B. ÉVITER DE NUIRE

Les actes thérapeutiques sont uniquement justifiés si le bénéfice qu'en tire le patient est supérieur aux risques qu'ils lui font encourir. Cette notion d'équilibre bénéfice-risque s'applique aussi dans le domaine de la recherche : lors de l'examen d'un autre texte législatif 15 ( * ) , le Sénat a ainsi tenu à interdire le test de la dose maximale d'un produit sur des patients dont la maladie est sans lien avec le produit testé.

1. La destruction de l'embryon peut-elle se justifier ?

Les thérapies cellulaires existantes, fondées sur les cellules souches adultes ainsi que sur celles issues du cordon ombilical, du placenta et du sang de cordon, ne posent pas réellement de problème éthique car le prélèvement n'affecte pas la poursuite de la vie. Leur développement doit donc, sans aucune réserve, être favorisé.

Le problème se pose en revanche pour les thérapies potentiellement permises par les cellules souches embryonnaires puisque leur extraction impose la destruction de l'embryon. Dans ce cadre, le bénéfice et le risque ne sont plus individuels, mais collectifs : le bénéfice que la société espère tirer de ces recherches en matière d'avancées de connaissance et de soin justifie-t-il le risque qu'elle prend en autorisant la destruction des fondements d'une vie ?

Ainsi que l'a souligné le professeur Jean-René Binet lors de son audition par votre rapporteur, le législateur français s'est toujours refusé, contrairement au choix fait au Royaume-Uni, à distinguer un stade « pré-embryonnaire » d'un stade proprement « embryonnaire » qui serait le véritable début de la vie, celui-ci intervenant donc après la conception. En France, on considère que le développement de l'embryon puis du foetus est un continuum depuis la conception. Le législateur n'a donc pas souhaité évacuer le problème éthique.

Les progrès de la science sont susceptibles de résoudre en partie ce problème, en limitant la nécessité de détruire des embryons pour la recherche. Les chercheurs, en effet, ne travaillent pas sur des embryons, mais sur des lignées cellulaires qui en sont issues. Les cellules étant susceptibles de se reproduire infiniment à l'identique, un seul embryon suffit pour produire un grand nombre de cellules exploitables par la recherche. Or, on a besoin d'un nombre de lignées cellulaires limité. En tout cas, le besoin d'embryons sains est appelé à décroître car la recherche sur les maladies utilise des lignées de cellules porteuses de ces maladies. La limite principale à la réduction du nombre de lignées cellulaires nécessaires tient au typage HLA qui détermine la compatibilité entre les cellules et un organisme : si les avancées thérapeutiques espérées se concrétisent, il sera nécessaire, pour pouvoir en faire profiter l'ensemble de la population, de disposer de lignées cellulaires représentatives de tous les types HLA. Néanmoins, ce problème ne se pose qu'à long terme.

Plus fondamentalement, il existe des stocks d'embryons dont, conformément à la loi actuelle, une partie est vouée à la destruction pour cause d'abandon du projet parental. En quoi une simple destruction serait-elle plus éthique que le don à la science ? Le docteur Xavier Mirabel, président de l'association pour le droit à la vie, répondait à votre rapporteur, lors de son audition, qu'on peut néanmoins considérer que la destruction « simple » est en fait une cessation de l'intervention scientifique (congélation) : le choix n'est donc pas entre détruire et donner à la science, mais entre continuer l'intervention scientifique et l'interrompre. Votre rapporteur estime cependant que c'est le projet parental qui fonde la protection de l'embryon : les parents peuvent donc décider qu'ils préfèrent à la simple destruction le don altruiste à un autre couple ou à la science. Cela relève du choix personnel du couple.

Il faudrait cependant éviter la constitution d'un stock d'embryons qui seraient ensuite à détruire. La solution à ce problème viendra non pas tant d'une décision du législateur que de l'amélioration de la qualité des techniques de procréation médicalement assistée : l'espoir est d'avoir besoin de créer moins d'embryons pour espérer en réimplanter un viable. Le procédé de vitrification ovocytaire ouvre ainsi la perspective, au lieu de constituer un stock d'embryons congelés pour les réimplanter éventuellement plus tard, de ne congeler que des gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) et de ne procéder à la fécondation qu'au moment opportun, limitant le nombre d'embryons congelés. A l'initiative de l'Assemblée nationale, le projet de loi autorise désormais cette technique en France.

Cependant, le problème éthique fondamental demeure : les cellules sur lesquelles la recherche travaille sont toujours issues de la destruction originelle d'un embryon. La question qui se pose est donc de savoir si l'on admet ce principe. Votre rapporteur pense qu'on ne peut pas s'en dispenser en l'état actuel de la science. En revanche, il importe de permettre également le développement des recherches sur les autres types de cellules souches. Si le bénéfice thérapeutique est équivalent, le projet de loi prévoit d'interdire le recours aux cellules souches embryonnaires.

2. Le choix des politiques de santé publique

La nécessité de prendre en compte l'équilibre entre bénéfice et risque est accentuée quand il s'agit de mettre en oeuvre une politique publique. Votre rapporteur a été particulièrement interpellé par la présentation qu'ont faite le professeur Israël Nizan et le docteur Patrick Leblanc des conséquences du dépistage de la trisomie 21 : jusqu'en 2008, le risque lié à l'amniocentèse entraînait, pour trois cents cas diagnostiqués par an, la perte par fausse couche de six cents à sept cents foetus non porteurs de cette affection. Désormais, un meilleur dépistage, combinant l'échographie et les marqueurs sériques, permet de limiter considérablement le nombre d'amniocentèses pratiquées, mais faire courir un tel risque aux femmes enceintes paraît véritablement disproportionné. Il convient d'éviter la répétition de pareils choix. Le problème est susceptible de se poser notamment pour les tests génétiques et peut-être un jour pour l'imagerie cérébrale. Le projet de loi prévoit donc un encadrement plus strict qu'auparavant pour cette dernière technique.

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* 15 Proposition de loi n° 177 (2008-2009), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne.

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