EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 30 novembre 2011 sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, la commission examine le rapport de Mme Bariza Khiari sur la proposition de loi n° 54 rectifié (2011-2012) relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XX e siècle.

Un débat s'engage après la présentation de la rapporteure.

M. Jacques Legendre . - Madame la rapporteure, je vous remercie de votre intérêt pour cette affaire complexe mais enthousiasmante. Il est vrai que ces délais sont agaçants, mais la possibilité de recourir au grand emprunt, ce n'est pas rien ! En outre, puisqu'un texte semblable a été déposé à l'Assemblée nationale, il me paraît important que ce sujet vienne d'abord en discussion au Sénat. Je partage votre souhait de garantir au mieux les droits des auteurs. Le délai de six mois est court, c'est vrai. Je pense comme vous que l'argent récupéré par la société doit servir à la promotion de la lecture. Il serait paradoxal que les bibliothèques, qui ont pour vocation de mettre à la disposition de tous un maximum de livres, soient gênées dans leur fonctionnement.

M. André Gattolin . - Je comprends le mécanisme législatif, mais je vois mal le modèle économique et financier. La numérisation sera prise en compte dans le cadre du grand emprunt, soit, mais quid de la gestion des droits ? Intéresse-t-elle aussi le grand emprunt ? Comment s'organise-t-elle ? Sera-t-elle transparente ? On sait que les éditeurs allèguent des chiffres de retours d'invendus qui ne correspondent pas toujours à la réalité. Un organisme sera-t-il chargé de la répartition des droits, ou celle-ci sera-t-elle laissée aux sociétés d'auteurs et à quel coût ? Nous risquons d'aller vers un système très lourd, pour de toutes petites ventes, donc une rétribution des auteurs et des éditeurs très fragmentée.

Mme Dominique Gillot . - Ce texte est extrêmement complexe et n'apporte pas toutes les réponses. Quand j'en ai pris connaissance, j'ai vu tout l'intérêt qui s'attache à ce que sa paternité reste au Sénat. Ce « trou noir » dans l'accès aux oeuvres du XX e siècle est paradoxal : seules les oeuvres du XXI e siècle sont accessibles, ainsi que les oeuvres antérieures au. Cela mène au piratage ou à des procédures illégales, certaines bibliothèques disposant des originaux se croyant autorisées à les numériser, pour les rendre accessibles. Ce texte arrive donc à point nommé pour mettre de l'ordre et freiner la « googlisation » de la propriété et du droit d'auteur. Nous avons tous intérêt à cette clarification.

Nous avons avancé des propositions, dans le cadre de discussions que nous avons eues en marge de cette présentation, qui pourront aboutir, en séance publique, à concilier la garantie du droit d'auteur et l'accessibilité au plus grand nombre des oeuvres, aujourd'hui seulement accessibles à quelques chercheurs, ou via des procédures illégales. Je serai très attentive à la place des bibliothécaires, des archivistes et documentalistes. Nous voulons garantir les droits des auteurs et des éditeurs, mais aussi la bonne gestion des fonds par les gestionnaires d'équipements publics. Un organisme sera chargé de la constitution de la base de données. Nous réfléchissons à la licence d'accès à cette base de données. La gestion collective publique des oeuvres numérisées sera placée sous l'égide de la BnF et du grand emprunt.

Les avancées sur la gestion du fonds et l'action volontariste en faveur de la promotion de la lecture publique et de la lutte contre l'illettrisme sont satisfaisantes. Les bibliothécaires, agents de promotion de la lecture publique, ne sont pas en reste pour faire des propositions. La nomination d'un commissaire du Gouvernement, qui analysera les procédures mises en place pour rechercher effectivement les auteurs, est de bonne pratique.

M. Vincent Eblé . - Pourquoi avoir retenu une date calendaire, le 31 décembre 2000, en-deçà de laquelle le dispositif est mis en place, et non pas un délai après la publication ? La loi ayant vocation à durer, on imagine aisément qu'un jour les oeuvres du début du XXI e siècle seront, elles aussi, concernées ?

Mme Bariza Khiari, rapporteure . - Nous avons le souci collectif d'aboutir et de faire en sorte que le Sénat soit tête de file en la matière. Monsieur Gattolin, la numérisation est faite par celui qui exploite l'oeuvre. Les sociétés de gestion se rémunèrent sur les droits. Elles doivent être gérées de façon paritaire, entre les auteurs et les éditeurs. L'agrément sera donné par le ministère de la culture. Nous allons essayer, dans le texte, ou lors du débat, car c'est peut-être infra-législatif, de poser quelques conditions. En effet, il ne serait pas satisfaisant qu'une société de gestion collective, qui ne le serait pas déjà, change ses statuts pour devenir paritaire. Il serait donc souhaitable de faire appel à des sociétés de gestion collective ayant déjà une pratique de la gestion paritaire. Le commissaire du Gouvernement est également un élément important du dispositif...

M. André Gattolin . - C'est le mode de fonctionnement qui pose problème. Ainsi, en matière de musique, les sociétés d'auteur mesurent les temps d'antenne et répartissent de manière homothétique ce qu'elles ont constaté. On ne peut pas faire de même pour les livres indisponibles, extrapolant, par exemple, sur les ventes de Proust !

Mme Bariza Khiari, rapporteure . - Je comprends votre préoccupation : nous allons creuser cette question d'ici à la séance publique.

Madame Gillot, il est probable que la base de données sera constituée par la BnF. L'agrément sera donné sous certaines conditions. Il importe d'imposer notre volonté de transparence, afin de contrôler que les recherches ont été avérées et efficaces.

Monsieur Eblé, à partir de l'an 2000, les contrats comportent des stipulations claires sur les droits numériques. Nous allons travailler sur la protection des droits des auteurs - non pas seulement du droit d'auteur - notamment sur la possibilité de droit de retrait, de repentir - par exemple un auteur qui ne souhaite pas voir publier un ouvrage qu'il a écrit il y a cinquante ans, dans un certain contexte, et qu'il renie -, ainsi que sur les ayants droit.

Il est vrai que cette proposition de loi est simple à expliquer, mais pose des questions très techniques. Nous avons peu de temps pour vérifier beaucoup de points. Quelques auditions nous ont déjà éclairés et nous avons une semaine pour travailler. Je vous demande de nous faire confiance ; je vous présenterai les amendements la semaine prochaine. J'approuve dans son principe l'esprit de cette proposition de loi.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - J'aurais préféré que l'on prenne le temps de recueillir l'assentiment des auteurs, plutôt que de dire : « qui ne dit mot consent ». Je pense à ces auteurs de bandes dessinées, dont les inédits s'arrachent à prix d'or et qui donnent lieu à une véritable spéculation. Je doute que les marginaux d'hier, auteurs de BD célèbres aujourd'hui, puissent répondre en six mois ! Je vous demande d'y veiller.

Nous entrons dans un système inédit, où les sociétés d'auteurs, censées par définition protéger les droits patrimoniaux et moraux des auteurs, devraient aussi défendre les vendeurs, les éditeurs.

J'ai bien entendu les propos de Mme Gillot sur le commissaire du Gouvernement. Cela est passible de l'article 40. Le législateur, quand il a de bonnes idées protectrices, risque d'être contraint pour des raisons financières...

M. Jacques Legendre . - Lors de nos entretiens préparatoires avec la rapporteure, nous nous sommes demandé comment faire en sorte que la société de gestion ait la volonté de retrouver le « père » de l'oeuvre orpheline, lorsqu'il existe encore. D'où notre proposition d'un commissaire du Gouvernement, qui s'assure que, dans la pratique, la société fait bien tout ce qui est en son pouvoir. Quant à l'article 40, il est loisible au Gouvernement, s'il acquiesce, de nous délivrer de ce boulet...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Chat échaudé craint l'eau froide !

M. Jacques Legendre . - J'ai bon espoir que le ministère de la culture soit d'accord !

Mme Dominique Gillot . - La présence du commissaire du Gouvernement n'entraîne pas nécessairement de coût supplémentaire pour le budget de l'État, il peut être choisi parmi les chargés de mission du ministère...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Ce n'est pas moi qu'il faut convaincre !

M. Vincent Eblé . - Il y a assez de compétences à l'inspection générale des affaires culturelles !

Mme Maryvonne Blondin . - C'est le ministre lui-même qui a lancé le sujet des oeuvres orphelines, en liaison avec Bruno Racine, président de la BnF ; il y sera certainement favorable !

Mme Bariza Khiari, rapporteure . - Vous avez raison d'évoquer l'article 40, mais nous avons posé quelques jalons et nous verrons. Nous allons essayer d'intégrer les bibliothécaires, les documentalistes, dans le dispositif, leur regard est important...

Mme Dominique Gillot . - En lien avec les collectivités territoriales, très intéressées.

La commission décide de ne pas adopter de texte.

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