2. Des désaccords de fond entre le Sénat et l'Assemblée nationale, notamment sur la question du cumul entre un mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale

Malgré leur apport indéniable en matière de limitation du cumul des mandats, les lois du 5 avril 2000 ont créé une divergence entre le régime d'incompatibilités des élus locaux et celui des parlementaires .

En effet, la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 concernant les incompatibilités des parlementaires, en tant que loi organique relative au Sénat, devait être adoptée dans les mêmes termes par les deux Assemblées, si bien qu'elle reflète in fine la position de la Haute Assemblée ; à l'inverse, la loi ordinaire n° 2000-295 du même jour a été adoptée en laissant le dernier mot à l'Assemblée nationale, comme le permet l'article 46 de la Constitution, et rend donc compte des choix de la majorité des députés de l'époque. Cette différence de procédure a donc conduit à la manifestation des désaccords de fond entre députés et sénateurs .

Les discussions menées entre 1998 et 2000 ont ainsi mis à jour deux visions différentes -mais non pas antagonistes- du cumul des mandats : les députés entendaient limiter autant que possible ce phénomène, synonyme pour eux de conflits d'intérêts, d'absentéisme et de manque de disponibilité des élus ; les sénateurs considéraient à l'inverse que le cumul comportait certains avantages -à savoir la possibilité pour les élus d'être proches du « terrain » et d'être, grâce à leur double assise locale et nationale, les garants de la bonne marche de la décentralisation face au pouvoir du représentant de l'État-, et qu'il devait être rationalisé plutôt que prohibé.

Ainsi, la volonté de renforcer le dispositif de limitation du cumul des mandats était partagée par les deux Assemblées, seules les modalités de ce renforcement faisant débat.

Les désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat se sont incarnés dans deux questions :

- celle d'un éventuel seuil démographique pour la prise en compte des mandats. En effet, le Sénat avait jugé préférable que les communes de moins de 3 500 habitants soient exclues du champ d'application des règles « anti-cumul » afin d'éviter qu'une « crise des vocations » n'y apparaisse 13 ( * ) ; notre ancien collègue Jacques Larché faisait d'ailleurs valoir que ce risque était d'autant plus grand que les élus concernés exerçaient fréquemment leurs fonctions de manière bénévole. Au contraire, l'Assemblée nationale avait estimé que la mise en place de ce seuil aurait pour effet de « porter à trois le nombre de mandats et fonctions cumulables, dès lors que les responsabilités municipales sont exercées dans une petite commune », notamment parce que les communes de moins de 3 500 habitants représentaient alors environ 93 % du contingent communal total ;

- celle de la prise en compte des fonctions exécutives locales comme facteur autonome dans la législation relative au cumul des mandats. Le Sénat a refusé cette option, en considérant « qu'un député ou un sénateur doit pouvoir exercer un mandat dans une collectivité territoriale, dans sa plénitude, c'est-à-dire y compris, le cas échéant, une fonction exécutive », tandis que l'Assemblée nationale estimait nécessaire de prohiber le cumul d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale, afin d'« éviter les conflits d'intérêts et [d']assurer aux parlementaires et aux élus locaux une réelle disponibilité à l'égard de leurs mandants ».

Ces divergences ont fondé la mise en place de deux régimes de non-cumul nettement différenciés, la position du Sénat ayant prévalu sur la loi organique alors même que la loi ordinaire était adoptée par la seule Assemblée nationale : les règles qui s'imposent aux parlementaires n'intègrent ni les communes de moins de 3 500 habitants, ni les présidences de collectivité territoriale 14 ( * ) -éléments qui sont pourtant largement pris en compte par le régime applicable aux élus locaux.


* 13 Voir le rapport établi par M. Jacques Larché (n° 29, 1998-1999) pour l'examen du texte en première lecture. http://www.senat.fr/rap/l98-029/l98-029.html.

* 14 L'interdiction de cumuler des fonctions exécutives locales pour les parlementaires n'existe en effet que de manière indirecte, c'est-à-dire au titre des dispositions relatives aux élus locaux. En tout état de cause, et contrairement à ce qu'avaient pu craindre les commentateurs de l'époque, la loi organique du 5 avril 2000 ne permet pas aux maires de communes de moins de 3 500 habitants de cumuler cette fonction avec la présidence d'un conseil général ou d'un conseil régional dès lors qu'ils sont, par ailleurs, parlementaires (décision constitutionnelle n° 2000-426 DC du 30 mars 2000, considérant 8).

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