EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Près de cinq ans après l'adoption de la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 réformant le statut juridictionnel du chef de l'Etat, ses dispositions demeurent inapplicables. En effet, la loi organique à laquelle renvoie l'article 68 de la Constitution n'a toujours pas été adoptée. Ainsi, un président de la République qui commettrait un manquement « manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ne pourrait être destitué par la Haute Cour. Cette situation, certes hypothétique, n'en constitue pas moins une anomalie de notre état de droit.

Comme le déclarait le président Jean-Pierre Bel lors de la séance publique du 14 janvier 2010 au Sénat : « l'absence de loi organique paralyse la volonté du constituant : le statut pénal du chef de l'Etat est en suspens (...). Il le protège complètement, mais cette immunité absolue n'est pas équilibrée par la mise en oeuvre de la procédure de destitution » 1 ( * ) .

A défaut de toute initiative gouvernementale, MM. François Patriat et Robert Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, avaient déposé, en octobre 2009, devant le Sénat, une proposition de loi organique afin de corriger cette lacune. Examinée par notre assemblée le 14 janvier 2010, elle avait fait l'objet, à la demande de votre commission des lois, d'une motion de renvoi en commission. Cette position avait été alors justifiée par la nécessité de poursuivre la réflexion sur certains aspects de la procédure et l'annonce par le Garde des Sceaux d'un examen rapide d'un texte gouvernemental.

Comme le rappelait le rapporteur, le président Jean-Jacques Hyest, votre commission estimait « nécessaire de prendre connaissance du texte du Gouvernement dans un domaine qui intéresse directement la stabilité de nos institutions et peut justifier de la même manière l'initiative parlementaire et celle de l'exécutif ». Elle considérait que « ces choix [seraient] mieux éclairés par l'analyse comparée des dispositions proposées par les deux textes s'agissant, en particulier, des aspects les plus complexes de la procédure de destitution » 2 ( * ) .

La condition ainsi posée se trouve désormais, bien que très tardivement, satisfaite.

En effet, un projet de loi organique a été déposé à la fin du mois de décembre 2010, son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale étant envisagée au cours du dernier trimestre 2011. La proposition de loi organique, sous réserve d'y apporter certains amendements inspirés, pour partie, des dispositions du projet de loi, semble présenter un point d'équilibre plus satisfaisant entre l'exigence de stabilité des institutions et la protection de la fonction présidentielle vis-à-vis de manquements graves susceptibles d'être commis par le titulaire de ce mandat.

Aussi, pour votre commission, ce constat plaide-t-il pour que le débat sur la mise en oeuvre de l'article 68 de la Constitution s'engage sur la base de la proposition de loi organique.

I. L'EXIGENCE D'UNE LOI ORGANIQUE

L'article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». Il constitue le corollaire de l'article 67 de la Constitution relatif au statut juridictionnel du Chef de l'Etat. Les dispositions de ces deux articles résultent de la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, largement inspirée du rapport de la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République présidée par le professeur Pierre Avril 3 ( * ) .

Le dernier alinéa de l'article 68 renvoie la détermination des conditions d'application de la procédure de destitution à une loi organique.

A. LES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES ET ORGANIQUES ANTÉRIEURES À LA RÉVISION DU 23 FÉVRIER 2007

Le chef de l'Etat bénéficie traditionnellement d'une double protection : l' irresponsabilité , immunité de fond, en vertu de laquelle il n'a pas à répondre des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ; l' inviolabilité , immunité de procédure, qui le protège à l'égard des poursuites judiciaires et de toute mesure privative ou restrictive de liberté pendant la durée de son mandat.

Ces immunités ne doivent cependant pas faire obstacle à la mise en cause de la responsabilité du Président de la République dans l'hypothèse où il se montrerait indigne de sa fonction.

Il appartient au Constituant de déterminer les principes permettant de concilier ces deux exigences.

Dans sa rédaction antérieure à la révision du 23 février 2007, l'article 68 de la Constitution prévoyait, d'une part, que le « Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison », d'autre part, qu' « il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres la composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice. » L'article 67 de la Constitution instituait la Haute Cour de justice et fixait sa composition (un nombre égal de députés et de sénateurs élus par leurs assemblées respectives).

Selon l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice, cette instance se composait de vingt-quatre juges titulaires et de douze juges suppléants élus pour moitié par chaque assemblée (article 9). L'ordonnance instituait une commission d'instruction composée de cinq membres titulaires et de deux suppléants, désignés chaque année par le Bureau de la Cour de cassation parmi les magistrats du siège de cette juridiction (article 12). Le ministère public était exercé par le procureur général près la Cour de cassation, assisté par le premier avocat général et deux avocats généraux qu'il désignait (article 13). La Haute Cour était par ailleurs dotée d'un greffe, assuré par le greffier en chef de la Cour de cassation (article 14).

Le régime de responsabilité du Chef de l'Etat était demeuré inchangé depuis 1958 alors même que la fonction présidentielle n'a cessé de s'affirmer à la faveur de l'élection au suffrage universel instaurée par la révision du 6 novembre 1962.

La mise en cause de la responsabilité du Président de la République à raison des actes liés à l'exercice de ses fonctions s'inscrit désormais dans une logique plus politique que judiciaire. Aussi la connotation pénale de « haute trahison », de même que le caractère juridictionnel de la procédure de mise en accusation, apparaissaient-t-ils inadaptés.

En outre, les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation avaient mis en évidence les ambiguïtés d'un statut encore largement inspiré des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946. Dans leurs décisions respectives du 22 janvier 1999 et du 10 octobre 2001 4 ( * ) , ils avaient exclu toute poursuite ou acte d'instruction à l'égard du Chef de l'Etat pendant la durée de son mandat. Cependant, le Conseil constitutionnel avait estimé que la compétence de la Haute Cour de justice était générale en vertu d'un privilège de juridiction reconnu au Chef de l'Etat alors que pour la Cour de cassation, cette compétence était limitée au cas de haute trahison 5 ( * ) .

Ainsi, une modernisation et une clarification des articles 67 et 68 de la Constitution paraissaient s'imposer.


* 1 Sénat, séance du 14 janvier 2010, compte rendu intégral, Journal officiel, p. 126.

* 2 Rapport au nom de la commission des lois sur le proposition de loi organique n°69, par M. Jean-Jacques Hyest, Sénat n° 187, 2009-2010, p. 16.

* 3 Rapport remis le 12 décembre 2002 au Président de la République.

* 4 Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 et arrêt d'assemblée du 10 octobre 2001.

* 5 La Cour de cassation avait néanmoins conclu à l'inviolabilité temporaire du Président de la République, précisant qu'en contrepartie de l'interdiction des poursuites pendant la durée de son mandat, les délais de prescription étaient suspendus.

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