C. LA PRÉSENCE DES FEMMES DANS LES CONSEILS : UN INTÉRÊT ÉCONOMIQUE POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES

1. Le mouvement de diversification et de professionnalisation des conseils d'administration et de surveillance
a) La composition des conseils dans le gouvernement d'entreprise

Issu des milieux d'affaires anglo-saxons, le concept de gouvernement d'entreprise s'acclimate en France depuis une quinzaine d'années (rapports Viénot de 1995 et 1999, rapport Bouton de 2002). Destiné en premier lieu aux grandes sociétés cotées mais aussi accessible et utile aux plus petites, le gouvernement d'entreprise a pour objet de codifier les bonnes pratiques qui méritent d'être suivies par tous, sans qu'une obligation réglementaire vienne pour autant les sanctionner. Il repose sur une sorte d'autorégulation collective, par un contrôle des pairs, des marchés et des investisseurs. Il repose aussi sur un principe de transparence et d'information qui doit également être celui de la démocratie actionnariale. Il se caractérise par une souplesse d'application.

Ainsi, les principes du gouvernement d'entreprise, codifiés en France dans deux documents récents (code AFEP-MEDEF et code Middlenext, décrits plus loin), sont à distinguer clairement des prescriptions légales.

Parmi ses nombreuses recommandations pour la bonne gestion et la direction des grandes sociétés, le gouvernement d'entreprise comporte des préconisations qui concernent les conseils d'administration, leur composition, leur fonctionnement ou encore la rémunération des mandataires. Par exemple, les conseils doivent avoir un nombre suffisant d'administrateurs qualifiés d'indépendants, c'est-à-dire remplissant des critères d'indépendance à l'égard de la société dont ils sont administrateurs.

b) Diversification et professionnalisation des conseils

Depuis quelques années se développe un raisonnement économique sur la diversification et la professionnalisation des conseils, qui représentent les actionnaires dans les décisions stratégiques mais doivent aussi être utiles pour la direction de la société.

Ainsi, un conseil bien composé est un conseil dans lequel s'exprime la diversité des profils, des expériences et des compétences. On cherchera des profils complémentaires, financiers et juridiques, mais aussi des compétences sur le coeur de métier, en particulier dans les activités industrielles. Dans une société développée à l'international, on cherchera plusieurs administrateurs de nationalité étrangère pour élargir l'horizon du conseil.

Dans le cadre de ce raisonnement général, la mixité apparaît comme un élément fort et objectif de la diversité. Ouvrir davantage les conseils aux femmes devrait permettre de contribuer à l'élargissement et à la diversification des compétences qui y sont représentées.

Cette préoccupation de diversification s'accompagne d'une réflexion sur la professionnalisation des conseils. Un administrateur doit aussi apporter quelque chose à la société. Pour ce faire, il doit lui consacrer du temps pour que les délibérations du conseil soient vraiment efficaces. Ce phénomène est illustré par le fait que les conseils et leurs comités siègent de plus en plus. Le critère de compétence est de plus en plus valorisé, a fortiori dans le contexte de crise économique.

2. Des études convergentes sur l'intérêt économique d'une meilleure représentation des femmes dans les conseils
a) Des rapports nombreux en faveur de la présence des femmes dans les conseils

En janvier 2007, le Conseil économique et social soulignait la faible présence des femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises privées, mais également publiques 10 ( * ) .

En juillet 2009, dans un Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes , Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, préconisait un objectif à six ans de 40 % de femmes dans les conseils d'administration des sociétés de plus de 1000 salariés.

En septembre 2009, après un premier rapport en 2006 sur la mixité dans les conseils, l'Institut français des administrateurs (IFA), l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) et le réseau de femmes European Professional Women's Network (EPWN) ont publié une étude prônant l'accroissement de la place des femmes dans les conseils, estimant que désormais seule une intervention du législateur permettait de faire évoluer la situation 11 ( * ) .

En octobre 2009, la troisième édition du Panorama des pratiques de gouvernance des Bigcaps françaises , réalisé par les cabinets Ernst & Young et France Proxy, étudie et valorise le rôle de la diversité et de la féminisation dans les conseils.

Dans son étude annuelle Women's Matter , le cabinet McKinsey étudie les différents aspects de l'apport des femmes au management des entreprises, notamment au regard de la diversification des méthodes de management, en signalant les avantages économiques propres au management au féminin. En décembre 2009, dans sa troisième édition, cette étude rappelle que le management féminin est un atout pour traverser la crise économique et s'étonne de ce que l'impact positif de la mixité sur la performance des entreprises ne soit pas assez reconnu 12 ( * ) .

Ces diverses publications prolongent les études similaires réalisées aux Etats-Unis, notamment ces dernières années par le cabinet Catalyst 13 ( * ) .

En mars 2010, un rapport établi à la demande de la Commission européenne considérait que la progression de la présence des femmes dans les organes dirigeants des entreprises contribuait à l'amélioration de leurs performances économiques, tout en soulignant la lenteur de cette progression 14 ( * ) .

En mai 2010, le Centre d'analyse stratégique préconise de « favoriser la diversité des profils des administrateurs pour accroître la compétence collective du conseil d'administration » 15 ( * ) .

Ces quelques rapports cités sur les trois dernières années ne sont qu'une partie de toutes les publications qui portent sur le sujet. En outre, ils s'appuient sur des études scientifiques et économiques démontrant le lien statistique entre féminisation et performance économique.

b) Des études sérieuses sur l'intérêt économique de la présence des femmes dans les conseils

Les études scientifiques et économiques sont nombreuses depuis plus de trente ans pour démontrer l'existence d'un lien entre performance économique des entreprises et mixité et diversité du management.

Un article de synthèse, en anglais, a été publié en 2009 sur l'impact positif sur la performance économique de la présence des femmes dans les conseils d'administration. Cet impact positif, évaluable statistiquement, est justifié par un grand nombre de facteurs, principalement comportementaux, faisant intervenir les femmes. L'article s'appuie sur près de 180 publications scientifiques, essentiellement anglo-saxonnes, parues sur le sujet depuis les années 1970 16 ( * ) .

Un article en français a aussi été récemment publié sur le sujet, dont il ressort que « la diversité permet notamment d'améliorer la prise de décision, d'explorer de nouvelles opportunités du fait de systèmes de représentation différents, de s'adapter à la diversité des clients, de favoriser la créativité et d'améliorer la dynamique de groupe » 17 ( * ) . Lorsque le nombre des femmes au sein des instances de direction atteint une taille critique, estimée à 35 %, elles sont en mesure de peser sur le processus décisionnel et, dans ce cas, il apparaît de manière statistique que la performance économique est significativement supérieure 18 ( * ) . Une étude précédente du même auteur avait montré que les entreprises les plus féminisées avaient mieux résisté à la crise boursière et financière de 2008.

Votre rapporteur souligne toutefois qu'une corrélation ne signifie pas qu'il existe un lien de causalité. Ainsi, peut-être est-ce parce qu'une société est performante et dynamique, porteuse de valeurs d'avenir et de croissance, qu'elle décide d'ouvrir davantage son conseil aux femmes. Pour autant, le lien est statistiquement robuste, ce qui constitue une incitation à accroître la part des femmes dans la direction des sociétés, pour faire évoluer les pratiques managériales.

c) Des arguments connus en faveur de la présence des femmes dans les conseils

« Leadership » au féminin, management féminin, valeurs féminines dans l'entreprise, compétences féminines... Les concepts comportementaux sont aujourd'hui nombreux pour justifier d'une meilleure place des femmes dans les fonctions de responsabilité dans les entreprises. Par exemple, les femmes feraient preuve de plus de collégialité dans la prise de décision, seraient plus sensibles au risque et feraient preuve de plus d'indépendance de jugement. Leur présence améliorerait ainsi la qualité et la pertinence des délibérations des conseils. Certains prétendent que les effets de la crise économique auraient été moindres depuis 2007 si les instances de décision des grandes entreprises avaient été plus féminisées. Ces assertions, qui reposent sur des bases scientifiques encore incomplètes mais réelles, visent à donner un sens à la corrélation entre la performance économique et la présence des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises.

Un autre argument avancé au cours des auditions relève davantage du marketing. Il s'agirait, pour certaines sociétés notamment dans le domaine de la grande consommation, de mettre en avant davantage de femmes en vue de ressembler à leur clientèle et de pouvoir mieux répondre à leurs attentes. Par exemple, une voiture conçue par une femme correspondrait mieux à ce qu'une femme cherche dans une voiture.

3. Une nouvelle contrainte pour les entreprises ?
a) Une contrainte transitoire et peu douloureuse

A la différence d'une nouvelle taxation, d'une hausse des cotisations sociales ou d'un franchissement de seuil social, l'obligation de représentation équilibrée dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance n'est pas une contrainte douloureuse et coûteuse. Nommer des femmes aux fonctions d'administrateur ou de membre de conseil de surveillance, à la condition qu'elles soient bien choisies, n'engendre pas un coût supplémentaire qui affecterait l'activité de l'entreprise.

De plus, une fois que les conseils seront composés convenablement et que les comportements auront évolué et se seront diffusés, ce ne sera plus une contrainte, mais simplement une nouvelle habitude. Seule la transition est une contrainte, dans la mise à niveau qu'elle impose. Une fois que les conseils comporteront au moins 40 % de femmes, il suffira simplement de veiller au renouvellement harmonieux des mandats.

b) Faudra-t-il abroger la loi dans vingt ans ?

Puisque de nombreuses femmes entendues par votre rapporteur ont fait part de leur résignation en faveur du mécanisme des quotas imposés par la loi pour faire évoluer la situation, les mêmes plaident pour que, le moment venu, lorsque les conseils seront parfaitement et durablement féminisés, la loi qui sera issue de la proposition de loi émanant de nos collègues députés soit abrogée, car devenant inutile. Au surplus, l'autorégulation remplirait alors son office, en signalant les sociétés s'écartant par trop de ce principe.

Sensible à cette argumentation, votre rapporteur estime néanmoins qu'il n'est pas de bonne législation de prévoir d'ores et déjà son abrogation alors même que l'on ignore dans quelles conditions elle sera appliquée.


* 10 La place des femmes dans les lieux de décision : promouvoir la mixité , communication du Conseil économique et social présentée par Mme Monique Bourven au nom de la délégation aux droits des femmes et l'égalité des chances entre hommes et femmes, 9 janvier 2007, pp. 41 à 55.

* 11 L'accès et la représentation des femmes dans les organes de gouvernance d'entreprise , 2009.

* 12 Women Matter 3 : le leadership au féminin, un atout face à la crise et pour la reprise , 2009.

* 13 The Bottom Line : Corporate performance and women's représentation on boards , 2007.

* 14 More women in senior positions : Key to economic stability and growth , 2010.

* 15 Améliorer la gouvernance d'entreprise et la participation des salariés , 2010.

* 16 « Women directors on corporate boards : a review an research agenda », Siri Terjesen, Ruth Sealy et Val Singh, Corporate Governance : an international review , mai 2009, vol. 17, n° 3, pp. 320 à 337.

* 17 « Les femmes influencent-elles la performance des entreprises ? », Michel Ferrary, Travail, Genre et Sociétés , n° 23, avril 2010, pp. 181 à 189. Une étude statistique approfondie porte sur plusieurs critères de performance des sociétés du CAC 40 sur la période 2002-2006.

* 18 Par exemple, sur la période 2002-2006, les entreprises ayant plus de 35 % de femmes dans leur encadrement ont connu une progression moyenne de leur chiffre d'affaires de 23,5 %, contre 14,6 % pour celles ayant moins de 35 % de femmes dans leur encadrement.

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