EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) - Modalités de mise en oeuvre du principe de l'indépendance des rédactions

I. Le droit en vigueur

A. Un cadre souple, privilégiant les accords entre rédactions et directions et ménageant la capacité d'initiative au sein des entreprises éditrices de média

Les modalités de mise en place des instances représentant la rédaction au sein d'une entreprise éditrice de média ainsi que leurs prérogatives ne font pas, à l'heure actuelle, l'objet de dispositions législatives précises. La notion d'indépendance des rédactions n'est pas non plus précisée par la convention collective nationale de travail des journalistes de 1987, qui fait cependant référence aux conditions d'exercice de la « liberté d'opinion » des journalistes.

L'article 3 B de la convention collective stipule ainsi que « les organisations contractantes rappellent le droit pour les journalistes d'avoir leur liberté d'opinion, l'expression publique de cette opinion ne devant en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l'entreprise de presse dans laquelle ils travaillent ». Un avenant à cette convention, relatif aux entreprises de l'audiovisuel du secteur public, précise que « dans l'expression publique de leur opinion les journalistes n'ont d'autres obligations que celles résultant, d'une part de la déontologie professionnelle, d'autre part de leur appartenance à une entreprise du service public de l'audiovisuel ».

Dans le cas précis des journalistes travaillant au sein de sociétés audiovisuelles publiques, le dernier alinéa de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que « tout journaliste d'une société nationale de programme a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d'émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle » 7 ( * ) .

On peut considérer que le principe de distinction entre les fonctions de directeur de l'entreprise éditrice et le responsable de la rédaction figure, pour sa part, de façon implicite à l'article 5 de la loi du 1 er août 1986, dans le cas d'une publication de presse, et à l'article 43-1 de la loi du 30 septembre 1986, dans le cas d'un service de média audiovisuel. Ces articles disposent, en effet, que doivent être portés à la connaissance du public les noms respectifs du directeur de la publication et du responsable de la rédaction.

À l'heure actuelle, les modalités de représentation des rédactions et leurs prérogatives dans le fonctionnement d'une entreprise éditrice sont régies, au sein d'un certain nombre de titres de presse, par des accords passés entre les représentants du personnel et les organes dirigeants . À titre d'exemple, l'accord signé entre les représentants du personnel et la direction du quotidien Libération prévoit qu'un collège unique composé de l'intégralité du personnel du journal se prononce, à la majorité qualifiée des deux tiers, sur le candidat proposé par la direction comme responsable de la rédaction 8 ( * ) .

Aujourd'hui, les membres de la rédaction d'une publication ont la possibilité, s'ils en prennent l'initiative, de se constituer en société des journalistes ou des rédacteurs, afin de faire valoir leur position auprès des organes dirigeants sur un certain nombre de questions susceptibles d'affecter la politique éditoriale et rédactionnelle du titre. On estime qu'entre 20 et 25 sociétés de journalistes ou de rédacteurs se sont constituées, à ce jour, au sein d'entreprises de presse.

B. L'absence de corpus unifié des règles déontologiques des métiers de l'information

À l'heure actuelle, les droits et les devoirs qui s'attachent aux métiers de l'information du public sont précisés par des chartes sans véritable valeur juridique contraignante, parmi lesquelles la « Charte française des devoirs professionnels des journalistes français », adoptée en 1918 et réactualisée en 1938, et la « Déclaration des droits et des devoirs des journalistes », également connue sous le nom de charte internationale « de Munich », adoptée en 1971.

L'annexion du « code de déontologie » élaboré par le comité des sages présidé par M. Bruno Frappat à la convention collective des journalistes semble désormais écartée par la plupart des parties signataires de cette convention. Ce texte n'a pas satisfait les organisations syndicales de journalistes les plus importantes, et plusieurs organisations représentatives des éditeurs de presse ont décidé d'annexer à leurs statuts des chartes déontologiques inspirées pour partie de ce code, mais tenant compte également des spécificités des différents types de presse. Le code de déontologie journalistique envisagé par le syndicat de la presse magazine comporte, ainsi, une partie consacrée à l'indépendance du journaliste qui reprend intégralement, sur ce point, les préconisations du comité des sages.

C. Les droits que le journaliste peut exercer à titre individuel : les clauses de conscience et de cession

Le jeu des clauses de conscience et de cession permet au journaliste, qui souhaite opposer son droit moral à la suite de la cession d'une publication ou d'un changement notable dans son caractère ou son orientation, de quitter l'entreprise en percevant au moins l'équivalent d'indemnités de licenciement.

Les modalités d'exercice de ces clauses sont déterminées par l'article L. 7112-5 du code du travail qui dispose :

« Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes :

« 1° Cession du journal ou du périodique ;

« 2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;

« 3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2. »

II. Le texte de la proposition de loi

L'article 1 er de la proposition de loi introduit, au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un nouvel article 6 bis qui dispose que toute entreprise éditrice de média produisant ou diffusant de l'information doit comprendre en son sein une instance autonome représentant la communauté des rédacteurs. Cette instance obligatoire doit prendre la forme :

- soit d'une « équipe rédactionnelle permanente et autonome » (1°) ;

- soit d'une « association des journalistes » à laquelle peut être substituée une « société des rédacteurs » (2°).


• Dans le cadre de la première option (1°), l'équipe rédactionnelle est composée, de fait, de l'ensemble des journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail. Elle est chargée de participer à l'élaboration d'une charte éditoriale et déontologique et de veiller au respect des chartes de déontologie de la profession.

L'alinéa 4 de l'article 1 er prévoit que les représentants de l'équipe rédactionnelle, appelés à faire le lien avec la direction, sont désignés selon des modalités analogues à celles qui régissent la désignation des représentants du personnel. L'alinéa 6 leur confère le bénéfice des protections consenties aux délégués du personnel par le code du travail.

Les prérogatives de l'équipe rédactionnelle dans la gestion de l'entreprise éditrice sont les suivantes :

- elle est consultée par sa direction préalablement à tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle. Les projets éditoriaux devront lui être soumis chaque année. Elle peut s'y opposer ;

- elle est consultée en cas de nomination d'un responsable de la rédaction, nomination à laquelle elle peut s'opposer ;

- en cas de changements importants dans la composition du capital ou dans l'équipe de direction susceptible d'avoir un impact sur la situation économique de l'entreprise, elle peut prendre l'initiative d'un scrutin de défiance et saisir le comité d'entreprise pour faire jouer le droit d'alerte.

Aux termes de l'article L. 2323-78 du code du travail, le droit d'alerte est exercé par le comité d'entreprise lorsque celui-ci a connaissance de faits « de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise », afin que l'employeur lui fournisse des explications. Si la réponse de l'employeur est jugée insuffisante ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, le comité d'entreprise établit un rapport qui est ensuite transmis, au titre du droit d'alerte économique, à l'employeur et au commissaire aux comptes.


• Dans le cadre de la seconde option (2°), l'entreprise éditrice de média peut, afin de répondre à l'obligation d'indépendance rédactionnelle, « se doter d'une association de journalistes dont les titulaires de la carte de presse sont membres de droit ». Une société de rédacteurs peut se substituer à l'association.

Ces instances participent à l'élaboration de la charte éditoriale et déontologique de la publication qui est portée à la connaissance du public au moins une fois par an.

Dans le cas d'une entreprise éditrice d'un média produisant ou diffusant de l'information politique et générale, l'association des journalistes ou la société des rédacteurs désignera un représentant siégeant de droit, avec voix consultative, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance.

L'alinéa 13 de l'article 1 er dispose que la désignation du responsable de la rédaction doit donner lieu à un vote à bulletin secret de tous les membres de l'association des journalistes ou de la société des rédacteurs. L'alinéa 14 prévoit que si la désignation est opérée, malgré un vote négatif de l'association ou de la société à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages exprimés, elle est alors constitutive d'un changement notable au sens du 3° de l'article L. 7112-5 du code du travail (qui autorise le journaliste à exercer la clause de conscience).

III. La position de votre commission

Votre commission estime que l'introduction dans la loi de mesures générales déterminant les modalités de mise en place et les prérogatives des instances représentant la rédaction est préjudiciable à la situation des entreprises éditrices de média à plusieurs égards :

- elle nie l'indispensable souplesse et le caractère négocié (entre la rédaction et la direction) des dispositifs existant déjà au sein des différentes entreprises éditrices de média ;

- elle ne permet pas de prendre en compte les spécificités liées aux effectifs, à la structure et à la spécialisation de l'information ainsi que l'identité de chaque publication ;

- elle conduit à remettre en cause la nécessaire autonomie entre les fonctions de rédaction et de direction au sein d'une entreprise éditrice de média.

En outre, les nombreuses incertitudes et imprécisions rédactionnelles du texte témoignent de la difficulté d'appliquer le dispositif proposé.

L'article 1 er impose ainsi l'obligation à toute entreprise éditrice d'un média produisant ou diffusant de l'information de posséder une structure appelée à représenter la rédaction. À cet effet, l'entreprise aurait le choix entre « se doter d'une équipe rédactionnelle permanente et autonome » et « se doter d'une association des journalistes ». Or, votre commission constate que ce « choix » échappe totalement aux organes dirigeants de l'entreprise, introduisant ainsi une asymétrie majeure dans les équilibres de gouvernance.

En effet, une association de journalistes ne peut logiquement être constituée qu'à l'initiative des journalistes eux-mêmes (si aucun journaliste n'accepte d'y adhérer, elle se résumerait à une coquille vide). Il n'appartient donc pas aux organes dirigeants, au moment de la création de l'entreprise éditrice, de la « doter » d'une association des journalistes. À cet égard, le terme « doter » n'a pas de véritable contenu juridique, car tout dépend nécessairement des initiatives prises par les journalistes eux-mêmes. Les organes dirigeants sont mis, de fait, à l'écart d'une décision aussi importante que les modalités de la représentation de la rédaction.

À supposer que les journalistes refusent de se constituer en association, la lecture de l'article 1 er laisse entendre que, dans ce cas, l'instance représentant la rédaction prendra nécessairement la forme d'une « équipe rédactionnelle permanente et autonome » dont tous les journalistes professionnels seront, de fait, membres, aux termes de l'alinéa 3.

Or, l'équipe rédactionnelle permanente et autonome dispose de prérogatives encore plus étendues que l'association des journalistes, puisqu'elle disposera d'un droit de veto sur la désignation du responsable de la rédaction et sur les changements de politique éditoriale et rédactionnelle. Elle pourra recourir à un vote de défiance pour s'opposer aux changements dans la composition du capital ou de l'équipe de direction.

Au final, les deux options proposées ne semblent laisser aucune marge de manoeuvre à la direction de la publication dans la définition des modalités de mise en place et des prérogatives des instances représentant la rédaction. En outre, la mise en place d'une « équipe rédactionnelle permanente et autonome », de façon automatique à défaut de constitution d'une association des journalistes, réduit encore plus les marges de manoeuvre des organes dirigeants.

Dans ces conditions, il y a fort à penser qu'un certain nombre d'investisseurs seront dissuadés d'investir dans la création ou la reprise d'entreprises éditrices de média compte tenu des marges manoeuvres limitées de la direction de la publication. Bien souvent, le redressement d'un titre de presse requiert une refonte totale de sa politique éditoriale pour mieux correspondre aux attentes du public, ce qui pourrait être rendu difficile si l'opposition de certaines rédactions ne pouvait plus être surmontée.

Comble de l'asymétrie, le directeur de la publication continuera d'être seul responsable pénalement d'un contenu dont il n'aura pas la maîtrise éditoriale en dernier ressort, puisque l'équipe rédactionnelle disposera d'un droit de veto sur la politique éditoriale.

Ces dispositions nient toute la souplesse à l'oeuvre, à l'heure actuelle, dans la mise en place de dispositifs de représentation de la rédaction, dans une logique de concertation entre les membres de la rédaction et de la direction. En effet, les modalités de mise en oeuvre et les prérogatives de ces dispositifs font aujourd'hui essentiellement l'objet d'accords d'entreprise négociés entre la rédaction et la direction.

Par ailleurs, les dispositions envisagées par la proposition de loi pourraient contraindre l'exercice par le journaliste, à titre individuel, des droits qu'il tire des clauses de conscience et de cession. En effet, l'absence d'opposition des représentants de l'équipe rédactionnelle aux changements de politique éditoriale ou rédactionnelle proposés par la direction pourra s'interpréter comme un satisfecit donné par la rédaction à ces projets. Il deviendra, par conséquent, plus compliqué pour un journaliste de démontrer que ces projets éditoriaux opèrent des « changements notables » dans l'identité du titre qui peuvent justifier le recours à la clause de conscience. Il lui faudra démontrer qu'il s'est opposé à un projet que la majorité de la rédaction avait fait le choix de valider en refusant de s'y opposer.

En outre, l'article 1 er confère aux représentants de l'équipe rédactionnelle permanente et autonome une protection et des droits analogues à ceux consentis aux délégués du personnel. Ceci tend à nourrir une confusion entre les instances représentant la rédaction et les instances de dialogue social. À l'heure actuelle, les organisations syndicales représentatives des journalistes interpellent déjà la direction sur des sujets concernant les conditions d'exercice au sens large du métier de journaliste, c'est-à-dire aussi bien sur des questions de moyens, d'équipements, de formation ou de sécurité que sur des questions de déontologie.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article.

Article 2 (loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse) - Renforcement de la transparence de l'actionnariat des entreprises de presse

Le présent article tend à renforcer les règles de transparence de l'actionnariat des entreprises de presse.

I. Le droit existant

A. Une transparence raisonnable

Aux termes de l'article 5 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, dont la rédaction n'a jamais été modifiée, doivent être portés à la connaissance des lecteurs dans toute publication de presse et dans chaque numéro , outre le nom du directeur de la publication et celui du responsable de la rédaction :

- les nom et prénom du propriétaire ou du principal copropriétaire, si l'entreprise éditrice n'est pas dotée de la personnalité morale ;

- et si l'entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme et le nom de son représentant légal et de ses trois principaux associés .

Il s'agissait, selon l'expression du sénateur Jean Cluzel, rapporteur de la proposition de loi au Sénat, « d'établir une transparence raisonnable » en permettant au lectorat de disposer d'informations sur l'actionnaire principal d'un journal.

Il reste qu'en 1986 le paysage de la presse était assez clair avec quelques propriétaires bien identifiés. Aujourd'hui, la crise profonde que connaît le secteur, l'éparpillement de la propriété des entreprises de presse et le renforcement de l'exigence démocratique dans notre société posent la question des limites de cet article 5 en matière de transparence de l'actionnariat des publications de presse.

Notons, en outre, que l'expression « publication de presse » désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers et qu'elle n'intègre donc les sites Internet de presse, ceux qui ne sont donc pas soumis aux règles fixées par la loi n° 86-897 du 1 er août 1986.

Votre rapporteur tient néanmoins à souligner, en dépit des faiblesses de la législation française en matière de transparence, que des dispositions nombreuses fixent en revanche des limites très strictes en matière concentration des médias, et notamment des publications de presse.

B. Des dispositions strictes en matière de concentration

Le secteur de la presse écrite est soumis actuellement à deux séries de limitations légales spécifiques en matière de concentration, ainsi qu'au régime de droit commun du contrôle des concentrations.

Le régime spécifique prévu par l'article 11 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse s'applique exclusivement à la presse quotidienne d'information politique et générale. Il entend garantir le pluralisme de cette presse, objectif de valeur constitutionnelle : il interdit, « à peine de nullité, l'acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d'une publication quotidienne imprimée d'information politique et générale lorsque cette opération a pour effet de permettre à une personne physique ou morale ou à un groupement de personnes physiques ou morales de posséder, de contrôler, directement ou indirectement, ou d'éditer en location-gérance des publications quotidiennes imprimées d'information politique et générale dont le total de la diffusion excède 30 % de la diffusion sur le territoire national de toutes les publications quotidiennes imprimées de même nature. »

Ce dispositif, qui a remplacé celui mis en place par la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, est fondé sur trois principes :

- un seuil de diffusion unique applicable à l'ensemble de la presse quotidienne d'information politique et générale, qu'elle soit nationale, régionale ou locale ;

- une interdiction de franchissement du seuil opposable aux seules acquisitions de titres existants et non à la création de nouvelles publications ou au développement de la diffusion de titres existants ;

- et un seuil de diffusion suffisamment élevé permettant d'éviter des concentrations excessives pour la préservation du pluralisme, sans entraver la constitution de groupes suffisamment puissants pour affronter la concurrence.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité des opérations et par une peine d'un an de prison éventuellement assortie d'une amende de 30 000 euros.

Le dispositif anti-concentration multimédia prévu par la loi du 30 septembre 1986 est par ailleurs applicable aux éditeurs de quotidiens d'information politique et générale. Il vise à restreindre les possibilités pour une personne d'être en position de force sur plusieurs secteurs de la communication (services de radio ou de télévision et édition de quotidiens d'information politique et générale) aussi bien au plan national que régional ou local, selon la règle dite des « deux situations sur trois ».

Au plan national, la limitation selon la règle des « deux situations sur trois » est applicable à toute personne qui édite ou contrôle un ou plusieurs quotidiens imprimés d'information politique et générale représentant plus de 20 % de la diffusion totale, sur le territoire national, des quotidiens de même nature.

Plus restrictif que le seuil fixé par la loi du 1 er août 1986 pour les concentrations dans la presse quotidienne d'information politique et générale, le seuil retenu par les articles 41-1 et 41-1-1 de la loi du 30 septembre 1986 apparaît justifié dans la mesure où il se conjugue avec l'autorisation d'exploiter un service de radio ou de télévision.

Au plan régional et local, c'est l'édition ou le contrôle d'un ou plusieurs quotidiens d'information politique et générale, à caractère national ou non, diffusés dans la zone considérée qui est prise en compte. A la différence de la règle retenue au plan national, il n'y a donc pas de seuil de diffusion en deçà duquel la règle du cumul ne s'appliquerait pas.

Le régime général de contrôle des concentrations est enfin applicable à l'ensemble du secteur de la presse, indépendamment des règles spécifiques prévues par la loi du 1 er août 1986 pour la presse quotidienne d'information politique et générale. Le Conseil d'État a ainsi jugé, dans sa décision du 31 janvier 2007, Société France Antilles c/ Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie que le secteur de la presse obéissait non seulement aux règles définies par l'article 11 de la loi du 1 er août 1986 dont l'objet est de garantir le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, mais aussi aux règles de droit commun issues de l'ordonnance du 1 er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, aujourd'hui reprises dans le titre III du livre IV du code du commerce, qui définissent, afin de protéger les intérêts des consommateurs en prévenant les atteintes à la concurrence, un régime d'autorisation préalable des opérations de concentration économique .

Le Conseil de la concurrence avait d'ailleurs adopté la même position dans son avis n° 05-A-18 du 11 octobre 2005 à propos de l'acquisition par le groupe Ouest France du pôle Ouest de la société Socpresse.

II. La position de votre commission : la pertinence du dispositif proposé par le présent article

Comme l'avait noté notre collègue Michel Thiollière dans son rapport 9 ( * ) sur la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, l'indépendance de la presse et des journalistes vis-à-vis des décideurs publics et privés constitue certes le principe cardinal de la relation de confiance entre la presse et ses lecteurs, mais « la voie d'une transparence accrue de l'actionnariat des entreprises de presse et du renforcement des exigences déontologiques de la profession reste préférable à une intervention du législateur » dans le domaine de la concentration.

Dans sa décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984 sur la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, le Conseil constitutionnel avait quant à lui estimé que « loin de s'opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en oeuvre de l'objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté ; qu'en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l'objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s'y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d'exercer leur choix de façon vraiment libre et l'opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d'information qui lui sont offerts par la presse écrite ».

Cette orientation correspond également aux orientations retenues par le Président de la République dans son discours de clôture des États généraux de la presse écrite du 23 janvier 2009, avec l'objectif de « renforcer la confiance du lecteur ».

Il apparaît aujourd'hui que la disposition de l'article 5 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est en partie obsolète et que son actualisation constitue une initiative intéressante.

C'est au demeurant la raison pour laquelle la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a souhaité introduire un article additionnel après l'article 32 dans la proposition de loi sur la simplification et l'amélioration du droit afin :

- de moderniser l'article 5 en étendant les obligations applicables aux « publications de presse » aux « services de presse en ligne » ;

- et en élargissant l'obligation d'information sur la composition de l'actionnariat à toutes les sociétés détenant au moins 10 % du capital de l'éditeur. L'application de ce taux permet d'éviter aux entreprises d'apporter des informations peu utiles au regard de l'objectif d'indépendance des médias et de prendre en compte la situation de celles qui, cotées en bourse, voient leur actionnariat évoluer quotidiennement.

Le présent article, qui tend à imposer cette seconde obligation est donc pleinement satisfait, et même au-delà, par l'article 32 quinquies du texte sur la simplification et l'amélioration du droit issu de la première lecture du Sénat.

Afin d'assurer la cohérence entre les différents textes législatifs, la commission n'a donc pas adopté l'article 2 de la proposition de loi.

Votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article.

Article 3 (loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse) - Renforcement de l'information sur l'actionnariat des entreprises de presse

Le présent article tend à compléter l'article 6 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse par des dispositions visant à mieux informer les lecteurs en cas de modification du statut de l'entreprise éditrice ou de changement dans les dirigeants ou actionnaires de l'entreprise.

Aux termes de l'article 6 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, « toute entreprise éditrice doit porter à la connaissance des lecteurs de la publication, dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle elle en acquiert elle-même la connaissance, ou lors de la prochaine parution de la publication :

1° Toute cession ou promesse de cession de droits sociaux ayant pour effet de donner à un cessionnaire au moins un tiers du capital social ou des droits de vote ;

2° Tout transfert ou promesse de transfert de la propriété ou de l'exploitation d'un titre de publication de presse .

Cette obligation incombe à l'entreprise cédante ».

Il s'agit ainsi d'une disposition complémentaire à celle prévue à l'article 5 qui vise à indiquer clairement aux lecteurs les évolutions dans le capital social d'une entreprise de presse.

L'article 3 de la proposition de loi complète ce dispositif en prévoyant en outre qu'une information spécifique est apportée :

- lors de toute modification du statut de l'entreprise éditrice (alinéa 2) ;

- et lors de tout changement dans les dirigeants ou actionnaires de l'entreprise (alinéa 3).

Par ailleurs, il est prévu que la personne morale ou physique employant des journalistes doit porter à la connaissance du public toutes les informations relatives à la composition de son capital et des organes dirigeants (alinéa 4). Elle devrait mentionner l'identité et les parts de capital détenues par chacun des actionnaires, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales.

Ces dispositions apparaissent à votre rapporteur comme étant complètement redondantes avec les dispositions de l'article 5 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986, qui s'appliquent en outre pour tous les numéros des publications de presse :

- en effet, le statut des entreprises de presse doit déjà être mentionné (alinéa 3 de l'article 5 précité) ;

- les indications sur le changement de dirigeants ou d'actionnaires ne constituent certes pas une obligation, mais elles seront de fait visibles pour tout lecteur comparant deux numéros ;

- enfin les dispositions sur les informations sur la composition du capital et des organes dirigeants reprennent quasiment mot pour mot celles de l'article 5 précité (alinéas 3 à 5) de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986. Elles seraient toutefois un peu plus large, puisque l'obligation d'information serait étendue aux actionnaires dont les parts seraient inférieures au seuil des 10 %, ce qui est cependant contraire à l'esprit de la disposition 10 ( * ) adoptée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication dans la proposition de loi sur la simplification et l'amélioration du droit.

Au vu de cette analyse, votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article.

Article 4 (loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse) - Sanctions

L'alinéa unique du présent article prévoit que la sanction pour non-respect des obligations prévues aux articles 1 er , 2 et 3 de la proposition de loi serait la suspension des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie l'entreprise de presse, ainsi que la publication de ladite sanction.

Votre rapporteur considère, qu'outre qu'il n'est pas prévu de durée d'application de cette sanction (suspension des aides ponctuelle, pour une année ou définitive...), ladite sanction paraît disproportionnée en cas de non-respect des obligations prévues aux articles 2 et 3. En outre, elle affecterait de manière très inégale les éditeurs de presse, pour lesquels les aides publiques représentent en moyenne plus de 10 % de leur chiffre d'affaires, les chaînes de télévision publiques, qui en dépendent quasiment entièrement, et les éditeurs de télévision privée qui n'en reçoivent pas.

Suivant sa préconisation, votre commission n'a pas adopté de texte pour cet article.


* 7 Disposition introduite dans la loi de 1986 à la suite du vote de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

* 8 M. Patrick BLOCHE, rapport n° 2939 fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions.

* 9 Rapport n° 89 (2009-2010) de M. Michel THIOLLIÈRE, fait au nom de la commission de la culture, déposé le 4 novembre 2009.

* 10 Voir supra, ce seuil vise à « éviter aux entreprises d'apporter des informations peu utiles au regard de l'objectif d'indépendance des médias et [...] prendre en compte la situation de celles qui, cotées en bourse, voient leur actionnariat évoluer quotidiennement ».

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