B. DES NORMES QUI NE GARANTISSENT PAS PLEINEMENT L'ÉGALITÉ ENTRE LES CANDIDATS

Les auditions conduites par votre rapporteur ont révélé que les règles relatives au financement de l'élection présidentielle ne permettaient pas, en l'état, de garantir une juste répartition de la contribution de l'État entre les candidats.

En premier lieu, ces règles se caractérisent par un très fort effet de seuil . En effet, les candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages ont droit à un remboursement forfaitaire dix fois moins important que ceux qui ont recueilli plus de 5 % des voix ; de même, tous les candidats ayant obtenu plus de 5 % sont soumis au même plafond de remboursement. Comme le soulignait M. Jean-Claude Colliard, président de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et ancien membre du Conseil constitutionnel, lors de son audition, le système prévu par la loi de 1962 est donc très défavorable aux candidats qui avoisinent les 5 % sans les atteindre 7 ( * ) ; en parallèle, il présente le risque de favoriser à l'excès les très « petits » candidats (chaque candidat ayant droit, quel que soit son résultat, à un remboursement forfaitaire d'au moins 800 000 euros) ainsi que les candidats ayant obtenu entre 5 et 10 % des voix.

Par ailleurs, entendu par votre rapporteur, le président de la CNCCFP, M. François Logerot, a estimé que les dispositions actuellement en vigueur ne répondaient pas au principal problème rencontré par la Commission dans l'exercice de sa mission de contrôle des comptes de campagne à l'élection présidentielle, à savoir le traitement des dépenses exposées par les candidats disposant d'un mandat public : ces derniers sont en effet susceptibles de tirer profit de ce mandat dans la conduite de leur campagne. Ce problème (qui se pose pour les détenteurs de tous types de mandats publics, et a fortiori pour le Président de la République sortant) pose en réalité la question de la frontière juridique entre le mandat et la campagne -frontière que les textes actuels ne permettent pas de délimiter avec précision. Comme le résumait M. Logerot, la loi de 1962 n'apporte pas de réponse satisfaisante aux interrogations suivantes : à partir de quand une personne doit-elle être considérée comme candidate à une élection 8 ( * ) , et quel est le périmètre de cette candidature ? Par exemple, selon quels critères la Commission peut-elle déterminer si un Président de la République, candidat à sa réélection 9 ( * ) , s'exprime en tant que candidat (auquel cas les dépenses exposées pour l'évènement pendant lequel il s'exprime devront être retracées dans son compte de campagne et ne doivent pas être financées sur les deniers publics) ou en tant que chef de l'État (ce qui impliquerait que ces dépenses ne soient pas comptabilisées) ?

Votre rapporteur rappelle que l'utilisation d'un mandat électif à des fins électoralistes s'assimile à un don de personne morale au sens de l'article L. 52-8 du code électoral 10 ( * ) et qu'elle est, en tant que telle, strictement prohibée depuis 1990 11 ( * ) .

Il souligne également que la jurisprudence administrative opère d'ores et déjà une distinction entre les deux rôles que peut exercer le Président de la République (à savoir un rôle de chef d'État, au-dessus des partis, et un rôle de participation à la vie politique nationale) en matière de temps de parole dans les médias 12 ( * ) .

Une distinction similaire pourrait être mise en place par la CNCCFP et par le Conseil constitutionnel pour déterminer, parmi les dépenses exposées par un Président sortant, celles qui doivent être retracées dans son compte de campagne et celles qui relèvent de l'exercice normal des fonctions conférées par son mandat. Plus généralement, la distinction élaborée par le Conseil d'État, qui repose sur la notion de « débat politique national », peut être opérante pour distinguer les dépenses qui relèvent de l'exercice d'un mandat (quelle qu'en soit la nature) et celles qui doivent être imputées à la campagne.

En tout état de cause, votre rapporteur déplore que, malgré la qualité du travail effectué par la CNCCFP pour répondre aux questions des candidats et les sensibiliser au respect de la législation, les incertitudes juridiques sur la limite exacte entre les actions qui relèvent de la campagne présidentielle et celles qui découlent de l'exercice d'un mandat électif n'aient pas pu être levées ; une prise de position claire du Conseil constitutionnel, préalablement à l'élection présidentielle de 2012, aurait certainement permis de renforcer la clarté et la prévisibilité de notre droit.


* 7 Notons que l'« effet de seuil » joue également en amont de la campagne, au moment où les candidats doivent obtenir des prêts bancaires (ce qui a lieu plusieurs mois avant le premier tour du scrutin) : un candidat pour lequel les sondages annoncent un score légèrement inférieur à 5 % sera, dans les faits, dans l'impossibilité de se voir prêter une somme supérieure à 800 000 euros, contre 8 millions pour les candidats qui semblent être dans une posture plus favorable.

* 8 Rappelons que la déclaration de candidature n'est pas le fait générateur à partir duquel les dépenses doivent être comptabilisées : à l'inverse, les dépenses retracées dans le compte de campagne sont celles qui ont été « engagées ou exposées en vue de l'élection » durant toute l'année qui précède le premier tour de l'élection.

* 9 Ou qui s'avérera finalement candidat à l'élection présidentielle, mais n'a pas encore annoncé officiellement sa candidature : v. la note de bas de page précédente.

* 10 Cet article est d'ailleurs applicable à l'élection présidentielle.

* 11 La loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques interdit aux partis politiques et aux candidats aux élections de percevoir des dons de la part de personnes morales de droit public.

* 12 CE, Sect., 8 avril 2009, « M. H. et M. M. », req. n° 311136. Dans cette décision, le Conseil d'État invalide une décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel refusant toute prise en compte des déclarations du Président de la République dans les médias et estime que le temps de parole de celui-ci doit être décompté dès lors que, en raison de leur contenu et de leur contexte, ses déclarations ne sont pas « étrangères [...] au débat politique national ».

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