Rapport n° 623 (2010-2011) de M. Marcel DENEUX , fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 15 juin 2011

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N° 623

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juin 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur la proposition de résolution européenne de MM. Jean BIZET et Jean-Paul EMORINE, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la volatilité des prix agricoles ,

Par M. Marcel DENEUX,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean-Marie Bockel, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean Boyer, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, Alain Fouché, Serge Godard, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Louis Nègre, Mmes Renée Nicoux, Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall, René Vestri.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

579 et 598 (2010-2011)

INTRODUCTION

« Le monde a faim aujourd'hui, mais demain, dans quelques décennies, dans deux générations à peine, ce sont 10 milliards d'hommes qu'il faudra nourrir » .

(Philippe Chalmin, Le monde a faim, 2009).

La nouvelle flambée des prix agricoles ne peut que réactiver le souvenir des conséquences dramatiques de la crise alimentaire de 2007-2008, qui a débouché sur des « émeutes de la faim » dans une quarantaine de pays en voie de développement. En effet, selon l'indice de la FAO mesurant les variations de prix des principales denrées alimentaires mondiales, celles-ci auraient atteint un niveau record en décembre 2010.

Ces crises ont rappelé avec force que l'agriculture et l'alimentation, inextricablement liées, constituent les enjeux essentiels de demain.

Dans ce contexte, la question de l'instabilité des marchés agricoles, qui est une de leurs caractéristiques structurelle, a resurgi avec d'autant plus d'acuité qu'elle est aujourd'hui amplifiée par un phénomène nouveau : la financiarisation de l'économie et l'action des spéculateurs.

En outre, l'accentuation des changements climatiques, la demande croissante de biocarburants, favorisée par la hausse du prix du pétrole et les objectifs environnementaux de réduction des gaz à effet de serre, l'augmentation de la demande alimentaire au niveau mondial, en qualité comme en quantité, en somme les diverses mutations de la planète semblent prédire une amplification du phénomène de volatilité des prix.

Sous l'impulsion de la France, qui assure la présidence tournante du G20, se tiendra les 22 et 23 juin 2011 à Paris une réunion des ministres de l'agriculture des pays du G20, premier « G20 agricole » dont le principe avait été acté au sommet de Séoul en novembre 2010. La question de la volatilité des prix des produits agricoles y sera abordée, ce qui constitue une première diplomatique.

La commission des affaires européennes et la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat ont toujours été attentives à la question de la régulation des marchés agricoles, notamment dans le cadre du groupe de travail 1 ( * ) sur la réforme de la PAC, mis en place en mai 2010. Ainsi, la crise du secteur du lait de 2009 avait fait l'objet d'un rapport d'information dans chacune des deux commissions puis d'une proposition de résolution européenne déposée par Jean Bizet et adoptée par la commission des affaires européennes. Cette proposition de résolution avait ensuite été examinée au fond par la commission de l'économie.

C'est dans le cadre de ces travaux communs que les deux commissions ont également organisé conjointement le 27 avril 2011 une table ronde sur la question de la volatilité des prix agricoles dans le but de croiser les points de vue du monde agricole, d'analystes et observateurs nationaux et internationaux et des représentants du ministère de l'agriculture.

Dans le prolongement de cette table ronde commune, en application de l'article 88-4 de la Constitution et dans le cadre de la procédure fixée par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes a adopté le 8 juin 2011 une proposition de résolution, déposée par M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Cette proposition de résolution énonce un certain nombre de recommandations en vue de la réunion des ministres de l'agriculture des pays du G20 à Paris les 22 et 23 juin prochains afin de rappeler avec force les défis que devra relever l'agriculture mondiale pour nourrir 9 milliards d'habitants en 2050 dans des conditions économiquement et socialement acceptables pour tous, ainsi que les mesures à mettre en oeuvre, de façon coopérative au niveau international, pour lisser les effets de l'instabilité des marchés agricoles.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE PHÉNOMÈNE DE VOLATILITÉ DES PRIX AGRICOLES : UN TRIPLE ENJEU POUR LE XXIÈME SIÈCLE

A. LA VOLATILITÉ DES PRIX, CARACTÉRISTIQUE STRUCTURELLE DES MARCHÉS AGRICOLES, EST AUJOURD'HUI AMPLIFIÉE

1. Qu'appelle-t-on « volatilité » des prix agricoles ?
a) Définition de la volatilité

Les marchés des matières premières en général, et les marchés des produits agricoles en particulier, sont caractérisés par une très grande volatilité des prix.

Il y a plusieurs façons de définir la volatilité. Selon une définition communément admise, elle correspond à des variations de prix brusques et de forte amplitude, en excluant les faibles variations autour d'un prix moyen. C'est la définition que retient le Centre d'analyse stratégique dans une récente note 2 ( * ) .

b) Les conséquences d'une volatilité excessive peuvent être dramatiques

Une trop grande instabilité sur les marchés de produits agricoles n'est pas sans conséquences. Elle pèse à la fois sur les agriculteurs producteurs et sur les consommateurs .

Les agriculteurs producteurs sont fragilisés dans la mesure où elle obère leurs perspectives et pèse sur leurs capacités d'investissements. Rappelons que le secteur de l'agriculture est aujourd'hui la première source d'emplois dans le monde avec 1,3 milliard d'emplois. En outre, 40 % de la population active mondiale dépend directement des marchés agricoles.

L'impact de cette volatilité sur les consommateurs dépend du mouvement des prix :

- si le mouvement est à la baisse, la répercussion sur les prix à la consommation est quasi-nulle ;

- si le mouvement est à la hausse, la répercussion est forte sur le consommateur, qui paye plus cher ses produits alimentaires.

En outre, les conséquences de la volatilité des prix agricoles peuvent même mettre en péril la couverture en besoins alimentaires des populations des pays les plus pauvres.

Une quarantaine de pays ont connu en 2007-2008, une crise alimentaire très grave, et des « émeutes de la faim », en raison de la flambée des prix de certains produits alimentaires de base.

Le dernier rapport d'information 3 ( * ) du Sénat sur la réforme de la PAC soulignait déjà l'importance de l'enjeu de la sécurité alimentaire : « Comment nourrir durablement neuf milliards de personnes d'ici à 2050, contre six aujourd'hui, dont les régimes alimentaires tendront vraisemblablement à se rapprocher de notre modèle ? Ce défi se pose dans un contexte d'incertitudes liées aux effets du changement climatique, à la volatilité des cours ou à la concurrence des produits agro-énergétiques. Enjeu dramatique et constant pour les pays en développement, la sécurité alimentaire est aussi au coeur des préoccupations de pays riches comme le Japon ou de puissances émergentes comme la Chine ou l'Inde » .

LA CRISE ALIMENTAIRE DE 2007-2008

En 2007-2008, le monde a connu une flambée des prix des matières premières en général et des produits agricoles en particulier, alors que le prix de ces derniers diminuait régulièrement depuis près de trente ans. Entre janvier 2006 et avril 2008, les cours du maïs, du soja, du blé et du riz ont augmenté respectivement de +175 %, +120 %, +159 % et +168 %, avant de retomber brusquement à leur valeur de long terme au cours du second semestre 2008. Cette hausse soudaine des prix s'est rapidement transformée en crise alimentaire aux répercussions importantes. Des « émeutes de la faim » ont secoué l'Egypte, Haïti, le Maroc, les Philippines et de nombreux pays d'Afrique sub-saharienne, rappelant ainsi qu'une forte instabilité des prix des denrées alimentaires de base avait des conséquences bien réelles sur les populations les plus vulnérables. En parallèle, la récession économique a amplifié ce phénomène de paupérisation : les programmes d'aide alimentaire ont alors eu des difficultés à approvisionner l'ensemble des personnes dans le dénuement compte tenu de leurs ressources financières.

Source : Centre d'analyse stratégique - Note d'analyse n° 207 (janvier 2011).

Ainsi, en 2007 et 2008, une grande partie de la population des pays en développement a réduit sa ration alimentaire, comme le note le rapport 4 ( * ) de la FAO d'octobre 2010.

Les hausses de prix des produits agricoles constatées depuis 2010 pourraient entraîner, comme en 2008, une crise alimentaire similaire touchant les populations les plus pauvres de la planète.

2. Une caractéristique des marchés agricoles liée aux évolutions structurelles de l'offre et de la demande

La volatilité des prix agricoles n'est pas un phénomène nouveau . A l'épisode de 2007-2008, répond celui des années 70. Le rapport d'étape de MM. Jean-Pierre Jouyet 5 ( * ) , Christian de Boissieu et Serge Guillon cite l'exemple du blé pour montrer que la récurrence des crises agricoles révèle un caractère structurel de la volatilité des prix des produits agricoles .

Rien que pour le blé, les statistiques font ainsi apparaître une grande volatilité entre 1920 et 1936, une crise en 1936/1937 avec des pics exceptionnels à la hausse et à la baisse, une volatilité importante entre 1940 et 1962, une crise en 1967, une fluctuation exceptionnelle en 1974, une crise en 1992, etc.

Ce qui est vrai pour le blé se vérifie également pour les autres céréales.

VOLATILITÉ (EN NOMINAL) ANNUALISÉE DES PRIX DES CÉRÉALES
(1957-2009)

Source : FAO : L'indicateur de volatilité retenu ici est le ratio entre le coefficient de variation - ou écart type - et la moyenne. Les valeurs les plus faibles (fortes) dénotent alors une faible (forte) instabilité.

Les causes de cette volatilité constatée sur les marchés agricoles et qui leur est inhérente sont diverses et font l'objet de débats entre les économistes. Les facteurs fondamentaux de l'offre et de la demande, dont la faible élasticité est un élément majeur, semblent en effet se conjuguer à des chocs exogènes venant impacter sur le court ou le long terme l'offre et la demande (comme l'explosion de la demande de biocarburants, ou les aléas climatiques pour ce qui est de l'offre).

EXPLIQUER LA VOLATILITÉ

Le Conseil d'analyse stratégique a reproduit dans sa note d'analyse consacrée à la volatilité agricole 6 ( * ) , les principaux éléments du débat entre les économistes 7 ( * ) sur l'origine de cette volatilité :

« Le débat entre économistes porte sur l'origine des variations de prix . D'un côté, cette volatilité s'expliquerait par un mécanisme chaotique, fondé sur la théorie dite du «cobweb» (pour la forme en toile d'araignée du graphique représentant le prix en fonction de la quantité dans un équilibre offre/demande) : lorsque les prix sont hauts, les producteurs investissent pour augmenter leur production, ce qui tend à faire diminuer les prix à la période suivante (temps de récolte). Face à cette diminution, les producteurs réduisent la voilure : les prix remontent (effet d'anticipation). Il y a convergence vers un prix d'équilibre lorsque la demande est élastique, c'est-à-dire sensible au prix. Dans le cas des marchés agricoles, la rigidité de la demande et les anticipations imparfaites des agents conduisent à l'existence d'un point d'équilibre instable : une force de rappel (aversion au risque des exploitants ou encore la contrainte de liquidité) ramène le prix vers un point d'équilibre stable. On observe alors des oscillations chaotiques. Cette représentation de la volatilité suppose que l'ouverture des marchés accentue les fluctuations. Dans ce cas de figure, l'instabilité des prix peut être amoindrie par une intervention publique (contrôle de la production, politique de stockage, régulation des prix, etc.).

Seconde explication, la volatilité serait le résultat d'un ajustement des prix à la suite de chocs (aléas climatiques, épisodes géopolitiques, etc). Ce modèle est régi par les hypothèses d'anticipation rationnelle des agents et de la neutralité au risque de ces derniers. Le processus de libéralisation permettrait de «diluer» l'effet des chocs (selon la loi des grands nombres). L'intervention publique devient alors contre-productive, puisqu'elle freinerait la libéralisation : compte tenu que la volatilité est inhérente aux dynamiques de marché, il convient dès lors de limiter les effets de cette instabilité sur les populations les plus vulnérables. Néanmoins, ces conclusions doivent être nuancées pour les pays en développement, où il existe de nombreuses imperfections de marché, qui invalident ces conclusions et justifient une intervention des pouvoirs publics, notamment sur le segment des céréales. »

a) Les facteurs fondamentaux de l'offre et de la demande

Les marchés des matières premières se caractérisent par une très faible élasticité de court terme tant du côté de l'offre que du côté de la demande.

Comme le rappelle le Centre d'analyse stratégique, l'offre et la demande ne réagissent de manière significative au prix que lorsque celui-ci varie brutalement, ce qui implique un déséquilibre de marché momentané qui a tendance à se répercuter en premier lieu sur les prix avant que les quantités ne se réajustent pour établir un nouvel équilibre.

Les causes de cette volatilité structurelle des prix sur les marchés de produits agricoles sont liées à plusieurs facteurs fondamentaux qui influencent la formation des prix agricoles.

Concernant la demande, les facteurs expliquant son évolution à long terme sont :

- la croissance des revenus ;

- la croissance démographique de la population ;

- dans une moindre mesure, l'évolution des modes de consommation qui peuvent induire des changements de prix ayant un impact sur la demande.

En ce qui concerne l'offre, c'est le progrès technique qui réduit les coûts et qui a un effet d'accroissement sur le long terme.

b) Les chocs exogènes impactant l'évolution de l'offre et de la demande

Les facteurs fondamentaux de l'offre et de la demande, évoqués plus haut, sont combinés à des chocs exogènes , également responsables de cette instabilité inhérente aux marchés agricoles.

Sur la demande , les facteurs à l'origine de ces chocs sont de plusieurs ordres aujourd'hui.

En premier lieu, l'augmentation continue et rapide des revenus dans les économies émergentes a de fortes répercussions sur la demande globale. Le marché s'est internationalisé et l'arrivée de nouveaux consommateurs tire la demande.

En second lieu, l'explosion de l'utilisation de biocarburants a également amplifié la progression de la demande de produits agricoles.

La mission première de l'agriculture a toujours été de nourrir la planète. Cette mission - qui demeure centrale - est aujourd'hui concurrencée par l'utilisation énergétique des produits agricoles, les biocarburants provenant de la biomasse permettant de se substituer en partie aux énergies fossiles. Le développement de cette utilisation a été favorisée par l'augmentation du coût de l'énergie fossile - notamment du pétrole - , les conséquences sur le climat (rappelons que les émissions de CO 2 liées à la combustion d'énergies fossiles ont atteint un niveau record en 2010, en hausse de 5 % par rapport à 2008, avec 30,6 gigatonnes de rejets de gaz carboniques selon les estimations de l'Agence internationale de l'énergie), les menaces sur la sécurité d'approvisionnement et la surproduction agricole dans les années 2000.

En mars 2007, l'Union européenne s'est fixée comme objectif pour 2020 que les biocarburants devraient atteindre 10 % de la consommation totale d'essence, avec pour objectif de diminuer à la fois les émissions de CO 2 et la dépendance énergétique et soutenant ainsi le revenu des agriculteurs. Alors qu'en 2006, au sein de l'Union européenne, 2,8 millions d'hectares de jachères (soit 3 % de la surface agricole totale) avaient été convertis aux cultures énergétiques (ces superficies représentant 6 millions de tonnes d'agrocarburants), le taux d'incorporation de 5,75 % fixé par Bruxelles pour 2010 aurait nécessité de consacrer 13 millions d'hectares aux cultures énergétiques. En 2008, seuls 3 millions d'hectares au sein de l'Union européenne y étaient consacrés selon l'Institut national de recherche agronomique (INRA).

Ce phénomène a eu pour conséquences de lier une part des produits agricoles au prix de l'énergie.

UNE CROISSANCE RAPIDE DES BIOCARBURANTS

La demande de biocombustibles destinés au secteur des biocarburants croît aujourd'hui plus rapidement que la demande de produits agricoles liés à l'alimentation.

Par le biais de cette forte demande, un nouveau lien se crée entre les prix des produits agricoles et le prix du pétrole.

Deux familles de biocarburants sont développées en France :

- le biodiesel et le diester d'huile végétale, issus du colza et du tournesol et incorporés au gazole ;

- le bioéthanol, alcool issu de betteraves à sucre ou de graines de céréales et incorporé à l'essence.

Des recherches sont menées sur les biocarburants de 2 ème génération, d'origine ligno-cellulosique (bois, feuilles, paille).

La production mondiale de bioéthanol a triplé entre 2000 et 2008 pour atteindre 60 milliards de litres, et celle de biodiesel est passée de 1 à 11 milliards de litres sur la même période.

L'Union européenne a produit 13,238 millions de tonnes de biocarburants en 2008.

L'exemple de l'utilisation du maïs aux États-Unis est révélateur : elle est passée de 36 millions de tonnes en 2005 à 111 millions en 2010, en raison de son utilisation pour la production de bioéthanol.

Sous ce double effet aujourd'hui, la croissance de la demande semble plus rapide que celle de l'offre, ce qui entraîne une hausse tendancielle des prix.

Du côté de l'offre , sa croissance peut être limitée par le coût et la disponibilité d'intrants essentiels , la disponibilité en eau et en terres , la main d'oeuvre et surtout le changement climatique.

En résumé, à court terme, l'offre et la demande de produits agricoles sont peu élastiques. En outre, des chocs de l'offre (liés aux conditions climatiques par exemple) sur une demande au contraire rigide (se nourrir est en effet un besoin vital) entraînent donc des variations de prix de grande amplitude.

3. Les réformes successives de la PAC l'orientant vers le marché l'exposent à une volatilité accrue

Le processus de libéralisation des marchés a provoqué une diffusion de la volatilité des prix du marché mondial vers l'agriculture européenne. Les politiques agricoles de soutien aux prix ont été progressivement démantelées depuis 1992, ce qui a accru l'exposition des agriculteurs au risque.

On est ainsi passé d'une PAC garantissant un soutien aux prix à un simple soutien aux revenus à partir de 1992. Le système de soutien aux prix mettait l'Europe à l'abri de l'instabilité des marchés mondiaux. Aujourd'hui, les mécanismes d'intervention de la PAC sont fixés à des niveaux tellement bas qu'ils ne jouent plus le rôle d'amortisseurs.

Dans leur rapport d'information commun 8 ( * ) sur la PAC, la commission des affaires européennes et la commission de l'économie avait mis en évidence ce phénomène de démantèlement progressif des outils de régulation des marchés agricoles (stockage public, aides au stockage privé, mesures exceptionnelles de soutien au marché, disparition des quotas pour le secteur du lait prévue en 2015...). Le rapport souligne que la PAC avait été construite sur la régulation des marchés (essentiellement sur des prix institutionnels), puis progressivement réorientée vers le marché, via une réduction drastique des mécanismes de régulation et un alignement partiel sur les prix mondiaux : « Sur les 43 milliards d'euros annuels consacrés au premier pilier, il y a 39 milliards d'aides directes et seulement 4 milliards d'interventions sur les marchés prises en charge par le Fonds européen agricole de garantie (restitutions aux exportations et stockage). Moins de 7 % des crédits sont désormais consacrés à la régulation des marchés alors qu'en 1991, ils représentaient la quasi-totalité du budget de la PAC ».

Cette libéralisation est également soulignée par la Commission européenne dans sa communication 9 ( * ) du 2 février 2011 :

« Au sein de l'Union européenne, les réformes successives de la politique agricole commune (PAC) ont sensiblement réduit les prix de soutien et les mesures connexes. Les producteurs et les négociants de produits de base sont donc devenus plus sensibles à l'évolution des prix du marché, ce qui les prédispose davantage, même si ce n'est pas le cas dans l'ensemble des secteurs agricoles, à utiliser les marchés à terme pour couvrir les risques ».

Depuis plusieurs années, on s'oriente ainsi de plus en plus vers les marchés en disposant de moins en moins d'outils d'intervention. La PAC contribue à la volatilité. La future PAC 2013 devra donc relever le défi de représenter à nouveau un outil d'amortissement de cette volatilité, même s'il ne s'agit pas d'en revenir à une PAC totalement administrée et déconnectée des marchés que personne ne défendrait car cela supposerait un niveau de budget insoutenable.

Une déclaration franco-allemande a d'ailleurs été signée le 3 février 2011 par des parlementaires membres du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Bundestag pour rappeler que la volatilité des prix imposait le maintien d'un cadre de régulation.

4. Une instabilité amplifiée ces dernières années par la financiarisation de l'économie et par des réponses inappropriées
a) La financiarisation

Les pratiques de vente à terme des récoltes ne sont pas nouvelles. Mais la financiarisation de l'économie revêt aujourd'hui une dimension différente, avec un fort impact sur les marchés agricoles. Selon une étude menée par le groupe de travail sur les matières premières agricoles mis en place par Paris Europlace, les engagements des investisseurs institutionnels sur les marchés dérivés de matières premières seraient passés de 13 milliards d'euros en 2005 à 205 milliards d'euros en 2008.

Dans ce contexte d'accroissement de ce phénomène de volatilité, il est pertinent de s'interroger également sur le rôle et la responsabilité de la spéculation sur les marchés dérivés dans l'emballement des prix qui s'est répercuté sur le marché physique .

Ce rôle ne fait pas consensus chez les économistes. Certains jugent la spéculation nécessaire puisqu'elle permet, dans un contexte de forte instabilité, d'anticiper et de gérer les risques inhérents à ces marchés. C'est le cas par exemple de Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

PHILIPPE CHALMIN : « LA SPÉCULATION EST UN PHÉNOMÈNE RÉEL »

« La spéculation est un phénomène réel, elle est pratiquée par les acteurs financiers mais aussi par les professionnels de l'agriculture. Avec un cours actuel du blé à 230 euros la tonne, il est normal que les producteurs français spéculent. J'insiste sur le fait que la spéculation est nécessaire dans le contexte actuel d'instabilité des marchés puisqu'elle permet aux acteurs d'anticiper (ce que signifie justement speculare en latin). La spéculation financière fournit des liquidités nécessaires aux marchés et permet de gérer les risques. Depuis un siècle, toutes les études économiques ont conclu à la neutralité de la spéculation financière sur les prix des produits agricoles. Actuellement, les prix du lait augmentent fortement mais il n'existe pas de marché dérivé pour ce produit ni pour le riz, ce qui existe en revanche pour le blé, le maïs et le soja. »

Source : Compte-rendu de l'audition de M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale (8 mars 2011).

Si, comme l'ont montré les discussions lors de la table ronde du 27 avril, les fluctuations sont toujours déclenchées par un choc sur le marché physique, la spéculation contribue souvent à augmenter ces effets.

Fondamentalement, la spéculation ne peut être considérée comme pathologique, puisqu'elle émane d'acteurs (producteurs et acheteurs de matières premières) désireux de se couvrir contre les risques de variation de prix des produits. Ce type de spéculation classique se fonde sur l'anticipation des déséquilibres futurs de marché, qu'il est possible d'exploiter en prenant position sur les marchés à terme.

Cependant, la période récente se caractérise par le développement de comportements spéculatifs d'un type nouveau, liés à l'entrée en masse des investisseurs financiers sur ces marchés à terme. Selon la FAO en effet, la baisse des marchés mondiaux d'actions et d'obligations a déclenché une irruption massive de capitaux dans les marchés à terme des produits agricoles, injectés par les fonds spéculatifs et les fonds indiciels ou encore les fonds liés à des matières premières. Les produits agricoles sont désormais des composantes des produits financiers. Selon une stratégie de diversification du risque, les actions et les investissements sur les matières premières sont combinées au sein d'un même portefeuille.

Ainsi, ces acteurs achètent ou vendent non pas des produits, mais des indices de prix, en fonction non pas tant des facteurs fondamentaux à l'oeuvre sur les marchés que des tendances de court terme des prix eux-mêmes.

Le résultat est une financiarisation croissante des marchés de produits de base, qui se traduit à la fois par une forte accentuation, à la hausse comme à la baisse, des mouvements de prix, et par une corrélation grandissante entre les indices de prix des matières premières et les prix des principaux instruments financiers, boursiers notamment.

Manifeste lors du krach financier de l'automne 2008, qui a vu les indices des principales catégories de produits perdre en quelques semaines entre le tiers et la moitié de leur valeur (75 % dans le cas du pétrole), la volatilité sans précédent des prix des produits de base met en évidence le manque de transparence et de régulation de ces marchés.

Selon certaines prévisions (Goldman Sachs), la volatilité du prix des matières premières restera très forte en 2011, à la hausse pour certaines (zinc, or, cuivre, pétrole) ou à la baisse (aluminium, blé, coton, sucre).

Les marchés de produits alimentaires deviennent donc nettement liés aux marchés financiers.

Un contrat d'instruments dérivés se caractérise par le fait même que sa valeur dépend de celle du marché sous-jacent auquel il se rapporte. C'est d'autant plus vrai lorsque le marché sous-jacent est un marché physique. Les prix des instruments dérivés sur matières premières et des produits de base physiques sous-jacents sont donc corrélés. Les marchés d'instruments dérivés sur matières premières et les marchés de produits de base ne sauraient donc être considérés séparément.

Source : communication de la Commission européenne - « Relever les défis posés par les marchés de produits de base et les matières premières », 2.2.2011.

On constate en outre un lien de plus en plus étroit qui s'établit entre le marché spécifique des produits agricoles et le marché des matières premières, ce qui rend les prix solidaires, comme le montre l'exemple des biocarburants à travers un lien de plus en plus fort entre prix du blé et prix du pétrole.

La question de l'encadrement de ces marchés dérivés fera ainsi partie des discussions lors du « G20 » des 22 et 23 juin 2011.

Selon le Centre d'analyse stratégique en effet, si les fondamentaux décrits plus haut restent l'explication la plus plausible de la volatilité des cours, le développement des marchés financiers peut toutefois accentuer ce phénomène et amplifier cette volatilité, sans en être la cause première.

Source : FAO - La situation des marchés des produits agricoles en 2009.

b) Les restrictions aux exportations

Autre facteur aggravant, les restrictions aux exportations accentuent les tendances à la hausse des prix des produits agricoles , comme ce fut le cas, en août 2010, lorsque la Russie décréta un moratoire sur la vente de blé à la suite de prévisions de mauvaises récoltes. Ce type de réactions nationales inadaptées peut avoir des conséquences désastreuses et entretenir le cercle vicieux de la volatilité.

A ce sujet, la FAO préconise que ces restrictions ne soient autorisées que dans certaines situations de risque de pénurie alimentaire avéré.

B. UNE QUESTION ENFIN AU CoeUR DES DISCUSSIONS INTERNATIONALES : UN PREMIER G20 « AGRICOLE »

1. Une instabilité au coeur des défis que l'agriculture devra relever pour l'avenir

La période récente a montré que les conséquences de l'instabilité des marchés agricoles, qui s'emballe de plus en plus, étaient préoccupantes et pouvaient même avoir des répercussions dramatiques.

Les marchés de produits agricoles ne sont pas des marchés comme les autres étant donné la dimension vitale de leur fonction première, nourrir la planète. Une volatilité excessive appliquée aux prix des produits de ces marchés soulève quatre défis :

- un défi économique : des fluctuations excessives des prix génèrent de l'incertitude et le manque de transparence des matières premières en général et des produits agricoles en particulier accentue ce phénomène ;

- le défi de la libéralisation des marchés, qui a fortement changé, au cours de la période récente, le contexte institutionnel, le retrait de l'intervention publique s'étant principalement traduit par la diminution des stocks, qui connaissent donc aujourd'hui des niveaux historiquement bas (les réformes successives de la PAC, évoquées plus haut, sont allées dans le sens d'une telle libéralisation) ; or, cette volatilité excessive fait aujourd'hui apparaître que les outils de la PAC doivent évoluer de manière à rechercher une plus grande stabilité des marchés, sans pour autant revenir à une vision administrée de cette politique commune ;

- le défi de la financiarisation des marchés : le développement des marchés financiers de matières premières repose aujourd'hui la question de leur nécessaire régulation ;

- le défi de la sécurité alimentaire : comme le souligne le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental sur l'avenir de la PAC, « le rôle nourricier de l'agriculture est primordial » ; une stratégie agricole définie au niveau mondial doit donc avoir pour objectif de renforcer les liens entre alimentation et santé publique et de mieux prévenir les risques sanitaires.

2. Les perspectives : un renforcement de la volatilité ?

Les marchés des produits agricoles ont connu une chute brutale des prix à partir de juillet 2008, puis une remontée à partir de 2010 à des niveaux proches de 2008.

En janvier 2011, Olivier de Schutter, rapporteur pour le droit à l'alimentation à l'ONU, avait commenté la publication le dernier indice des prix agricoles de la FAO pour le mois de décembre 2010 de cette manière : « Nous vivons le début d'une crise similaire à celle de 2008 ». En effet, en décembre 2010, cet indice venait de dépasser le pic de 2007-2008, avec une progression de +23 % en 2010 et beaucoup plus pour certains produits, comme le sucre ou les huiles.

Quelles sont les perspectives ?

Dans un rapport commun, l'OCDE et la FAO 10 ( * ) considèrent que les prix réels et nominaux des produits agricoles baisseront par rapport aux niveaux record atteints au début de 2008 mais qu'ils resteront plus élevés pendant les dix prochaines années que pendant la décennie précédente.

Toujours selon ce rapport, certains éléments comme la demande de biocarburants et le prix élevé du pétrole devraient entraîner un maintien des prix à un niveau tout de même élevé.

De la même manière, la conjugaison de la demande croissante provenant d'Asie et des pays émergents, de la croissance démographique importante (nous serons 9 milliards en 2050 selon les projections les plus crédibles) et des besoins croissants en agro-carburants laissent entrevoir une accentuation de la variabilité des prix sur les marchés agricoles.

Du côté de l'offre, en outre, l'instabilité devrait s'accroître toujours davantage en raison de l'intensification des aléas climatiques à venir.

Tous ces éléments indiquent que le phénomène de la volatilité des prix agricoles est amené à s'amplifier encore et encore au cours des dix prochaines années.

3. Les pistes pour remédier à la volatilité

Du fait de ces prévisions, des solutions afin de lutter contre, ou à tout le moins d'atténuer, cette volatilité doivent impérativement être dégagées pour relever le défi de nourrir la planète entière au 21 ème siècle et d'adapter le modèle agricole à une économie mondialisée et aux aléas climatiques.

Soucieuse de l'enjeu de sécurité alimentaire auquel doit répondre l'agriculture au niveau mondial, la FAO a ainsi lancé en décembre 2007 une initiative contre la flambée des prix alimentaires.

Source : Rapport FAO - La situation des marchés des produits agricoles 2009.

Plusieurs pistes sont généralement avancées pour lutter contre la volatilité excessive des prix agricoles.

a) Sur les marchés financiers

Il apparaît aujourd'hui nécessaire de mettre en place une régulation financière des marchés dérivés de produits agricoles.

Un encadrement des marchés dérivés est ainsi fréquemment envisagé . Le manque de transparence et le manque d'informations sur les marchés dérivés de produits agricoles font en effet courir des risques aux investisseurs qui ne savent pas ce qu'il y a en réalité derrière ces contrats complexes. Les principes de régulation des marchés dérivés en général sont connus ou en cours d'élaboration. Une fois arrêtés, ils pourraient être déclinés pour les marchés financiers de produits agricoles et complétés pour tenir compte des spécificités de ces marchés.

Sur ce point, les propositions avancées par le Centre d'analyse stratégique paraissent intéressantes :

- en premier lieu, les opérateurs sur les marchés gré à gré pourraient utilement être obligés à s'enregistrer auprès des autorités de marché, qui respecteront la confidentialité des données ;

- en second lieu, il conviendrait d'obliger l'ensemble des acteurs à déclarer leurs activités sur ces marchés dans leur bilan , en modifiant les règles de constitution des bilans d'entreprises ;

- enfin, les marchés de gré à gré suffisamment standardisés pourraient transiter par une chambre de compensation afin de limiter le risque de contrepartie et pour les autres, les vendeurs pourraient s'engager à décrire plus précisément ce que contiennent ces contrats.

b) Sur les marchés physiques

L'hyper-volatilité des prix n'est pas seulement la conséquence d'une spéculation financière excessive, elle dépend aussi pour partie des tendances et anticipations sur les marchés physiques.

Des débats existent ainsi sur la question de l'utilisation des stocks pour atténuer l'instabilité des marchés.

Les stocks peuvent en effet jouer le rôle de stabilisateurs des prix au niveau national : une augmentation des stocks rend la demande plus élastique et atténue l'augmentation du prix.

A l'inverse quand les stocks sont bas, comme aujourd'hui, la demande étant principalement liée à des besoins incompressibles en denrées de base et donc inélastique, les chocs d'offre ou de demande ont une incidence significative sur les prix.

Aujourd'hui, la politique de stockage est apparue comme trop coûteuse en raison de la nécessaire prise en compte de la détérioration de la marchandise détenue ou encore des charges d'intérêts.

Selon le Centre d'analyse stratégique, « les expériences passées nous enseignent que le stockage pour stabiliser les prix n'est efficace que s'il est utilisé dans un marché « protégé ». Dans le cas contraire, ce stock sert à stabiliser le prix mondial, et devient donc, par là même, très coûteux ».

Les excès des politiques de régulation par stockage mises en oeuvre par la PAC à la fin des années 1980 expliquent les réticences de certains à réfléchir à nouveau à cette piste.

Néanmoins, un stockage appliqué aux pays de consommation - afin de faire baisser les prix des produits alimentaires - et non aux pays de production - pour garantir les revenus des producteurs, comme c'était jadis le cas de la PAC - pourrait permettre d'avoir un effet « amortisseur » en cas de crise alimentaire.

Le Conseil économique, social et environnemental, dans son avis sur « La future PAC après 2013 » 11 ( * ) va un peu plus loin, et recommande à la fois une meilleure évaluation des stocks et une reconstitution d'urgence des stocks stratégiques dits « tampons », au-delà des stocks de sécurité alimentaire.

c) Pour une nouvelle gouvernance alimentaire mondiale

La mise en place d'une nouvelle gouvernance alimentaire au niveau mondial, qui permettrait de prévenir les crises plus en amont, est ainsi par exemple au coeur du rapport d'étape de Jean-Pierre Jouyet, Christian de Boissieu et Serge Guillon 12 ( * ) .

La France avait ainsi proposé en juin 2008 devant la FAO d'instituer de nouvelles coopérations internationales dans le domaine de l'alimentation pour prévenir les crises. Cette nouvelle gouvernance impliquerait une meilleure information sur le niveau des stocks de chacun.

4. Le G20

Le G20 agricole des 22 et 23 juin 2011 constitue une première sur la scène diplomatique internationale et c'est grâce à l'impulsion de la présidence française, ce dont votre commission de l'économie se félicite. Cette réunion des ministres de l'agriculture des pays membres du G20 13 ( * ) à Paris concrétise une décision avalisée lors du sommet de Séoul en novembre 2010 en pleine flambée des prix mondiaux.

Depuis cette décision, le contexte n'a fait qu'empirer au niveau des prix agricoles : depuis janvier 2011, le prix du blé sur les marchés internationaux évolue au-dessus de 300 dollars la tonne.

Cette réunion aura pour but de dégager des outils pour atténuer la volatilité des prix agricoles, pour mieux gérer les crises de marchés et mieux les anticiper.

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

A. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE QUI S'INSCRIT DANS LE DROIT FIL DES TRAVAUX COMMUNS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES ET DE LA COMMISSION DE L'ÉCONOMIE

1. Une préoccupation commune de la commission des affaires européennes et de la commission de l'économie

La commission des affaires européennes et la commission de l'économie ont constamment manifesté leur intérêt commun sur les questions agricoles, non seulement dans le cadre de la PAC, mais également plus largement sur cette question de la volatilité des prix des produits agricoles, qui fera l'objet de prochaines discussions internationales.

Un groupe de travail sur la PAC 14 ( * ) a été mis en place en mai 2010 par les deux commissions afin d'étudier les différents enjeux de sa réforme et son impact sur un certain nombre de questions : les règles de concurrence, la filière du lait, l'environnement et le deuxième pilier, les enjeux budgétaires, l'intervention sur les marchés agricoles, les aides directes et le revenu des agriculteurs.

Une telle initiative s'inscrit dans cette logique efficace de concertation et de travail en commun.

En 2010 déjà, les deux commissions s'étaient penchées sur la question de la crise du secteur laitier de 2009.

La commission des affaires européennes avait analysé dans un rapport d'information 15 ( * ) l'évolution des prix du lait dans les États membres de l'Union européenne. De son côté, la commission de l'économie avait saisi l'Autorité de la concurrence afin qu'elle rende un avis sur la situation du marché du lait, puis elle avait publié un rapport d'information 16 ( * ) qui mettait en évidence le besoin d'une nouvelle régulation à la fois européenne et nationale du marché du lait.

La commission des affaires européennes avait ensuite réagi au rapport du groupe d'experts de haut niveau qui faisait des propositions sur le secteur du lait en adoptant une proposition de résolution européenne, dont la commission de l'économie 17 ( * ) s'est ensuite saisie au fond et qu'elle a adoptée avec quelques modifications.

Le souci d'un travail commun des deux commissions sur les questions agricoles n'est donc pas nouveau et cette proposition de résolution européenne, co-signée par leurs présidents et adoptée par la commission des affaires européennes, s'inscrit dans cette même logique.

Cette initiative constitue d'ailleurs le point d'aboutissement de travaux menés conjointement par les deux commissions sur la question de la volatilité des prix agricoles.

2. Le bilan de la table ronde du 27 avril 2011

La commission des affaires européennes et la commission de l'économie ont organisé conjointement une table ronde 18 ( * ) sur la volatilité des prix agricoles qui réunissait : la FAO, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, le Ministère de l'Agriculture, la FNSEA, l'ANIA ainsi que M. Serge Guillon, contrôleur général et co-auteur avec M. Jean-Pierre Jouyet, d'un rapport d'étape relatif à la gestion de l'instabilité des marchés agricoles.

Elle a ainsi permis de croiser les points de vue du monde agricole, d'analystes et observateurs nationaux et internationaux et des représentants du ministère de l'agriculture.

Cette table ronde a mis en évidence l'inquiétude générale constatée au sujet des hausses des prix récentes de certains produits agricoles ainsi que la difficulté ressentie par l'ensemble des acteurs pour gérer cette volatilité et anticiper ces mouvements .

Elle a notamment permis d'aborder la question du rôle de la spéculation dans l'importance du phénomène ainsi que la pertinence des moyens envisagés pour en limiter les effets (stocks régulateurs, marchés à terme...).

Les discussions ont mis en relief un certains nombre de points, notamment l'importance d'une amélioration de la transparence sur les stocks sur les marchés à terme et les marchés de gré à gré et de la mise en place d'un système d'alerte annonciateur des crises ; l'opacité des données ; la spéculation aggravant l'instabilité sur les marchés agricoles.

Le lien nouveau entre la volatilité des matières premières et celle des matières premières agricoles a également été souligné par certains intervenants ainsi que la faiblesse de l'investissement dans les pays en développement.

B. DES PROPOSITIONS AMBITIEUSES

1. Le contenu de la proposition de résolution européenne
a) Le contexte du G20

La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes a pour but d'émettre des recommandations en matière de lutte contre la volatilité des prix des produits agricoles en vue de la réunion du G20 des 22 et 23 juin 2011 entre les ministres de l'agriculture.

Si cette organisation internationale n'est pas investie d'un pouvoir normatif, elle constitue néanmoins une enceinte de dialogue, de réflexion capable de dégager des pistes de réformes et une force de recommandation vis-à-vis des pouvoirs publics nationaux. Sa force politique en fait une caisse de résonnance incontournable pour définir, de façon coopérative, au niveau international, des nouvelles règles pour lutter contre la volatilité excessive des prix agricoles.

Votre commission de l'économie affirme qu'il faut un signal fort du G20 pour montrer la volonté politique de mettre fin à l'absence de régulation et la déclaration finale du sommet sera importante à ce titre, et les points de consensus décisifs.

b) Des pistes de réponses à la volatilité des prix agricoles

La présente proposition de résolution se fonde sur l'inquiétude grandissante et légitime provoquée, à la fois chez les agriculteurs et chez les consommateurs, par l'instabilité des prix agricoles, « à un rythme et dans des proportions sans précédent » .

Si elle rappelle, dans son exposé des motifs, que cette instabilité n'est pas nouvelle et constitue une donnée des marchés agricoles, elle pointe cependant les facteurs, évoqués plus haut, contribuant à amplifier dangereusement ce phénomène : l'internationalisation des marchés, le lien de plus en plus étroit qui s'est établi entre prix des produits agricoles et prix des matières premières en général, notamment de l'énergie, la libéralisation des marchés qui s'est traduite par un véritable effacement de l'intervention publique et enfin la financiarisation des matières premières agricoles avec le rôle joué par la spéculation et l'extrême technicité, malgré leur banalisation, des marchés de produits dérivés agricoles, « où dominent les mathématiques au service de la prise de risque, avec une extrême sophistication des produits » .

Au vu de ce constat, la proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet et Jean-Paul Emorine, adoptée par la commission des affaires européennes, émet cinq recommandations au Gouvernement en prévision des discussions du G20 agricole à venir.

Ces recommandations s'articulent autour de deux grands principes d'action : un encadrement des marchés physiques et un contrôle des marchés financiers.

Concernant l'encadrement des marchés physiques, la proposition de résolution européenne insiste dans son exposé des motifs sur les difficultés induites par la notion de « stocks régulateurs », lui préférant celle de « stocks d'urgence », rappelant que dans l'opinion de nombreux pays, « le stockage est l'illustration de ce que la PAC administrée peut faire de pire ».

Pour ce qui est du contrôle des marchés financiers, la proposition de résolution rappelle dans son exposé des motifs, de manière fort intéressante, l'expérience américaine, où les marchés dérivés des matières premières agricoles sont des marchés organisés permettant une plus grande transparence et encadrés notamment par la CFTC, agence indépendante qui applique des limites de position et renforcée par le Dodd Frank Act du 21 juillet 2010 qui vise à encadrer les marchés de gré à gré avec une obligation de compensation.

L'exposé des motifs précise que cette compensation « met fin à l'un des intérêts du marché de gré à gré qui permettait aux vendeurs de swap de prendre des positions sans avoir à mobiliser des capitaux » .

La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européenne adresse ainsi au Gouvernement les recommandations suivantes :

- mettre au coeur de la future PAC 2013 les concepts essentiels de sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de sécurité sanitaire des aliments ;

- promouvoir un panel d'outils permettant de lutter contre l'instabilité excessive des marchés agricoles, tant au niveau européen qu'au niveau international, dans le cadre des discussions du G20 ;

- orienter ces outils vers l'objectif d'une plus grande transparence de la production et des stocks de matières premières agricoles au niveau mondial et vers la définition d'un système d'alerte rapide pour prévenir les crises alimentaires en amont ;

- orienter ces outils vers une plus grande transparence sur les marchés dérivés, notamment via des règles prudentielles comme les limites de position ;

- prévoir la constitution de stocks d'urgence en Europe et de stocks alimentaires stratégiques dans les grandes zones de consommation les plus pauvres.

2. La position de la commission de l'économie

Votre commission approuve largement les objectifs visés par cette proposition de résolution, estimant que la perspective du G20 agricole, qui constitue une première mondiale sur le sujet de la volatilité des prix agricoles. Il s'agit d'une étape déterminante dans la capacité de déclencher une réponse coordonnée et efficace au niveau international pour lutter contre le fléau de l'instabilité excessive des marchés.

Elle salue l'initiative conjointe des présidents des deux commissions des affaires européennes et de l'économie, qui a une fois encore montré l'efficacité d'une collaboration concertée sur des sujets aux enjeux aussi importants.

Elle a néanmoins souhaité apporter quelques modifications.

Tout d'abord, votre commission a inséré un nouveau considérant dans le texte de la proposition de résolution, à l'initiative de notre collègue Daniel Raoul et des membres du Groupe socialiste : il s'agit de rappeler que l'agriculture mondiale est confrontée aujourd'hui aux défis de l'alimentation en quantité et qualité suffisantes à l'échelle mondiale : en effet, le retour des famines et des émeutes de la faim de 2007-2008 a fait prendre conscience au monde entier de l'importance de l'enjeu de la sécurité alimentaire, notamment pour les populations des zones de consommation les plus pauvres. L'importance de cet enjeu est en outre accentuée par l'impact du changement climatique qui influence directement les marchés agricoles en raison de l'incertitude sur les volumes de production qu'elle provoque. Ce dernier point avait d'ailleurs également été soulevé par notre collègue Gérard Bailly, lors de la réunion commune de la commission des affaires européennes et de la commission de l'économie du 8 juin 2011.

« A NOUVEAU, LE MONDE A FAIM »

L'histoire des hommes peut se lire de maintes manières, mais l'une des constantes est bien leur quête de nourriture pour satisfaire d'abord leurs propres besoins puis, en dégageant quelques surplus pour entrer dans l'échange, nourrir les villes ou les contrées lointaines. Les périodes de disette, voire de famine, jalonnent notre histoire, de l'Antiquité à la fin du 20 ème siècle.

On sait ainsi le souci qui fut celui du Sénat de Rome puis des empereurs de garantir à la plèbe de la ville « du pain et des jeux » et toute la logique de conquêtes qui en découla vers ces greniers à grains qu'étaient la Sicile, l'Afrique du Nord et surtout l'Egypte. La première réforme agraire de l'histoire ne fut-elle pas celle des Gracques ? (...)

L'histoire des hommes est ainsi marquée d'alternance et de pénurie. Cependant, chaque fois que ce « trop-plein » d'hommes semblait donner raison aux craintes malthusiennes, chaque fois qu'on passait de pénuries conjoncturelles en famines endémiques, chaque fois aussi que le signal des marchés passait au rouge, il y eut des réactions à la fois humaines et technologiques. (...) Et nous voici en 2008, au seuil du 21 ème siècle, devant un autre de ces défis. Mais le contexte a changé : il n'y a plus de terres à découvrir, nombre de ressources, comme l'eau, ne sont plus abondantes et les innovations technologiques suscitent maintes réserves. À nouveau, le monde a faim, mais cette fois-ci, saurons-nous vaincre cette faim ?

Source : Philippe Chalmin, Le monde a faim (Bourin Editeur, 2009).

Votre commission a ensuite, à l'initiative de votre rapporteur, précisé le sens de deux des recommandations proposées par le texte de la proposition de résolution :

- concernant la transparence de la production et des stocks de production agricole, il a été précisé que la fiabilité des informations en matière de prévisions de récoltes devait être améliorée ; en effet, ces règles diffèrent aujourd'hui en fonction des pays ou des régions, ce qui crée une véritable incertitude sur les marchés mondiaux ;

- la seconde précision concerne la préconisation relative à la transparence sur les marchés dérivés : cette dernière pourrait par exemple être assurée par une obligation pour les vendeurs de s'engager à décrire précisément le contenu de ces contrats.

Enfin, à l'initiative de votre rapporteur, la commission de l'économie a complété la proposition de résolution par deux nouvelles recommandations :

- la première préconise un changement des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui ne prennent pas assez en compte les spécificités des marchés agricoles.

En effet, les produits agricoles sont soumis, depuis les accords de Marrakech de 1994, aux règles de l'OMC. Or, comme le rappelle d'ailleurs le récent avis du Conseil économique, social et environnemental sur la future PAC 2013, ces règles ne sont pas adaptées aux produits agricoles car ils instaurent une compétition inégale entre des systèmes de production qui n'ont rien à voir les uns avec les autres et qui sont soumis à de forts facteurs d'incertitudes.

Votre rapporteur considère d'ailleurs que l'OMC devra également réfléchir, à terme, à une organisation de l'agriculture mondiale par grandes régions, pour limiter le bilan carbone des échanges agricoles.

- la seconde tend à promouvoir une réglementation plus contraignante des opérateurs intervenants sur les marchés dérivés de produits agricoles, notamment via une obligation pour les banques d'expliciter clairement le fonctionnement des contrats futures utilisés pour la formation des contrats vendus aux agriculteurs et de mentionner ces transactions dans les bilans d'entreprise.

*

* *

Au cours de sa réunion du mercredi 15 juin 2010, présidée par M. Jean-Paul Emorine, président, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné le rapport de M. Marcel Deneux, sur la proposition de résolution européenne n° 598, sur la volatilité des prix agricoles.

Elle a adopté à l'unanimité une nouvelle rédaction assortie de cinq amendements.

ANNEXE I

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

TEXTE DE LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne du 18 novembre 2010 « La PAC à l'horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l'avenir »,

Vu la communication de la Commission européenne du 2 février 2011 « Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières »,

Considérant l'importance de relever le défi alimentaire mondial, notamment face au changement climatique et à la multiplication des événements climatiques extrêmes,

Considérant que l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fixe parmi les objectifs de la politique agricole commune des revenus équitables à la population agricole et des prix raisonnables pour les consommateurs,

Considérant que l'instabilité excessive des prix agricoles est dommageable tant aux producteurs qu'aux consommateurs,

Considérant que les réformes de la politique agricole commune depuis 1992 ont limité les outils de régulation,

Considérant que la déclaration franco-allemande du 3 février 2011 signée par les délégations du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Bundestag rappelle que la volatilité des prix impose le maintien d'un cadre de régulation,

Invite le Gouvernement :

- à mettre au coeur de la future politique agricole commune, dans l'intérêt de tous, les agriculteurs comme les consommateurs européens, les concepts de sécurité de l'approvisionnement alimentaire et de sécurité sanitaire des aliments ;

- à promouvoir, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, l'adoption de nouvelles règles commerciales qui prennent en compte la spécificité des marchés agricoles ;

- à faire adopter dans le cadre européen et à promouvoir plus largement dans le cadre du G20 un panel d'outils permettant de lutter efficacement contre le fléau de l'instabilité excessive des marchés agricoles ;

- à faire en sorte que ces outils permettent d'améliorer au niveau mondial la transparence de la production et des stocks de matières premières agricoles, actuels et futurs, ainsi que la fiabilité des informations en matière de prévisions de récoltes, et de mettre en place des instruments d'alerte rapide pour prévenir les crises ;

- à faire en sorte que ces outils favorisent la transparence sur les marchés dérivés, notamment par une meilleure connaissance du contenu des contrats échangés sur les marchés organisés et des intervenants sur les marchés de gré à gré, et permettent une bonne application des règles de régulation des marchés financiers, comme les limites de position, afin de lutter contre la spéculation financière incontrôlée ;

- à faire en sorte que ces outils permettent d'encadrer, de manière plus contraignante, les opérateurs intervenant sur ces marchés, notamment par une obligation pour les banques d'expliciter clairement le fonctionnement des contrats à terme utilisés pour la formation des contrats vendus aux agriculteurs et de mentionner ces transactions dans les bilans d'entreprises qui les ont initiées ;

- à prévoir la constitution de stocks d'urgence en Europe, dans le cadre de la politique agricole commune, et à favoriser la constitution de stocks alimentaires stratégiques dans les grandes zones de consommation où les populations souffrent structurellement de déficits de couverture de leurs besoins alimentaires.

ANNEXE II

COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE DU 27 AVRIL 2011 SUR LA VOLATILITÉ DES PRIX AGRICOLES

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi , la commission organise, conjointement avec la commission des affaires européennes, une table ronde sur la volatilité des prix agricoles.

Participaient à cette table ronde, ouverte à la presse : M. David Hallam, directeur de la division du commerce et des marchés à la FAO (Food and agriculture organisation - Nations unies) ; M. Serge Guillon, contrôleur général, co-auteur avec Jean-Pierre Jouyet et Christian de Boissieu du rapport intitulé « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles » - septembre 2010; MM. Frédéric Courleux, Direction des études, et Stéphane Le Moing, Chef de service des relations internationales au Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire (MAAPRAT) ; M. Patrick Ferrere, directeur général de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ; M. Bernard Valluis, expert de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA).

M. Jean Bizet , président . - Le président Emorine et moi-même vous remercions d'avoir accepté notre invitation à cette table ronde sur la volatilité des prix agricoles. Cette réunion s'inscrit dans une continuité sur le fond et marque une innovation dans la forme.

Cette réunion, conjointe des deux commissions des affaires européennes et de l'économie, témoigne de notre intérêt commun pour les affaires agricoles. Il y a quelques mois, nous avons publié nos propositions sur la réforme de la PAC. En février dernier, sous l'impulsion du président Gérard Larcher, nos deux commissions ont organisé une rencontre avec nos homologues allemands, qui montrait que nous privilégions une stratégie d'alliance européenne. La présente réunion est une nouvelle confirmation de cet intérêt.

Pourquoi ce thème ? Pour trois raisons. La première, c'est l'inquiétude générale de nos concitoyens et même des citoyens du monde au sujet d'une hausse des prix qui pourrait mener à de nouvelles émeutes de la faim. La deuxième, c'est la difficulté qu'ont les agriculteurs à gérer cette volatilité et à faire des prévisions. Dans un grand journal du soir, le 1 er février 2010, M. Alain Faujas écrivait à propos du blé : « On voit mal comment le cours de notre céréale préférée pourrait remonter depuis les maigres 126 euros la tonne atteints jeudi 28 janvier. A des années-lumière des 295,50 euros touchés en mars 2008 »... Comment gérer une exploitation agricole lorsqu'on ignore les coûts de production et les prix de vente ? En outre, les aides européennes au revenu sont indépendantes des prix et le cumul d'aides budgétaires et de prix élevés fait naître chez nos concitoyens de légitimes interrogations sur la PAC elle- même, les agriculteurs étant à la fois vulnérables et accusés de profiter des hausses de prix.

Troisième raison : sous l'impulsion du président de la République, la France proposera au G20 la tenue d'une conférence sur ce thème de la volatilité des prix, pouvant déboucher sur la création d'un organisme agricole international. Le Conseil des ministres de l'Agriculture, fin juin à Paris, devra aussi apporter des propositions sur ce thème qui est donc à la fois social, économique et international.

La formule de la table ronde se prête mieux aux échanges que celle de l'audition. Nous avons renoncé aux exposés introductifs pour passer plus vite aux questions/réponses. La formule est d'autant plus adaptée que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat.

Cette table ronde rassemble quelques une des parties intéressées par le sujet : les observateurs, internationaux et nationaux, les acteurs de terrain, l'administration. Je précise que la Commission européenne a également été invitée.

Je vous demanderai de vous présenter brièvement à tour de rôle.

M. David Hallam (FAO) . - Je suis directeur de la division du commerce et des marchés à la FAO, qui est chargée, conjointement avec l'OCDE, de coordonner un rapport préparé avec neuf autres organisations internationales sur la volatilité des prix agricoles.

La volatilité des prix est normale sur les marchés agricoles mais, depuis 2006/2007, elle s'est accrue. Les prix ont considérablement augmenté et tout indique que cela continuera pendant encore quelques années. Cela menace la sécurité alimentaire des pays pauvres et justifie la mise en place de politiques d'autosuffisance alimentaire dans quelques États. Les liens entre marché agricoles, marchés de l'énergie et marchés financiers sont de plus en plus étroits. La demande mondiale augmente fortement, notamment du fait de la Chine, tandis que les stocks publics diminuent. Tout cela est dangereux. Les chocs sur l'offre viennent des aléas climatiques qui vont se perpétuer. Malheureusement, de mauvais choix politiques ont encore aggravé la situation : en 2008, plus de 20 pays ont instauré des restrictions sur les exportations et les ont maintenues.

Dans ces conditions que faire ? On peut tenter d'atténuer la volatilité des prix en régulant les marchés à terme, en utilisant les stockages ou en luttant contre les barrières de change. La solution la plus applicable serait d'améliorer la transparence sur les stocks, sur les marchés à terme et les marchés de gré à gré. On peut aussi tenter d'atténuer les conséquences de cette volatilité par le biais de filets de sécurité ou de stocks d'urgence ; ce sont des mesures à court terme ; et il faut voir que la vulnérabilité des plus pauvres résulte d'un manque d'investissement depuis des années....

La FAO a un rôle à jouer dans une gouvernance mondiale de la gestion des prix alimentaires. Pour améliorer la transparence des marchés, il faut mettre en place un système d'alerte annonciateur des crises : il est évident que nous avons besoin d'indicateurs plus fiables sur la situation alimentaire. Enfin une coordination des politiques est nécessaire : en 2007 et 2008, la plupart des pays pauvres n'ont rien fait ou ont mené des politiques qui ont aggravé la situation. A l'avenir, il faut éviter un tel manque de coordination.

Pour cela, nul besoin d'une nouvelle institution : il faut simplement améliorer le travail de la FAO en lui fournissant des informations sur les stocks, les prévisions de récoltes. Elle a aussi besoin de nouveaux indicateurs. Il lui faut également coopérer avec la Banque mondiale, l'OCDE, le Programme alimentaire mondial et, pour cela, nous proposons un Secrétariat. Pour gérer celui-ci, on peut envisager de créer un Comité composé des membres du G20, d'autres grands pays exportateurs ou importateurs de produits agricoles, et des organisations internationales. Ce Comité recevrait l'information et les indicateurs du Secrétariat et pourrait lancer les éventuelles alertes. Il lui faudrait, pour prévenir les crises, se réunir régulièrement, deux fois par an.

M. Serge Guillon . - Je suis contrôleur général économique et financier au ministère des finances. J'ai notamment été secrétaire général adjoint des affaires européennes, et coordonateur de la présidence française de l'Union européenne. Dans le cadre d'une mission confiée par Bruno Le Maire, je suis co-auteur avec Jean-Pierre Jouyet et Christian de Boissieu du rapport intitulé « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles ». C'est à ce titre que je participe à cette table ronde où je suis le seul à parler à titre strictement personnel ; je n'engage ici aucune structure ni même mes co-auteurs.

M. Patrick Ferrere (FNSEA) . - Je suis directeur général de la FNSEA, qui consacre au problème de la volatilité des prix beaucoup de réflexions et de propositions.

M. Bernard Valluis (ANIA) . - Je suis président délégué de l'Association nationale de la meunerie française, expert de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) pour les problèmes de matières premières. J'ai participé à tous les travaux préparatoires au G20 pour le compte des professionnels et j'ai suivi de près l'élaboration de textes européens, dont le nouveau règlement sur les produits dérivés. A ce titre je suis président de la task force de la Conférence des industries agricoles et alimentaires au niveau européen.

M. Stéphane Le Moing (MAAPRAT) . - Je suis le chef du service des relations internationales au Ministère de l'agriculture. A ce titre je suis chargé de suivre les négociations de la PAC ou de l'OMC ; en même temps je suis coordonnateur en charge de la présidence française du G20 pour la partie agricole.

M. Frédéric Courleux (MAAPRAT) . - Je suis chef du bureau de l'évaluation et de l'analyse économique au Centre d'études et de prospective du ministère et, en liaison avec Stéphane Le Moing, nous travaillons à la préparation du G20 agricole, notamment sur le problème de la régulation financière.

M. Jean-Paul Emorine , président . - Y a-t-il un lien entre la volatilité des prix des matières premières agricoles et celle de l'ensemble des matières premières ?

M. Bernard Valluis . - Oui, depuis une période relativement récente. Depuis 2004, le marché des matières premières a évolué du fait des liens créés par des placements constitués de paniers de matières premières - comportant métaux non ferreux, pétrole, gaz et matières premières agricoles. Tentant de diversifier leurs risques, des investisseurs se sont portés sur des produits qui associent l'ensemble des matières premières. La financiarisation de l'économie et ce genre d'investissement font que les prix des différentes matières premières ont tendance à être corrélés.

La volatilité est une notion qui mérite d'être définie. Ce n'est pas l'augmentation des prix. Ce sont des variations importantes de prix dans une période de temps. Et il y a deux sortes de volatilité : celle, suivie par la FAO, qui concerne les prix des produits agricoles, d'une campagne sur l'autre ; et celle que les spécialistes des marchés financiers définissent de façon mathématique : la volatilité implicite des options, la volatilité instantanée sur les produits dérivés. C'est cette volatilité-là qui a considérablement augmenté et qui est très déroutante pour les opérateurs des marchés physiques. Car vous pouvez passer d'un prix de 100 à un prix de 200 euros par une ligne droite, ou bien par une ligne brisée qui ne permet plus aux opérateurs de se repérer et de savoir, à chaque instant, si le prix va augmenter ou baisser.

M. Jean Bizet , président . - Et c'est récent ?

M. Bernard Valluis . - Ce qui est nouveau par rapport au phénomène d'augmentation du prix du blé du fait des achats massifs par l'URSS il y a trente ans, c'est que, maintenant, à chaque minute, la volatilité instantanée a considérablement augmenté. Donc il y a volatilité mais elle n'est pas semblable à celle du passé.

M. Jean Bizet , président . - Et à quoi est-ce dû ? A l'évolution des technologies informatiques ?

M. Bernard Valluis . - C'est dû, notamment, au « high frequency trading » et à ses automates qui permettent de réagir très rapidement. Et beaucoup d'opérateurs financiers ne travaillent plus sur l'évolution des cours - ce sont les investisseurs à long terme qui le font - mais sur la volatilité, c'est-à-dire qu'ils achètent et qu'ils vendent de la volatilité. D'où la rupture constatés dans l'ensemble des courbes depuis 2004.

M. Jean Bizet , président . - Doit-on parler de volatilité ? D'instabilité ? Ou d'instabilité excessive ?

M. Serge Guillon . - Je suis d'accord avec l'analyse de Bernard Valluis sur les termes. Celui de « volatilité » est plutôt employé sur les marchés financiers. Beaucoup de nos partenaires étrangers considèrent la volatilité comme un phénomène normal et ne comprennent donc pas qu'on lutte contre elle. Dans notre rapport, plutôt que « volatilité », nous avons employé les termes d'« instabilité des marchés » ou de « fluctuations », mieux compris par nos partenaires. La fluctuation des marchés agricoles est un phénomène structurel, dû à des données physiques ; c'est la loi de Gregory King de 1696... Cette fluctuation, éternelle source d'émeutes, a toujours préoccupé les gouvernements. Mais ce qui a changé c'est la mondialisation et la financiarisation de ces marchés. La mondialisation est cause d'un paradoxe apparent. Les échanges internationaux de céréales sont peu importants par rapport à la production mondiale, ils n'en représentent en moyenne que 11 à 12 %. Or, une production diminue de 1 %, et qu'on en n'échange que 10 %, cette baisse sera répercutée sur la partie échangée et donc sur 10 % des échanges internationaux. Il y a là un effet multiplicateur alors que la modification de production est faible.

L'interconnexion des différents marchés de matières premières s'explique aussi par le fait qu'une partie des opérateurs sont les mêmes sur les différents marchés d'actifs et qu'ils peuvent donc faire des arbitrages entre ces différents marchés.

Sur les marchés physiques, on a une situation structurelle où l'offre est instable et soumise aux aléas climatiques, tandis que la demande est rigide. Mais, sur le long terme, la demande est tirée par trois éléments : la demande humaine, le besoin de nourriture animale, l'utilisation de céréales pour des besoins non alimentaires. La demande ne fera probablement qu'augmenter, contrairement à l'offre, ce qui sera source de tensions dans l'avenir.

En outre certains freins s'opposent à l'ajustement entre l'offre et la demande mondiales : les restrictions d'exportation par exemple. Ainsi le Brésil exporte du maïs génériquement modifié soumis aux restrictions sanitaires de certains pays importateurs. Le fret maritime s'oppose aussi à cet ajustement dans la mesure où, préempté à 70 % par les échanges avec la Chine, il est lui aussi soumis à des tensions périodiques. Il faut aussi noter l'opacité croissante des données : les données de production de la Chine, par exemple, ne sont pas transparentes, si bien que la volatilité des prix a été importante sur les marchés physiques du riz, sans que les marchés financiers en soient la cause. Et entre aussi en jeu la spéculation sur les marchés financiers.

M. Pierre Bernard-Reymond . - Je renonce à poser ma question à M. Valluis parce que M. Guillon vient d'y répondre très complètement. Je pensais qu'on accordait trop d'importance à la financiarisation au détriment des facteurs physiques et notamment de la montée de la demande des pays émergents.

M. Rémy Pointereau . - La volatilité est inquiétante tant pour les producteurs que pour les consommateurs, pour lesquels les répercussions de toute augmentation de prix sont disproportionnées. Lorsque la tonne de blé est à 110 euros, la farine entre pour 7 centimes dans le prix de la baguette ; quand le prix du blé double, la baguette pouvait être à 3 ou 4 centimes de plus.

La volatilité est due à une demande mondiale en constante augmentation, aux aléas climatiques ainsi qu'à la spéculation financière : des fonds de pension spéculeraient sur les produits alimentaires. On parle de volatilité lorsque les prix montent mais il y a aussi volatilité lorsqu'ils sont à la baisse. En 2007, les cours étaient de 250 à 280 euros la tonne de blé, ils étaient de 110 euros en 2009 et ils sont de 250 maintenant. En 1981 on vendait 200 euros une tonne de blé dont le prix de revient était de 120 euros. En 2009, on la vend à 110 euros alors que son prix de revient est de 150 euros ! Avec M. Volot, la commission de l'économie s'est préoccupée ce matin des ventes à perte, qui ne sont pas admissibles. Ici, on vend à perte ! Il faudrait des outils de régulation des marchés. Je souligne également le problème du stockage : on ne dispose que de deux mois de stock au niveau mondial. Enfin, nous n'avons plus le prix d'intervention, qui constituait un filet de sécurité contre la baisse des cours. Pour réguler, il faudrait aussi prendre en considération la contractualisation en faveur de productions de qualité.

M. Gérard Le Cam . - Le sujet est passionnant et, Monsieur le président de la commission, il serait souhaitable de débattre de la volatilité en séance publique  avant le G20. Volatilité ou pas, la majorité des prix agricoles sont trop bas. La gestion des stocks est un élément clé du problème, cela peut être le meilleur outil contre une spéculation assassine - la famine de 2008 a atteint 150 millions de personnes supplémentaires - qu'on doit combattre par tous les moyens ! La gestion des stocks doit être faite par tous les pays dans le cadre d'une politique de souveraineté alimentaire réactivée, certains d'entre eux ayant laissé de côté leur agriculture. Les pays peuvent acheter et stocker des céréales - comme tous les produits secs qui se transportent et se conservent bien - de façon à décourager la spéculation. L'État doit s'en occuper de façon à garantir un prix stable et une marge bénéficiaire correcte pour les producteurs. Il faut une gestion intelligente des stocks - maintenus à un niveau supérieur à ce qu'il est actuellement - pour limiter les effets d'une spéculation assassine.

M. Daniel Soulage . - Peut-on éviter une politique de stockage ? Pour qu'elle soit efficace, quelles quantités doit-on stocker ? Et à quel coût ?

M. Jean Bizet , président . - Y a-t-il des filières ou des zones plus affectées que d'autres par la volatilité des prix ?

M. David Hallam . - A la grande différence de 2008, le marché du riz est maintenant assez stable. Les prix domestiques en Afrique ont baissé grâce à de bonnes récoltes.

M. Bernard Valluis. - Sur les produits stockables, café, cacao, sucre, céréales, oléagineux, produits transformés, on regarde toujours le rapport entre le stock et la consommation locale ou mondiale : c'est un indicateur d'alerte. A trois semaines de stock, on entre dans une zone de difficultés. A deux semaines, il y a déjà rupture d'approvisionnement dans certains pays. Il est donc vital de maintenir des stocks. Les principaux pays exportateurs avaient des stocks mais le démantèlement des politiques agricoles - sous l'effet d'une libéralisation des échanges et d'une théorie économique laissant au marché le soin d'être efficace ou vertueux - a détruit ces stocks, lesquels étaient constitués à partir des prix garantis aux producteurs : en Europe, dès lors que le prix atteignait le prix d'intervention, on stockait ! Il y avait donc des stocks publics, mais on a considéré qu'ils étaient extrêmement coûteux et on les a démantelés.

M. Jean Bizet , président . - Sous-entendez-vous que la réforme de la PAC et sa libéralisation sous-jacente ont encouragé la volatilité des prix agricoles ?

M. Bernard Valluis . - Je ne sous-entends pas, je dis clairement que les travaux de l'OCDE ont conduit, dans le cadre de l'OMC, à la libéralisation des échanges et au découplage des aides, et au démantèlement des systèmes de stocks publics, lesquels avaient un effet régulateur qu'on a voulu ignorer. Aujourd'hui nous souffrons d'un déficit de stocks publics et, en plus, au G20, il y a une sorte de front du refus contre la proposition française de constituer des stocks.

M. Jean Bizet , président . - Le protocole d'accord passé entre le Sénat, l'Assemblée nationale et le Bundestag a buté sur ce problème. Il nous fallu deux heures de négociation pour nous entendre sur la simple possibilité d'un cadre de régulation pour la future PAC. En effet, ce n'est plus dans l'air du temps malgré les conséquences négatives du manque de régulation.

M. Stéphane Le Moing . - En matière de stocks , il faut distinguer les niveaux européen et international. Ces vingt dernières années, les États européens ont évolué vers un consensus - auquel la France s'est toujours opposée - en faveur d'une moindre envergure des mesures de gestion des marchés et toute l'histoire de la PAC, depuis la grande réforme de 1992, est faite d'une succession de réformes allant vers des aides au revenu stables et, depuis 2003, découplées de la production. Mais les instruments de marché n'ont pas tous été démantelés, dans les secteurs du blé ou du lait par exemple.

En Europe, il y a une paix armée entre tenants et adversaires de la gestion de marché : la France voudrait renforcer les instruments de marché, l'Allemagne préfèrerait en rester là. Au niveau international, la situation est différente. Malgré la volonté affichée des grandes organisations internationales de limiter les interventions des États, les grandes puissances agricoles ne se privent pas d'intervenir sur les marchés : ouvertement, comme la Chine ou l'Inde, ou de manière plus ambiguë, comme les États-Unis et l'Europe et même le Brésil, qui se dit pourtant libéral.

L'opportunité de constituer des stocks régulateurs internationaux fait débat. Les économistes n'y sont guère favorables, et les pays du G20 l'ont refusé. En revanche, tous les États ont une politique de stock, pour des raisons de sécurité nationale. Enfin, il y a la question plus large des subventions considérées comme distorsives par l'OMC. En règle générale, les États préfèrent gérer eux-mêmes leurs stocks : c'est une question de souveraineté.

M. Jean Bizet , président . - La baisse des stocks laisse libre cours à la spéculation. Des fonds de pension, des opérateurs agricoles se livrent-ils à des manoeuvres pour faire monter les prix ?

M. Patrick Ferrere . - Les stocks se trouvent aujourd'hui dans les pays producteurs. Avec l'instabilité des prix, les pays structurellement importateurs, comme l'Égypte ou la Tunisie, achètent deux fois plus cher cette année que l'année dernière ! Ne faudrait-il pas plutôt les aider à constituer des outils de stockage ?

M. Jean Bizet , président . - L'économie agricole rejoint la géopolitique...

M. Serge Guillon . - La notion de stock est imprécise. Il ne faut pas confondre les stocks d'urgence, de sécurité alimentaire, et ceux qui sont destinés à la régulation. Les stocks peuvent être privés, publics, gérés de façon nationale ou internationale. Cette problématique est au coeur de tous les accords internationaux sur le blé depuis 1934, tous avortés... Enfin, il faut distinguer un stock de blé dans un silo sécurisé du sud-ouest, du riz stocké en vrac sous une bâche, au milieu des rats, dans un pays en développement ! C'est pourquoi il faut tout d'abord s'entendre sur la définition d'un stock au niveau international. Notre rapport préconise également le financement de lieux de stockage dans les pays en développement, qui pourrait être une priorité de la Banque mondiale.

M. Frédéric Courleux . - Même des pays réputés libéraux ont des stocks publics : début 2011, le gouvernement brésilien a relâché ses stocks publics de maïs pour aider ses éleveurs.

Le problème n'est pas seulement la hausse des prix mais aussi leur baisse. Or les marchés ne fonctionnent pas correctement dans les deux sens. On a assisté entre 2000 et 2007 à une dégringolade des stocks de fin de campagne au niveau mondial, de 200 millions de tonnes de blé à 115, sans que cela ait de conséquence sur les prix de marché. On peut donc s'interroger sur l'hypothèse d'efficience des marchés, c'est-à-dire sur la qualité du signal-prix. Avant la crise, il était inimaginable de critiquer le niveau des prix !

Actuellement, le niveau des stocks de fin de campagne reste non négligeable : il représente 28 % de la consommation annuelle ! Or, une révision à la baisse de 3 % des prévisions de production entraîne une hausse des prix de 70 %. Les politiques agricoles ont été analysés par Mordecai Ezekiel, économiste de Roosevelt, et plus récemment par Jean-Marc Boussin, qui avait prévu la séquence hausse-baisse-hausse en 2007-2008 et mis en avant l'effet de la baisse des stocks communautaires.

Contrairement à 2007-2008, le riz est paradoxalement épargné par la hausse actuelle. Les relations diplomatiques entre pays du sud-est asiatique autour de l'ASEAN-Plus Trois ne sont sans doute pas étrangères à la bonne coordination entre stocks. Il faudrait comparer les coûts du stockage à ceux de l'instabilité des marchés agricoles.

M. Jean Bizet , président . - Comment mesurer l'impact de la spéculation financière sur les marchés agricoles ?

M. Bernard Valluis . - Nous sommes dans un marché global. Les matières premières agricoles constituent un sous-jacent : c'est la partie physique. L'arbitrage se fait par des opérations sur des marchés à terme, réglementés. Aux États-Unis, cela représente trente fois la production ; en Europe, la moitié de la production ! Cotations internes et options représentent un pourcentage qui est en général un multiple du volume des sous-jacents.

N'oublions pas en outre les marchés de gré à gré, qui représentent des multiples très supérieurs aux marchés physiques et réglementés réunis. Les matières premières représentent 3 % de l'ensemble... L'opacité y est totale : impossible de savoir dans quelle mesure les opérateurs jouent sur les marchés et prennent des positions de contrôle. Les recommandations du G20 de Pittsburgh de septembre 2009 ont d'ores et déjà été traduites aux États-Unis dans la loi Dodd Frank ; des directives et règlements sont en préparation au niveau communautaire mais nous avons pris du retard.

Les mesures prises pour connaître l'identité et les positions des opérateurs et instaurer une police sur ces marchés vont être contrecarrées par les opérateurs financiers, qui ont déjà perdu la mémoire de la crise. Le travail de la Commission européenne est louable, mais le Congrès américain coupe aujourd'hui les vivres aux organismes régulateurs... Pour les matières premières, la régulation financière n'est pas la solution. Il faut une solution adaptée à la gestion de stocks régulateurs. Bref, il faut mettre en oeuvre une politique économique de stocks régulateurs de matières premières, dans un compromis entre consommateurs et producteurs.

M. Marcel Deneux . - Le problème, c'est la volatilité excessive, c'est-à-dire des variations de prix brusques et de forte amplitude. Les marchés de matières premières, guidés par un sous-jacent, deviennent dérivés. Quels sont les outils, les contrats, les opérateurs sur les marchés ? Il y les commerciaux, les « traders » habituels, et les swappers , parasites dont il faut limiter les actions et les outils, swaps et options. Peut-on imposer un enregistrement par catégorie d'opérateur, afficher leurs transactions en toute transparence, pour envoyer un message aux acteurs du marché physique ?

M. Jean Bizet , président . - Le problème a été en partie résolu par le FSTC (Financial Services Technology Consortium) aux États-Unis.

M. Serge Guillon . - Les marchés à terme se nourrissent de la volatilité des prix. Ces marchés secondaires, qui organisent des transactions sur une base virtuelle et des contrats anonymes, ont besoin des liquidités apportées par les spéculateurs. La spéculation est donc inhérente au fonctionnement du marché. La notion de spéculation « excessive » a été introduite par le Sénat américain : il n'y a aucun instrument de mesure, mais des présomptions, des indices, comme la déconnexion du réel et du financier, la part des opérateurs non commerciaux, etc. La commission d'enquête du Sénat américain a mis en cause la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) dans le marché du blé de Chicago ; M. Michael Masters, auditionné par le Sénat le 20 mai 2008, a expliqué comment son fonds spéculatif avait participé à cette spéculation. Il y a donc bien eu spéculation « excessive », mais on ne peut la mesurer.

M. Marcel Deneux . - On assimile au fonctionnement des marchés physiques des instruments de marchés financiers. Il ne devrait pas y avoir de swap sur les marchés physiques ! C'est une dégénérescence du système.

M. Yannick Botrel . - Comme l'a rappelé M. Courleux, les stocks mondiaux ont régulièrement baissé sans que l'on ne s'en inquiète, et le réveil a été brutal. On a fait état du rôle de la spéculation dans la formation des prix mondiaux. La part des céréales sur les marchés mondiaux représente 11 % de la production mondiale : les prix se forment donc à partir de ces 11 %. Un État qui voudrait se protéger contre un risque de pénurie ne peut-il contribuer à la volatilité des prix ? La Chine, par exemple, peut-elle contribuer à la variation des cours en intervenant sur le marché mondial ?

M. Patrick Ferrere . - Réchauffement climatique, aléas : les phénomènes se cumulent. En 2009, les conditions climatiques ont été satisfaisantes dans presque toutes les zones de production, d'où les prix bas. La demande des pays émergents s'accélère : la Chine achète tout ce qui se présente sur le marché. On ne sait si c'est pour sa consommation ou pour constituer des stocks. Il y a des pistes à creuser pour limiter ces comportements.

M. Serge Guillon . - Les marchés à terme sur les matières premières agricoles se sont développés en Chine. Les volumes de transaction y ont plus que quadruplé, qu'il s'agisse du soja, du maïs ou du blé.

M. Jean Bizet , président . - Venons-en à l'impact de la volatilité sur le monde agricole. Comment les exploitants s'en accommodent-ils ? N'y a-t-il pas des tensions entre céréaliers et éleveurs ? Le président de la FNSEA a lancé l'idée d'une contractualisation entre ces deux secteurs. Peut-on y parvenir ?

M. Patrick Ferrere . - Les agriculteurs doivent prendre conscience que la politique agricole européenne n'est plus celle en cours ces cinquante dernières années. L'instabilité des prix a toujours existé, mais les producteurs européens étaient à l'abri des tempêtes. Or le message est mal passé. Il faut apporter aux agriculteurs les outils pour faire face à la nouvelle donne. Parmi les outils fiscaux figure la déduction pour aléas. Les producteurs européens vont devoir épargner pendant les années fastes pour préparer les années de vaches maigres.

M. Jean Bizet , président . - C'est un changement de culture.

M. Patrick Ferrere . - C'est difficile en pratique : on constate un parallélisme entre l'achat de matériels et la hausse des revenus. Il y a aussi des solutions collectives : la France est pionnière en la matière. Pourquoi ne pas créer des caisses de compensation au niveau des interprofessions pour limiter l'effet des fluctuations, à l'instar de ce qui a été fait dans la filière porcine ?

Les fluctuations rendent incompréhensibles les nouveaux soutiens à l'agriculture, à commencer par la regrettable réforme de 2003 instaurant le droit à paiement unique (DPU) à l'hectare.

M. Jean Bizet , président . - Le Sénat avait été un peu provocateur en imaginant que les DPU pouvaient être cycliques, donc maximalisés en période de turbulence. M. Dacian Ciolos, commissaire à l'agriculture, n'y était pas hostile, mais la proposition n'a guère suscité d'engouement... Une telle mesure aurait pourtant été intéressante pour les agriculteurs.

M. Patrick Ferrere . - Le DPU à l'hectare va de pair avec le découplage. Pour agir de manière contra-cyclique, il faudrait que les exploitations soient relativement spécialisées, or en France, elles sont diversifiées. Et il est strictement interdit de recoupler les aides ! La position de la Commission européenne est claire : le DPU n'est pas une aide au revenu, à la hausse ou à la baisse des prix, mais la compensation des contraintes environnementales et sanitaires que s'impose l'Europe. Bref, on rêve d'un Doha finalisé, ce qui est loin d'être le cas !

M. Jean Bizet , président . - Et ne parlons pas du principe de réciprocité...

M. Jean-Paul Emorine , président . - L'opinion publique ne comprendrait pas que l'on parle de DPU sans remettre en cause les références historiques. J'ai participé au bilan de santé de la PAC : les pays européens sont tous préoccupés par l'occupation de l'espace.

M. Patrick Ferrere . - Les références historiques disparaîtront progressivement.

M. Jean Bizet , président . - Que pensez-vous d'une contractualisation entre céréaliers et éleveurs ?

M. Patrick Ferrere . - L'interprofession fera des propositions au ministre fin juin, visant à permettre à l'alimentation animale de bénéficier de contrats plus transparents et de prix plus modérés : le prix moyen plutôt que le spot.

M. Jean Bizet , président . - Il s'agirait d'un contrat à trois ?

M. Patrick Ferrere . - Non, le contrat serait passé soit avec le fabriquant d'aliments, soit avec l'éleveur qui fabrique ses propres aliments. On envisage un marché à terme de tourteaux de colza sur la place de Paris. Il s'agit également de réduire les coûts d'intermédiation en la matière.

M. Marcel Deneux . - On s'oriente vers une contractualisation au niveau national, mais attention aux effets de frontière.

L'élevage bovin est très vulnérable : l'alimentation bovine n'est plus à base d'herbe, et une vache laitière consomme deux tonnes d'aliments du bétail. Et l'on consomme toujours moins de viande rouge... La consommation de céréales n'est certes pas la même selon les types d'animaux d'élevage. Mais force est de constater que la France n'a pas de politique de l'aliment du bétail ; il faut créer une filière.

M. Patrick Ferrere . - Des engagements devraient être signés en présence du ministre la semaine prochaine. Le secteur de la production animale est le plus touché par la hausse de ses coûts de production, or il n'y a pas de lien de proportionnalité entre le cours du porc et le cours des céréales... Dans un souci de transparence, il faudrait des indicateurs tenant compte du prix de l'aliment du bétail : si le rapport entre le prix de l'aliment et le prix du produit à la consommation dépasse une marge acceptable, les prix devraient être renégociés.

M. Jean Bizet , président . - Comment éviter la volatilité des prix ?

M. Jean-Paul Emorine , président . - M. Jean-Pierre Jouyet a proposé la création d'une agence européenne chargée de suivre l'évolution des données physiques et financières des matières premières agricoles. Qu'en pensez-vous ? Est-ce le rôle de la Commission, ou du Parlement ?

M. Serge Guillon . - Le problème est celui de la cohérence des politiques mondiales, d'où l'intérêt de passer par le G20. Un cadre européen est sans doute nécessaire mais pas suffisant. Quel serait le rôle d'une telle structure : réguler uniquement les marchés financiers, ou intervenir sur les sous-jacents ? Est-il pertinent de créer une nouvelle structure alors que la Commission a déjà un rôle en la matière ?

M. Pierre Bernard-Reymond . - Quelles sont les relations entre les grands organismes de gouvernance mondiale, ONU, OMC, FAO, G20, etc. ? Avez-vous perçu un décloisonnement, une volonté de travailler ensemble ? Avez-vous des préconisations à faire en la matière ?

M. Jean Bizet , président . - Pouvons-nous attendre des propositions intéressantes du G20 ?

M. Stéphane Le Moing . -  Nous avons été frappés par la réactivité des États à l'inscription, par la présidence française, de la volatilité des prix des matières premières agricoles à l'ordre du jour du G20. Il y a un consensus, partagé par les organisations internationales associées, sur la pertinence du sujet, la nécessité de travailler ensemble et d'améliorer notre connaissance du fonctionnement de ces marchés. Cette meilleure connaissance est le préalable à un début de coordination internationale visant à prévenir les crises et à y répondre.

Le rapport conjoint des organisations internationales, qui doit être remis en juin, est une étape importante. L'idée est d'oeuvrer en commun pour assurer un suivi plus précis des données physiques et financières des matières premières agricoles.

Faut-il une agence européenne, comme le propose M. Jean-Pierre Jouyet ? Mieux vaut, me semble-t-il, inciter la Commission européenne à mieux utiliser les outils dont elle dispose, et à améliorer déjà sa propre connaissance des échanges.

M. Bernard Valluis . - Concernant l'impact de la volatilité excessive, l'industrie est souvent montrée du doigt, mais il faut tenir compte du contexte économique et législatif français. L'incertitude se traduit par un coût réel : celui de l'option, qui peut atteindre 20 euros par tonne pour un produit évalué à 250 euros ! Voici la mesure d'une volatilité excessive. Dans un marché libre, les industriels achètent à différents moments, donc à des prix différents : les obliger à répercuter les hausses ou baisses de prix, via une indexation, serait contraire à l'exigence de libre concurrence.

Malgré la loi de modernisation de l'économie (LME), la distribution, nostalgique de l'économie administrée d'autrefois, refuse de négocier les prix de cession des produits. C'est toute la filière qui doit s'adapter à un mode contractuel différent. Pour l'heure, nous sommes dans l'impasse.

Les accords de produits ne regroupent pas tous les pays, mais fournissent les données les plus régulières et les plus proches des chiffres définitifs, avec le département de l'agriculture américain. Confier à la FAO le pilotage d'un organisme recueillant des données statistiques serait un progrès considérable. Je regrette que le mandat de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) ne comprenne pas un tel suivi, que préconise M. Jean-Pierre Jouyet. Mme Christine Lagarde avait proposé de créer un équivalent européen de la CFTC. J'attendais que l'ESMA soit dotée de telles missions.

M. Jean Bizet , président . - La grande distribution trouve toujours des moyens de contourner la législation... À nous de chercher à corriger les imperfections de la LME.

L'Europe devrait se doter d'un outil comme la CFTC. Les États-Unis ont pris de l'avance, et apportent des réponses souvent pertinentes.

M. Frédéric Courleux . - Il faudrait en effet s'inspirer du pragmatisme américain. La CFTC a été créée dans les années 1920, elle est devenue régulateur en 1974.

La procédure de révision des directives européennes en matière financière est en route. L'ESMA aurait pu aller plus loin que la simple coordination entre régulateurs nationaux, mais c'est déjà une avancée, à mettre au crédit du commissaire Barnier. En matière de transparence des marchés financiers, l'Europe n'est pas encore au niveau des États-Unis d'avant la crise de 2007 ; il faut rattraper notre retard. On sait qu'aux États-Unis, 80 à 90 % des positions à l'achat sont détenues par des non commerciaux ; nous ne disposons pas de ces informations pour les places européennes. Il en va de même en matière de répertoires de transaction, qui pourraient être hébergés par une organisation internationale.

Le régime des sanctions n'est pas non plus adapté. Le trader qui a réalisé un corner sur le cacao en juillet dernier n'encourait aucune sanction en Europe ; aux États-Unis, une telle manoeuvre est passible d'une dizaine d'années de prison !

M. Jean Bizet , président . - Il y a en effet une carence au niveau communautaire. Nous sommes preneurs de toute note complémentaire sur le sujet.

La pratique des marchés à terme est-elle adaptée à toutes les matières premières agricoles ? Comment concilier la PAC, à laquelle nous sommes très attachés, et une agriculture européenne tournée vers la bourse, notamment aux yeux de l'opinion publique ?

M. Serge Guillon . - Les organisations internationales souffrent toujours de leur cloisonnement : les problèmes sont transversaux, les organisations sectorielles. Je ne crois pas à une organisation mondiale de l'agriculture. Mieux vaut un organe informel d'impulsion et de coordination politique, rattaché au G20 et s'appuyant sur les organisations existantes. Il faut améliorer notre connaissance de la situation, mettre en place un système d'alerte, avec des indicateurs physiques et financiers, ainsi qu'un système de prévention des réactions inadéquates des États...

La régulation des marchés financiers est plus aboutie aux États-Unis car leurs marchés sont plus anciens. N'oublions pas toutefois que le modèle américain a eu des défaillances... La régulation des marchés à terme est compliquée : c'est un univers complexe et opaque, sans compter la part des marchés de gré à gré, partie immergée de l'iceberg. Les marchés sont connectés, l'espace est mondialisé ; en face, on a des réactions nationales, même si elles sont coordonnées. Clearnet, la chambre de compensation d'Euronext, a entre neuf et treize régulateurs : c'est l'organisme régulé qui coordonne ses régulateurs, et prépare les instructions du régulateur ! Jean-Paul Gauzès, député européen, a dénoncé l'insuffisance des textes adoptés par le Conseil et les conséquences de certaines nominations au niveau européen. Les solutions techniques sont généralement contournables...

Pour développer les marchés à terme, il faut un produit homogène et divisible : c'est le cas des céréales, mais pas des fruits et légumes. Il faut une organisation de filière. Cela prendra du temps, dans un contexte de compétition entre les marchés : les opérateurs français qui exportent trouvent plus facilement à se couvrir sur le marché de Chicago que sur Euronext !

M. David Hallam . - Comment améliorer la transparence des marchés ? À un problème global, il faut une solution globale. Il faut non seulement obtenir l'information, mais mettre en place un système d'alerte et de coordination des politiques. Les organisations internationales ont montré qu'elles étaient prêtes à coopérer. Cela augure bien de l'avenir.

M. Jean Bizet , président . - Merci de nous avoir appris beaucoup ; cela nous sera utile pour la communication que nous devons produire pour la fin mai, avant le G20 agricole de juin à Paris. Cette communication sera totalement dans l'esprit de celle que nous avons sortie il y a quelques mois sur la PAC. Sur la future PAC soufflera et sévira encore un peu plus l'esprit du libéralisme. Or, on ne peut laisser les agriculteurs sans régulation ! Je suis sûr que nous avons des réponses à apporter au G20. La France a des idées précises sur le sujet et il faut saluer ceux qui y réfléchissent, notamment le ministre Bruno Le Maire, car nous sommes arrivés à un point crucial, où il faut éviter qu'un ultralibéralisme malvenu ne conduise toute une filière dans le mur.

M. Jean-Paul Emorine , président . - Merci à tous d'être venus discuter d'un enjeu important : nourrir la planète dans des conditions économiques acceptables tant pour les producteurs que pour les consommateurs. Notre rencontre permet de mieux quantifier et cerner les problèmes.

Pour nous, la réponse politique à leur apporter se situe à trois niveaux. Au niveau national d'abord via la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), avec la contractualisation, l'encouragement aux assurances contre les aléas climatiques et sanitaires et les provisions pour lesdits aléas et aussi pour les investissements. Cette loi favorise aussi l'organisation de filières pour l'agriculture et l'agro-alimentaire, afin qu'elles entretiennent des relations stables sur le long terme.

La réponse est internationale ensuite : la lutte contre la volatilité des prix agricoles est à l'agenda du G20. C'est historique. Les marchés agricoles sont maintenant totalement interconnectés. Le prix du lait breton se fait souvent, malheureusement, en Nouvelle-Zélande et celui du blé vendu au Caire et à Moscou. La réunion des ministres de l'agriculture, fin juin, devra décider des outils de lutte contre la volatilité ; mais nous sommes là loin d'un consensus, même si les tenants d'une absence totale de régulation sont un peu en perte de vitesse.

Au niveau européen, enfin : la proposition de M. Jean-Pierre Jouyet peut être retenue et la réforme de la PAC de 2013 devra la prendre en compte. Depuis plusieurs années, on s'oriente de plus en plus vers les marchés en disposant de moins en moins d'outils d'intervention. La PAC contribue à la volatilité. Nous voudrions qu'elle soit à nouveau un outil d'amortissement de cette volatilité, même s'il ne s'agit pas d'en revenir à une PAC totalement administrée et déconnectée des marchés ; personne ne la défendrait car son budget serait insoutenable.

Le groupe de travail que nous avons mis en place avec le président Jean Bizet défend l'idée de redonner du sens à la PAC et de ne pas renoncer à son ambition d'une régulation. Nous en avons convaincu nos partenaires allemands et sommes parvenus à une déclaration commune des Parlements de nos deux États. Soyez sûrs que nos deux commissions de l'Économie et des Affaires européennes resteront attentives à l'enjeu de la volatilité des prix agricoles et que nous tenterons de faire valoir la vision d'une agriculture mondiale capable de nourrir sans soubresauts neuf milliards d'humains à l'horizon 2050.


* 1 Ce groupe de travail est co-président par MM. Jean-Paul Emorine, Jean Bizet, Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai.

* 2 Note d'analyse n° 206 du Centre d'analyse stratégique (CAS) « Volatilité des prix des matières premières » (janvier 2011).

* 3 Rapport d'information « Redonner du sens à la PAC » présenté par MM. Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Mmes Bernadette Bourzai et Odette Herviaux au nom de la commission des affaires européennes et de la commission de l'économie (10 novembre 2010).

* 4 FAO, PAM, « L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde », octobre 2010.

* 5 « Prévenir et gérer l'instabilité des marchés agricoles » - Rapport d'étape - par MM. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers, Christian de Boissieu, Président du Conseil d'analyse économique et Serge Guillon, Contrôleur général économique.

* 6 Note d'analyse n° 207 du Centre d'analyse stratégique (janvier 2011).

* 7 Ces éléments sont tirés d'en entretien avec M. Boussard, membre de l'Académie de l'agriculture, d'un article de M. Gouel de 2010, « Agricultural price instability : a survey of competing explanations and remedies » dans le Journal of Economics Surveys et d'une analyse de Delorme H., Lipchitz A. et Bonnet A. en 2007 « Dynamique des prix agricoles internationaux », Notes et études économiques n° 27.

* 8 Rapport d'information « Redonner du sens à la PAC » par MM. Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Mmes Bernadette Bourzai et Odette Herviaux au nom de la commission des affaires européennes et de la commission de l'économie (10 novembre 2010).

* 9 Communication de la Commission - « Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières » - COM (2011) 25 final - 2.2.2011.

* 10 Rapport Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO : 2008-2017 (OCDE - FAO, 2008).

* 11 « La future PAC 2013 », Avis du Conseil économique, social et environnemental, présenté par M. Régis Hochart, rapporteur au nom de la section de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation (séance des 24 et 25 mai 2011).

* 12 Rapport précité

* 13 Rappel de la composition du G20 : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis d'Amérique, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Royaume-Uni, Mexique, Russie, Turquie, Union Européenne.

* 14 Ce groupe est co-présidé par MM. Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, Mmes Odette Herviaux et Bernadette Bourzai.

* 15 Rapport d'information n° 481 (2008-2009) déposé le 23 juin 2009 par M. Jean Bizet au nom de la commission des affaires européennes, sur le prix du lait dans les États membres de l'Union européenne.

* 16 Rapport d'information n° 73 (2009-2010) déposé le 30 octobre 2009 par MM. Jean-Paul Emorine et Gérard Bailly, au nom de la commission de l'économie, sur l'avis de l'Autorité de la concurrence relatif au fonctionnement du secteur laitier.

* 17 Rapport n° 610 (2009-2010) déposé le 6 juillet 2010 par M. Gérard Bailly au nom de la commission de l'économie sur la proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet sur le marché du lait.

* 18 Le compte-rendu de cette table ronde figure en annexe du présent rapport.

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