B. L'ACCÈS DES FEMMES AUX RESPONSABILITÉS PROFESSIONNELLES ET SOCIALES : UN NOUVEL OBJECTIF CONSTITUTIONNEL

1. Le précédent de la loi du 23 mars 2006, partiellement censurée par le Conseil constitutionnel

Adoptée définitivement par les assemblées le 23 février 2006, la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, dans un titre III relatif à l'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles, prévoyait notamment une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques ou des sociétés privées, avec une proportion maximale de 80 % de représentants d'un même sexe, ce qui revient à un quota de 20 % pour le sexe sous-représenté. Cette obligation ne reposait sur aucun critère de taille de la société, de sorte que toutes étaient concernées.

PROJET DE LOI RELATIF À L'ÉGALITÉ SALARIALE ENTRE LES FEMMES
ET LES HOMMES, DÉFINITIVEMENT ADOPTÉ PAR LE 23 FÉVRIER 2006

Extrait du titre III relatif à l'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles

Article 21

La loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public est ainsi modifiée :

1° Après le quatrième alinéa de l'article 5, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les représentants relevant du 1° et les personnalités relevant du 2° sont désignés en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Chaque catégorie comprend une proportion de représentants de chacun des deux sexes ne pouvant être supérieure à 80 %. L'écart de représentation entre les sexes dans chaque catégorie est supprimé dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi n° du relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

« Dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la même loi, les représentants des salariés relevant du 3° sont élus sur des listes qui respectent, à l'unité près, la proportion de femmes et d'hommes parmi les salariés électeurs. » ;

2° L'article 6 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les membres du conseil d'administration ou de surveillance sont nommés en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes. La proportion de représentants de chacun des deux sexes ne peut être supérieure à 80 %. L'écart de représentation entre les sexes dans chaque catégorie est supprimé dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi n° du relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

« Dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la même loi, les représentants des salariés sont élus sur des listes qui respectent, à l'unité près, la proportion de femmes et d'hommes parmi les salariés électeurs. »

Article 22

I. - Après le premier alinéa de l'article L. 225-17 du code de commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil d'administration est composé en recherchant une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes. Il comprend un nombre de représentants de chacun des deux sexes ne pouvant être supérieur à 80 % et au moins un représentant de chaque sexe lorsque le nombre total des membres est inférieur à cinq. »

II. - Dans la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 225-37 du même code, après les mots : « d'organisation des travaux du conseil », sont insérés les mots : « , de l'application dans sa composition du principe de la représentation équilibrée des femmes et des hommes ».

III. - Dans le dernier alinéa de l'article L. 225-68 du même code, après les mots : « d'organisation des travaux du conseil », sont insérés les mots : « , de l'application dans sa composition du principe de la représentation équilibrée des femmes et des hommes ».

IV. - L'article L. 225-69 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil de surveillance est composé en recherchant une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes. Il comprend un nombre de représentants de chacun des deux sexes ne pouvant être supérieur à 80 % et au moins un représentant de chaque sexe lorsque le nombre total des membres est inférieur à cinq. »

V. - Les conseils d'administration et les conseils de surveillance disposent d'un délai de cinq ans à compter de la date de publication de la présente loi pour se mettre en conformité avec les articles L. 225-17 et L. 225-69 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la présente loi.

Dans sa décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, s'appuyant sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a censuré d'office ces dispositions, considérant que le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, introduit dans la Constitution par la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, ne s'appliquait qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques, ainsi qu'il ressortait des travaux parlementaires.

Pour le Conseil constitutionnel, « si la recherche d'un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités autres que les fonctions politiques électives n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus, elle ne saurait, sans les méconnaître, faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ; que, dès lors, la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes morales de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes ».

A l'époque, le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, notre collègue Esther Sittler, indiquait en première lecture 8 ( * ) :

« Votre commission n'est pas favorable à la mise en place de quotas obligatoires dans les conseils d'administration des entreprises privées.

« Une telle obligation constituerait une ingérence dans le fonctionnement de leurs organes de direction et pourrait s'avérer complexe à mettre en oeuvre dans de nombreuses sociétés anonymes, notamment lorsque les représentants des actionnaires majoritaires revendiquent tous les mandats d'administrateurs. »

Cependant, force est de reconnaître que, quatre ans après, le contexte n'est plus le même : la situation des femmes dans les conseils n'a pas évolué. Alors que le Parlement avait prévu un quota de seulement 20 %, dans toutes les sociétés anonymes, aujourd'hui l'Assemblée nationale a voté, certes dans les seules sociétés cotées, un quota de 40 %.

2. La levée du « verrou » constitutionnel depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, le second alinéa de l'article 1 er de la Constitution dispose désormais que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités professionnelles et sociales ». L'occasion de cette ample révision constitutionnelle a été saisie pour procéder à cette modification, de nature à lever, comme ce fut le cas en 1999 pour l'accès aux mandats politiques, le verrou posé par le Conseil constitutionnel en 2006.

Cette disposition fut adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, initialement à l'article 34 de la Constitution, à l'initiative de notre collègue Marie-Jo Zimmermann. Puis, à l'initiative de notre estimé collègue Jean-Jacques Hyest, président de votre commission, rapporteur du projet de loi constitutionnelle, le Sénat l'a déplacée pour la faire figurer, avec celle relative à l'égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives, à l'article 1 er de la Constitution.

3. La légitimité de l'intervention du législateur en matière de composition des conseils d'administration et de surveillance
a) La légitimité constitutionnelle

Depuis 2008, la Constitution fixe au législateur l'objectif de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. Par conséquent, il est incontestable que le constituant a souhaité que le législateur intervienne dans ce domaine.

b) La légitimité sociale

La présence des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance est l'un des multiples aspects de l'égalité professionnelle. A cet égard, les deux propositions de loi ne prétendent pas bien évidemment régler dans sa globalité la question de l'égalité professionnelle dans les carrières de cadres supérieurs, même si elles peuvent indirectement y contribuer. Elles ne sauraient donc se substituer à d'autres interventions du législateur qui seraient jugées nécessaires en matière d'égalité professionnelle et salariale, concernant toutes les femmes et pas seulement celles en mesure d'aspirer à rejoindre un conseil d'administration.

L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes demeure un domaine dans lequel il faut légiférer pour faire évoluer les comportements, car ils n'évoluent pas spontanément. La présence des femmes dans les conseils n'échappe à ce constat. A ce titre, l'intervention du législateur est légitime.

Pour autant, l'établissement par la loi d'un principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance constituerait un symbole fort pour la place des femmes dans la vie économique, à tous les échelons de l'entreprise.

c) La légitimité économique

Votre rapporteur estime que répondre à cette question est prioritaire. En effet, dans une économie libre, quelle est la légitimité du législateur pour réglementer la composition des conseils 9 ( * ) ? Pourquoi légiférer si cela n'a aucun intérêt économique ?

Dans le contexte actuel de crise économique mondiale qui a vu la faillite de très grandes entreprises, la prise en compte des enjeux économiques de long terme est une impérieuse nécessité pour le législateur.

Selon l'article L. 225-35 du code de commerce, « le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent », tandis que l'article L. 225-68 du même code, « le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire » et dispose de pouvoirs étendus pour accomplir sa mission. Les conseils doivent ainsi veiller collégialement au respect des intérêts des actionnaires, s'assurer de la capacité de l'exécutif à diriger efficacement l'entreprise de manière pérenne et apprécier la pertinence de la stratégie de l'entreprise à l'égard de son intérêt social.

Dès lors, le bon fonctionnement des conseils apparaît comme un des éléments importants du bon fonctionnement des entreprises et donc de l'économie. A ce titre, le gouvernement d'entreprise relève bien de l'intérêt général. La loi fixe d'ailleurs déjà des règles en matière de composition et de missions du conseil (nombre de membres, limite d'âge, représentants des salariés, création par la loi de comités du conseil...). Le législateur ne saurait donc se désintéresser de cette question, tant pour les plus grandes sociétés et les établissements de crédit, dont la mauvaise santé pourrait rejaillir sur le tissu économique tout entier, que pour les sociétés de taille plus modeste, dont le développement est un impératif pour l'activité économique et pour l'emploi.

Votre rapporteur défend l'idée qu'une meilleure composition des conseils, en particulier dans les grandes entreprises, par la diversité et surtout la complémentarité des parcours, des compétences et des expériences de leurs membres, aboutit à un meilleur fonctionnement de ces mêmes conseils, à des délibérations de meilleure qualité et plus efficaces, à une meilleure prise en compte du risque et à une meilleure appréciation des options stratégiques de l'entreprise, sans oublier une meilleure évaluation de la qualité des dirigeants de l'entreprise. Concernant les entreprises moyennes, un conseil mieux composé car plus diversifié, par les compétences nouvelles qu'il apporterait, serait plus utile et constituerait un atout supplémentaire pour accompagner et stimuler la croissance et le développement de l'entreprise.

Le principe de mixité constitue un des moyens les plus efficaces dont dispose le législateur pour contribuer à accroître la diversité dans les conseils.

Enfin, l'instauration de cette obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils devra aussi être l'occasion pour les sociétés concernées de réfléchir davantage à la composition du conseil, à ce que doit être une bonne composition du conseil en fonction du secteur d'activité dans lequel elles évoluent et des compétences dont elles besoin.

A tous égards, ce qui peut apparaître comme une contrainte nouvelle doit au contraire être perçue comme une opportunité de dynamiser les conseils d'administration et de surveillance pour les rendre plus utiles au service de la société, dans leur rôle de représentation des actionnaires.


* 8 Rapport n° 435 (2004-2005) sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes

et les hommes.

* 9 Beaucoup se sont émus de l'intervention du législateur dans la composition des conseils. A titre d'illustration, on a pu lire : « Car si de tels quotas sont déjà loin d'aller de soi pour désigner les élus du peuple, ils deviennent inadmissibles lorsqu'est en cause le fonctionnement de sociétés privées dont la loi ne devrait se préoccuper que dans l'unique but de créer le cadre propice à un fonctionnement harmonieux. Et c'est bien là que le bât blesse... (...) c'est la première fois qu'un texte viendrait limiter la liberté de nommer des dirigeants pour des motifs idéologiques parfaitement étrangers à la bonne gouvernance de la société. » (François-Xavier Lucas, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne, la Semaine juridique Entreprise et Affaires , n° 7, 18 février 2010, p. 1170).

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