B. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME SUR L'ATTRACTIVITÉ DU MAINTIEN EN ACTIVITÉ

L'article 3 du projet de loi organique aligne les conditions de maintien en activité des magistrats des premier et second degrés, qui peuvent actuellement demander à être maintenus en activité pour une durée de trois ans, sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, qui ne peuvent prolonger leur activité au-delà de 68 ans. Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi organique, cette harmonisation vise à « éviter que les magistrats ne poursuivent leur activité au-delà d'un âge raisonnable ».

Par conséquent, la limite d'âge étant reportée de 65 à 67 ans, le maintien en activité des magistrats, quel que soit leur grade, ne pourra excéder un an. Dès lors, on peut penser que ce dispositif deviendra peu attractif.

En effet, le maintien en activité ne peut avoir lieu dans la même fonction. Il suppose donc, au minimum, un changement d'affectation au sein de la juridiction, sinon une mobilité géographique. Un tel changement de fonction, s'il pouvait sembler acceptable pour une durée de trois ans, risque de devenir dissuasif avec un maintien en activité limité à une année.

Toutefois, il convient de rappeler que le dispositif de maintien en activité ne concerne qu'un effectif réduit, puisque le nombre de magistrats maintenus en activité s'élève actuellement à 71. En outre, l'alignement prévu par le projet de loi organique permettra aux magistrats des cours et tribunaux de bénéficier jusqu'à 67 de gains indiciaires liés à l'ancienneté et au déroulement de leur carrière, ce que le maintien en activité en surnombre ne leur permettait pas.

L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté en première lecture trois amendements de son rapporteur visant à prévoir que les magistrats désirant être maintenus en activité doivent le faire dans des fonctions correspondant à celles qu'ils exercent lorsqu'ils atteignent la limite d'âge, c'est-à-dire au siège s'ils sont magistrats du siège à ce moment-là, ou au parquet s'ils y exercent leurs fonctions. Ces modifications devraient permettre aux magistrats maintenus en activité d'être rapidement opérationnels et réduire les contraintes liées au changement de fonction.

C. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME SUR LA GESTION DU CORPS DES MAGISTRATS

1. Un risque de blocage des progressions de carrière

Les syndicats de magistrats entendus par votre rapporteur ont déploré l'absence de consultation préalable à la présentation du projet de loi organique au Conseil des ministres. Ils ont insisté sur le risque de blocage de l'évolution des carrières que pourrait provoquer la réforme.

La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a en effet redéfini la hiérarchie au sein de la magistrature, qui comporte trois grades : le second grade, le premier grade et le hors hiérarchie. S'ajoutent à ces trois grades les emplois fonctionnels du premier grade correspondant à l'échelle-lettre B Bis, soit, dans les tribunaux de grande instance les plus importants, les emplois de premier vice-président et de procureur de la République adjoint 7 ( * ) .

S'il n'existe aucune règle statutaire de répartition des effectifs au sein des grades, la circulaire de localisation des emplois que publie chaque année le ministère de la justice affecte cependant les magistrats de façon à assurer le bon fonctionnement des juridictions.

Ainsi, la circulaire du 8 avril 2010, localise 7740 postes de magistrats dans les cours d'appel et tribunaux 8 ( * ) , selon la répartition suivante :

Localisation des effectifs de magistrats en 2010
(circulaire du 8 avril 2010, hors Cour de cassation,
Ecole nationale des greffes et administration centrale)

Grade

Siege

Parquet

Total en nombre

En %

Total en nombre

En %

Hors hiérarchie

485

213

698

9,0%

698

9,0%

I B bis

198

198

396

5,1%

4644

60,0%

I

3300

948

4248

54,9%

II

1810

588

2398

31,0%

2398

31,0%

Total

5793

1947

7740

100,0%

7740

100,0%

Source : ministère de la justice

Toutefois, l'affectation réelle des effectifs tient compte d'impératifs de gestion, si bien que la répartition effective est légèrement différente de la répartition théorique définie par la circulaire de localisation, comme l'illustre le tableau suivant :

Répartition effective des magistrats au 21/09/2010
(hors Cour de cassation, Ecole nationale des greffes, administration centrale, détachements et autres situations sans affectation budgétaire)

Grade

Siege

Parquet

Total en nombre

En %

Total en nombre

En %

Hors hiérarchie

501

258

759

9,9%

759

9,9%

I

3176

698

3874

50,5%

4201

54,7%

I B bis

163

164

327

4,3%

II

1919

795

2714

35,4%

2714

35,4%

Total

5759

1915

7674

100,0%

7674

100,0%

Source : ministère de la justice

La répartition des effectifs de magistrats au sein de chaque grade apparaît néanmoins relativement rigide.

Ainsi, le maintien au grade hors hiérarchie de magistrats concernés par le recul de la limite d'âge à 67 ans risque de fermer l'accès à ce grade pour un certain nombre de magistrats du premier grade. On peut donc redouter une accentuation des blocages de carrière qui sont déjà observés.

Votre rapporteur considère que ces difficultés doivent être prises en compte dans le cadre de la refonte du statut de la magistrature actuellement en préparation.

Par ailleurs, le report de la limite d'âge, en entraînant le maintien en fonction de personnes en fin de carrière, qui exercent des responsabilités d'encadrement, risque d'aboutir à un ralentissement du travail des juridictions. En effet, le traitement du contentieux de masse est majoritairement confié aux magistrats du deuxième grade, dont le recrutement ne doit donc pas être diminué.

Les syndicats de magistrats se sont enfin inquiétés des mesures d'évolution de la grille indiciaire que le Gouvernement envisagerait de prendre pour assurer la mise en oeuvre du report de la limite d'âge. Ils ont exprimé leur hostilité à un allongement de la durée passée dans chaque échelon afin d'éviter la création d'échelons supplémentaires.

2. Une nécessaire gestion prévisionnelle des ressources humaines

Le présent projet de loi organique constitue la transposition à la magistrature de la réforme des retraites qui sera applicable au secteur privé comme à l'ensemble de la fonction publique. Cependant, cette réforme se révèlera moins anodine qu'il n'y paraît.

En effet, la fragilité des améliorations obtenues au cours des dernières années dans l'effectif de magistrats, et les tensions qui existent déjà dans le déroulement des carrières, doivent conduire le Gouvernement à envisager rapidement des mesures de réforme complémentaire qui lui permettront d'assurer la transition.

Le ministère de la justice s'est engagé depuis quelques années dans une nouvelle approche des ressources humaines. Le report de la limite d'âge et la modification des règles d'ouverture du droit à pension vont avoir des effets qui doivent être pris en compte dans ce cadre, sous peine de perdre le bénéfice des efforts conduits pour améliorer le fonctionnement de la justice.

Le projet de loi organique devant être examiné par le Sénat après l'adoption du projet de loi portant réforme des retraites, votre rapporteur sera attentif aux modifications qui seront apportées à cette réforme afin de présenter, le cas échéant, les amendements qui permettraient de les appliquer aux règles concernant la limite d'âge des magistrats.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi organique sans modification.


* 7 Le décret n° 69-469 du 27 mai 1969 fixant le classement hiérarchique des magistrats de l'ordre judiciaire précise que « l'échelon B bis n'est accessible qu'aux magistrats exerçant les fonctions dont la liste est fixée par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé du budget ». Ainsi, l'échelon de rémunération B bis n'est accessible qu'aux magistrats du 8ème échelon du premier grade occupant les emplois fonctionnels dont la liste est fixée par un arrêté du 28 avril 2004. Ces magistrats sont rémunérés sur cette base au titre d'une nomination à un emploi fonctionnel.

* 8 Cette localisation ne concerne pas les postes de la Cour de cassation, de l'administration centrale et de l'Ecole nationale des greffes.

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