II. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

Les auteurs de la présente proposition de loi relèvent cependant que la législation actuellement en vigueur comporte certaines lacunes et ne suffit pas à prévenir tous les types de dérives et de conflits d'intérêts. Ils soulignent notamment que l'interdiction faite aux personnes morales de participer à la vie politique ne concerne que les périodes de campagne électorale et le financement des partis politiques, et non l'ensemble de la vie politique : les normes actuelles n'interdisent pas aux candidats élus d'accepter des fonds provenant de personnes morales 9 ( * ) .

Afin de renforcer la transparence financière de la vie publique et de permettre aux citoyens d'être « informés [des] liens financiers [des titulaires de fonctions électives et gouvernementales] avec toute personne physique ou morale », les auteurs proposent donc :

- d'interdire aux membres du Gouvernement et aux Président de la République de recevoir des dons de personnes morales. Symétriquement, le texte interdirait également aux personnes morales de proposer ou de procurer de tels dons ;

- de mettre en place une obligation de déclaration pour les dons de personnes physiques, à l'exception des donations familiales : ces dons feraient l'objet d'une déclaration publique annuelle auprès de la CTFVP dès lors que leur montant est supérieur à 4 600 euros.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : UN TEXTE NON PERTINENT EN FAIT COMME EN DROIT

Votre commission a considéré que la présente proposition de loi était, sur la forme, au moins partiellement irrecevable, et qu'elle était, sur le fond, certainement inapplicable.

A. UN MÉCANISME CONTESTABLE SUR LE FOND

Le mécanisme qui serait institué par la proposition de loi serait, sur le fond, inefficace et contestable .

Inefficace en raison de la rédaction du texte, qui souffre de plusieurs imperfections :

- la proposition de loi institue une obligation sans sanction , si bien que même si le Président ou un ministre acceptait un don de la part d'une personne morale, cette attitude n'aurait aucune conséquence concrète. Lors de leur audition par votre rapporteur, MM. Didier Maus et Guy Carcassonne ont d'ailleurs remarqué que ce texte ne créait aucun délit ni aucun crime et que, de ce fait, les membres du Gouvernement qui auraient manqué aux obligations prévues par la proposition de loi ne pourraient pas être renvoyés devant la Cour de justice de la République ;

- la proposition de loi prohibe l'octroi, au Président de la République et aux membres du Gouvernement, d'« avantages en nature » procurés « sous quelque forme que ce soit, de façon directe ou indirecte » par des personnes morales. Cette notion est beaucoup trop large et, si elle faisait l'objet d'une interprétation extensive, elle pourrait interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement de disposer d'appartements ou de voitures de fonction, ou encore d'accepter les cadeaux offerts par des chefs d'État étrangers lors de voyages officiels -ce qui serait pour le moins absurde. De même, il leur serait interdit de se rendre en vacances chez des amis si ceux-ci ont acheté leur maison sous la forme d'une société civile immobilière : les SCI étant des personnes morales, le fait de jouir d'une habitation ainsi constituée tomberait en effet sous le coup de l'interdiction de recevoir des avantages en nature procurés par des personnes morales ;

- le texte offre de larges possibilités de contournement . D'une part, on imagine mal comment une autorité quelle qu'elle soit pourrait s'assurer que les membres du Gouvernement ou le Président de la République n'ont négligé de déclarer aucun don, notamment s'il s'agit de dons en nature ; d'autre part, les personnes morales désireuses de contourner l'interdiction instituée par la proposition de loi n'auraient qu'à adresser leurs dons à la famille des ministres ou du Président pour sortir du champ de la législation ;

- la proposition de loi pose un évident problème pour la protection de la vie privée des membres du Gouvernement et du Président de la République, puisqu'elle les obligerait à déclarer publiquement des cadeaux purement amicaux et sans lien avec leurs fonctions ;

- enfin, le texte sanctionne indistinctement tous les dons perçus par les membres du Gouvernement et le Président de la République, sans poser la question de l'existence d'une éventuelle contrepartie : les dons dénués de lien avec les fonctions en cause seraient donc prohibés. Cette interdiction pure et simple semble disproportionnée par rapport à l'objectif de lutte contre les conflits d'intérêts.

Contestable , ensuite, car le mécanisme de contrôle des dons que le texte propose d'instituer implique de réglementer la vie quotidienne de ceux qui exercent des responsabilités politiques et de mettre tous les aspects de leur vie sous les yeux des citoyens. Comme le soulignaient MM. Guy Carcassonne et Didier Maus, cette « surveillance sans fin » 10 ( * ) est peu conforme à la place du Président de la République dans l'architecture institutionnelle française, qui lui donne un lien direct avec les citoyens : dès lors, son éventuel manque de probité personnelle doit faire l'objet d'une sanction politique (l'échec aux élections), et non de sanctions juridiques.

Le silence de la loi -qui laisse aux représentants du pouvoir exécutif une large liberté- a donc pour contrepartie une totale responsabilité politique qu'il n'est probablement pas opportun de remettre en cause.

Enfin, la présente proposition de loi, bien qu'elle soulève des questions cruciales, semble prématurée . En effet, la question de la régulation des relations entre les responsables politiques et le monde économique est actuellement examinée par une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique . Instituée par un décret du 10 septembre dernier 11 ( * ) et chargée de faire « toute proposition pour prévenir ou régler les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement », celle-ci devrait rendre un rapport au Président de la République avant la fin de l'année en cours : il n'a pas paru souhaitable à votre commission qu'un texte soit adopté avant de connaître les conclusions de la commission.


* 9 Les dons de personnes physiques ou morales ne sont en effet prohibés que s'ils sont constitutifs d'un délit réprimé par le code pénal (corruption passive, notamment).

* 10 Cette expression a été employée par M. Maus lors de son audition par votre rapporteur.

* 11 Décret n° 2010-1072.

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