B. LA SPECIFICITÉ DE CETTE TRANSPOSITION

1. Concernant la transposition de la directive marchés

Le projet de loi soumis à votre examen ne transpose que les dispositions de nature législative de la directive 2009/81/CE. Formellement, il modifie l'ordonnance du 6 juin 2005 et d'autre part, il ajuste à la marge le code de justice administrative. Il présente deux singularités majeures.

a) Sur la forme : l'essentiel de la transposition se fera par voie réglementaire

La première caractéristique est que l'essentiel de la transposition va se faire de façon réglementaire par la voie d'un décret en Conseil d'Etat, créant une nouvelle troisième partie dans le code des marchés publics.

Le Gouvernement a fait le choix d'intégrer le régime spécial issu de la directive 2009/81/CE dans le code des marchés publics, plutôt que dans un décret spécifique.

Cela s'explique pour deux raisons. La première est la volonté politique, manifestée à plusieurs reprises et encore récemment, de regrouper l'ensemble des dispositions applicables aux acheteurs publics, dans un « code de la commande publique ». La seconde, d'ordre pratique, tient au fait que bon nombre des articles de cette troisième partie auront pour objet de préciser quelles règles du code des marchés publics s'appliquent et quelles autres ne s'appliquent pas et que dans ces conditions il est en effet préférable de les intégrer dans le même véhicule normatif.

Par ailleurs, et d'après les informations fournies à votre rapporteur, le régime spécifique actuellement établi par le « décret défense » sera amené à disparaître au profit de la nouvelle partie du code des marchés publics.

Le nouvel ordonnancement juridique résultant de l'articulation de ces différents textes sera donc le suivant :

D'après les informations transmises à votre rapporteur, le projet de décret, actuellement en cours d'élaboration, présente les caractéristiques suivantes.

En premier lieu, il concernera tous les acheteurs publics passant des marchés de défense et de sécurité. Seront inclus non seulement l'Etat et ses établissements publics administratifs, mais aussi les pouvoirs et entités adjudicateurs soumis à l'ordonnance de 2005. En effet, le projet de loi de transposition les autorise, au cas par cas, à opter pour le régime juridique du code des marchés publics. Certains d'entre eux, tels l'IRSN ou le CEA, sont susceptibles de faire usage de cette possibilité. En revanche, le ministère de l'intérieur (DGCL) n'a pas estimé nécessaire d'ouvrir aux collectivités territoriales la possibilité de recourir aux nouvelles procédures. Si tant est qu'elles soient amenées à passer des marchés de sécurité, les collectivités territoriales continueront d'appliquer le régime plus strict des marchés ordinaires. Tel ne sera vraisemblablement pas le cas de certains autres pays, tels que l'Espagne et dans une moindre mesure l'Allemagne où les régions et les Länder jouent un rôle non neutre en matière de défense.

En second lieu, le nouveau dispositif réglementaire qui sortira du décret en préparation, devrait organiser une gradation de la publicité et de la mise en concurrence en fonction de la sensibilité du marché. Certains marchés, bien que soumis à la nouvelle troisième partie du code, pourront bénéficier d'un régime de passation sans publicité, ni mise en concurrence quel que soit le montant des achats. Il s'agit par exemple des marchés passés pour faire face à une crise en France ou à l'étranger et dans des délais par nature contraints, ce que l'on appelle les crash programs ou urgences opérationnelles. Quant au reste des marchés de défense et de sécurité, il profitera des conditions de publicité et de mise en concurrence adaptées. Le seuil en deçà duquel l'acheteur fixe librement, dans le respect des principes d'égalité de traitement et de transparence, les conditions de publicité et mise en concurrence sera relevé pour les fournitures et les services à 387 000 € HT. Même au-dessus de ce seuil, la procédure négociée après publicité restera la procédure de droit commun. Enfin, des exigences particulières garantissant la sécurité des informations pourront être imposées tout au long de la procédure de passation.

Troisième caractéristique, les intérêts nationaux en jeu dans les achats de défense et sécurité seront garantis. Le dispositif est conçu pour protéger la sécurité des approvisionnements. L'acheteur pourra à la fois tenir compte des garanties offertes par les candidats au cours du processus de sélection et imposer des conditions d'exécution particulières au cours de l'exécution du contrat. Il pourra, pour les mêmes raisons, y compris dans le cadre de marchés de fournitures, rejeter un sous-contractant proposé par le titulaire. Les possibilités de recourir à une seconde source seront par ailleurs élargies. Des garanties similaires seront prévues en matière de sécurité de l'information. Enfin, la nouvelle troisième partie du code renverra à une liste d'interdictions de soumissionner renouvelée en harmonie avec le projet de loi en cours d'examen.

Au-delà de l'exercice de transposition, les particularités du secteur industriel seront prises en considération. Eu égard à la structure oligopolistique du marché et à la nature intégrée des prestations qui sont généralement achetées, l'obligation d'allotir sera supprimée. De même, et sauf pour les PME dont le régime de paiement ne changera pas, les marchés passés par les services de la défense devraient bénéficier de souplesses en matière d'avances et d'acomptes. Toutefois, pour favoriser le développement harmonieux de la concurrence sur le secteur, le code prévoira désormais la possibilité pour l'acheteur, d'une part, d'imposer un pourcentage minimum de sous-traitance et, d'autre part, d'exiger la mise en concurrence formelle, par le titulaire, des sous-contrats. Pour lutter contre la pratique des compensations industrielles ( offsets ), le code interdira expressément au pouvoir adjudicateur d'imposer aux opérateurs la sous-traitance nationale.

Face à la puissance de marché des opérateurs industriels, et dans un contexte où la plupart des contrats ont vocation à être négociés, des dispositions seront prises pour protéger les deniers publics. Ainsi, à titre d'exemple, les clauses de révision des prix en fonction de l'évolution des conditions économiques devront comporter un terme fixe.

La concertation interministérielle sur le projet de décret n'est pas achevée. Un projet de code consolidé est actuellement soumis à la concertation des ministères depuis décembre, pour ajustements éventuels et accord formel. Il devrait être soumis pour consultation aux industriels de la défense, avant la saisine du Conseil d'Etat. En tout état de cause, le décret ne pourra pas être publié avant le projet de loi. En effet, les dispositions de niveau réglementaire relatives à la préférence communautaire (mesures d'application de l'article 37-2 de l'ordonnance de 2005) sont dépourvues de base légale tant que le projet de loi de transposition n'est pas adopté.

Compte tenu de l'importance de la transposition par voie réglementaire, votre commission souhaite être consultée et informée au même titre que les industriels. Elle exercera un suivi particulièrement attentif de l'application de la loi.

b) Sur le fond : l'instauration d'une préférence communautaire en droit français, juridiquement absente de la directive

La France n'a pas obtenu que soit insérée dans le dispositif de la directive une clause de préférence communautaire. Néanmoins, elle a obtenu que, dans l'exposé des motifs, un considérant spécifique - le considérant 18 - rappelant que les Etats conservent le pouvoir de décider si oui ou non leurs pouvoirs adjudicateurs peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à l'Union à participer aux procédures de passation des marchés.

Il faut y voir une invitation politique faite aux Etats-membres, à considérer que le principe régissant le marché européen des équipements de défense est que les Etats européens ouvrent leurs offres, préférentiellement, aux opérateurs économiques de l'espace européen et que, s'agissant des opérateurs économiques des pays tiers à l'Union, ils décident souverainement d'ouvrir ou non.

Ce rappel politique n'est pas, à proprement parler une préférence communautaire au sens strict du terme, puisque cela ne revêt aucun caractère d'automaticité, néanmoins il traduit bien l'esprit des Etats-membres qui est de donner dans leurs achats une préférence aux produits européens, afin précisément de construire la BITDE.

Le projet qui vous est soumis s'efforce de traduire juridiquement cet esprit de la directive.

Il le fait au travers de la rédaction proposée pour l'article 37-2 de l'ordonnance de 2005 par l'article 5 - 7° du projet de loi.

Ce nouvel article prévoit que :

« Un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice peut autoriser des opérateurs économiques n'ayant pas la qualité de ressortissant de l'Union européenne ou de ressortissants de la Confédération suisse ou d'un Etat partie à l'Espace économique européen à participer à une procédure de passation de marchés de défense ou de sécurité ».

Nous reviendrons plus longuement dans le commentaire des articles, ci-après, sur les subtilités de cette rédaction et les raisons qui la sous-tendent.

2. Concernant la transposition de la directive transferts intra-communautaires

Ce volet de la transposition présente deux singularités importantes.

a) La remise à plat de l'ensemble du dispositif français de délivrance des autorisations

Le projet de loi va bien au-delà de la seule transposition de la directive TIC. Il propose en effet trois types de simplifications cumulatives :

1- une transposition pure et simple de la directive TIC, qui porte en elle-même deux améliorations : harmonisation des régimes juridiques entre les 27 États membres, introduction de licences générales permettant d'effectuer sans autorisation individuelle les transferts les moins sensibles ;

2- une réforme, par extension, du régime du grand export (hors Union européenne) pour se rapprocher du système proposé par la directive TIC ; ce choix n'est pas imposé par la directive, il répond au souhait d'alléger les contraintes pour les entreprises ;

3- une simplification parallèle des pratiques administratives françaises pour les rapprocher de celles en vigueur dans les autres États membres : en particulier le système de la licence « unique » va remplacer l'actuel régime d'autorisation en deux phases.

Parallèlement à l'adoption de la directive, le rapport du député Yves FROMION, parlementaire en mission, est en effet venu proposer d'introduire, simultanément ou préalablement à la transposition de la directive, un certain nombre de simplifications administratives du système français de contrôle des exportations, qui sont pour la plupart sur le point d'être intégrées dans le droit ou les pratiques administratives. Ainsi par exemple, l'actuel système de double autorisation - agrément préalable pour négocier et signer un contrat d'une part, autorisation d'exportation d'autre part - sera remplacé par une licence unique, fusionnant les deux autorisations actuelles.

En conséquence, ce texte devrait avoir pour effets bénéfiques de réduire les délais d'instruction (de 110 jours à 50 jours) et de diminuer de plus de moitié le nombre d'actes administratifs individuels délivrés chaque année, de 14 000 aujourd'hui à 6 000 autorisations par an.

b) La non communautarisation des autorisations administratives

A l'inverse de ce qui a été fait dans de nombreux autres secteurs économiques, la décision en matière de contrôle des exportations et des importations relève toujours, in fine , de chaque État membre. En effet, la directive simplifie, harmonise et fixe un cadre juridique commun, des « règles du jeu » partagées, mais en aucun cas ne « communautarise » les compétences. Chaque État membre reste souverain en la matière.

L'article 1 er - point 2 - de la directive précise que :

« La présente directive est sans incidence sur la liberté de décision des États membres en matière de politique d'exportation de produits liés à la défense. ».

Chaque État conserve le pouvoir d'autoriser les transferts, de les refuser, de retirer les licences accordées. Même dans l'application de la position commune, au-delà des obligations de notification et d'échanges d'informations, la décision lui revient en dernier ressort.

Les États membres conservent même un droit de regard sur la certification des entreprises importatrices par les autres États membres. Cette mesure de sauvegarde - assez originale en droit communautaire - est la suivante : la directive prévoit que lorsqu'un État membre a un doute sur une entreprise certifiée par un autre État membre, il demande à ce dernier « d'évaluer la situation » et il suspend les effets de la licence générale pour cette société tant que ses doutes subsistent. Il existe donc en quelque sorte un droit de suspension unilatéral, sous bénéfice d'inventaire, d'une autorisation délivrée par un autre Etat membre.

Ce mécanisme montre combien la directive a pris en compte la nature particulière des matériels de défense. En principe, le droit communautaire tend plutôt à prévoir, en vue de l'établissement d'un marché intérieur dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée, un principe de reconnaissance mutuelle des législations nationales.

On peut citer par exemple le principe de liberté d'établissement bancaire dans l'Espace économique européen, avec un agrément unique au plan communautaire, puisque tout établissement de crédit ou entreprise d'investissement ayant son siège dans un État membre peut installer librement des succursales dans les autres États membres...

Votre rapporteur se félicite de la prise en compte rigoureuse des impératifs de souveraineté dans la production et la commercialisation des équipements de défense et de sécurité.

Toutefois on peut s'interroger sur le fait que la construction d'un marché européen des équipements de défense plus intégré appellera peut être à terme la mise en place d'un système de reconnaissance mutuelle des agréments, à l'instar de ce qui a été fait dans d'autres secteurs industriels. Un tel système pourrait sans doute faciliter la libre prestation de service et la liberté d'établissement au sein de l'espace économique européen, sans rien abdiquer des souverainetés nationales.

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