dont le franchissement doit être déclaré : 5 %, 10 %, 15%, 20 %, 25 %, 33 %, 50 %, 66,66 %, 90 % et 95 %.

* 229 Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE.

* 230 Ordonnance n° 2009-105 du 30 janvier 2009 relative aux rachats d'actions, aux déclarations de franchissement de seuils et aux déclarations d'intentions. Cette ordonnance permettait également de finaliser la transposition de la directive 2007/14/CE du 8 mars 2007 portant modalités d'exécution de certaines dispositions de la directive « Transparence ».

* 231 Les warrants sont des instruments proches des options ou des bons de souscription d'actions, mais sont émis par des banques et non par les sociétés elles-mêmes. Les warrants sont ainsi des contrats transférables conférant à leur détenteur le droit, et non l'obligation, d'acheter ou de vendre une quantité donnée d'un actif spécifique, à un prix déterminé à l'avance, à la date d'échéance du contrat (warrant européen) ou à tout moment jusqu'à cette date (warrant américain).

* 232 Les CFD sont des contrats de gré à gré qui permettent à l'investisseur de ne s'exposer qu'à la seule variation (à la hausse ou à la baisse) de l'actif sous-jacent, en l'amplifiant par effet de levier et sans détenir cet actif.

* 233 « La bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation », rapport d'information n° 347 (2006-2007) de M. Christian Gaudin, fait au nom de la mission commune d'information centre de décision économique et publié le 22 juin 2007.

* 234 Le I de l'article L. 233-3 du code de commerce dispose notamment qu'une société est considérée comme en contrôlant une autre :

« 1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

« 2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

« 3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;

« 4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société. »

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