B. LA NÉCESSAIRE REPRISE DU PROCESSUS D'ADAPTATION DU DROIT FRANÇAIS EN MATIÈRE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE SUR LES VÉGÉTAUX

1. Renforcer le système des COV face au brevet
a) La distinction entre COV et brevets

Le système de l'obtention végétale vise à atteindre un équilibre entre la protection du propriétaire et l'intérêt de l'utilisateur.

L'exception du sélectionneur constitue une originalité de ce système de propriété intellectuelle, plus ouvert que le système des brevets. Elle permet d'utiliser librement, sans contrepartie, les variétés existantes, même protégées, pour en créer de nouvelles et exploiter les fruits de cette création.

L'objectif de cette disposition est de favoriser la création variétale, d'empêcher tout blocage juridique de cette création. Sur le plan économique, ce système encourage à poursuivre les expérimentations, les croisements, à innover sans cesse.

Certes, le brevet ne privatise pas la connaissance : au contraire, l'inventeur a l'obligation de décrire son invention et rend ainsi public le résultat de ses investigations. Le droit exclusif conféré par le brevet ne s'étend pas non plus aux actes accomplis dans un cadre privé à des fins non commerciales ou à des actes accomplis à titre expérimental portant sur l'objet de l'invention brevetée 15 ( * ) . Mais cette exception n'est en soi pas une incitation à la recherche car le brevet rend impossible, quel qu'en soit sa forme ou son objet, l'utilisation d'une invention brevetée ou de ses fruits sans accord du propriétaire du brevet et versements à ce dernier de droits, avec le risque de placer l'utilisateur de l'invention brevetée dans une situation de dépendance totale.

Le système de l'obtention végétale encourage davantage la recherche variétale, et en tant que tel, il est défendu par la France dans le cadre international.

b) L'articulation du COV et des brevets : une confusion croissante

S'il est impossible de déposer des brevets sur des variétés dans leur ensemble, en revanche, le droit européen 16 ( * ) et le droit français permettent de breveter un gène et sa fonction ou un procédé technique ou microbiologique .

Les techniques de marquage moléculaire permettent de repérer la présence de gènes brevetés dans les plantes, et les obtenteurs qui intègreraient un gène protégé dans leur variété seraient dans l'obligation de s'entendre avec le propriétaire du brevet pour en faire l'exploitation commerciale.

Au demeurant, l'extension de la protection offerte à l'obtenteur par le COV aux variétés essentiellement dérivées, prévue par la convention UPOV de 1991, résultait du souhait du secteur semencier d'éviter que la modification d'un seul gène d'une plante suffise à faire perdre le bénéfice de la protection, en considérant la variété modifiée comme totalement nouvelle.

La brevetabilité du gène ne crée pas de droits du titulaire du brevet vis-à-vis de l'agriculteur : la loi n° 2004-1338 du 8 décembre 2004 relative à la protection des inventions biotechnologiques permet à l'agriculteur d'utiliser à des fins d'exploitation agricole sur sa propre exploitation le produit de sa récolte pour la reproduction ou la multiplication obtenue à partir de matériel de reproduction végétal incluant un brevet. Dans ce cas, l'agriculteur doit simplement indemniser le titulaire du certificat d'obtention végétale pour l'utilisation de semences de ferme, dans les conditions définies par le règlement européen de 1994.

La coexistence d'une double protection intellectuelle : l'une sous la forme de COV sur la variété et l'autre sous forme de brevet sur le gène présent dans la plante est source de confusions. Par ailleurs, il est difficilement compréhensible que la semence de ferme soit admise lorsqu'il existe un brevet sur un gène présent dans une plante et qu'elle ne le soit pas lorsqu'il n'existe pas de brevet, alors même que la variété concernée est susceptible, dans les deux cas, d'être couverte par le même certificat d'obtention végétale.

Il s'agit donc par cette proposition de loi de clarifier l'articulation entre brevet et obtention végétale et de réaffirmer la primauté du COV.

De plus, à l'heure où beaucoup de pays n'ont pas encore choisi leur système de propriété intellectuelle sur les végétaux, il est souhaitable de marquer l'attachement de la France au système de protection des obtentions, en permettant la ratification effective de la convention signée en 1991, pour faire de l'UPOV le cadre international de référence.

2. Mettre fin à une interdiction virtuelle en donnant un cadre juridique à l'utilisation de semences de ferme

Autorisée par la convention UPOV et par le règlement européen, les semences de ferme ne sont absolument pas considérées par le droit national.

Cette interdiction pose une double difficulté, au regard de la pratique courante des agriculteurs consistant à semer leurs champs avec des semences provenant de la récolte de l'année précédente :

- d'une part, elle se heurte à ce qui est considéré comme un droit ancestral qui se concrétise dans un usage très fréquent : les semences de ferme font partie du paysage agricole français. Et il paraît difficile d'établir une distinction aussi sévère entre variétés du domaine public qui peuvent être librement utilisées et variétés protégées, qui seraient totalement interdites ;

- d'autre part, il est incohérent d'autoriser la semence de ferme pour les variétés protégées par un COV européen, contre rémunération de l'obtenteur, tandis que les variétés couvertes par un COV français ne pourraient pas faire l'objet d'un tel usage.

Il est donc nécessaire de clarifier et simplifier le droit national.

SEMENCE DE FERME ET SEMENCE PAYSANNE

Ces deux notions sont parfois utilisées de manière indifférenciée, mais ne recouvrent pas les mêmes réalités :

- les semences de ferme sont des semences provenant de récoltes effectuées par l'agriculteur, et destinées à un nouvel emblavement la saison suivante, sur la même exploitation. La variété concernée peut être libre de droits ou protégée par un COV ;

- les semences paysannes sont le fruit d'un travail de sélection de l'agriculteur, sur des variétés du domaine public, souvent des variétés anciennes. La notion de semences paysannes est inconnue du droit de la propriété intellectuelle.

3. Permettre un juste financement de la recherche

Le financement de la recherche sur le végétal emprunte plusieurs voies : l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), organisme public de recherche, a joué pendant longtemps un rôle important dans la création variétale. Une de ses filiales, Agri Obtentions, est chargée de valorisation des variétés issues des recherches menées par l'INRA en génomique végétale et en amélioration des plantes. Mais le secteur ne saurait se contenter d'un seul opérateur.

L'existence d'une rémunération de l'obtenteur conditionne la capacité des acteurs de la recherche à poursuivre leurs efforts . Cet enjeu est d'autant plus essentiel que la période de développement de nouvelles variétés est longue (de 7 à 12 ans environ, selon les espèces et les types de variétés : la recherche est plus rapide en hybrides qu'en lignées pures).

Les professionnels du monde agricole ont exprimé durant les auditions leurs craintes de voir la recherche se détourner de certaines espèces. L'orientation privilégiée de la recherche des firmes semencières vers les espèces allogames, comme le maïs, où dominent les variétés hybrides, n'est pas surprenante. Les hybrides se prêtent mal en effet à la pratique des semences de ferme. Ils ont une aptitude naturelle à résister au non-respect de la propriété intellectuelle que n'ont pas les espèces plus facilement reproductibles en semences de ferme, à coût faible.

Or, notre agriculture aurait beaucoup à perdre en cas d'abandon des recherches de nouvelles variétés sur les plantes autogames, comme le blé ou l'orge.

Cette proposition de loi vise donc à trouver un mode de rémunération du travail de recherche des obtenteurs suffisamment attractif pour que les entreprises de sélection ne se détournent pas d'espèces cultivées indispensables à notre territoire .


* 15 Article L. 613-5 du CPI.

* 16 Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

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