Article 10 (art. L. 137-16 du code de la sécurité sociale) - Augmentation du forfait social

Objet : Cet article a pour objet de porter à 8 % le taux du forfait social, institué par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 sur un certain nombre d'assiettes exonérées de cotisations sociales.

I - Le dispositif proposé

1°) La multiplication des « niches sociales »

L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale pose le principe de l'universalité de l'assiette des cotisations sociales en indiquant que « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire ».

Cette règle connaît toutefois de nombreuses exceptions que l'on peut répartir en deux catégories :

- les éléments de rémunération exclus de tout prélèvement social , comme les titres restaurant, les chèques vacances dans les entreprises de plus de cinquante salariés, l'aide financière pour les services à la personne ou les avantages versés par les comités d'entreprise ;

- les éléments de rémunération exonérés de cotisations sociales mais soumis à la CSG et à la CRDS : intéressement, participation, abondement à un plan d'épargne, contribution des employeurs à la retraite supplémentaire ou à la prévoyance complémentaire, contribution patronale aux chèques vacances dans les entreprises de moins de cinquante salariés, etc.

L'ensemble de ces niches sociales représente désormais une assiette très significative et un manque à gagner réel pour la sécurité sociale.

Le tableau ci-après fournit le détail de ces montants, en précisant notamment la moindre recette estimée pour la sécurité sociale en 2012.

(en milliards d'euros)

Dispositifs

Assiette exemptée

Cotisations équivalentes

Participation financière et actionnariat salarié

18,3

2,8

dont : participation

7,0

intéressement

6,7

plan d'épargne en entreprise (PEE)

1,4

stock-options

3,2

Protection sociale complémentaire en entreprise

17,6

2,9

dont : prévoyance complémentaire

12,6

retraite supplémentaire

4,6

plan d'épargne retraite collective (Perco)

0,4

Aides consenties aux salariés

7,4

2,3

dont : titres restaurant

3,2

chèques vacances

0,9

avantages accordés par les comités d'entreprise

3,0

Cesu préfinancé

0,3

Indemnités de rupture

4,7

1,2

dont : indemnités de licenciement

3,8

indemnités de mise à la retraite

0,0

Indemnités de rupture conventionnelle

0,9

Prime de partage des profits (LFRSS 2011)

2,9

0,4

Total

50,9

9,7

Source : annexe 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012

Ces niches sociales connaissent un fort développement comme le souligne l'annexe 5 du présent projet de loi : « Les dispositifs d'exemptions d'assiette se caractérisent par un dynamisme qui se prolonge durablement après la phase de montée en charge. La mise en place des exemptions d'assiette a permis d'inciter les employeurs à l'essor initial de ces dispositifs. Bien après leur création, ils continuent d'évoluer encore nettement plus rapidement que l'assiette des cotisations quand bien même sont prévues au niveau de chaque entreprise des clauses de non-substitution avec des éléments de rémunération existants, lesquelles jouent surtout à court terme. »

Le tableau ci-après fournit le taux d'évolution annuel moyen des principales mesures d'exemptions d'assiettes en comparaison de celui de la masse salariale. Il témoigne ainsi de la très grande dynamique de ces dispositifs.

Evolution des principales exemptions d'assiette entre 2000 et 2009

Dispositifs

Montant en millions d'euros

Taux d'évolution annuel moyen

Pour 2000

Pour 2005

Pour 2009

Participation

4 502

7 000

5 911

3,1 %

Intéressement

3 394

5 700

5 664

5,9 %

Plans d'épargne salariale

856

1 300

1 239

4,2 %

Total épargne salariale

8 752

14 000

12 814

4,3 %

Titres restaurant

1 483

1 978

2 609

6,5 %

Retraite supplémentaire
et prévoyance complémentaire

n.d.

12 904

15 328

4,4 %

Masse salariale

358 732

423 730

479 607

3,2 %

Source : annexe 5 du PLFSS pour 2012

Outre leur fort développement et le fait que celui-ci s'effectue en partie au détriment des formes traditionnelles de rémunération assujetties à l'ensemble des prélèvements sociaux, quelques autres caractéristiques de ces dispositifs méritent d'être évoquées. Ainsi, ils ne sont pas équivalents aux exonérations de charges sociales en matière de droits des salariés ; en effet, les sommes exclues de l'assiette des cotisations ne sont pas retenues pour le calcul des meilleures années et donc du montant des pensions de retraite. Par ailleurs, à la différence des exonérations de charges sociales, les exemptions d'assiette sont plus concentrées sur les grandes entreprises que sur les petites.

Enfin, il est essentiel de souligner que ces exemptions d'assiette ne donnent le plus souvent pas lieu à compensation par le budget de l'Etat . Elles sont en effet presque toutes antérieures à la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie qui a posé le principe de la compensation mais pour les seules mesures instituées postérieurement à la loi.

2°) L'instauration d'un forfait social

Conformément aux recommandations exprimées par votre commission dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et par la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2007, l'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a institué une nouvelle contribution à la charge de l'employeur, dont le produit revient à la Cnam.

Trois articles ont été insérés à cet effet dans le code de la sécurité sociale.

L' article L. 137-15 fixe le principe de l'assujettissement à une contribution, à la charge de l'employeur, de l'ensemble des éléments de rémunération qui sont soumis à la CSG mais exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale.

Ce principe est néanmoins assorti de quatre exceptions qui excluent donc de l'assiette du forfait social :

- les avantages résultant de l'attribution de stock-options ou d'actions gratuites, déjà soumis à une contribution patronale, en application de l'article L. 137-13 voté en loi de financement pour 2008 ;

- les contributions des employeurs destinées au financement de prestations complémentaires de prévoyance, déjà assujetties à une contribution de 8 % conformément à l'article L. 137-1 ;

- les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail ;

- la participation de l'employeur au financement des chèques vacances dans les entreprises de moins de cinquante salariés (par souci de cohérence et d'équité avec le régime applicable aux chèques vacances dans les entreprises de plus de cinquante salariés, où ceux-ci ne sont pas soumis à la CSG et sont en conséquence exclus du forfait social).

A contrario , sont passibles du forfait social :

- les sommes versées au titre de l'intéressement, du supplément d'intéressement et de l'intéressement de projet ;

- les sommes versées au titre de la participation et du supplément de réserve spéciale de participation ;

- les abondements de l'employeur aux plans d'épargne d'entreprise (PEE et Perco) ;

- les contributions des employeurs au financement des régimes de retraite supplémentaire.

L' article L. 137-16 fixe le taux de la contribution ; l'article 13 de la loi de financement pour 2009 l'avait fixé à 2 % ; en application de l'article 16 de la loi de financement pour 2010, il a été doublé et porté à 4 % ; l'article 19 de la loi de financement pour 2011 l'a fixé à 6 %.

Il prévoit par ailleurs l'affectation du produit de cette contribution. Depuis 2011, la Cnam qui en recevait la totalité auparavant, n'en perçoit plus que la part correspondant à un taux de 1,65 %. Le reste, soit le produit de 4,35 %, est affecté au fonds de solidarité vieillesse (FSV) et, sur cette part, 0,77 % servent à financer les mesures de solidarité votées dans le cadre de la réforme des retraites.

L' article L. 137-17 prévoit que le forfait social est recouvré et contrôlé dans les conditions mentionnées aux articles L. 137-3 et L. 137-4, c'est-à-dire par les Urssaf et, outre-mer, par les caisses générales de sécurité sociale.

Le rendement de cette contribution est devenu significatif puisqu'il est estimé à un peu plus de 1,1 milliard d'euros pour l'année 2011.

Ce montant correspond à une assiette de l'ordre de 22 milliards, soit moins de la moitié de la totalité des assiettes actuellement exemptées de cotisations sociales.

3°) Les modifications proposées

Le du présent article prévoit le relèvement à 8 % du taux du forfait social à compter du 1 er janvier 2012, grâce à une modification de l'article L. 137-16. Ce relèvement rapporterait environ 410 millions d'euros supplémentaires.

Au , il est prévu que la totalité de ce prélèvement supplémentaire sera affectée à la Cnam qui recevra donc le produit correspondant à un taux de 3,65 % au lieu de 1,65 % précédemment, le reste étant attribué au FSV.

Selon l'évaluation annexée au projet de loi, une telle augmentation ne devrait pas porter atteinte au dynamisme des avantages consentis aux salariés, notamment du fait du différentiel encore très important avec le taux de droit commun appliqué aux salaires, soit 30,48 % de cotisations patronales de base.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté trois amendements tendant à tirer les conséquences de la hausse du forfait social prévue par cet article sur la taxation des contributions des employeurs au financement de la prévoyance complémentaire. Comme ces dernières étaient soumises à une contribution spécifique de 8 %, la hausse du forfait social à 8 % permet de supprimer leur régime particulier et de les intégrer dans l'assiette du forfait social, qui a une vocation générale pour les niches sociales.

La dérogation existante en faveur des employeurs de moins de dix salariés qui sont exonérés de la contribution sur les sommes qu'ils versent pour le financement de prestations complémentaires de prévoyance au bénéfice de leurs salariés est néanmoins maintenue.

La répartition du produit du forfait social est ajustée pour tenir compte de ce basculement : la Cnam bénéficiera de la part de son produit correspondant au taux de 5 % et le FSV de la part équivalent à 3 % et au sein de cette dernière part, 0,5 % seront affectés au financement des mesures de solidarité de la réforme des retraites.

III - La position de la commission

Face au dynamisme de la progression des assiettes exemptées et aux besoins de la sécurité sociale dont les déficits s'accumulent, il paraît tout à fait justifié qu'au-delà même de la pertinence des objectifs qui ont conduit à la création des niches sociales, celles-ci soient réaménagées pour contribuer à l'accroissement des recettes de la sécurité sociale.

Notre modèle de plus en plus universel de couverture des risques sociaux impose en effet que l'ensemble des revenus participent de manière proportionnée à son financement .

L'institution du forfait social revêt de ce point de vue un caractère décisif. Il présente en outre les avantages d'un « bon impôt » à savoir une assiette large et un taux bas.

Dans son analyse sur les éléments de rémunération que touche le forfait social, le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, qui a rendu son rapport au mois de juin 2011, fournit de nombreux éléments pour justifier une nouvelle hausse du forfait social.


Constats du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales
(rapport de juin 2011)

Les montants versés en 2009 (relatifs aux bénéfices 2008) aux salariés au titre de la participation représentaient en moyenne 4,8 % de la rémunération des salariés. Ceux versés au titre de l'intéressement représentaient en moyenne 4,5 % de leur rémunération. L'ensemble des dispositifs de distribution de revenu (participation, intéressement, abondement d'un PEE, abondement d'un Perco) a représenté 16,2 milliards d'euros en 2008, correspondant en moyenne pour les bénéficiaires à un surcroît de rémunération équivalent à 7,1 % de leur salaire.

Pour l'année 2009, le complément de rémunération annuelle dégagé par l'ensemble des dispositifs s'élève à 2 104 euros par salarié dans les entreprises de dix salariés et plus. Il représente pour les salariés bénéficiaires un surcroît de rémunération correspondant en moyenne à 6,5 % de leur masse salariale.

Cette même année, 36,1 % des salariés du secteur marchand non agricole, hors intérim et secteur domestique, avaient accès à un dispositif d'intéressement. Dans les entreprises de dix salariés ou plus, 4,431 millions de salariés ont bénéficié d'une prime d'intéressement cette même année. En 2008, la proportion des salariés du secteur marchand non agricole, hors intérim et secteur domestique ayant accès à un dispositif de participation, était de 46,1 %. Cette même année, dans les entreprises de dix salariés ou plus, 5,472 millions de salariés ont bénéficié d'une prime de participation.

En 2009, 57 % des salariés du secteur marchand non agricole avaient accès à un dispositif d'intéressement, de participation ou autre dispositif d'épargne salariale. Parmi eux, sept millions ont effectivement reçu une prime au titre de la participation ou de l'intéressement ou bénéficié d'un abondement de l'employeur sur les sommes qu'ils ont versées sur un PEE ou un Perco.

La participation aux résultats de l'entreprise, obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés, reste le dispositif le plus répandu (46 % des salariés couverts en 2008) ; viennent ensuite les PEE (41 %) et l'intéressement (36 %). Créé en 2003, le Perco poursuit son développement et concerne désormais près de 10 % des salariés : 680 millions d'euros ont ainsi été déposés sur un Perco en 2009, soit 3 % de plus que l'année précédente.

Le rythme d'augmentation des éléments assujettis au forfait social est très supérieur à celui de la masse salariale. Entre 1999 et 2007 par exemple, les sommes versées au titre de l'épargne salariale ont été multipliées par plus de deux quand la masse salariale a augmenté de moins de 40 %. D'après le rapport Cotis, on peut évaluer à l'équivalent d'un point de PIB l'effet de substitution entre ces sommes, qui ne sont pas assujetties à cotisations, et le reste de la masse salariale.

Les sommes qui entrent dans l'assiette du forfait social sont concentrées dans certains secteurs, bénéficient surtout aux salariés des grandes entreprises, notamment celles où les salaires sont élevés :


• Les dispositifs d'épargne salariale sont particulièrement développés dans les secteurs où les grandes entreprises sont nombreuses : secteur de l'énergie, certaines activités de l'industrie telles que la « fabrication de matériels de transport » les « industries extractives, énergie, eau, gestion des déchets et dépollution » et la « fabrication d'équipements électriques, électroniques, informatiques, fabrication de machines » où plus de 80 % des salariés sont couverts par au moins un dispositif. Ces dispositifs sont également répandus dans la banque et les assurances (huit salariés sur dix), où ils ne se limitent pas qu'aux grandes entreprises.


• Les salariés des grandes entreprises sont les principaux bénéficiaires des dispositifs d'épargne salariale. 93,7 % des salariés employés dans des entreprises de plus de cinq cents salariés étaient couverts par au moins un dispositif en 2009. Seulement 16,7 % des salariés des entreprises de moins de cinquante salariés et 11,6 % des salariés employés dans une entreprise de moins de dix salariés étaient couverts.


• Selon les travaux de la Dares, les dispositifs de participation, d'intéressement, PEE et Perco sont plus fréquents dans des entreprises proposant les salaires les plus élevés. 71 % des salariés ont accès à au moins un dispositif dans les entreprises où le salaire moyen dépasse 25 150 euros (7 e décile), contre 27 % dans celles où il est inférieur à 14 570 euros (3 e décile).

En outre, les dispositifs prévoyant un abondement de l'employeur en fonction des versements effectués par les salariés bénéficient plutôt aux salariés les mieux rémunérés. En particulier, l'abondement d'un PEE ou d'un Perco est conditionné par l'existence de versements des salariés (issus de leur participation, de leur intéressement ou de versements volontaires). Selon la dernière enquête sur ce sujet (enquête Réponse 2004-2005, Dares), les versements sur les PEE étaient supérieurs chez les cadres.

Votre commission approuve donc la hausse du forfait social proposée par cet article. Elle la juge néanmoins extrêmement timide et considère que ce forfait devrait être fixé à un niveau beaucoup plus proche de celui des cotisations sur les revenus salariaux . L'étude d'impact annexée au projet de loi souligne d'ailleurs que le taux du forfait social est « très modéré surtout si on le compare aux taux appliqués aux rémunérations salariales ordinaires » .

C'est pourquoi, elle a choisi de gager deux des mesures qu'elle propose sur la hausse du forfait social :

- la suppression de l'augmentation de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance au titre des contrats responsables et solidaires ; selon les évaluations annexées au projet de loi, le manque à gagner en résultant serait d'environ 1,1 milliard d'euros pour la sécurité sociale, soit un peu moins de six points de forfait social ;

- la suppression de la franchise sur les médicaments , ce qui représenterait un manque à gagner d'environ 750 millions, soit un peu moins de quatre points de forfait social.

Au total, votre commission propose donc de porter le forfait social à 18 %, c'est-à-dire dix points de plus que la hausse prévue par le présent article.

Le produit de ces hausses devra être affecté, en priorité, à la Cnam mais également au FSV qui, tous deux, souffrent d'un manque structurel de recettes .

La commission vous demande d'adopter cet article ainsi modifié.

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