EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est invité à se prononcer sur la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants, déposée par M. Eric Ciotti, député, sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 28 juillet 2011. Cette proposition de loi tend à traduire l'une des préconisations formulées par son auteur dans un rapport consacré à l'efficacité de l'exécution des peines, remis au Président de la République le 7 juin 2011.

La présente proposition de loi, qui comporte six articles, poursuit deux objectifs :

- d'une part, permettre à l'autorité judiciaire d'astreindre un mineur délinquant de plus de seize ans à effectuer un « contrat de service » dans un centre relevant de l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe), lorsque les faits commis sont de faible gravité ou que le mineur est primodélinquant. A cet égard, la proposition de loi ne crée pas de dispositif nouveau, mais s'efforce de s'inscrire dans un dispositif existant - « Défense deuxième chance » - qui offre des résultats encourageants en matière d'insertion ;

- d'autre part, tirer les conséquences de décisions récentes du Conseil constitutionnel en matière de justice pénale des mineurs.

Si elle est menée à son terme, cette initiative constituera la sixième modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante depuis 2007, la trente-sixième depuis l'édiction de cette dernière.

A cet égard, votre commission ne peut que s'interroger sur les motifs qui ont conduit le Gouvernement, quelques semaines seulement après l'adoption d'une importante réforme de la justice pénale des mineurs, à engager la procédure accélérée sur ce texte et à demander au Sénat de l'examiner dans des délais particulièrement brefs - l'Assemblée nationale ne s'étant prononcée formellement en faveur de son adoption que le mercredi 12 octobre 2011. Une telle façon de procéder ne paraît ni propice à un débat serein, ni respectueuse des droits du Sénat.

Sur le fond, cette proposition de loi soulève un certain nombre de difficultés sérieuses.

* *

*

I. UNE MODIFICATION DES ÉQUILIBRES DE LA JUSTICE PÉNALE DES MINEURS DEPUIS 2002 SANS EFFETS AVÉRÉS SUR L'ÉVOLUTION DE LA DÉLINQUANCE

A. UNE DÉLINQUANCE DES MINEURS COMPOSITE, DONT L'AUGMENTATION GLOBALE DOIT ÊTRE RELATIVISÉE

Dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, M. Eric Ciotti affirme : « alors même que les chiffres de la délinquance sont globalement en baisse depuis 2002, le nombre de mineurs délinquants est lui en augmentation. La progression de la délinquance chez les mineurs est bien réelle ».

Au regard des données statistiques dont disposent les pouvoirs publics en la matière, un tel constat paraît devoir être nuancé.

Sans doute le nombre de mineurs interpellés par les services de police et de gendarmerie a-t-il constamment augmenté depuis 2002 , passant de 180 382 mineurs en 2002 à 216 243 mineurs en 2010 (soit une progression de 20% environ). Néanmoins :

- d'une part, cet accroissement résulte, pour une part probablement non négligeable, d'un recours plus fréquent aux services de police et de gendarmerie, appelés à intervenir plus systématiquement que par le passé, y compris pour constater des infractions de faible gravité ;

- d'autre part, cette progression est en tout état de cause moindre que celle constatée chez les majeurs : entre 2002 et 2010, le nombre de majeurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a crû quant à lui de 28% 1 ( * ) .

Au total, la part des mineurs dans la délinquance globale a légèrement diminué , passant de 19,9% en 2002 à 18,8% en 2010.

En revanche, il est exact de constater que la délinquance des mineurs présente un certain nombre de spécificités par rapport à celle des majeurs :

- plus de 40% des mineurs mis en cause le sont pour vol, contre 20% pour les majeurs ;

- les mineurs sont également plus souvent mis en cause pour destructions et dégradations de biens (13% des mises en cause, contre 5% pour les majeurs en 2010) ;

- à l'inverse, les mineurs sont moins concernés que les majeurs par les stupéfiants (11% de leurs mises en cause, contre 17% pour les majeurs en 2010).

On relève enfin que les faits de violence représentent une part croissante de la délinquance des mineurs (passant de 16% à 22% des mises en cause entre 2002 et 2010).

Il est important de souligner que peu de ces mineurs réitèrent : d'après les évaluations réalisées par la direction de la PJJ, sept mineurs sur dix ne font pas l'objet de nouvelles poursuites ou d'une mesure alternative aux poursuites dans l'année suivant la fin de leur prise en charge.

En revanche, un petit « noyau » représentant seulement 5% des mineurs délinquants serait responsable de près de la moitié des infractions commises par les mineurs.

Enfin, plus de trois mineurs délinquants sur quatre sont âgés de seize ans ou plus, et 20% ont entre 13 et 16 ans. Les mineurs délinquants de moins de 13 ans sont très rares : 2%.

Neuf mineurs délinquants sur dix sont des garçons. Néanmoins, une récente étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a attiré l'attention sur l'augmentation importante de la délinquance des jeunes filles au cours des années récentes 2 ( * ) .

Au total, le nombre de mineurs délinquants confiés à la protection judiciaire de la jeunesse n'a cessé d'augmenter : + 44% entre 2002 et 2010 3 ( * ) . Toutefois, cette augmentation résulte certes pour une part de l'accroissement, en valeur absolue, du nombre de mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie, mais également pour une part importante de directives pénales tendant à poursuivre plus systématiquement les auteurs d'infractions : le taux de réponse pénale aux infractions commises par des mineurs est ainsi passé de 78,5% en 2002 à 93,9% en 2010 .


* 1 Passant de 726 587 majeurs mis en cause en 2002 à 930 072 en 2010.

* 2 ONDRP, « Les mineures mises en cause pour crimes et délits non routiers en 2009 », repères n°13, septembre 2010.

* 3 En 2010, 98 307 mineurs délinquants ont été suivis par les services publics et associatifs habilités de la PJJ. Ils n'étaient que 68 215 en 2002.

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