B. LA RÉACTIVITÉ DES RÉSERVISTES EN CAS DE CRISE, TELLE QU'ELLE EST ORGANISÉE PAR LES TEXTES, EST INSUFFISANTE

1. L'organisation actuelle ne permet pas une mobilisation rapide des réservistes

Les auteurs de la proposition de loi soulignent dans l'exposé des motifs que les textes actuels ne permettent pas une mobilisation rapide des réservistes.

Dans les armées , le réserviste militaire ayant souscrit un contrat d'engagement à servir dans la réserve (ESR), qui accomplit une mission pendant son temps de travail, doit prévenir son employeur de son absence avec un préavis d'un mois .

Le droit des réserves militaires est, de fait, structuré autour de l'idée d'une activité programmée à l'avance.

L'engagement dans la réserve est concrétisé par un contrat d'engagement à servir dans la réserve (ESR) 3 ( * ) . Les activités effectuées au titre de l'ESR sont déterminées par entente directe entre l'autorité militaire d'emploi et le réserviste. L'article R. 4221-5 du code de la défense précise que ces activités font l'objet d'un programme prévisionnel qui doit être actualisé chaque année, au plus tard dans le mois qui suit la date anniversaire de la signature du contrat.

Dans le cadre de ce document, le réserviste s'engage à servir pour la durée mentionnée, sous réserve de l'évolution de sa situation personnelle et professionnelle, notamment s'agissant des autorisations d'absence accordées par l'employeur.

La durée annuelle des activités à accomplir au titre de l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle est déterminée conjointement par l'autorité militaire d'emploi et par le réserviste.

Les droits du réserviste, comme ceux de son employeur, sont garantis par la loi de sorte que les activités réalisées au titre de la réserve ne peuvent porter préjudice à la vie professionnelle et sociale du réserviste.

Le contrat de travail du salarié exerçant une activité dans la réserve opérationnelle pendant son temps de travail est suspendu pendant la période en cause, mais aucun licenciement ou déclassement professionnel, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés à l'encontre d'un réserviste en raison d'absences liées à un engagement à servir dans la réserve.

En contrepartie, le réserviste qui, dans le cadre d'un engagement à servir dans la réserve opérationnelle, accomplit une mission pendant son temps de travail, doit prévenir son employeur de son absence avec un préavis d'un mois.

Ce délai peut être réduit à 15 jours dans le cas où le réserviste aurait souscrit une clause de réactivité. Le jeu de cette clause de réactivité est cependant limité, car elle n'est que très rarement souscrite par les réservistes de la réserve opérationnelle dès lors qu'elle nécessite l'accord de l'employeur.

Comme en témoigne cette brève analyse du contrat des réservistes militaires, les textes régissant les réserves n'ont pas été élaborés dans la perspective d'une utilisation des réserves comme réponse à une crise.

La situation est identique dans la police où l'accord de l'employeur doit être demandé avec un préavis de deux mois.

Cette limite fixée à l'emploi des réserves en cas de crise -on imagine mal des crises prévisibles à un ou deux mois- doit cependant être tempérée pour deux raisons.

La première est la bonne volonté des réservistes et de leur employeur. On a vu, lors de la tempête de 1999 et celle de Xynthia, des réservistes se porter immédiatement volontaires. En outre, un certain nombre de réservistes, en particulier dans les états-majors, sont des retraités, souvent anciens militaires, par définition plus disponibles.

La seconde est que la vocation de la réserve est, comme il a été souligné, moins la réaction immédiate, qui relève des forces d'active, que le renfort, dans un second temps, de ces forces d'active afin de leur permettre de durer.

Il reste que la réserve n'est pas aujourd'hui conçue et pensée comme un outil de réponse aux situations de crise. L'Etat ne dispose pas d'un cadre juridique que lui permette de mobiliser tout ou partie des réservistes. C'est le constat de départ de la proposition de loi que votre rapporteur partage.

2. Le concours des réservistes ne peut être que de courte durée

Les auteurs de la proposition de loi observent qu'une autre limite à l'emploi des réservistes en cas de crise est la durée de leur concours.

La durée de la mobilisation opposable à l'employeur dans la réserve militaire est de 5 jours et, en tout état de cause, le réserviste peut toujours refuser de se présenter puisqu'il n'existe aucun dispositif de sanction autre que la notation ou le non-renouvellement du contrat, s'il méconnaît les engagements qu'il a contractés dans le cadre de l'ESR.

Pour la réserve de la police, cette durée est de dix jours.

Certes, les employeurs, en cas de crise majeure, pourraient faire preuve de bonne volonté. Mais, d'une part, la gestion du risque ne peut reposer que sur de la bonne volonté, d'autre part, il est probable qu'en cas de crise majeure les entreprises elles-mêmes aient un besoin impérieux de leurs salariés.

Si l'accord de l'employeur est obtenu, d'autres dispositions viennent limiter la durée annuelle des activités dans la réserve opérationnelle des armées. Cette durée est plafonnée dans la réserve militaire à 30 jours par an, mais peut être prolongée jusqu'à 60 jours, notamment pour répondre aux besoins des armées. Le nombre de réservistes susceptibles de voir porter leurs activités à 60 jours par année civile, pour des missions dont la nature exige une durée supérieure à 30 jours, est contingenté. Ce contingent doit être déterminé chaque année pour chaque armée et formation rattachée sans pouvoir toutefois excéder 15 % de l'effectif réalisé au 1 er janvier de l'année en cours.

3. Le recensement des régimes juridiques d'exception fait apparaître qu'ils ne comportent aucune disposition prévoyant la mobilisation des réservistes

Les régimes juridiques d'exception permettent-ils de contourner les lacunes du dispositif juridique régissant les réserves en matière de mobilisation et de réactivité ? Voilà la question que se sont posés les auteurs de la proposition de loi. En situation de crise majeure, le droit français permet-il de réquisitionner les réservistes ?

En l'état du droit, les régimes juridiques d'exception prévus en cas de crise majeure sont l'état d'urgence, l'état de siège, la mobilisation ou la mise en garde.

Les règles d'application de l'état d'urgence sont prévues par la loi du 3 avril 1955 instituant l'état d'urgence. Selon l'article 1 er de cette loi, l'état d'urgence peut être mis en oeuvre, soit en cas d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

L'état d'urgence permet de prendre des mesures restreignant certaines libertés individuelles telles la liberté d'aller et venir ou la liberté de réunion, et autorise la censure de la presse. Cependant, la mobilisation des réservistes n'est pas évoquée dans la loi relative à l'état d'urgence.

L'état de siège est, quant à lui, prévu par l'article 36 de la Constitution et les articles L. 2121-1 à L. 2121-8 du code de la défense. L'état de siège ne peut être déclaré, par décret en Conseil des ministres, qu'en cas de péril imminent, résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée.

Il relève de la compétence exclusive du Parlement de prolonger l'état de siège au-delà de 12 jours. Il ne peut être fait application simultanément des dispositions de l'état de siège et de l'état d'urgence.

L'état de siège organise le transfert vers les autorités militaires des pouvoirs de maintien de l'ordre et de police. Les autorités civiles continuent à exercer leurs autres attributions.

Cette substitution de l'autorité militaire à l'autorité civile se traduit également par des restrictions aux libertés publiques allant au-delà de ce qu'autorise le droit commun. Il en est ainsi du droit de perquisition de jour et de nuit, du droit d'éloigner les repris de justice et les personnes non domiciliées dans le ressort du territoire mis en état de siège, du droit de réquisition des armes et munitions, et du droit d'interdire les réunions de nature à entraîner des risques de désordre.

Là encore, la mobilisation des réservistes n'est pas évoquée dans les textes relatifs à l'état de siège.

Enfin, les mesures prises dans le cadre de l'application des pouvoirs exceptionnels prévue par l'article 16 de la Constitution sont exigées par les circonstances et inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission.

Là encore, aucune disposition relative aux pouvoirs exceptionnels ne renvoie au recours aux réservistes.

Seule la mobilisation générale ou partielle permet la mobilisation des réservistes en tant que tels.

En vertu de l'article L. 1111-1 du code de la défense, la défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population.

L'article L. 1111-2 du code précité ajoute qu'en cas de menace, les mesures peuvent être soit la mobilisation générale, soit la mise en garde. Ces deux notions sont définies par l'article L. 2141-1 du même code.

Selon l'article L. 2141-3 du code de la défense, les décrets de mise en garde et de mobilisation ont pour effet, dans le cadre des lois existantes, la mise en vigueur immédiate de dispositions qu'il appartient au Gouvernement de préparer et d'adapter à tout moment aux nécessités de la défense. Le recours aux réservistes peut être adopté dans ce cadre.

Le titre III du livre II de la 4 ème partie du code de la défense précise les personnes soumises à l'obligation de disponibilité et les conditions de leur emploi.

L'article L. 4231-1 précise que sont soumis à obligation de disponibilité :

- « 1° Les volontaires pendant la durée de leur engagement dans la réserve opérationnelle ;

- 2° Les anciens militaires de carrière ou sous contrat et les personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur lien au service ».

L'article L.4231-3 dispose que : « les personnes soumises à l'obligation de disponibilité sont tenues de répondre, dans les circonstances prévues aux articles L.4231-4 et L.4231-5, aux ordres d'appel individuels ou collectifs et de rejoindre leur affectation pour servir au lieu et dans les conditions qui leur sont assignées ».

L'article L.4231-4 dispose que : « en application de l'article L.1111-2, l'appel ou le maintien en activité de tout ou partie des réservistes soumis à l'obligation de disponibilité peut être décidé par décret en conseil des ministres ».

Il existe, en outre, une disposition particulière pour la réserve de la gendarmerie. L'article L. 4231-5 dispose, en effet, que : « en cas de troubles graves ou de menaces de troubles graves à l'ordre public, le ministre de la défense peut être autorisé par décret à faire appel, pour une durée déterminée, à tout ou partie des réservistes de la gendarmerie nationale soumis a l'obligation de disponibilité. »

En conclusion, le recours immédiat au réserviste n'est possible qu'en cas de mobilisation générale ou de mise en garde (L. 4231-4). Dans ce cadre, les réservistes, durant leur volontariat dans la réserve, et les anciens militaires, pendant les cinq années qui suivent leur cessation d'activité, peuvent être appelés ou maintenus en activité.

Or les décrets de mise en garde et de mobilisation sont des mesures particulièrement graves et fortes de conséquences qui ont avant tout été pensées contre un risque d'agression extérieure ou d'invasion contre le territoire national.

Les régimes juridiques ouvrent, au profit du gouvernement, le droit de requérir les personnes, les biens et les services, de soumettre à contrôle et à répartition, les ressources en énergies, matières premières, produits industriels et produits nécessaires au ravitaillement et, à cet effet, d'imposer aux personnes physiques ou morales des sujétions jugées indispensables.

Il s'agit là d'états d'exception attentatoires aux libertés publiques si peu conformes à l'esprit du temps, que l'on imagine mal les autorités politiques s'en saisir en cas de catastrophe naturelle ou de pandémie et même en cas de crise terroriste.

En outre, comme le précise le Livre blanc, le recours à un dispositif tel que la mobilisation est devenu « improbable ».

Le pouvoir de réquisition des préfets résultant de leurs pouvoirs de police générale ou de pouvoirs spécifiques conférés notamment par le code de la santé publique, ne constitue pas non plus une réponse adaptée à la mobilisation des réservistes. Il s'agit, d'une part, d'une procédure individuelle lourde qui, en outre, réquisitionne le réserviste en tant qu'individu et non en tant que réserviste et le place dans un régime juridique et opérationnel qui n'est plus celui de la réserve.

Dès lors, il apparaît, effectivement, comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, que les pouvoirs publics ne disposent pas d'un moyen collectif de mobilisation des réservistes.

Ce texte vient donc répondre à une lacune et proposer une solution au besoin souligné par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale quand il appelait de ses voeux : « Une gestion commune des réserves relevant de différents ministères sera mise en place, afin de répondre de façon coordonnée aux besoins liés à des crises aiguës sur le territoire national. » 4 ( * )


* 3 Sur le contenu des ESR, voir la directive N° 230885/DEF/DRH-MD/SPGRH/FM.3 relative aux ressources humaines de la réserve opérationnelle et à l'honorariat du grade.

* 4 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, page 246

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