CHAPITRE VI AMÉNAGEMENT DES RÈGLES RÉGISSANT LA PROCÉDURE EN MATIÈRE FAMILIALE

Article 13 (art. 250 et 250-2 du code civil) Dispense de comparution des époux devant le juge en cas de divorce par consentement mutuel et en l'absence d'enfants mineurs

Cet article tend à simplifier la procédure de divorce par consentement mutuel en dispensant les époux qui n'ont pas d'enfants mineurs communs de l'entretien préalable devant le juge aux affaires familiales.

Il traduit la première des deux propositions formulées par la commission présidée par Serge Guinchard sur la répartition des contentieux au sujet de la procédure de divorce (recommandation n° 25) 49 ( * ) et s'inscrit dans le mouvement continu d'allègement des formalités du divorce par consentement mutuel.

• Le droit en vigueur et la pratique observée

La procédure actuelle du divorce par consentement mutuel, qui résulte de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, est marquée par le souci d'en simplifier les formalités pour les intéressés lorsque l'accord qu'ils ont conclu est respectueux des intérêts de chacun et de ceux des enfants.

À l'ancienne procédure, qui prévoyait deux audiences distinctes à trois mois d'intervalle, a été substituée une procédure articulée autour d'une audience unique, lorsque les époux sont d'accord sur le principe comme sur les conséquences du divorce.

Cet accord se matérialise dans une convention soumise à l'approbation du juge et réglant les effets du divorce.

La demande en divorce est introduite par l'avocat commun des parties ou leurs avocats respectifs 50 ( * ) . Elle inclut, à peine d'irrecevabilité, la convention précitée 51 ( * ) .

L'audience, qui intervient à date fixée par le juge, se décompose en trois moments distincts : le juge examine d'abord la demande avec chacun des époux, puis il les réunit. Enfin, il appelle leurs avocats 52 ( * ) .

Cette décomposition en trois phases permet au juge de s'assurer, dans le colloque singulier avec chacun des époux, de la validité de leur consentement (par exemple de l'absence de pressions de l'un sur l'autre) ou d'appeler leur attention sur l'importance des engagements qu'ils concluent, puis de discuter avec eux et leurs avocats des clauses de la convention, voire de leur proposer des modifications ou des amendements 53 ( * ) .

Le juge ne prononce le divorce et n'homologue la convention que s'il a acquis la conviction que la volonté des époux est réelle et le consentement de chacun libre et éclairé et s'il estime que les intérêts des enfants comme ceux de l'un ou l'autre des époux sont suffisamment préservés 54 ( * ) . Cette décision intervient sur le champ.

En cas de refus d'homologation, le juge peut homologuer les mesures provisoires conformes à leurs intérêts et à ceux des enfants. Les époux disposent alors d'un délai de six mois pour présenter une nouvelle convention. À défaut, leur demande en divorce devient caduque 55 ( * ) .

Le divorce par consentement mutuel, qui représentait 41 % des divorces entre 1996 et 2000 et 47 % entre 2001 et 2004 représente aujourd'hui plus de 55 % du total 56 ( * ) : la simplification procédurale intervenue en 2004 a sans doute amplifié l'intérêt suscité par cette forme pacifiée de séparation auprès des couples concernés. D'autres facteurs ont aussi eu leur importance, comme la réforme de l'autorité parentale qui a posé comme principe que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale » 57 ( * ) .

• La disposition proposée par le projet de loi

Poussant plus loin le mouvement de simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel, a parfois été défendue l'idée d'en organiser la déjudiciarisation. Cette dernière consisterait à confier à un officier d'état civil ou un notaire la charge de le prononcer à la demande des parties.

La commission présidée par Serge Guinchard s'est penchée avec attention sur cette question, et elle a écarté cette proposition pour plusieurs raisons.

Non seulement elle a jugé l'économie budgétaire que cette réforme permettrait de réaliser incertaine, mais elle s'est inquiété de ce que l'intervention d'un nouvel agent - officier d'état civil ou notaire - contrarie l'un des principes sur lesquels repose l'articulation des différentes procédures de divorce, qui doit permettre aux parties, à tout moment, d'abandonner la procédure contentieuse en cours en faveur d'un divorce par consentement mutuel prononcé par le même juge que celui saisi initialement.

Surtout, les membres de la commission sur la répartition des contentieux se sont attachés au rôle tenu par le juge : garant des intérêts de chacun, il est chargé du contrôle de la validité du consentement de chacun comme de celui de l'équilibre des conventions. Ils ont à cet égard relevé que « le consentement au divorce et à l'ensemble de ses effets patrimoniaux, extrapatrimoniaux et parentaux n'est pas un consentement banal. C'est un consentement « qui s'élabore, se mûrit et qui mérite contrôle ». Cette élaboration se fait dans l'ombre portée de la présence symbolique du juge. L'intervention du juge garantit, seule, la réalité du consentement » 58 ( * ) .

Il leur est aussi apparu que l'intervention judiciaire était un gage de qualité de la décision rendue, d'une part, parce qu'elle conjuguait une expertise supplémentaire à celle dont bénéficient déjà les parties par la voie de leur avocat et, le cas échéant, de leur notaire et, d'autre part, parce qu'elle évitait l'émergence d'une contentieux post-divorce trop important.

Pour toutes ces raisons la commission présidée par Serge Guinchard a écarté l'option de la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel.

Elle a en revanche proposé à la place un allègement de cette même procédure qui consisterait à autoriser les époux sans enfants à renoncer au droit d'être entendu par le juge, à la condition que l'avocat puisse apporter la preuve qu'ils ont été clairement informés de ce droit. Le juge conserverait la faculté, s'il l'estime nécessaire au vu du dossier, d'entendre les époux. En présence d'enfants mineurs, cette audience serait maintenue, afin que le magistrat puisse recueillir les observations orales des parents s'agissant des parties de la convention afférant aux intérêts des enfants.

Le présent article reprend cette recommandation à quelques différences près.

Il limite la procédure actuelle (audience de chacun des époux séparément, puis les deux ensembles et dans un deuxième temps, avec leurs avocats), au cas où les époux ont encore un ou plusieurs enfants mineurs communs.

En l'absence d'enfants mineurs communs, il n'y aurait en revanche pas d'audience, sauf à ce que le juge ordonne la comparution des époux, s'il l'estime nécessaire. Chacun des époux pourrait aussi la demander, sans qu'elle puisse lui être refusée.

Enfin, le juge ne pourrait refuser d'homologuer la convention de divorce sans avoir préalablement ordonné la comparution des parties. Cette dernière disposition garantit que le juge qui envisage d'opposer un refus aux époux recueille leurs observations, s'entretienne avec eux des problèmes posés par leur convention et, le cas échéant, leur indique quels amendements ils pourraient y apporter.

D'après l'évaluation réalisée par l'étude d'impact, l'exemption d'audience aurait pu concerner 80 % des 34 430 couples sans enfants qui ont divorcé en 2008 59 ( * ) , soit 27 544 affaires. À partir de l'hypothèse d'un temps moyen de traitement du dossier de 20 minutes pour le magistrat et 60 minutes pour le greffier, contre actuellement, avec l'audience, 45 minutes pour le premier et 130 minutes pour le second, l'économie réalisée par cette mesure est estimée à 7 équivalents temps plein travaillé (ETPT) de magistrats et 20 ETPT de fonctionnaires du greffe.

• La position de votre commission

La position adoptée par la commission présidée par Serge Guinchard sur la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel est sage : l'abandon de la garantie que constitue pour les époux, comme pour leurs enfants, le recours au juge n'est pas souhaitable.

Votre commission a d'ailleurs récemment marqué son attachement à ce recours judiciaire en s'opposant à ce que la convention de procédure participative créée par la loi relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées 60 ( * ) , puisse se substituer à la procédure de divorce, le juge étant réduit à homologuer la convention de divorce. La nouvelle rédaction apportée par ce texte à l'article 2067 du code civil imposera aux parties parvenues à un accord de suivre la totalité de la procédure de divorce, avec les garanties qui l'accompagnent.

La voie de la déjudiciarisation étant fermée, faut-il continuer d'emprunter celle de l'allègement procédural ? La question appelle un examen prudent.

En effet, la réforme de 2004 a d'ores et déjà permis d'aller très loin en matière de simplification procédurale pour les parties : la durée moyenne de l'audience, toutes phases incluses, n'est que de 25 minutes, ce qui est peu contraignant pour les parties. Certes, celles-ci se trouvent confrontées au juge et au formalisme de l'institution judiciaire, mais il est utile que la séparation, acte important pour les époux, soit entourée d'une certaine solennité, symétrique de celle du mariage, quand bien même les parties se seraient entendues sur tous les aspects de leur divorce au mieux de leurs intérêts respectifs.

Sans être négligeable, le gain escompté pour les parties est finalement modeste puisqu'il s'agit d'éviter aux époux d'avoir à se présenter au tribunal. Tel est aussi le cas du gain pour l'administration judiciaire, comme l'a souligné Mme Odile Barral, représentante du Syndicat de la magistrature, puisque, compte tenu des cas concernés, il ne s'agit que de l'équivalent de sept emplois de magistrats et de vingt emplois de greffiers. Il n'est pas acquis que ce bénéfice compense suffisamment la perte de garanties que la suppression de l'audience risquerait d'entraîner.

Les représentants de l'Union syndicale de la magistrature ont à cet égard jugé la suppression du principe de la comparution personnelle des époux « faussement intéressante et constitutive d'un véritable danger pour l'institution du mariage » car elle ne permettrait plus au juge de « constater la réalité du consentement au divorce ».

En effet, l'entrevue des époux avec le juge, d'abord chacun séparément, puis ensemble, et enfin avec leurs avocats, peut certes être vécue par les intéressés comme une formalité inutile, lorsque leur accord est certain et leur consentement libre et éclairé. Cependant, votre rapporteur observe qu'elle offre au juge l'occasion de s'assurer de la réalité du consentement de chacun, de l'absence de contraintes, plus ou moins directe s'exerçant sur lui et de sa compréhension des effets du divorce tels que la convention conclue avec l'autre partie les organise.

À ce titre, l'audience préalable constitue une mesure d'instruction complémentaire de l'examen des pièces écrites transmises au juge. Dépourvue d'intérêt lorsque le divorce est bien conduit par les parties et leurs avocats, elle retrouve toute sa nécessité, lorsque l'un des époux est soumis à la contrainte ou à l'influence de l'autre, ou lorsque l'équilibre apparent de la convention masque le préjudice consenti par l'une d'elles. Dans ce dernier cas, c'est alors le contrôle du juge sur les termes de la convention qui paraît bien formel et moins efficace que le colloque singulier qu'il est en mesure d'avoir avec chacun des époux.

D'ailleurs, l'expérience montre que la durée de l'audience n'augmente qu'en considération des doutes que certaines observations orales des parties font naître dans l'esprit du magistrat, et elle se réduit au contraire significativement lorsque les premiers échanges lui confirment son impression favorable sur le dossier.

En outre, peut-on, sans réserve, considérer comme un avantage que les parties puissent divorcer sans se présenter physiquement dans un palais de justice ? Quelles que soient l'esprit de responsabilité et la volonté commune qui les animent, le divorce par consentement mutuel reste une décision grave. Il n'est pas inutile que celle-ci soit marquée par la solennité que leur présence dans un palais de justice, face à un magistrat, confère à la décision judiciaire.

Enfin, limiter l'obligation d'une audience préalable au cas où les époux ont la responsabilité d'enfants mineurs communs est trop restrictif : l'obligation d'entretien à la charge des parents ne cesse pas de plein droit au moment où les enfants deviennent majeurs 61 ( * ) et il appartient au juge aux affaires familiales de veiller à ce que leurs intérêts soient préservés, même si la question de l'autorité parentale ne se pose plus.

Constatant ainsi que la comparution personnelle des époux constituait une garantie importante de la procédure de divorce, votre rapporteur a proposé à votre commission, qui l'a adopté, un amendement supprimant le présent dispositif.


* 49 Op. cit. p. 20 et p. 114.

* 50 Article 250 du code civil.

* 51 Article 1091 du code de procédure civile.

* 52 Article 250 du code civil.

* 53 Article 1099 du code de procédure civile.

* 54 Articles 230 et 232 du code civil.

* 55 Article 250-2 et 250-3 du même code.

* 56 Infostat Justice , janvier 2009, n° 104.

* 57 Article 373-2 du code civil.

* 58 Op. cit. p. 103.

* 59 Cette évaluation est fondée sur l'hypothèse selon laquelle, dans 20 % des cas, certains éléments propres aux époux ou des différences de situation problématiques conduiront le juge ou l'une des parties à demander une audience préalable.

* 60 Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010.

* 61 Article 371-2 du code civil.

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