B. DIVERS DISPOSITIFS ET PRATIQUES GARANTISSENT AUJOURD'HUI L'INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS

Comme le rappelait notre ancien collègue, M. Michel Thiollière, au cours de l'examen par le Sénat de la proposition de loi du groupe socialiste visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, les droits et les devoirs des journalistes sont consacrés par la convention collective nationale de travail des journalistes, établie le 1 er novembre 1976 et refondue le 27 octobre 1987, qui garantit notamment aux journalistes deux droits emblématiques : la clause de conscience et la clause de cession . Ces deux clauses garantissent l' autonomie des rédacteurs vis-à-vis de la direction et des propriétaires du titre de presse .

Elles fondent la liberté intellectuelle des journalistes, en leur permettant d'opposer leur droit moral et de quitter leur publication, en percevant le cas échéant des indemnités dans des conditions déterminées par voie d'accord collectif et en général au moins égales à celles perçues en cas de licenciement, lorsque la publication a fait l'objet d'un changement de caractère ou d'orientation (cas de la clause de conscience) ou lorsqu'une modification du contrôle de la société les employant tend à porter préjudice à leurs intérêts moraux (cas de la clause de cession).

Le rapport de la commission présidée par le professeur Alain Lancelot sur les problèmes de concentration dans le domaine des médias, de décembre 2005, souligne, à cet égard, qu'en vertu de l'article L. 7112-5 du code du travail, l'employeur d'une publication (dans les secteurs de la presse et de l'audiovisuel) est tenu au versement d'une indemnité alors même que la résiliation du contrat de travail survient par le fait du journaliste, dans le cas, notamment, où celle-ci est motivée par la cession du titre ou par un « changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour la personne employée, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux ».

Le pôle « Métiers du journalisme » des États généraux de la presse écrite a réaffirmé, pour sa part, que la clause de conscience et la clause de cession constituent « des droits essentiels du métier de journaliste, garantissant leur indépendance et donc, aux yeux du public, leur crédibilité ».

Certaines provisions de la convention collective des journalistes se sont vu conférer une valeur législative à l'occasion du vote par le Parlement de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Le dernier alinéa de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose ainsi que « tout journaliste d'une société nationale de programme a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d'émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ».

Les quatrièmes Assises internationales du journalisme, qui se sont tenues au mois de novembre 2010 à Strasbourg, ont organisé une table ronde réunissant les représentants des dirigeants d'entreprises éditrices de médias, des journalistes et des associations citoyennes et consacrée à l'annexion d'une charte déontologique à la convention collective des journalistes. Les discussions ont porté sur les propositions formulées par un comité de « sages », réunissant une dizaine de personnalités représentant les journalistes et les éditeurs de presse, et présidé par M. Bruno Frappat, chargé de rédiger un code de déontologie unique de l'information dans la foulée des États généraux de la presse écrite.

Le Syndicat national des journalistes souligne qu'à l'heure actuelle, deux documents font déjà autorité en matière de déontologie parmi les journalistes et sont régulièrement cités en référence dans des décisions juridiques.

Le premier est la « Charte des devoirs professionnels des journalistes français », élaborée par le SNJ en 1918 et réactualisée en 1938. Lors de son congrès d'octobre 2010 à Paris, le SNJ a décidé de l'actualiser et la compléter.

Le second document est la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes », élaborée en partie à partir de la charte française, adoptée à Munich en 1971, reconnue par la plupart des syndicats de journalistes en Europe et citée dans des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme.

Toutefois, il continue d'être reproché à ces textes d'être dépourvus de véritable valeur juridique contraignante.

Le code de déontologie élaboré par le comité des sages, à la suite des États généraux de la presse écrite, a été unanimement rejeté par les organisations syndicales de journalistes qui réclamaient un meilleur équilibre entre les droits et les devoirs qui s'attachent à leur métier ainsi qu'une reconnaissance claire du principe d'indépendance des rédactions.

Le projet de code de déontologie des journalistes, présenté à la profession le 27 octobre 2009, comportait notamment des garanties concernant l'indépendance du journaliste vis-à-vis du pouvoir politique et du secteur économique :

« - Le journaliste garde recul et distance avec toutes les sources d'information et les services de communication, publics ou privés. Il se méfie de toute démarche susceptible d'instaurer entre lui-même et ses sources un rapport de dépendance, de connivence, de séduction ou de gratitude.

[...]

« - Le journaliste s'interdit toute activité lucrative, extérieure à l'exercice de son métier, pouvant porter atteinte à sa crédibilité et à son indépendance. »

Conscients de la nécessité de démontrer au public leur engagement à respecter un corpus de règles en matière de déontologie journalistique, de grandes organisations d'éditeurs ont annexé à leurs statuts des chartes éthiques. Le Syndicat de la presse quotidienne régionale s'apprête ainsi à réactualiser le recueil de « Règles et d'usages de la presse quotidienne régionale » annexé à ses statuts depuis décembre 1995, et le Syndicat de la presse magazine a repris, sous la forme d'une recommandation patronale, les propositions du comité présidé par M. Bruno Frappat en l'adaptant aux exigences de la presse magazine.

Par ailleurs, la plupart des grands titres de presse ont mis en place en leur sein des dispositifs de médiation destinés à répondre aux demandes ou contestations adressées par leur public. Le médiateur s'est imposé comme un organe fondamental du dialogue entre la rédaction d'une publication et ses lecteurs, permettant une forme de contrôle citoyen et offrant à la rédaction un droit de réponse . Dans le sens des recommandations des États généraux de la presse écrite, il convient de s'assurer que le médiateur est nommé par le directeur de la publication dans des conditions d'indépendance totale.

Au sein des titres de presse, les rédactions organisent traditionnellement la représentation de leurs intérêts autour des sociétés de journalistes ou de rédacteurs . Celles-ci sont constituées sous la forme d'associations de journalistes ayant pour objectif de garantir l'indépendance de la rédaction et de veiller au respect des règles déontologiques applicables à la profession de journaliste.

Les sociétés de journalistes ont connu une montée en puissance significative en France au cours des cinq dernières années, en raison des bouleversements de l'actionnariat de nombreux titres de presse nationaux et régionaux. Ces associations se constituent librement au sein des publications, participent à l'élaboration de leurs chartes rédactionnelles propres, veillent au bon fonctionnement de dispositifs tels que le médiateur de la rédaction ainsi qu'au respect de la déontologie de l'information et de l'autonomie de la rédaction vis-à-vis de la direction et des actionnaires.

En 2005, un certain nombre de sociétés de journalistes et de rédacteurs se sont ainsi regroupées au sein du Forum des sociétés de journalistes.

Les dispositifs de médiation et de sociétés de journalistes ont le mérite de constituer des réponses souples adaptées à la taille et à la structure des titres de presse, et dont les modalités et prérogatives sont déterminées de façon concertée entre la rédaction et la direction par la voie d'un accord d'entreprise.

Enfin, la protection du secret des sources , qui constitue autant un droit qu'un devoir au coeur des obligations éthiques du métier de journaliste, a fait l'objet d'une inscription claire dans notre droit positif à l'occasion de l'adoption par le Parlement de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes.

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