III. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : PERMETTRE L'EXPLOITATION NUMÉRIQUE DES LIVRES INDISPONIBLES DU XXe SIÈCLE

Comme exposé précédemment, la question de l'exploitation numérique des oeuvres indisponibles est entrée dans le débat public à l'occasion de la tentative de Google de constituer une bibliothèque numérique universelle.

Le principe était initialement le suivant : Google proposait à une grande bibliothèque de numériser gratuitement les oeuvres dont elle disposait, puis la firme américaine pouvait ensuite les exploiter, en donnant accès seulement à une petite partie de l'oeuvre, dans le cadre du « fair use » américain.

Deux problèmes se posaient : Google n'avait pas les droits sur ces oeuvres, et les bibliothèques ne les avaient pas non plus. Ces dernières ont bien acheté des ouvrages « papier », mais ne peuvent pas pour autant négocier l'exploitation des droits avec un tiers, que ce soit dans un format papier ou numérique.

Le problème n'existe pas pour les oeuvres anciennes qui sont libres de droit, mais se pose avec acuité pour les livres du XX e siècle sous droit d'auteur .

Il se trouve qu'une grande partie de la production littéraire française n'est concrètement accessible que par quelques chercheurs sous format papier à la BnF, ce qui est dommageable à l'accès de tous à la culture. Cet état de fait est lié à la fois aux doutes sur les titulaires des droits numériques et à la faible rentabilité économique d'une éventuelle exploitation numérique.

La proposition de loi déposée par notre collègue Jacques Legendre vise précisément à répondre à cette problématique et à prévoir l'instauration d'une gestion collective pour l'exploitation numérique de la production éditoriale française du XX e siècle .

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Ce mécanisme repose sur un transfert de l'exercice des droits à une société de gestion collective, gérée paritairement par des représentants des auteurs et des éditeurs. Il s'agit bien d'un transfert de l'exercice du droit d'exploitation et non des droits d'auteur.

Le mécanisme proposé est le suivant :

Tout d'abord, une liste des livres indisponibles est constituée , afin de recenser précisément les livres réellement inaccessibles qui ne sont pas encore libres de droits. Cette liste serait vraisemblablement tenue par la Bibliothèque nationale de France (nouvel article L. 134-2 du CPI).

Pendant un délai de six mois, les auteurs et les éditeurs inscrits sur cette liste peuvent choisir de ne pas opter pour les mécanismes de gestion collective (nouveaux articles L. 134-2 et L. 134-3 du CPI).

L'auteur peut, de droit, refuser l'exploitation collective. Dans ce cas, il pourra exploiter directement l'oeuvre s'il dispose des droits numériques ou négocier une exploitation avec son éditeur si ces droits sont partagés.

Si l'éditeur est celui qui manifeste son désir de sortir de la gestion collective, il doit bien sûr être titulaire du droit d'exploitation numérique ou plus probablement le négocier avec l'auteur, et il dispose de deux ans pour mettre en place cette exploitation lui-même. C'est donc contractuellement que la répartition des droits est fixée. A défaut d'exploitation, le livre rentrera dans le champ de la gestion collective. Cela permet de protéger à la fois l'auteur, qui verra forcément son oeuvre être exploitée numériquement, et le public, en raison du dégel des droits d'exploitation.

Si en revanche les auteurs ou les éditeurs n'optent pas pour sortir du dispositif, ils entreront de droit dans la gestion collective ( nouvel article L. 134-5 du CPI).

Deux cas sont alors envisagés. Le principe est que la société de gestion des droits propose l'exploitation exclusive de l'oeuvre en priorité à l'éditeur initial du livre. S'il accepte, il a trois ans pour exploiter les droits. Notons que la gestion de ces droits restera alors de toute façon collective avec une répartition des sommes fixée par la société de gestion. L'éditeur ne touchera directement que la marge du vendeur.

S'il n'exploite pas le livre indisponible, son exploitation sera alors proposée à tous de manière non exclusive.

Enfin, le dernier cas est celui des oeuvres pour lesquelles il n'y pas d'éditeur qui détient les droits « papier ». Les informations relatives aux réels titulaires des droits sont aujourd'hui connues, notamment par le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC). Elles devront être mises à disposition de la société de gestion. Si aucun éditeur ne détient les droits d'une oeuvre, son droit d'exploitation est confié à un tiers, de manière non exclusive.

Il faut souligner qu'il sera toujours possible à l'auteur qui le souhaite de sortir du dispositif de gestion collective par une simple notification (nouvel article L. 134-6 du CPI). Il peut le faire seul s'il dispose de l'intégralité des droits papiers, ou conjointement avec l'éditeur si les droits sont partagés. Si c'est une décision conjointe, l'éditeur a dix-huit mois pour exploiter l'oeuvre.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page